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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Madeleine GAUTHIER, “Les jeunes Québécois faiblement scolarisés et le monde du travail.” Questions de culture, no 19, intitulé: “Enjeux actuels de la formation professionnelle”, sous la direction de Pierre Dandurand, pp. 51-86. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1993, 275 pp.

[51]

Questions de culture, no 19
Enjeux actuels de la formation professionnelle.”

 Les jeunes Québécois
faiblement scolarisés
et le monde du travail
.” [1]

par
Madeleine GAUTHIER

Dans le discours qui entoure l'insertion des jeunes en emploi, il y a une certaine — pour ne pas dire une totale — unanimité pour affirmer l'existence d'une relation étroite et linéaire entre le niveau de scolarité atteint et le succès sur le marché du travail. Cette affirmation découle logiquement de l'analyse des taux de chômage où les faiblement scolarisés détiennent le palmarès. Elle tient aussi à la plus grande correspondance entre la formation et l'emploi chez les plus scolarisés comme le révèlent les opérations « Relance » des ministères de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur.

En poussant l'analyse un peu plus loin jusqu'à considérer d'autres variables entourant l'intégration au marché du travail, cette perception de la relation entre la scolarisation et l'emploi, sans apparaître totalement erronée, appelle des nuances. Une analyse des données de l'Enquête longitudinale sur l'activité à propos des moyennement scolarisés jette un doute sur cette trop grande convergence de vue des scientifiques et des intervenants sociaux sur la relation scolarisation-emploi. Elle montre que les différences de succès sur le marché du travail entre moyennement scolarisés et faiblement scolarisés, de tous les âges cependant, sont parfois minimes et il arrive même que ce soit en faveur des peu scolarisés qui seraient plus stables en emploi [2]. Ce constat reflète-t-il la situation des jeunes ? À qualification égale, l'insertion des jeunes sur le marché du travail se modèle-t-elle sur la réalité des aînés ?

La relation, à première vue étroite entre scolarisation et emploi, dérive souvent vers un autre lieu commun : le poids de la [52] motivation dans la poursuite des études et l'obtention d'un diplôme.

Il suffirait de conditionner le jeune à poursuivre ses études en lui faisant miroiter l'avantage du diplôme pour sa recherche d'emploi et le tour serait joué [3]. Encore ici faudrait-il examiner les diverses composantes de la relation scolarisation-emploi pour voir si d'autres facteurs que la motivation n'interviendraient pas dans la persévérance scolaire et la poursuite des études jusqu'à l'obtention du diplôme comme sanction de la réussite.

L'Enquête longitudinale sur l'activité de Statistique Canada effectuée en 1988-1989 servira principalement de matériau pour évaluer la relation entre la scolarisation et l'emploi chez les jeunes de 20-24 ans peu scolarisés. Cette enquête contribuera à structurer l'analyse. D'autres travaux, en particulier les statistiques officielles de l'éducation, mais aussi des enquêtes par entrevues, serviront à l'interroger ou à la compléter. L'objectif sera de tracer le portrait le plus précis possible, à partir du matériel disponible, de cette catégorie de jeunes, de voir sa relation avec le monde du travail et de dégager quelques conséquences individuelles de la faible scolarisation dans ce contexte. Tant de notions circulent à ce sujet qu'il importe auparavant de s'entendre sur un certain nombre de définitions.

LES DÉFINITIONS

Il ne va pas de soi que les notions qui servent à qualifier la jeunesse, la scolarisation et l'emploi soient définies de la même manière en tout temps et pour tous. Une analyse des statistiques en matière de décrochage scolaire illustre bien cette difficulté où un changement dans la méthode de calcul a pu conduire à des proportions tout à fait différentes [4]. Il importe donc de bien définir les notions utilisées.

Les 20-24 ans

Le choix d'observer la relation entre la scolarisation et l'emploi chez les 20-24 ans et non pas chez les 16-19 ans ou les 25-29 ans comporte une part d'arbitraire. Ce choix ne constitue aucunement [53] une définition sociologique de la jeunesse dont on sait, dans un type de société comme le Québec des années 1990, que le pourtour est flou, l'insertion autant sociale (départ de la famille d'origine, vie autonome, mise en couple, formation d'une famille de procréation) que professionnelle (entrée sur le marché du travail, installation de manière stable en emploi) ne correspondant plus à un âge aux limites définies [5].

Le choix des 20-24 ans tient au fait que la majorité des jeunes peu scolarisés ont déjà entamé ou vécu le processus d'insertion en emploi à cet âge. Les conséquences individuelles du faible niveau de scolarité risquent de se manifester davantage à cet âge que chez les plus jeunes plus susceptibles de connaître encore une certaine dépendance de la famille ou de retourner aux études après un décrochage de courte durée. Il est aussi possible d'effectuer des comparaisons avec les autres jeunes plus scolarisés, ce qui n'est pas possible plus tôt puisque la période d'études n'est pas terminée. Quelques travaux indiquent que les jeunes peu scolarisés ont particulièrement été sensibles aux changements structurels du monde du travail et aux effets de la récession pendant les années 1980, entre autres au déplacement de la pauvreté vers ce groupe [6].

Les « faiblement scolarisés »

Un regroupement des données telles que recueillies par Statistique Canada a donné lieu aux catégories suivantes en rapport avec le niveau de scolarité :

a) les faiblement scolarisés : moins de neuf ans de scolarité ou secondaire partiel ;

b) les moyennement scolarisés : diplôme secondaire, diplôme de métier ou quelques études postsecondaires ;

c) les hautement scolarisés : diplôme postsecondaire ou universitaire. Sont compris ici les diplômés des cégeps du Québec.

La notion utilisée dans cet exposé n'est pas celle de « formation-emploi », plus courante dans les études de sociologie de l'éducation et du travail ou dans le langage administratif, mais de scolarisation-emploi [54] puisque les faiblement scolarisés, tels que définis dans la plupart des enquêtes, dont celle sur l'activité, n'ont pas de formation professionnelle spécifique ou de préparation directe au marché du travail. Comme il n'était pas possible de distinguer, dans la compilation de Statistique Canada, les diplômés du cours secondaire professionnel court qui existait avant 1988 des autres diplômés du secteur professionnel, ils ont été inclus dans la catégorie des « moyennement scolarisés ». La proportion de jeunes ayant obtenu ce diplôme étant très faible (3,2% à son taux le plus haut en 1981 [7]), ceci ne devrait pas changer sensiblement les données de l'analyse.

La catégorisation autour de la question de la scolarité fait donc en sorte qu'il ne se trouve pas d'individus dans le groupe des faiblement scolarisés susceptibles d'avoir reçu un diplôme attestant d'une formation professionnelle. Cela ne signifie pas qu'aucun n'ait pu recevoir cette formation, même jusqu'à la fin de la cinquième année du cours secondaire, mais cette formation n'a pas abouti à un diplôme.

Jeunes travailleurs
et jeunes étudiants chez les 20-24 ans


Les analyses qui ont trait à la place des jeunes sur le marché du travail incluent habituellement ceux qui cumulent études et emploi, soit simultanément pendant l'année scolaire, soit pendant la période d'été. Ainsi, par exemple, l'Enquête sur la population active de Statistique Canada rejoint tous les jeunes actifs ce qui comprend aussi ceux qui sont aux études et qui ont en même temps un emploi. De ce point de vue, la population des enquêtes sur la population active n'est pas homogène puisqu'il est bien connu que la segmentation du marché du travail fait une place à part aux étudiants-travailleurs [8]. D'autres enquêtes ne tiennent compte que des étudiants, ce qui permet des observations intéressantes à certains égards, comme de savoir qu'en 1989, 40,2% des étudiants de 20-24 ans étaient actifs sur le marché du travail [9]. Mais, on ne différencie pas ainsi les jeunes pour qui le travail est la principale activité.

[55]

L'Enquête longitudinale sur l'activité (1988-1989) de Statistique Canada utilisée ici contourne ces problèmes parce que, tout en incluant l'ensemble des jeunes « actifs », elle permet de distinguer entre ceux qui sont principalement sur le marché du travail et ceux qui sont principalement aux études. Il devient alors possible d'exclure du groupe des jeunes travailleurs de 20-24 ans, ceux qui poursuivent des études à plein temps. On peut donc former deux sous-groupes, l'un constitué des jeunes travailleurs et l'autre des étudiants. C'est le premier groupe qui sera retenu ici et, dans ce groupe évidemment, les jeunes travailleurs peu scolarisés, soit ceux qui ont moins de neuf ans de scolarité.

Dès maintenant, on peut souligner quelques caractéristiques de ces jeunes peu scolarisés par rapport à la population d'ensemble des 20-24 ans. Ils sont relativement peu nombreux, soit 17,5% au total, ce qui se comprend assez bien, compte tenu de la montée importante des taux de scolarisation au cours des dernières décennies. Par contre, par rapport à leur groupe d'âge, ce sont eux qui, non seulement comptent la proportion la plus importante hors des études (95,9%), mais sont aussi le plus fréquemment sans revenu d'emploi (Tableau 1). Ce qui est déjà assez révélateur. Mais il faut pousser l'analyse pour dégager un premier profil des faiblement scolarisés, identifiés dans le texte comme travailleurs. Ce sera principalement à partir de l'Enquête déjà citée sur l'activité de Statistique Canada, tout en recourant à d'autres sources pour illustrer ce qu'il n'est pas possible de retirer de cette enquête.

PROFIL DES FAIBLEMENT SCOLARISÉS

L'exercice qui suit tentera de mieux saisir ce qui distingue les peu scolarisés dans la population des jeunes travailleurs, à la fois en fonction de leur situation sur le marché du travail et en fonction du sexe. Par la suite, seront examinés certains facteurs d'explication de leur faible scolarisation.

Situation sur le marché du travail

Un regard sur la place des peu scolarisés parmi l'ensemble des jeunes travailleurs rejoint ce qui a été dit précédemment sur  [56] leurs caractéristiques par rapport à la population totale des 20-24 ans, population qui regroupait alors étudiants et travailleurs. Ils sont nettement plus nombreux a ne pas avoir de revenu d'emploi, c'est-à-dire à être chômeurs ou inactifs.

Par rapport aux jeunes travailleurs moyennement scolarisés, la proportion des peu scolarisés sans revenu d'emploi est plus du double. Cette proportion est encore plus forte si on la compare à celle des hautement scolarisés qui sont peu nombreux à ne pas avoir eu de revenu d'emploi (1,9%).

Tableau 1
Jeunes travailleurs a de 20-24 ans selon leur situation sur le marché
du travail et leur niveau de scolarité, Québec, 1988-1989

Peu
scolarisés

Moyennement
scolarisés

Hautement
scolarisés

Total

Travailleurs

avec revenu d'emploi

80,8

91,6

98,1

90,4

sans revenu d'emploi

19,2

8,4

1,9

9,6

Total

%

100

100

100

100

Total

N

85 728

184 554

76 980

347 262

Population totale

%

17,5

44,0

38,5

100

(Trav. et étud.)

N

89 417

224 708

196 876

511 011

a L'appellation « travailleurs » comprend ici ceux qui n'ont pas été aux études à plein temps ; ils n'ont pas nécessairement occupé un emploi durant les années de référence.

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89, de Statistique Canada.

[57]

Répartition selon le sexe

La répartition des jeunes travailleurs de 20-24 ans selon le sexe, si l'on tient compte de la scolarité, est assez étonnante. La proportion des jeunes hommes peu scolarisés (61,8%) est nettement supérieure à celle des jeunes femmes et la situation est inversée chez les hautement scolarisés alors que les jeunes femmes représentent 64,2% de la population (Tableau 2). D'autres enquêtes confirment cet écart. En 1988-1989, la probabilité d'obtention d'un diplôme était de 68,5% pour les filles alors qu'elle n'était que de 51,8% chez les garçons [10]. Les femmes qui ne sont plus aux études et qui n'ont pas de revenu d'emploi sont par contre proportionnellement plus nombreuses quel que soit le niveau de scolarité (61,8%).

Tableau 2

Répartition des jeunes travailleurs de 20-24 ans, selon le sexe,
selon leur situation sur le marché du travail et selon leur niveau
de scolarité, Québec 1988-1989

Peu
scolarisés

Moyennement
scolarisés

Hautement
scolarisés

Total

%

%

%

%

Jeunes travailleurs

avec revenu d'emploi

H

68,6

55,0

36,5

53,6

F

31,4

45,0

63,5

46,4

sans revenu d'emploi

H

33,0

47,4

38,2

F

67,0

52,6

61,8

Total

H

61,8

54,4

35,8

52,1

F

38,2

45,6

64,2

47,9

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89 de Statistique Canada.


[58]

Si le problème de la scolarisation des jeunes au Québec était structurel, il y aurait de fortes chances qu'il atteigne autant les jeunes femmes que les jeunes hommes. Il faudrait une étude en profondeur pour expliquer ce comportement différencié même si l'on en connaît déjà quelques facteurs comme le retard scolaire qui se manifeste avec plus d'ampleur dès le cours primaire chez les garçons. L'examen de traits culturels serait aussi à faire puisque la plus grande persévérance des filles dans les études n'est pas un phénomène récent. Dans son étude du village de Saint-Denis-de-Kamouraska, Horace Miner soulignait cette différence qui existait déjà entre les garçons et les filles en 1939 [11]. Beaucoup plus avant encore, dès le XIXe siècle, 90% des filles et 85% des garçons étaient inscrits à l'école. Parce qu'elles n'avaient pas accès à l'université, les jeunes filles qui voulaient exercer un métier intellectuel choisissaient les écoles normales. Ces écoles produisaient deux fois plus d'institutrices que d'instituteurs selon un rapport du Surintendant de l'instruction publique en 1888 [12].

Peut-on formuler l'hypothèse que les jeunes femmes ont, depuis fort longtemps, cherché dans les études une échappatoire aux conditions qu'elles n'acceptent pas, alors que les garçons trouvent leur principe d'identité dans le travail salarié ? Certains auteurs s'interrogent aussi sur la relation entre le phénomène du décrochage ou du retard scolaire chez les garçons et l'absence du père ou d'une image masculine auprès des garçons pendant l'enfance.

Quelques facteurs explicatifs
de la faible scolarisation


Les jeunes Québécois de 20-24 ans faiblement scolarisés ne constituent pas un groupe homogène. Mais l'Enquête longitudinale sur l'activité ne permet pas de décomposer un groupe d'âge en sous-groupes selon certaines caractéristiques que l'on retrouve habituellement lorsqu'il est question de scolarisation, allant par exemple des déficiences physiques ou intellectuelles jusqu'aux difficultés d'apprentissage, aux problèmes de comportement et au décrochage scolaire, sans oublier l'origine sociale, ethnique ou administrative. D'autres enquêtes indiquent cependant que les [59] jeunes faiblement scolarisés peuvent se retrouver en proportion plus importante dans certains de ces sous-groupes.

a) Les déficiences

L'Office des personnes handicapées du Québec publiait en 1984 un document faisant état des lacunes de l'école dans la scolarisation des personnes ayant une déficience ou une incapacité. Dans ce sous-groupe, 48% des individus auraient fréquenté l'école moins de huit ans [13]. Les jeunes femmes handicapées seraient encore moins scolarisées que les jeunes hommes [14]. Une étude de Statistique Canada, en 1986 celle-là, montrait que 85% des personnes handicapées ne se rendaient pas au-delà du diplôme d'études secondaire [15]. C'est une proportion nettement plus grande que ce que l'on retrouve dans l'ensemble de la population. Des mesures ont été mises en œuvre pour corriger cette situation, bien que les difficultés soient nombreuses.

Les déficiences intellectuelles moyennes et graves de même que les déficiences physiques ne touchent cependant qu'une portion infime des élèves en difficulté dans les commissions scolaires du Québec. Pour les trois niveaux d'enseignement : préscolaire, primaire et secondaire, la proportion est de 1,28% selon le relevé du ministère de l'Éducation en 1991-1992 [16].

b) Les difficultés d'apprentissage,
les troubles de comportement et le retard scolaire


Les difficultés d'apprentissage légères et graves concernent la plus grande proportion des élèves en difficulté : 10,77% de l'ensemble des élèves des trois premiers niveaux d'enseignement (préscolaire, primaire et secondaire). Les déficiences intellectuelles légères ne seraient le fait que de 0,39% des jeunes et les troubles de comportement, de 1,9% des élèves des trois mêmes niveaux [17].

Comment les commissions scolaires effectuent-elles le repérage de ces difficultés ? En d'autres termes, comment se définit la [60] notion de « trouble d'apprentissage » ? Un retard d'un an dans les matières de base : le français, les mathématiques ou les deux, manifesterait une difficulté légère d'apprentissage, deux ans ou plus une difficulté grave. Dès l'école primaire, 22% des jeunes connaissent un certain retard scolaire. Celui-ci aurait atteint jusqu'à 50,9% des jeunes de 17 ans en 1988-1989, âge où l'on obtient normalement le diplôme d'études secondaires [18]. Or, ce retard a une incidence sur la poursuite des études. Une analyse du ministère de l'Éducation indique en effet que 48,6% des élèves qui cumulent au moins une année de retard au moment où ils arrivent à l'école secondaire, ne termineraient pas leurs études à ce niveau [19]. En 1987-1988, environ 60% des jeunes qui abandonnent l'école sans diplôme sont des garçons [20].

c) Des conditions socio-économiques
peu favorables à la poursuite des études


Les commissions scolaires distinguent, dans leur relevé, les élèves ayant des déficiences physiques et intellectuelles de ceux qui présentent des difficultés d'apprentissage. En d'autres termes, les deux catégories d'élèves ne se recoupent pas dans les statistiques, mais s'additionnent. Ce que l'on nomme difficultés d'apprentissages s'explique, dans ce cas, par d'autres variables que les déficiences. Ainsi, le pourcentage d'élèves en difficulté d'apprentissage fluctuerait selon une variable géographique : certains quartiers, certaines municipalités et certaines régions compteraient plus d'élèves en difficulté que d'autres. Les régions éloignées seraient particulièrement vulnérables. Le Nord-du-Québec et la Côte-Nord, par exemple, obtiendraient les moyennes les plus basses aux épreuves ministérielles du secondaire en 1988-1989 [21].

Cette variable environnementale ne tient pas qu'à des caractéristiques régionales, mais elle comprend aussi le milieu immédiat. Faisant état des travaux sur les facteurs de décrochage scolaire, le Croupe de recherche en intervention auprès des élèves en difficulté (GRIED) rappelle que « l'entourage du jeune semble également constituer un facteur déterminant [22] ». Les jeunes décrocheurs proviendraient [61] de familles moins susceptibles d'apporter un soutien éducatif à leurs enfants. Ces familles seraient plus souvent monoparentales [23], disposant donc de moins de temps à consacrer à leurs enfants que les familles biparentales. Moins scolarisés, les parents de ces enfants auraient de la difficulté à soutenir ces derniers dans leurs études. Les relations de voisinage interviendraient aussi dans la formation des aspirations scolaires par les modèles qu'elles proposent aux jeunes et qui renforceraient négativement le peu de motivation pour la poursuite des études.

Ces observations confirment celles recueillies dans le cadre du projet ASOPE au cours de la première moitié de la décennie 1970 [24]. Les jeunes qui avaient quitté les études secondaires en cours de route présentaient un profil social différent de ceux qui les poursuivaient : familles de statut socio-économique inférieur en proportion plus importante, parents moins scolarisés. À cette époque, une autre variable entrait en ligne de compte : la taille de la famille, les décrocheurs appartenant principalement à des familles nombreuses. L'état civil des parents ne pouvait intervenir, la proportion des divorces étant alors encore infime.

d) L'arrêt des études pour cause de grossesse

Une étude récente associe décrochage scolaire et grossesse en bas âge [25]. Les grossesses chez les 15-19 ans étaient moins fréquentes au cours des années 1980 qu'au cours des décennies précédentes. À la fin des années 1980, le taux a eu tendance à revenir à ce qu'il était au milieu des années 1970 (18,6 pour 1 000 femmes du même âge) [26]. La proportion de femmes chez les moins scolarisés qui n'étaient pas aux études et qui n'avaient pas eu de revenu d'emploi en 1988-1989, soit 67,0% de la catégorie, pourrait s'expliquer par un retrait de toute activité pour se consacrer entièrement à l'enfant (Tableau 2). Il en résulte un abandon des études avant l'obtention du diplôme d'études secondaires, non pas parce que ces jeunes femmes étaient incapables de l'obtenir, mais parce que leur grossesse les a conduites à aménager autrement leur cheminement.

[62]

e) La « faible scolarisation »
comme « construction sociale »


Le ministère de l'Éducation trace, depuis quelques années, un schéma général de la persévérance scolaire. En 1988-1989, selon ce tableau, sur les 99 élèves qui arrivaient du cours primaire, 3 auraient abandonné dès la première année du cours secondaire, 4 la deuxième, 6 la troisième, 11 la quatrième et 11 la cinquième [27]. Des 75 étudiants qui se rendent en cinquième secondaire, 64 seulement obtiendront le diplôme. Cette statistique correspondrait à la différence entre la totalité des élèves susceptibles d'obtenir le diplôme d'études secondaires et les 64% qui l'auraient effectivement reçu en 1988-1989. De là, la statistique qui circule selon laquelle plus du tiers des jeunes Québécois seraient des décrocheurs scolaires. Est-ce le cas ? Comme les facteurs décrits précédemment (déficiences et difficultés d'apprentissage) ne peuvent expliquer une proportion aussi forte d'abandons scolaires, il faut chercher ailleurs la différence entre le taux de diplomation réelle et le taux de diplomation souhaité qui pourrait théoriquement être de 100%.

Obtention d'un diplôme et taux de fréquentation scolaire ne sont pas synonymes. Depuis 1975, le taux de fréquentation scolaire des 15-19 ans n'a pas cessé d'augmenter tout en plafonnant depuis 1987, année où il atteignait 60,2% [28]. Le taux de fréquentation scolaire à 15 ans — ce qui signifie neuf ans de scolarité —, était encore de 96,6% en 1988 et de 88,4% à 16 ans la même année [29]. Si les jeunes ne se rendent pas jusqu'à l'obtention du diplôme, ce n'est donc pas nécessairement faute de présence aux études au moins jusqu'à 16 ans, âge limite de l'obligation scolaire. L'explication vient du fait qu'ils accusent un retard scolaire et abandonnent avant l'obtention du diplôme. Ils peuvent même se rendre jusqu'à la fin de la cinquième année du cours secondaire sans réussir aux examens de fin d'études. Selon le schéma dont il a été question, 11 étudiants se rendraient en cinquième année du cours secondaire sans obtenir de diplôme. Sont-ils pour autant tous des décrocheurs ?

La persévérance jusqu'au diplôme peut être bloquée de diverses manières. Selon les sources utilisées plus haut, le retard scolaire, par exemple, avait diminué jusqu'à 44,9% en 1986 ; il s'est [63] accru depuis. Ce retard est-il dû à la hausse des exigences de la note de passage pour les examens du cours secondaire : de 50% à 60% en 1987 ? Les exigences seraient-elles plus fortes qu'elles ne l'étaient aussi au cours primaire ? Les exigences seraient-elles plus fortes au Québec qu'ailleurs ? Le système scolaire serait-il la cause de ce retard ?

Doivent être pris en considération tous les autres facteurs qui peuvent stimuler ou décourager la poursuite des études. Par exemple, dans quelle mesure les difficultés d'insertion en emploi des jeunes plus scolarisés ne jouent-elles pas sur la formation des aspirations ? Des entrevues auprès de jeunes chômeurs appuient cette hypothèse selon laquelle on hésite à « investir » dans les études à partir du résultat que l'on observe dans l'entourage [30]. Les études sur les aspirations montrent comment celles-ci s'enracinent dans la réalité du milieu immédiat. Le discours officiel sur la relation formation-emploi est souvent contredit par la lecture que certains jeunes font de la réalité du marché du travail dans leur environnement.

Des jeunes peu et moyennement scolarisés, actifs sur le marché du travail font principalement état, au cours d'entrevues [31], de deux raisons pour expliquer leur abandon de l'école avant l'obtention d'un diplôme : la crainte de perdre un emploi qui se présentait à eux et le peu de relation qu'ils voyaient entre la poursuite des études et la réalité du marché du travail. Ils ont conscience que pour réussir sur ce marché, il faut ou bien de l'expérience ou bien une scolarité poussée, sinon les deux. Comme ils sont peu motivés par les études, ils ont tendance à penser que s'ils peuvent acquérir de l'expérience le plus rapidement possible, ce sera mieux pour eux.

Toutes ces questions mériteraient d'être examinées avant de conclure trop vite à l'échec du système scolaire québécois qui pourrait fixer très haut ses objectifs de réussite. Les comparaisons internationales, en particulier, mériteraient d'être scrutées plus attentivement. Que signifie, par exemple, le taux de réussite des États-Unis où 15% seulement des jeunes n'avaient pas complété leurs études secondaires en 1986 ?

[64]

POSITION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

Comme il a déjà été mentionné, en 1988-1989, selon l'Enquête sur l'activité, il y aurait eu 80,8% des travailleurs de 20-24 ans faiblement scolarisés, qui auraient perçu un revenu d'emploi à un moment ou l'autre au cours des 52 semaines (Tableau 1). Ce pourcentage ne dit rien du type d'activité, pas plus que de la durée des emplois ou du chômage que ces jeunes ont pu connaître. C'est cependant dans cette catégorie que se trouve aussi la plus grande proportion de jeunes qui, en 1988-1989, n'ont pas été aux études et qui n'ont eu aucun revenu d'emploi. Cela n'étonne pas. Les facteurs qui expliquent le manque de persévérance aux études — les déficiences qui rendent inaptes à l'emploi, les difficultés qui bloquent l'accès à la diplomation, les éléments reliés à la motivation, les grossesses en bas âge — pourraient bien expliquer aussi les difficultés d'insertion en emploi ou le choix de s'en retirer.

Caractéristiques de l'activité des peu scolarisés

Le tableau 3 montre comment l'univers du travail des jeunes se partage selon le niveau de scolarisation. L'activité des peu scolarisés a des caractéristiques particulières. De tous les travailleurs, ils sont proportionnellement les plus nombreux, en 1988-1989, à avoir travaillé dans le secteur primaire (les forêts et les mines principalement) (Tableau 3). Ce fait se confirme, peu importe l'âge, mais ils le sont davantage s'ils ont moins de 35 ans (Tableau 6).

En ce qui touche le secteur secondaire, les 20-24 ans peu scolarisés y sont proportionnellement plus nombreux que dans les autres catégories. Leur forte présence dans les industries manufacturières explique cette situation. Il faut rappeler ici comment la baisse des effectifs dans ce secteur depuis le milieu des années 1970 a particulièrement touché les jeunes peu scolarisés. Au surplus, la perte d'emplois a affecté un secteur d'activité où la présence des syndicats, avec tous les avantages que cela comporte pour les syndiqués, était assez bien établie.

[65]

Tableau 3

Caractéristiques de l'emploi des jeunes travailleurs de 20-24 ans,
qui ont eu un revenu d'emploi, selon leur scolarité, Québec, 1988-1989

Peu scolarisés
%

Moyennement
scolarisés
%

Hautement
scolarisés
%

Secteur d'activité

primaire

6,5

2,9*

4,1*

secondaire

41,3

31,0

21,4

tertiaire

52,2

66,1

74,6

Branche d'activité

Agriculture

2,3*

1,88

2,5*

Forêts

2,3*

0,8*

1,3*

Pêches et piégeage

0,4*

Mines, carrières

1,4*

0,4*

0,3*

Industrie manufacturière

34,3

23,3

16,3

Construction

7,0

7,7

5,0*

Transports et communications

5,3*

4,8

1,4*

Energie électrique, gaz et eau

0,4*

0,1*

1,7*

Commerce

21,3

31,5

17,5

Finance, assurances et affaires immobilières

1,3*

3,1

12,9

Services socioculturels, commerciaux et personnels

22,4

22,0

32,9

Administration publique

1,4*

4,7

8,2

Nombre d'employés

19 ou moins

30,1

31,5

27,3

20 à 99

27,2

26,1

12,2

100 à 499

15,1

10,0

9,1

500 et +

15,4

19,6

34,5

Ne sait pas

10,0

10,6

14,1

Pas de réponse

2,2*

2,2*

2,9*

Population retenue %

100

100

100

(N)

69 249

169 122

75 483

* N < 4 000.

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89 de Statistique Canada.


[66]

Le secteur tertiaire est surtout l'apanage des moyennement scolarisés et encore plus des hautement scolarisés (Tableau 3). Il s'agit là du secteur « d'affinité » des plus scolarisés présents dans les services socioculturels, commerciaux et personnels mais aussi dans l'administration publique. Les peu scolarisés occupent également, avec les moyennement scolarisés, une place importante dans le secteur des services personnels, mais il ne faut pas oublier que ce secteur couvre une gamme très large de revenus et d'avantages sociaux. Les peu scolarisés sont davantage présents dans le commerce que les hautement scolarisés, mais ils sont largement devancés, dans cette branche d'activité, par les moyennement scolarisés.

Il se trouve des branches d'activité où les peu scolarisés sont pratiquement absents : l'administration publique, la finance, les assurances, les affaires immobilières, l'énergie. Ils sont fort peu nombreux dans les transports et les communications, en d'autres termes dans les secteurs où la rémunération est la plus élevée et les avantages sociaux les mieux assurés.

Cette première description de la situation des peu scolarisés par rapport à l'univers de l'emploi, laisse déjà deviner qu'ils peuvent ne pas se retrouver dans les secteurs d'emplois les plus dynamiques, les plus stables et les plus rémunérateurs. Qu'en est-il réellement ?

Dynamique de l'emploi chez les peu scolarisés

Deux types d'indicateurs guideront l'exploration de la dynamique du travail chez les jeunes peu scolarisés. Sont-ils les plus affectés par le chômage ? Comment se situent-ils par rapport aux caractéristiques de l'emploi typique : stabilité, régime de travail, protection de l'emploi et rémunération ?

a) Le chômage

Les taux de chômage des jeunes, après avoir connu des sommets inégalés en 1982 et 1983, ont baissé tout au cours de la [67] dernière décennie. Font exception les peu scolarisés qui ont connu une augmentation de leur taux de chômage. En 1990, par exemple, le taux de chômage des 15-24 ans ayant de 0 à 8 ans de scolarité a augmenté par rapport à 1981, ce qui n'est pas le cas pour les jeunes qui ont un niveau de scolarité plus élevé [32].

Le taux de chômage ne donne pas toujours une idée juste des difficultés d'insertion en emploi des jeunes puisqu'il ne permet pas de savoir s'il s'agit d'une infime minorité à chômer pendant de longues périodes ou s'il s'agit d'un grand nombre d'individus à connaître l'intermittence en emploi. L'Enquête sur l'activité permet de constater que la proportion de 20-24 ans qui ont connu au moins une semaine de chômage en 1988-1989 est plus élevée chez les peu scolarisés que dans les deux autres catégories (50,7%) (Tableau 4). La durée moyenne de leur chômage est aussi beaucoup plus élevée (14,7 semaines), pratiquement le double de celle des moyennement scolarisés (7,5 semaines) et plus du double des hautement scolarisés (6,1 semaines).

Les jeunes hommes et les célibataires sont proportionnellement plus nombreux à chômer que les jeunes femmes et les personnes mariées. La durée moyenne du chômage des jeunes hommes est aussi plus longue. Ces données sont corroborées par l'enquête sur la population active où la situation des jeunes femmes par rapport au chômage est meilleure que celle des jeunes hommes. C'est une tendance qui s'est maintenue pendant les années 1980. Cela ne signifie pas nécessairement que, si les jeunes femmes ont moins tendance à chômer, elles sont mieux rémunérées et jouissent de meilleurs avantages. Il s'agit cependant d'un gain des jeunes femmes par rapport à leurs aînées.

La manière de comptabiliser le chômage par le biais de l'Enquête sur l'activité permet de constater l'impact du chômage étudiant sur le chômage des jeunes. Lorsque l'on considère l'incidence du chômage dans la population totale, la différence entre les hautement scolarisés en emploi et l'ensemble du groupe est considérable (de 30,9% à 40,4%). La proportion d'étudiants chômeurs n'est pas sans jouer sur les taux de chômage de la population au même âge.

[68]

Tableau 4

Incidence et durée du chômage chez les 20-24 ans, Québec,
1988-1989

Incidence

Durée moyenne
en semaines
(jeunes travailleurs)c

Jeunes
travailleurs a
%

Population b
%

Sexe

Hommes

47,4

45,3

10,2

Femmes

30,2

36,6

7,1

Niveau de scolarité

Peu scolarisés

50,7

49,8

14,7

Moyennement scolarisés

37,2

38,1

7,5

Hautement scolarisés

30,9

40,4

6,1

État civil

Marié

29,1

30,0

7,7

Célibataire ou autre

47,9

47,5

9,5

Total

Moyenne

39,2

44,9

8,7

('000)

347 262

511 011

313 854


a Un individu peut ne pas avoir eu de revenu d'emploi, mais avoir été en chômage. D'où la différence au total avec c.

b Inclut toute la population, y compris les étudiants.

c Uniquement les travailleurs qui ont connu au moins une semaine de chômage pendant l'année et qui ont retiré un revenu d'emploi en 1988 ou 1989.

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89 de Statistique Canada.


[69]

b) Le rapport à l'emploi typique

Retrouve-t-on encore chez les jeunes, et plus particulièrement, chez les peu scolarisés, des travailleurs qui réussissent à obtenir ce qu'il est convenu d'appeler l'emploi typique, c'est-à-dire le type d'emploi qui a nourri les aspirations de la majorité des travailleurs depuis plusieurs générations, sinon depuis la Révolution industrielle ? La première caractéristique de l'emploi typique, c'est la stabilité. Viennent ensuite le régime de travail à plein temps, la protection de l'emploi et une rémunération suffisante.

L'Enquête longitudinale renseigne sur ce qui se passe chaque semaine de la vie du travailleur. Il est ainsi possible d'observer la stabilité en emploi par le biais des transitions : entrée et sortie du monde du travail ou des études. Le nombre de transitions constitue un indicateur de stabilité ou d'instabilité selon le cas. C'est ainsi que l'Enquête sur l'activité nous apprend que les 20-24 ans faiblement scolarisés, les étudiants exclus, ont été moins du quart à ne pas avoir connu de transitions en 1988-1989 : 22,2% (Tableau 5).

Les peu scolarisés sont presque deux fois moins nombreux que les moyennement scolarisés à ne pas avoir connu de transitions. Ce qu'il est encore plus important de constater, c'est qu'ils sont les plus nombreux, plus du tiers d'entre eux (36,6%), à vivre quatre transitions et plus au cours des deux mêmes années. La stabilité en emploi n'est donc pas leur apanage.

D'autres traits de la précarité caractérisent les faiblement scolarisés. Entre 20 et 24 ans, ils ont été les plus nombreux à avoir un régime de travail à temps partiel, bien que la différence avec les autres groupes ne soit pas énorme (Tableau 5).

Les jeunes peu scolarisés ne sont pas plus du quart à bénéficier d'une protection de l'emploi (convention collective comportant certains avantages sociaux) (Tableau 5). À partir de 25 ans, le pourcentage fait un bond et augmente ensuite graduellement avec l'âge (Tableau 6). Même les jeunes moyennement ou hautement scolarisés accusent une différence avec leurs aînés moins scolarisés à ce chapitre. Cela indique qu'il s'agit là davantage d'une caractéristique générationnelle que d'un phénomène de scolarisation bien

[70]

Tableau 5

Caractéristiques de l'emploi des jeunes travailleurs de 20-24 ans,
selon la scolarité, Québec, 1988-1989

Peu scolarisés

Moyennement
scolarisés

Hautement
scolarisés

Nombre de transitions

%

0

22,2

42,3

54,4

1

19,6

13,9

15,9

2

13,8

19,0

14,9

3

7,8

5,1

6,3

4

19,4

11,3

5,4

5

6,9

3,0

1,9*

6

10,3

5,4

1,0

Régime de travail

<%)

temps plein

78,1

82,0

82,1

temps partiel

21,9

.18,0

17,9

Protection

(%)

oui

25,0

30,6

38,3

non

75,0

69,4

61,7

Régime de retraite

<%>

oui

8,4

18,2

28,3

non

89,4

80,6

71,0

pas de réponse

2,2*

1,2*

0,7*

Salaire moyen annuel

<$)

1988

11 699

14 824

17 265

1989

13 008

15 935

18 937

Salaire horaire moyen

($)

1988

7,58

8,37

9,48

1989

8,67

9,30

10,74

Population retenue

(%>

100

100

100

(N)

69 249

169 122

75 483

* N < 4 000.
Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89 de Statistique Canada.

[71]

que les plus scolarisés aient toujours tendance à être plus favorisés de ce point de vue, même si ce n'est que légèrement.

En 1988 et 1989, le salaire moyen annuel des faiblement scolarisés de 20-24 ans était le plus bas (Tableau 5). Le même écart sépare sensiblement le salaire moyen de chacun des sous-groupes. Le salaire moyen des faiblement scolarisés augmente graduellement avec l'âge, mais plafonne à partir de 35 ans en 1989 et redescend chez les 55-64 ans (Tableau 6).

À l'intérieur du groupe des jeunes, plusieurs indicateurs décrivent un écart, entre les faiblement et les moyennement scolarisés d'une part, et les plus scolarisés, d'autre part. En ce qui touche la taille des entreprises où ils sont employés et le salaire horaire moyen, les jeunes peu scolarisés sont plus près des moyennement scolarisés que ces derniers des plus scolarisés.

Les jeunes et l'emploi : un effet de génération

La question de la protection de l'emploi incite à la comparaison avec les autres groupes d'âge qui ont le même niveau de scolarité. Les jeunes peu scolarisés diffèrent-ils, dans leur situation sur le marché du travail, de leurs aînés ? Une situation difficile aujourd'hui peut-elle leur donner quelque espoir pour demain ?

Un certain nombre d'indicateurs inscrits dans l'Enquête sur l'activité montrent qu'il y a des caractéristiques générationnelles qui vont au-delà des différences liées à la scolarité. Par exemple, la répartition des faiblement scolarisés selon les secteurs d'activité s'inverse graduellement après 25 ans, à partir de quoi les peu scolarisés de plus de 35 ans sont majoritairement dans les activités du secteur tertiaire (Tableau 6). Cette constatation ne signifie pas qu'il y aura nécessairement mobilité des jeunes vers ce secteur. Cela peut indiquer que des secteurs qui embauchaient autrefois des individus peu scolarisés sont moins accueillants aujourd'hui pour cette catégorie ou encore, que lors de l'arrivée massive des plus scolarisés sur le marché du travail, la répartition selon les secteurs change.

[72]

Tableau 6

Caractéristiques de l'emploi des travailleurs peu scolarisés
de tous âges, Québec, 1988-1989

16-19

20-24

25-34

35-44

45-54

55-64

Secteur d'activité

(%)

primaire

8,6*

6,5

7,0

4,8

5,5

5,4

secondaire

47,5

41,3

47,6

42,8

37,0

32,6

tertiaire

43,9

52,2

45,4

52,4

57,5

62,0

Protection

(%)

oui

25,5

25,0

42,8

49,0

50,9

59,3

non

74,5

75,0

57,2

51,0

49,1

40,7

Durée du chômage (semaines)

en 1988

11,8

9,5

4,9

3,1

4,4

3,6

en 1989

10,1

5,3

5,1

3,4

2,8

2,1

en 1988 et 1989

21,6

14,7

9,9

6,4

7,1

5,6

Salaire moyen

($)

en 1988

8 160

11 699

15 307

17 827

18 430

19 088

en 1989

10 706

13 008

15 621

18 185

18 633

17 166

Salaire horaire moyen

($)

en 1988

6,47

7,58

9,61

10,42

10,98

11,61

en 1989

7,48

8,67

9,94

10,69

11,50

11,70

Population retenue

(%)

100

100

100

100

100

100

(N)

32 019

69 249

173 191

211 308

216 865

139 820

Source : Données tirées de l'Enquête longitudinale sur l'activité, 1988-89 de Statistique Canada.


[73]

Les 20-24 ans de 1981-1982 qui ont connu la période où le chômage était particulièrement élevé, se trouvent, en 1988-1989, dans le groupe des 25-34 ans. Chez ces derniers, la répartition selon les secteurs d'activité ressemble à ce qu'elle est chez les 16-19 ans. La proportion d'individus qui bénéficient d'une protection de l'emploi est plus élevée que chez les plus jeunes, mais elle est encore inférieure à ce qu'elle représente chez les 35 ans et plus. Il en est ainsi de la durée du chômage. Ces indicateurs pourraient être révélateurs de ce qui attend les 20-24 ans de 1988-1989 à ce chapitre : une situation meilleure que chez les plus jeunes mais moins intéressante que chez les aînés. S'agit-il seulement d'un effet d'âge ? En aurait-il toujours été ainsi chez les jeunes ? Une autre étude de Statistique Canada prouverait que la situation des jeunes s'est détériorée, au moins au cours de la première moitié de la décennie 1980. Dans les secteurs d'emploi où les jeunes se sont principalement retrouvés, les salaires ont eu tendance à baisser, ce qui n'était pas le cas dans les secteurs où se trouvent les aînés [33].

À même niveau de scolarité, la différence d'âge se ferait sentir sous plusieurs composantes de l'emploi : le secteur d'activité, la protection de l'emploi, le chômage, le salaire annuel et horaire moyen (Tableau 6). Cette constatation confirmerait la dualisation des situations face à l'emploi, dualisation entre les groupes d'âge qui vient amplifier les écarts à l'intérieur du même groupe d'âge. Le fait d'être jeune, s'il est accompagné d'un faible niveau de scolarité, pourrait caractériser aujourd'hui la catégorie sociale la plus vulnérable. Le marché du travail qui a eu tendance au cours de la dernière décennie à se polariser entre l'emploi typique et l'emploi précaire produirait la même polarisation chez les travailleurs. On retrouverait à un extrême les travailleurs stables, le plus souvent chez les aînés, et à l'autre, les travailleurs précaires, plus nombreux chez les jeunes et en plus forte proportion chez les moins scolarisés qui sont jeunes.

CONSÉQUENCES INDIVIDUELLES [34]
DE LA FAIBLE SCOLARISATION

Lorsqu'on la compare à celle des autres jeunes du même âge, la situation des jeunes faiblement scolarisés sur le marché du travail, [74] à l'exception de quelques indicateurs qui la rapprochent des moyennement scolarisés, constitue la situation la moins favorable. Comparée à celle des aînés, la différence est encore plus évidente même lorsqu'il s'agit d'aînés également peu scolarisés. Est-elle pour autant dramatique et irrémédiable ? Ne s'agit-il que d'un effet de période qu'une restructuration du marché du travail, comme il y en eut une après la Crise, pourrait encore corriger ? Faute d'espace pour décrire les conséquences sociales de l'état actuel de la situation des peu scolarisés face au monde du travail, l'analyse tentera de cerner quelques répercussions qui peuvent affecter à plus ou moins long terme cette catégorie de jeunes.

À court terme, une situation défavorable

Les peu scolarisés, à cause à la fois d'effets de génération et d'effets d'âge, sont objectivement les défavorisés des défavorisés du marché du travail dans une période difficile pour tous. Pour une partie de ce groupe, s'ajoutent aux restrictions du marché des handicaps individuels qui augmentent les difficultés d'insertion en emploi. Même dans le cas d'emplois non qualifiés, ces derniers auront à concurrencer d'autres jeunes, dont les moyennement scolarisés qui, pour la majorité d'entre eux n'ont pas davantage de formation professionnelle (sauf dans le cas des diplômés du secteur secondaire professionnel), mais qui ont, par contre, une formation générale susceptible de les rendre plus débrouillards en emploi.

Une situation qui n'est pas irrémédiable
à court et à moyen terme


Les jeunes qui ont abandonné les études avant la fin du cours secondaire ne sont pas dans une situation irrémédiable à court et à moyen terme. Dans un contexte de « formation permanente », il est toujours possible de reprendre les études jusqu'à l'obtention d'un diplôme, de l'ordre secondaire d'enseignement à l'ordre universitaire. Les ressources consacrées à cette fin sont importantes, impliquent divers paliers de gouvernement et plusieurs ministères : Éducation [75] et Enseignement supérieur, Main-d'œuvre, Sécurité du revenu et Formation professionnelle, Emploi et Immigration Canada [35].

Un exemple de l'efficacité de ces nombreux programmes se trouve dans les services aux adultes offerts par les commissions scolaires. De l'ensemble des diplômés du cours secondaire en 1987-1988, 11,5% appartenaient au secteur des adultes. Cette proportion augmente d'année en année. L'objectif optimal de diplomation secondaire des jeunes n'est peut-être pas si loin d'être atteint si l'on exclut du groupe d'âge les individus qui ont des difficultés telles qu'il n'est pas réaliste d'envisager pour eux la réussite aux examens qui conduisent au diplôme et si l'on ajoute aux diplômés jeunes le pourcentage toujours croissant de ceux qui vont chercher un diplôme à l'éducation des adultes.

Les nombreuses inscriptions dans les programmes d'éducation des adultes montrent assez bien comment les difficultés rencontrées dans la recherche d'un emploi peuvent constituer une incitation forte à retourner aux études. La possibilité de retirer en même temps une prestation d'assurance-chômage ou de sécurité du revenu rappelle que de multiples conditions expliquent l'arrêt des études.

Des risques à plus ou moins long terme

Chez les personnes peu scolarisées, on observe notamment un rapide plafonnement, au mieux une faible augmentation du salaire moyen (annuel et horaire) à partir de 35 ans (Tableau 6). Cela tient évidemment au fait qu'elles se trouvent surtout dans les secteurs d'emploi les moins bien rémunérés.

Les personnes peu scolarisées courent un autre risque en vieillissant. Même si les travailleurs âgés sont proportionnellement moins nombreux que les jeunes à connaître des périodes de chômage, ils sont toujours susceptibles de chômer davantage s'ils sont peu scolarisés même si la différence avec les moyennement scolarisés n'est pas toujours évidente à partir de 35 ans (Tableau 7).

[76]

Tableau 7

Proportion des travailleurs ayant connu du chômage,
selon la scolarité et l'âge, Québec, 1988-1989

Âge

Peu scolarisés

Moyennement
scolarisés

Hautement
scolarisés

16-19

68,4

60,3

20-24

50,7

37,2

30,9

25-34

32,8

27,4

21,7

35-44

20,9

19,3

10,1

45-54

17,9

12,0

6,9

55-64

11,2

12,9

6,1

Source : Statistique Canada, Enquête sur l'activité, 1988-1989.



Des risques accentués pour certaines catégories sociales

Certains groupes de jeunes peu scolarisés sont plus vulnérables que d'autres et méritent une attention particulière. Chez les jeunes femmes, le mariage et la maternité comptent parmi les raisons d'abandonner l'école en bas âge. Ce choix de vie des jeunes filles n'est pas sans conséquences puisque les familles monoparentales à chef féminin sont les plus nombreuses à se retrouver à l'aide sociale et à l'aide sociale de longue durée. Les jeunes de moins de 30 ans représentent 28% de l'ensemble des personnes qui recevaient de l'aide sociale au Québec en mars 1991. Parmi celles-là, 54% étaient des jeunes femmes [36].

Un certain nombre de problèmes se posent aux jeunes handicapés [37] qui veulent profiter aussi massivement de la scolarisation que les autres catégories de jeunes : accessibilité physique des écoles, moyens pédagogiques adéquats, appui technique en fonction du handicap, résidences adaptées à proximité des lieux d'éducation, transport adapté, etc. Les mêmes problèmes se répercutent sur le marché du travail où les personnes handicapées n'étaient pratiquement pas plus du quart à occuper un emploi à plein temps [77] au milieu des années 1980. Elles constitueraient une forte proportion des personnes inaptes à l'emploi (définition selon la Loi sur la sécurité du revenu de 1988) qui se retrouvent à l'aide sociale. Les femmes handicapées seraient moins présentes sur le marché du travail que leurs homologues masculins et gagneraient 65% de la rémunération des autres femmes.

Un groupe de jeunes attire l'attention par le rattrapage à faire pour rejoindre l'ensemble de la population du Québec quant au niveau de la scolarité : les jeunes autochtones qui vivent sur les réserves. Même si leur situation est meilleure que ne l'était celle des générations aînées, elle n'a pas encore atteint le niveau des autres jeunes Québécois du même âge. Alors qu'il n'existe plus de jeunes Québécois à ne pas avoir connu la classe de maternelle, seulement 1% des Indiens de 15-24 ans auraient vécu cette expérience. En 1987, les Indiens de 15-24 ans n'auraient pas été plus de 34% à obtenir un diplôme d'études secondaires ou plus alors que ce fut le cas de 59% des autres jeunes Québécois [38].

La faible scolarisation en renforcement
d'autres facteurs plus déterminants
de l'appauvrissement des jeunes


Les analyses de la pauvreté à la fin des années 1980 faisaient ressortir cette constatation paradoxale selon laquelle les taux de pauvreté avaient baissé chez les familles et chez les personnes seules possédant moins de neuf ans de scolarité et qu'ils avaient augmenté chez celles qui possèdent un niveau plus élevé de scolarité [39]. L'explication se trouve dans la composition démographique du groupe des pauvres. La pauvreté s'est déplacée des personnes âgées, moins scolarisées, vers les plus jeunes, plus scolarisées. Ce qui ne signifie pas, comme on l'a vu précédemment, que la scolarisation ne puisse renforcer le critère de l'âge.

Cette constatation fait bien ressortir la gravité de l'impact sur les jeunes des changements structurels qui ont affecté le monde du travail. Établir trop rapidement une relation entre faible niveau de scolarité et pauvreté trouve un démenti dans la réalité lorsque tous les âges sont considérés : la pauvreté a augmenté chez les jeunes [78] diplômés de quelque niveau qu'ils soient, de niveau secondaire ou postsecondaire. Les changements dans la nature des emplois créés au cours de la dernière décennie (la moitié auraient été précaires selon le Conseil économique du Canada [40]), dans la structure salariale (à la baisse dans les secteurs d'emploi où se trouvent les jeunes) et dans la gestion de l'emploi (temps partiel, durée déterminée, etc.), mais aussi dans le nombre d'emplois, constituent des facteurs déterminants de l'appauvrissement des jeunes.

Des effets inattendus
liés à la courte durée de la scolarisation


Des entrevues auprès de jeunes peu scolarisés qui avaient réussi leur intégration au marché du travail ont révélé des aspects inattendus de l'entrée en bas âge sur ce marché. Quelques-uns parmi ces jeunes donnaient l'impression d'une grande lassitude. Cette lassitude serait-elle consécutive à l'acharnement qu'ils ont dû déployer pour se trouver un emploi et pour le conserver lorsqu'il les satisfaisait ? Serait-elle liée au fait d'avoir combiné antérieurement les études et le travail, ce qui aurait laissé moins de place pour le repos ou les activités de détente ? Certains, qui avaient 22 ou 24 ans, étaient déjà sur le marché du travail depuis une dizaine d'années, se promenant d'emplois précaires en emplois précaires. Un vieillissement précoce pourrait résulter de ces nombreuses années d'obstination à travailler jusqu'à l'obtention d'une certaine stabilité qui vient de plus en plus tard.

Les statistiques de l'activité ne rendent pas compte de la présence des « enfants » sur le marché du travail puisqu'elles commencent à comptabiliser la population active à partir de la fin de la période de scolarisation obligatoire. On commence à peine à s'intéresser au Québec au sort de ces enfants parce que l'on croyait la question du travail des enfants révolue. Le modèle américain s'infiltre insidieusement ici. Depuis les années 1930, les jeunes Américains combinent, en très grand nombre, sinon majoritairement, études et emploi. Tout un segment de l'économie américaine est tributaire de ce type de travail des jeunes. Il est perçu de manière positive et ne semble pas constituer une entrave majeure à la [79] poursuite des études jusqu'à l'obtention du diplôme d'études secondaires puisque la proportion de jeunes Américains qui n'obtiennent pas le diplôme secondaire serait faible. Le Conseil supérieur de l'éducation et d'autres conseils ont émis des avis sur cette question, mais qui ne font pas encore l'unanimité quant à la réglementation de l'âge d'entrée sur le marché du travail, en particulier quant aux conditions de travail qui devraient être respectées [41].

CONCLUSION

Différentes constatations se dégagent de ce portrait des jeunes peu scolarisés dans leur rapport au travail. Celle qui frappe d'abord, c'est le peu d'homogénéité de cette catégorie que l'on a tendance à considérer comme un bloc et à traiter comme un bloc. L'abandon des études avant l'obtention d'un diplôme relève d'une multitude de facteurs dont certains ont plus de poids que d'autres. C'est le cas des déficiences et des difficultés d'apprentissage qui expliquent cependant un faible pourcentage d'abandon. D'autres se rapportent aux conditions sociales qui ne favoriseraient pas la poursuite des études, conditions écologiques tout autant que familiales et sur lesquelles il est toujours possible d'agir. Une troisième catégorie de facteurs individuels a trait à l'univers des aspirations que le contexte contribue aussi à former.

Si ces facteurs individuels interviennent de façon négative dans l'insertion en emploi, le marché du travail constitue cependant un obstacle de taille au succès des jeunes en emploi depuis le milieu des années 1970. La précarisation de l'emploi accroît les difficultés d'insertion, peu importe le niveau de scolarité, bien que les plus scolarisés, ceux qui sont déjà sur le marché du travail sans être en même temps aux études, présentent un profil d'insertion plus positif. La plus grande stabilité d'emploi des faiblement scolarisés de plus de trente-cinq ans indique bien que l'on se trouve en face d'un effet d'âge qui renforce l'effet lié à la scolarité.

S'agit-il d'un effet de génération ? La situation d'instabilité aura-t-elle tendance à perdurer et à se perpétuer pour le groupe qui [80] en aura subi les conséquences en bas âge ? Une des tendances actuelles, c'est de voir reporté toujours plus tard dans la vie du jeune adulte le moment d'une certaine stabilisation dans un milieu de travail. En même temps que l'entrée en emploi se fait de plus en plus tôt par la combinaison études-emploi, l'emploi stable tarde à venir et prolonge de la sorte le moratoire qui caractérise la période entre la fin des études et l'entrée définitive en emploi, ce qui signifie habituellement l'entrée dans la vie adulte. Les difficultés d'insertion sont si étroitement liées au phénomène de restructuration du marché du travail qui est en cours, qu'il se pourrait bien que l'on soit en face d'un effet de période qui mettra un certain temps à être résolu. Les sous-groupes les plus fragiles risquent d'en être atteints pour un temps relativement long, si ce n'est pendant toute leur vie professionnelle, si un virage économique et social n'est pas pris immédiatement. L'appauvrissement des jeunes constitue une des expressions les plus visibles des conséquences de cet effet de période.

S'il était encore possible, il y a quinze ou vingt ans, d'obtenir un emploi sans posséder de diplôme et d'atteindre une certaine stabilité comme l'indiquent les caractéristiques de l'emploi chez les aînés peu scolarisés, cette époque paraît révolue. La rareté de l'emploi, et encore plus, d'emplois typiques semble là pour durer dans un avenir prévisible. La scolarisation et le diplôme, dans ce contexte, confèrent plus qu'une habileté à pratiquer un métier. Ils permettent de franchir ce que Goblot appelait naguère la barrière et qui a tendance à toujours être remontée [42]. Cette barrière n'est cependant que le seuil minimal à partir duquel se construisent les autres conditions qui rendent les personnes concurrentielles dans un contexte où prédomine la compétition pour l'obtention des meilleurs emplois.

Les individus qui ne peuvent, pour différentes raisons que notre société a plus ou moins bien cernées, parvenir à l'obtention du diplôme d'études secondaires, doivent-ils être privés pour autant de certains types de préparation au marché du travail ? Cette question est d'autant plus pertinente dans un contexte de rareté de l'emploi stable où l'expérience entre en ligne de compte dans les critères de sélection d'un employé. Dans un avis au ministre de [81] l'Éducation à propos de la formation professionnelle, le Conseil supérieur de l'éducation rappelle que « la variété des cheminements de formation de base est nécessaire », cela « dans le respect des différentes formes d'intelligence et dans la prise en considération —des divers styles d'apprentissage » [43].

Il y aurait beaucoup d'éléments à considérer dans l'objectif d'assurer une meilleure préparation des jeunes aux exigences actuelles des segments du marché du travail qui demeurent encore ouverts aux jeunes. Des efforts monétaires et en personnel sont consentis par les commissions scolaires et le ministère de l'Éducation pour mieux encadrer les éventuels décrocheurs. Encore faudrait-il être bien certain d'avoir cerné ce dont il s'agit avant de parler de décrochage scolaire, d'avoir plus particulièrement essayé de comprendre le décrochage des garçons. L'Office des personnes handicapées du Québec essaie de bien jouer son rôle avec les moyens dont il dispose. Une réflexion et quelques expériences se font autour de la formation professionnelle des jeunes qui ne pourront jamais réussir les examens de fin d'études secondaires. Les employeurs tiennent de beaux discours sur la relation entre l'entreprise et l'école. Il faudrait analyser les représentations des exigences de formation tant chez les jeunes, les formateurs et les conseillers en orientation que chez les employeurs : faut-il continuer de raisonner en termes de métiers si les employeurs ont en tête des profils de poste [44] ? Plusieurs s'interrogent sur l'arrimage entre la formation professionnelle et la formation générale tout aussi nécessaire pour s'intégrer à la société actuelle [45].

Un groupe de « décrocheuses » mériterait cependant une attention particulière à cause de son importance hors du marché du travail et hors des études. Comment les jeunes femmes qui abandonnent l'école pour vivre leur grossesse et se consacrer à leur enfant pourraient-elles être encouragées à poursuivre en même temps leurs études, même si elles doivent mettre un peu plus de temps à le faire, et se préparer ainsi à devenir actives sur le marché du travail au lieu de prendre le risque de devenir la clientèle « permanente » de l'aide sociale ? Une politique qui irait dans ce sens obligerait la concertation de plusieurs ministères et organismes dans la réflexion sur les moyens d'accueillir ces jeunes femmes, non [82] comme des problèmes, mais comme participantes à une politique d'encouragement à la famille. Une telle orientation exigerait au préalable un virage dans la façon de concevoir le choix de ces jeunes femmes perçu actuellement comme un échec de la politique de planification familiale qui se double d'un échec de l'objectif de scolarisation et de participation au marché du travail.

[83]

NOTES

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[85]

[86]



[1] Je remercie Johanne Bujold, assistante de recherche à l'Institut québécois de recherche sur la culture, pour sa collaboration à la préparation de cet article, de même que Statistique Canada et Emploi et Immigration Canada pour leur contribution à l'analyse des données de l'enquête longitudinale sur l'activité 1988-89, référence majeure dans cet article.

[2] Voir à ce propos: Guy Fréchet et Michel Bernier, Les personnes moyennement scolarisées et la précarité de l'emploi: une analyse des données de l'Enquête sur l'activité, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1991, p. 41 et 47.

[3] Une publicité d'Emploi et Immigration Canada en 1992 joue sur ce type de motivation. Une jeune fille au téléphone se voit refuser un emploi parce qu'elle n'a pas son diplôme d'études secondaires.

[4] Gilles Roy, «Du bon usage des statistiques en matière de décrochage scolaire», Apprentissage et socialisation, 15, 1, printemps 1992, p. 7-17.

[5] Olivier Galland décrit cette indétermination de la jeunesse contemporaine quant aux divers calendriers d'insertion sociale et professionnelle dans: Sociologie de la jeunesse, L'entrée dans la vie, Paris, Armand Colin, 1991. En ce qui concerne la jeunesse québécoise, voir entre autres: Madeleine Gauthier, «Jeunes», dans: Simon Langlois (sous la direction de), La société québécoise en tendances, 1960-1990, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, p. 65-72.

[6] Ministère de la Main-d'œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, La pauvreté au Québec, Situation récente et évolution de 1973 à 1986, Gouvernement du Québec, 1990, p. 73.

[7] Ministère de l'Éducation, Indicateurs sur la situation de l'enseignement primaire et secondaire, Gouvernement du Québec, 1989, p. 45.

[8] L'expérience américaine étant plus ancienne sur ce point, plusieurs études décrivent la segmentation du marché du travail réservé aux étudiants. «In the past forty years, irregular, occasional, or seasonal employment has become increasingly commingled with school enrollment as the modal expérience of late adolescence» (John Modell, «Youth», dans: Théodore Caplow (sous la direction de), Récent Social Trends in the United States, 1960-1990, Frankfurt am Main, Montréal et Kingston, Campus Verlag et McGill-Queen's University Press, 1990, p. 33).

[9] La population active, 1989, cat. 71 -001 et Moyennes annuelles de la population active, 1981-1988, cat. 71-529.

[10] Ministère de l'Éducation, op. cit., p. 45.

[11] Horace Miner, Saint-Denis : un village québécois, Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1985, p. 71 et 79 (première édition anglaise, 1939).

[12] Le Collectif Clio, L'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Quinze, 1982, p. 210-216 et 179.

[13] Office des personnes handicapées du Québec, À part égale. L'intégration sociale des personnes handicapées : un défi pour tous, Gouvernement du Québec, 1984, p. 120.

[14] Agathe Allaire et al., Femme et handicap. Rapport de recherche sur la condition des femmes handicapées, Québec, Office des personnes handicapées du Québec, 1987.

[15] Ces statistiques sont rapportées par Pierre Hamelin : « Les jeunes handicapés : un groupe trop souvent oublié ? », L'Action nationale, LXXX, 4, avril 1990, p. 518- 525.

[16] Relevé du ministère de l'Éducation à partir des statistiques fournies par les commissions scolaires du Québec. Comme les critères d'évaluation de certaines difficultés peuvent varier d'une commission scolaire à l'autre, cette proportion demeure approximative.

[17] Ibid.

[18] Ministère de l'Éducation, op. cit., p. 30 et 31.

[19] Cette étude est citée par Égide Royer et al., « Que sait-on de l'abandon scolaire et de sa prévention ? », Psychologie Québec, 9, 3, mai 1992, p. 8.

[20] Ministère de l'Éducation, op. cit., p. 32.

[21] Ibid., p. 37.

[22] Égide Royer et al., op. cit., p. 8.

[23] Une étude dirigée par Renée B.-Dandurand indique que les enfants ne sont pas tous touchés de la même manière au moment d'une séparation des parents. Certains ne présenteraient aucun symptôme de perturbation, d'autres connaîtraient une situation meilleure et un troisième groupe d'enfants, souvent déjà plus vulnérables, souffriraient de la situation. (L'école primaire face aux changements familiaux, Enquête exploratoire dans cinq écoles primaires québécoises auprès du personnel scolaire et des parents, rapport de recherche publié par l'Institut québécois de recherche sur la culture et le ministère de l'Éducation du Québec, 1990).

[24] Marcelle Hardy, Yvon Bouchard et Gaby Carrier, La transition du système éducatif au monde du travail, Tome 3, Les sortants de la mi-secondaire, rapport de recherche, Université du Québec à Rimouski et Université du Québec à Montréal, 1990, p. 13.

[25] Gilles Forget, Angèle Bilodeau et Jeanne Tétreault, « Facteurs reliés à la sexualité et à la contraception chez les jeunes et décrochage scolaire, Un lien insolite mais réel », Apprentissage et socialisation, 15, 1, printemps 1992, p. 29-38.

[26] Louis Duchesne, La situation démographique au Québec, Édition 1991-1992, Les Publications du Québec.

[27] Ministère de l'Éducation, op. cit., p. 13.

[28] Statistique Canada, Moyennes annuelles de la population active, données compilées dans : Simon Langlois (sous la direction de), op. cit., p. 550.

[29] Jean-Pierre Simard et Jean-Paul Baillargeon, « Formation générale », dans : Simon Langlois (sous la direction de), op. cit., p. 545-559.

[30] Madeleine Gauthier, Les jeunes chômeurs, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1988, p. 108 et 204.

[31] L'analyse de ces entrevues paraîtra dans un rapport de recherche sur la jeunesse des années 1980 et a fait l'objet d'une communication au congrès de l'Association canadienne des sociologues et des anthropologues de langue française tenu à l'Université de Montréal en mai 1992 : « La construction de l'identité dans un contexte de précarité d'emploi, Le cas des jeunes travailleurs moyennement scolarisés ».

[32] Secrétariat à la jeunesse, La jeunesse québécoise, faits et chiffres (15-29 ans), Gouvernement du Québec, 1992, p. 46.

[33] John Myles, Carnet Picot et Ted Wannell, Les salaires et les emplois au cours des années 1980 : Évolution des salaires des jeunes et déclin de la classe moyenne, Ottawa, Statistique Canada, 1988 (Études analytiques).

[34] Il n'est pas possible d'introduire dans ce texte la notion de conséquences sur la société. Il faudrait pouvoir mesurer, par exemple, les effets d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée sur la vie économique ou encore le coût social de l'arrivée prématurée dans la population active de jeunes qui pourraient être encore aux études. Il faudrait aussi évaluer les coûts de la mise en œuvre de politiques scolaires qui assureraient à tous les jeunes une formation sur mesure pour ceux qui, à cause de déficiences ou de difficultés d'apprentissage, ne peuvent obtenir le diplôme d'études secondaires. Il serait aussi pertinent d'analyser les conséquences culturelles et sociales du manque de formation générale de base que l'école est pratiquement seule en mesure de fournir.

[35] Le programme de rattrapage scolaire « Étudiants indépendants » qui permet de compléter ses études secondaires tout en recevant l'assurance-chômage, fut si populaire en 1992 qu'il a dépassé la capacité de payer du ministère. Roland-Yves Carignan, « Rattrapage scolaire : un programme est tellement populaire que c'est le gouvernement qui décroche ! », Le Devoir, 15 août 1992, p. A-3.

[36] Secrétariat à la jeunesse, op. cit., p. 57.

[37] Les données qui suivent ont été compilées par Pierre Hamelin, « Les personnes handicapées et la pauvreté », dans : Madeleine Gauthier (sous la direction de), Les nouveaux visages de la pauvreté, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987, p. 69.

[38] Jeremy Hull, An Overview of Registered Indian Conditions in Québec, Ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada, 1987.

[39] Ministère de la Main-d'œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle, op. cit., p. 76.

[40] Conseil économique du Canada, L'emploi au futur, Ottawa, 1990.

[41] Conseil de la famille, Quinze ans et déjà au travail !, Québec, 1992 ; Conseil des affaires sociales, je gagne des sous... Donc je suis !, Les 12-15 ans et le travail, Québec, 1992 ; Conseil permanent de la jeunesse, Élèves au travail, Québec, 1992 ; Conseil supérieur de l'éducation, Le travail rémunéré des jeunes : vigilance et accompagnement éducatif, Québec, 1992.

[42] E. Goblot, La barrière et le niveau, Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, Paris, F. Alcan, 1925.

[43] Conseil supérieur de l'éducation, La formation professionnelle au secondaire : faciliter les parcours sans sacrifier la qualité, Avis au ministre de l'Éducation, 1992, p. 10.

[44] Bernard Perret et Guy Roustang, L'Économie contre la société, Affronter la crise de l'intégration sociale et culturelle, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 144.

[45] Claude Trottier résume plusieurs des interrogations qui touchent actuellement l'école secondaire : « La vocation de l'école secondaire », dans : Fernand Dumont et Yves Martin, L'éducation, 25 ans plus tard ! Et après ?, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, p. 133-157.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 octobre 2018 18:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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