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DE L’INNOVATION.
Introduction
Beaucoup de travail a été consacré à expliquer pourquoi les choses sont ce qu’elles sont, bien peu à comprendre comment elles changent, encore moins à apprendre comment accompagner leur transformation.
Je dois ma familiarité avec l’innovation à mon métier. Pendant dix ans j’ai été chargé de construire une politique d’innovation au ministère de l’industrie. J’ai poursuivi ce travail au niveau international notamment avec Jean Eric Aubert, co-auteur d’une partie de ce texte, qui a mené l’audit des politiques d’innovation d’une quinzaine de pays.
Je la dois enfin et surtout à mon enfance. Mes parents ont crée leur entreprise juste après la guerre, alors que j’avais sept ans. Ils ont lancé avec succès une dizaine de produits nouveaux. Mon adolescence a été imprégnée par la vie quotidienne d’un couple innovateur.
Après de longues études dominées par la Science, je me retrouvai dans la caste des hauts fonctionnaires. À ma grande surprise, bien des attitudes face à l’innovation s’y trouvaient en opposition avec les évidences constatées pendant ma jeunesse.
L’indignation que je ressentis alors m’amena à rédiger un premier livre “L’écoute des silences”, sous titré : “Les institutions contre l’innovation”.
Depuis, j’ai gardé en moi cette interrogation : comment se fait-il que dans une collectivité si bien formée à raisonner, capable de s’adapter à toutes les vicissitudes du pouvoir, se manifestent des résistances instinctives en contradiction avec un discours -par principe favorable- aux nouveautés.
Le temps a passé. Je n’ai pas cessé d’essayer de comprendre. Il y a sans doute une part d’autojustification et de défense corporatiste des intérêts de la “technostructure”. Je crois qu’il s’agit aussi de réflexes plus profonds, acquis dès l’école, qui privilégient les attitudes d’esprit conformistes et suscitent la méfiance face aux processus créateurs.
Ces réflexes sont aussi ceux qui apportent la réussite aux concours des grandes écoles. Et, si ces concours sont ainsi faits, c’est dans le prolongement des enseignements cléricaux, comme discipline au service d’une institution et non comme recherche d’épanouissement des facultés créatrices.
En quelque sorte, ils présupposent que la connaissance émane de l’institution. Elle est déjà là et surplombe les humains de sa transcendance. Le flux de la Vérité descend sur eux comme une parole venue des cieux.
Or, la création procède du mouvement inverse. Le flux créateur monte, comme la sève de l’arbre, vers un espoir de lumière. Sa chimie n’est pas celle de la transcendance, c’est celle de l’immanence.
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En outre, désormais, les institutions sont mortelles. Elles naissent par le processus innovateur. Elles meurent de vieillesse, de maladie ou sous les coups des prédateurs.
Ma recherche, commencée dans la technologie, s’est donc complétée en direction de la spiritualité [1]. Au terme de ce travail, je vois l’innovation, qui a engendré toute la technique moderne, comme l’Incarnation du mouvement de l’Esprit.
D’ailleurs les réalisations actuelles procèdent de rêves anciens, qui ont habité les esprits depuis des milliers d’années. Celui de voler est présent dans le fonds chamanique des sociétés de chasseurs cueilleurs, avant l’installation de l’agriculture. Il se réalise en 1783 avec les premières montgolfières. Il devient un transport banal au vingtième siècle.
La téléprésence, devenue quotidienne par la radio, la télévision, le téléphone et le visiophone figurait aussi dans la panoplie des sorciers. Le virtuel approche un autre grand rêve, celui de la transfiguration, présent dans les grandes religions, particulièrement celles venues de l’Inde.
Certains lecteurs seront surpris, peut-être méfiants, de voir ainsi rapprochés la technique et la spiritualité. Elles ne sont éloignées que par l’effet de nos préjugés.
Il y a une manière de parler de la technique comme si elle n’était qu’utilitaire, au service des besoins, voire des appétits. Selon cette vision, il n’y a que le résultat qui compte.
Il y a une manière de parler de la spiritualité comme si elle ne concernait que l’élévation des âmes. Selon cette autre vision, il n’y a que l’intention qui compte.
Je récuse l’une et l’autre. Ou plutôt, je crois qu’on ne peut s’approcher de la réalité de l’innovation et de la spiritualité qu’en acceptant justement cette confrontation de l’intention et du résultat, du rêve et de la réalité. Mais voyons d’abord les faits.
T. G.
[1] Ce livre est le troisième d’un triptyque :
Introduction à l’économie cognitive
Préliminaires à une prospective des religions
De l’innovation
Malgré la différence des titres, ces trois ouvrages forment un tout.
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