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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Nicole Gagnon, “L’idéologie humaniste dans la revue l’Enseignement secondaire.” Un texte publié dans ÉCOLE ET SOCIÉTÉ AU QUÉBEC. Éléments pour une sociologie de l’éducation. Tome I, pp. 59-90. Textes choisis et présentés par Pierre W. Bélanger et Guy Rocher. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, 1975, nouvelle édition revue et augmentée, 218 pp. 1re édition, 1970. [Le 5 octobre 2009, Monsieur Jean Gould, ami de Mme Nicole Gagnon, nous confirmait l’autorisation de l’auteure de diffuser ses travaux dans Les Classiques des sciences sociales.]

[59]

Nicole GAGNON

L’idéologie humaniste dans la revue
l’Enseignement secondaire.

Ce texte est extrait de : Recherches sociographiques, IV, avril-juin 1963, 167-299.
Méthode d'analyse
Aperçu historique et sources

I. STRUCTURE DE L'IDÉOLOGIE PRIMITIVE

I. NOTION D'HUMANISME
A. Les finalités de l'enseignement secondaire
B. Liens avec les idéologies globales
C. Les sciences comme idéologie complémentaire
II. RÉFÉRENCE À LA SITUATION
A. La situation
B. Les adversaires
III. LE DESTINATAIRE
A. Identification du destinataire
B. Vision de la société

II. MÉCANISMES D'ÉVOLUTION

I. PREMIÈRE PÉRIODE : 1929-1938
L'idéologie complémentaire
Les idéologies secondaires
L'idéologie primaire
La société
II. DEUXIÈME PÉRIODE : 1938-1950
L'idéologie complémentaire
Les idéologies secondaires
L'idéologie primaire
La société
III. VERS UN NOUVEL HUMANISME : 1951-1960
L'idéologie primaire
Les idéologies secondaires
Les idéologies complémentaires
La société
CONCLUSION

On peut étudier une idéologie scolaire sous deux aspects : le contenu de l'éducation où se trouve de façon concrète cette vision idéale de la culture ; et le système d'éducation, ou mécanisme de transmission de la culture, à travers lequel on devrait rejoindre le coeur même de la vision du monde d'une société.

J'ai choisi ici d'étudier l'idéologie scolaire de la société canadienne-française seulement sous le premier aspect qui est logiquement antérieur au second.

J'aborde cette idéologie par le niveau secondaire (enseignement classique) dont le clergé enseignant a eu, jusqu'à tout récemment, le monopole. On a ainsi un groupe de support bien défini : les « prêtres-éducateurs », professeurs de séminaires et de collèges classiques. Leurs conceptions sont formulées dans L'Enseignement secondaire, « revue des comités permanents des maisons d'enseignement secondaire affiliées à l'Université Laval et (après la séparation des deux universités) à l'Université de Montréal, sous la direction des Supérieurs des collèges affiliés ». Je prendrai comme point de départ l'idéologie telle qu'on la trouve au début de la revue, abstraction faite de son histoire antérieure, et je l'appellerai idéologie primitive, par rapport à l'évolution subséquente que je veux ici retracer. [1]

Méthode d'analyse


Je parlerai d'idéologie sous trois aspects : la vision du monde et de soi-même qui en est le fondement ; le programme d'action lié à la situation historique ; entre les deux, le système de rationalisation qui vise à montrer le second comme découlant du premier et qui est l'objet spécifique de mon analyse.

En plus de ces trois aspects de la notion d'idéologie, j'ai distingué trois niveaux d'analyse dans l'idéologie comme système, que j'ai appelés : la notion d'humanisme, la situation et le destinataire. [60] Ces trois niveaux devraient rendre compte des « tensions et antinomies 1° entre les sources idéologiques diverses, 2° entre sources idéologiques et autres éléments du social définis par ailleurs, 3° entre le groupe de support et les autres groupes ». [2] Comme on le verra, la notion d'humanisme est définie par l'idéologie spécifique et les idéologies globales de la société ou de la civilisation ; l'interprétation de la situation vise à intégrer les autres éléments du social ; la définition du destinataire de l'enseignement humaniste montre comment le groupe de support se situe lui-même par rapport aux autres groupes et dans la société globale.

Finalement, la notion d'humanisme se divise elle-même en trois niveaux selon qu'elle est définie par l'idéologie spécifique, les idéologies globales de la société et l'idéologie générale de la civilisation. Ces trois niveaux effectifs recoupent une division méthodologique qui m'a servi de point de départ : l'idéologie primaire, les idéologies secondaires et les idéologies complémentaires. J'appelle idéologie primaire ce qui semble être l'essentiel du système de rationalisation, les éléments fondamentaux autour desquels s'organisent les autres ; les idéologies secondaires comprennent les éléments intégrés au système à un moment donné ; enfin, les idéologies complémentaires sont des éléments extérieurs dont on veut rendre compte, mais qui ne sont pas intégrés au système.

Aperçu historique et sources

J'ai cru discerner quatre phases principales dans l'évolution de la revue. La première va de 1915 jusqu'aux alentours des années 30 (volumes 1 à 8) : c'est le règne incontesté de l'idéologie primitive. Une série d'articles d'Adrien Pouliot sur l'enseignement des sciences, en 1929-1931, marque le début d'une première phase de déstructuration. En 1938, la rédaction de la revue est confiée aux Pères Franciscains de Trois-Rivières, ce qui coïncide avec une seconde phase de déstructuration, en plusieurs directions cette fois : discussions sur l'introduction d'un baccalauréat féminin à option spéciale, nouvelle poussée nationaliste, etc. En 1951 débute la dernière phase de déstructuration, alors que la rédaction de la revue passe au Centre d'information pédagogique ; ici, une nouvelle idéologie commence à se substituer à l'ancienne.

Pour la première période, j'ai utilisé en même temps que L'Enseignement secondaire, l'ouvrage de Mgr Georges Courchesne, Nos humanités, à titre d'exposé systématique des éléments idéologiques qui se retrouvent épars dans la revue. [3] Dans celle-ci, je me suis servi surtout des rapports des congrès de l'éducation de 1923 à 1927 (congrès général en 1923, congrès de l'Université Laval et congrès de l'Université de Montréal en 1927) ; on y retrouve le même effort de cohérence et, de plus, on est assuré du caractère représentatif de [61] cette idéologie. Quelques autres articles idéologiques de la revue seront retenus en fonction de leur rapport organique avec la structure générale dégagée de ces sources principales.

Pour les deux dernières périodes, les données sont très abondantes ; ce sont surtout les articles de la direction qui m'ont été utiles, les directeurs jouant le rôle de formulateurs de l'idéologie du groupe, mais j'ai utilisé également d'autres sources. [4]

I. STRUCTURE DE L'IDÉOLOGIE PRIMITIVE

I. NOTION D'HUMANISME

A. Les finalités de l'enseignement secondaire

L'idéologie primaire, celle qui constitue le noyau intégrateur de tout le système, se définit elle-même comme la culture générale par les humanités gréco-latines. Cette conception de l'humanisme chrétien est empruntée explicitement au Ratio studiorum des Jésuites, qui date du XVIe siècle, mais « que nous suivons encore » (NH, 253). On s'efforce de rattacher entièrement à cette source le but de l'enseignement secondaire qui est de former « des esprits cultivés, supérieurs, universels, des hommes dans la plus haute et la plus large acception du terme » (I, 273). Ainsi, les humanités, ou enseignement classique tel que défini par le Ratio, sont identifiées à l'humanisme : l'ordre et la discipline des facultés intellectuelles auxquels tend le premier définissent la vision du monde impliquée par le second : « Le terme classique suppose une grande perfection, une conformité frappante aux règles établies, aux bons usages et aux principes stables comme la vérité, le rapport exact du fond et de la forme, de la pensée et de l'expression, l'équilibre de la raison et de l'imagination et en général de toutes les facultés, une sage alliance de l'idéal et du réel, l'épreuve du temps enfin » (VII, 418).

Principes de base

Le principe de l'ordre est donc la caractéristique essentielle de l'enseignement classique ; le principe d'unité lui est corrélatif : il s'agit de réaliser l'unification de la personnalité humaine dans « la conception classique de la beauté issue de l'ordre et régnant sur [62] toutes les puissances humaines » (NH, 233). On retrouve cette idée d'unité dans la définition même du système d'éducation : la culture générale par les humanités gréco-latines comme seule discipline fondamentale pour réaliser la « synthèse de l'éducation et de l'instruction ».

Le classique, l'homme qui vise à former l'enseignement humaniste, se définit ainsi comme celui qui a réalisé l'unité de sa personne en ordonnant ses facultés par la discipline à laquelle il les a soumises. Celles-ci sont hiérarchisées selon l'ordre inverse de leur développement : perception sensible, imagination, mémoire, intelligence, d'une part ; appétit sensible, volonté, d'autre part (NH, 198). L'éducation devra donc tenir compte de cet ordre providentiel tel que révélé par les données de la psychologie (NH).

Système d'éducation : les humanités

Cette conception de l'homme débouche concrètement sur un système d'éducation. Puisque le but dernier de celle-ci est d'assurer dans l'individu la prépondérance de l'intelligence et corollairement de la volonté, il s'agira d'enseigner l'art de bien penser qui se reflétera dans la conduite pour assurer l'unité de la personne : « Toute certitude nouvelle devrait en quelque sorte passer de l'intelligence dans la conduite » (NH, 236). En définitive, « apprendre à penser, c'est à cela que se réduit tout le programme bien compris de l'enseignement secondaire ou classique proprement dit. Apprendre à penser et vouloir en catholique, c'est là tout le programme de la Faculté des arts de l'Université de Montréal » (VII, 432).

Or, l'art de bien penser n'est pas autre chose que l'art de bien écrire : « Si bien penser et bien dire ne font qu'un, la manière dont quelqu'un manie sa langue révèle l'ordre et la sûreté dont l'activité de sa pensée est capable » (XVII, 330). Toute l'éducation se résume donc à la culture littéraire qui, en raison de sa visée globale, est appelée culture générale. Cette culture est générale parce qu'elle s'adresse à toutes les facultés humaines, et désintéressée parce qu'elle vise uniquement à la formation de l'homme en tant que tel, c'est-à-dire à la formation d'un ensemble harmonieux de facultés.

Si la nature de l'homme appelle un enseignement littéraire qui seul peut assurer le développement de toutes les facultés sous le contrôle de l'intelligence, la plus noble d'entre elles, le caractère désintéressé et le but individuel (NH, 358) de cette éducation impliquent que l'enseignement des langues et littératures prenne un caractère essentiellement formel : « L'étude des mots ... est tout pour les esprits bien faits, à qui on fait comprendre peu à peu la profonde harmonie des mots, des idées et des choses. L'élève en devient plus humain, plus apte à comprendre l'humanité dans ce qu'elle a de plus élevé, et ses facultés prennent l'habitude de donner tout leur rendement » (NH, 283).

[63]

Nous sommes ainsi conduits à l'étude de la langue maternelle qui constituerait la base essentielle de la culture générale. Mais ici sont introduites les humanités gréco-latines : l'étude des langues mères est nécessaire à la maîtrise parfaite du français. Par ailleurs, le grec et le latin s'imposent par leur caractère linguistique propre : langues synthétiques, elles obligent à la fameuse gymnastique intellectuelle qui définit la culture formelle ; langues mortes, elles offrent la fixité nécessaire pour fournir des règles immuables, essentielles à toute saine pédagogie (NH, 279-280 ; V, 75 et suiv.).

On a ainsi justifié rationnellement, par la finalité individuelle de l'éducation, le système des humanités hérité des Jésuites depuis le XVIe siècle. Pourtant, on reconnaît que ce système (qui est en réalité un produit, une synthèse de l'idéologie de l'époque) a une origine historique : « Si l'on choisit les langues anciennes à cause de leur utilité pratique, on les conservera parce qu'elles sont un instrument incomparable de formation » (V, 662). Ce qui était enseignement utilitaire est devenu culture désintéressée ; ce qui avait une origine historique a pris valeur d'en-soi.

Aspects secondaires

Si la culture générale est essentiellement à caractère formel et à but individuel (c'est l'aspect éducation), elle comporte aussi un élément matériel et un but social (aspect instruction) ordinairement identifiés : « L'élément matériel de l'instruction consiste à fournir à l'élève la somme de connaissances voulues pour sa vie, son avenir en général et sa future position sociale en particulier » (NH, 196). Mais le contenu matériel est aussi exigé par l'aspect formel et le but individuel : « ....autrement on ferait travailler à vide les facultés » (ibid.).  Par ailleurs, but principal et but secondaire ne sont pas effectivement séparables : « L'enseignement a pour but essentiel de former l'âme et les facultés de l'enfant en vue de ses devoirs futurs » (V, 90).   Cet aspect matériel qui, on le verra plus loin, sert à justifier le choix des autres matières inscrites au cours classique, n'a donc pas un statut bien défini. On voit déjà ici une difficulté quant à la cohérence logique : si on sépare les deux aspects conformément à la nécessité interne du système idéologique (les humanités comme enseignement formel et individuel), on ne voit plus par quel lien l'un se subordonne à l'autre ; si on les identifie pratiquement, la porte est ouverte à l'effondrement logique du système.

Cette première approche nous montre donc comment l'humanisme se définit en soi, comme finalité de l'éducation. Cette définition présentée comme ayant valeur absolue est en fait mise au point pour justifier la pratique actuelle des humanités gréco-latines ; on peut donc considérer celles-ci comme l'idéologie primaire de la revue, et c'est par référence à celles-ci comme noyau que s'intègrent les autres éléments idéologiques de la notion d'humanisme.

B. Liens avec les idéologies globales

Nous venons de voir la définition que se donne d'elle-même l'idéologie de l'enseignement secondaire, comme idéologie spécifique d'un groupe particulier. Il faut maintenant montrer comment elle se situe parmi les idéologies globales de la société, soit en s'intégrant dans celles-ci, soit en les intégrant dans sa propre définition. Ces idéologies, religieuse et nationaliste, étant intégrées, elles pourront constituer ce que nous avons appelé des idéologies secondaires.

a) Idéologie religieuse

La religion apparaît d'abord dans la structure même de l'idéologie centrale de l'enseignement classique : elle est une discipline spéciale qui contribue au développement des facultés secondaires et appétitives.

La religion comme principe d'unité

Mais, par ailleurs, cette idéologie comporte une référence beaucoup plus essentielle à l'idéologie primaire. Nous avons vu comment celle-ci comporte le principe d'unité ; or, cette unité qui définit le classique nécessite un contenu matériel de l'éducation : « ... une culture formelle sans unité de direction nous exposerait à l'incohérence dans nos jugements » (NH, 382). Ici entre en jeu le « principe de concentration » : il faut une idée directrice qui sous-tende toute l'éducation. Ce principe directeur ne peut être trouvé dans les humanités parce qu'on a rejeté de l'étude du grec et du latin toute autre chose que l'aspect formel ; d'autre part, l'idée de culture nationale, sous-jacente au système allemand, paraît insuffisante. On va donc chercher le principe unificateur dans la religion : « Nous avons tout intérêt à faire circuler la saine pensée catholique dans nos explications, car c'est le premier moyen d'assurer l'unité de nos procédés pédagogiques » (NH, 377).

On assure ainsi l'intégration de l'élément matériel dans le formel. Mais le terme « matériel » a changé de sens ; il n'est plus la part d'érudition nécessaire au but social de l'éducation, mais l'Idée (NH, 272), qui de soi n'est plus subordonnée mais subordonnante : « On ne devra jamais s'arrêter à l'explication formelle des textes, mais toujours aller à l'Idée et montrer par la critique comment elle se rattache aux principes essentiels de la religion » (NH, 395). [5] Finalement, l'éducation qui se donnait comme essentiellement formelle est entièrement subordonnée à l'idée religieuse : « En dehors de l'enseignement direct de la religion, notre devoir est de considérer toutes les vérités dont nous traitons en classe, tantôt comme des préambules à la foi, tantôt comme des confirmations subsidiaires de la doctrine catholique » (NH, 392).

[65]

Pratiquement, pourtant, l'étude de la religion reste subordonnée aux humanités ; on ne peut se contenter d'étudier les Pères de l'Église, mais il faut aller aux classiques qui sont les maîtres du goût. On fait correspondre la pratique à la théorie en affirmant que cette étude des classiques est légitime parce qu'ils furent vertueux quoique païens, parce qu'ils rendirent le témoignage d'une âme naturellement chrétienne (NH, 392). L'idéologie religieuse est donc intégrée totalement à la définition spécifique de l'idéologie humaniste : « La pensée humaine s'élève ou s'abaisse selon qu'elle est ou non d'accord avec la vérité catholique » (NH, 399). Mais pour cela il a fallu opérer une modification dans les définitions et le rapport mutuel des éléments matériel et formel de la culture générale.

b) Idéologie nationaliste

On s'attache surtout à montrer comment le nationalisme appelle le système d'éducation qu'on a défini comme humaniste. La culture classique se présente comme un « patrimoine national » (VII, 418) et cette tradition nationale consiste dans la culture du génie latin et français, seul conforme à la nature de notre peuple : « Nous croyons que chez les races latines, l'enseignement secondaire s'impose comme le plus apte à développer l'âme profonde avec les infinies ramifications de la personnalité » (XII, 9). L'enseignement classique s'impose donc par la « nature même des choses » (I, 247), en vertu de ce que nous sommes.

« Ce que nous sommes » se définit d'abord par opposition au génie saxon. Les humanités sont une tradition d'autant plus précieuse qu'elles nous en distinguent : « Le cours classique ... seul conservera à notre race ce génie latin qui la différencie du génie saxon » (V, 6). La culture de cette différence est une tâche essentielle à cause de la grande supériorité du génie latin, que l'on constate dans « la supériorité des caractères communs de notre peuple canadien-français sur les caractères communs des autres peuples » (V, 413). Cette supériorité vient du fait que la culture humaniste propre à ce génie « seule peut donner aux esprits cet entraînement qui fait les hommes véritables » (V, 6).

Cette argumentation logique est corroborée par un argument historique. Effectivement, la culture humaniste est cause de notre différence actuelle par rapport à la race anglo-saxonne : « Vingt et un collèges classiques dispensent l'enseignement secondaire à une population qui n'atteint pas deux millions ; c'est là l'authentique et inappréciable raison de notre résistance à toutes les forces d'assimilation » (VII, 424). Plus particulièrement, c'est du côté de la langue que les humanités jouent ce rôle de facteur de différenciation : « C'est dans l'étude des langues anciennes que notre langue se retrempera, se conservera saine et pure, s'immunisera contre les termes [66] et les tours dont la menace l'anglais chaque jour plus envahissant » (V, 75). Bref, le génie humaniste est la source de notre supériorité comme race, et le système d'enseignement humaniste est la cause de notre survivance comme race.

« Ce que nous sommes » se définit également par référence à la France : « ... nous ne sommes qu'une variété de la race française  » (NH, viii). C'est pourquoi on appelle à témoin, en faveur du maintien des humanités classiques, la crise du français (NH, 400) causée en France par l'introduction des humanités modernes (V, 85). Quant à notre peuple, s'il « garde encore les traits caractéristiques du génie français, il le doit à nos maisons d'enseignement classique » (ibid.).

Donc si la culture classique nous définit comme race, elle doit entrer comme composante dans l'idéologie nationaliste. Elle est d'une part le premier objectif de celle-ci : « Nous considérons qu'avant tout il importe de préparer une élite éclairée, une aristocratie d'esprit, qui s'élève au-dessus du réalisme utilitaire, comprenne et sauvegarde les intérêts permanents et supérieurs de la nation » (V, 97). Elle est par ailleurs un argument en faveur du sentiment nationaliste : « (L'Europe) aurait raison de souhaiter chez elle, un mécanisme aussi parfait, aussi homogène, aussi efficace » (VII, 430).

Par rapport à l'idéologie religieuse, le nationalisme est purement et simplement dissous dans la religion : « Notre esprit national est catholique » (NH, 290), et ces deux termes sont identifiés à celui de classique. L'essence de cette synthèse peut se définir par le terme religion : « Dans nos collèges classiques, l'enseignement est avant tout religieux et national : la maîtresse et l'inspiratrice bienfaisante de ces maisons est l'Église elle-même » (V, 94).

c)  La tradition

Nous sommes donc en présence de trois idéologies qui s'impliquent mutuellement : l'idéologie spécifique (l'humanisme) constitue une composante essentielle des deux idéologies globales dont l'une (le nationalisme) est subordonnée à l'autre (la religion). L'idéologie religieuse, qui apparaît ainsi comme la justification dernière de l'humanisme, a été elle-même justifiée par celui-ci dans la tentative de systématisation de Nos humanités. Mais on trouve un terme antérieur au sein duquel ces trois idéologies s'identifient comme trois aspects de la même idéologie globale : il s'agit de la tradition. « L'Université est le rempart de la tradition classique, religieuse et nationale » (I, 49).

La tradition, « l'usage plus d'une fois millénaire » (NH, 250), est en somme l'argument dernier, le postulat initial par rapport auquel tout le système d'argumentation n'a qu'une valeur relative, [67] celle que lui reconnaissent les adversaires contre lesquels il a été élaboré : « C'est à nous, professeurs de séminaires et collèges, de faire la lumière sur ce sujet, de maintenir haut et ferme le drapeau de la tradition... c'est à nous de démontrer l'erreur et la présomption de ces novateurs, et de maintenir comme seul fondé en raison et en faits le jugement des anciens, dont la sagesse valait bien celle d'aujourd'hui : non, en dehors des humanités classiques, il n'y a pas de véritables humanités » (I, 247, 273).

C. Les sciences comme idéologie complémentaire

La culture scientifique n'appartient pas comme telle à la notion d'humanisme. On tend à l'identifier à l'enseignement utilitaire contre lequel se définit la culture classique. On dénonce alors ce qu'on appelle la « crise scientifique » qui sévit à cette époque, analogue à une crise commerciale qui aurait eu lieu il y a quinze ou vingt ans (VII, 424). Il faut cependant justifier la part faite aux sciences dans le programme du cours classique, tel qu'il existe déjà avant cette date, tout en évitant le danger de l'utilitarisme : « Ce n'est pas nous, professeurs d'aujourd'hui, qui avons introduit les sciences dans les collèges, mais si on a tant fait que de les y mettre depuis longtemps, qu'on les enseigne d'une manière formatrice » (VII, 186).

Liens au système

Cette justification se fait selon toutes les dimensions de la notion d'humanisme, telles qu'elles se dégagent des analyses précédentes. Tout d'abord les mathématiques, même si elles ne développent que la partie abstraite de l'intelligence, comptent parmi les disciplines formelles par lesquelles on exerce les facultés dans notre système de culture générale (NH, 196). Même, « à qui fera-t-on croire que les opérations de l'esprit [impliquées dans les sciences en général] que nous venons d'énumérer ne sont pas aptes à la bonne formation d'un esprit ? » (VII, 186).

Mais c'est surtout dans l'aspect secondaire de la culture générale que se placent les disciplines scientifiques : elles apportent l'élément matériel indispensable pour que les facultés ne s'exercent pas à vide. Elles se justifient ainsi par l'idéologie primaire : « Une éducation scientifique peut donc aider aux progrès des études littéraires en fournissant des idées, des sujets d'émotion, d'utiles remarques d'esthétique, en aiguisant le souci de la précision et de la propriété » (NH, 305). « Si nous écrivons si mal, c'est surtout parce que nous savons trop peu » (NH, 319). Ici les sciences sont plutôt considérées comme des leçons de choses  (NH, 400). Quant aux [68] mathématiques, « étudiées prématurément, elles troublent et renversent l'ordre providentiel du développement des facultés humaines » (IV, 79).

On raccroche ensuite les sciences au système au moyen des idéologies secondaires. Elles sont indispensables à la religion : il faut « que les fidèles des classes dirigeantes aient le prestige qui s'attache au savoir ... La lutte est inégale... les objections contre la foi ont assumé le prestige des sciences naturelles et l'ont dressé contre elle ... » (NH, 308). Également, « le prestige national, intimement lié à celui du catholicisme au Canada, est intéressé au progrès de nos classes dirigeantes dans le monde scientifique » (NH, 309). Et comme argument dernier : « Pourquoi faudrait-il que la pensée scientifique fût exclue du « trésor de la tradition » ? » (VII, 186).

Cependant, même si la culture scientifique semble intégrée à la notion d'humanisme, elle n'en fait pas essentiellement partie. Il fallait justifier la part des sciences alors existante ; lorsqu'il sera question d'accroître cette part, on verra naître une argumentation opposée pour exclure les sciences de la notion d'humanisme. Il ne s'agit en somme que d'une rationalisation de la situation ; à ce titre, la culture scientifique fait figure d'humanisme complémentaire. [6]

II. RÉFÉRENCE À LA SITUATION

A.  La situation

L'idéologie humaniste ayant intégré les courants idéologiques globaux de la société, elle doit également se justifier devant la situation vécue par cette société. La rationalisation ici est assez sommaire : puisque la culture humaniste est avant tout formelle et à but individuel, elle peut facilement être présentée comme ayant valeur en soi, et justifiée universellement sans référence au contexte historique. L'aspect secondaire (matériel, social) appelle toutefois une certaine justification.

En gros, cette situation se présente, dans la ligne du nationalisme, comme un état d'infériorité économique. La cause en est attribuée à l'encombrement des carrières libérales, au détriment des carrières industrielles, commerciales et agricoles. D'abord, on montrera que la culture classique n'est pas la cause de cet état de choses : « Nous avons aussi le souci de porter nos jeunes gens vers les carrières industrielles, commerciales, et de les préparer à y jouer un rôle prépondérant : mais nous concevons autrement la culture qui y préparera... Nous pensons que les vieilles méthodes classiques [69] sont encore les meilleures pour former les futurs industriels et les futurs commerçants » (V, 97). La raison de cette conviction vient de l'universalité des aptitudes conférées par la culture classique : « L'élève qui a pris l'habitude de réfléchir, d'analyser, de ne pas se contenter d'affirmations gratuites et vagues, transposera ces manières de faire et de penser dans les autres sphères où s'exerceront ses activités : que ce soit la médecine ou le droit, le génie civil ou le commerce, l'agriculture ou l'industrie » (V, 663).

Une autre façon de neutraliser la situation c'est de réinterpréter la définition de la culture générale pour l'abstraire plus complètement de la situation concrète : on nie ici que le cours classique doive être orienté directement vers la formation professionnelle, et pour cela on met en évidence sa fonction de formation sociale : « la fonction professionnelle n'est pas tout, il y a aussi la fonction sociale » (V, 97). Or, cette mission future du jeune Canadien français, à laquelle doit le préparer son cours secondaire, consiste en « luttes pour la conservation de la race et des vertus de son âme comme pour la liberté de la vie économique » (V, 91). On verra plus loin comment le deuxième élément (liberté de la vie économique) en vient à s'effacer au bénéfice du premier (vertus de l'âme).

B.  Les adversaires

Si le contexte historique peut facilement être éliminé parce que l'idéologie humaniste a valeur d'en-soi, étant fondée sur la nature humaine et non sur les besoins sociaux, les groupes d'opposition sont un élément de la situation qu'il est plus difficile d'ignorer. L'adversaire se présente d'abord sous l'aspect de l'enseignement moderne en face duquel « le classique garde une supériorité que le moderne n'a pas et qu'il n'aura jamais parce qu'il est privé de grec et de latin » (I, 251). Cet adversaire abstrait se concrétise dans des « institutions » (qui elles-mêmes doivent faire référence à un groupe social déterminé) : il s'agit de « conserver, de façon exclusive, leur titre de collège classique et maison d'enseignement secondaire aux seuls collèges qui enseignent le grec et le latin, les humanités et la philosophie » (VII, 418).

Le cas de la France

Mais au lieu de s'attaquer directement à cet adversaire, tel qu'il semble exister dans la société canadienne-française, on se réfère au cas de la France parce que là, semble-t-il, cet adversaire existe d'une façon beaucoup plus réelle : les humanités modernes y sont reconnues par l'État. Elles sont nées d'un conflit entre l'enseignement secondaire et le primaire (NH, 261), elles sont en réalité un enseignement [70] primaire supérieur déguisé. D'autre part, l'enseignement supérieur (l'Université) constitue un second adversaire des humanités classiques : « Les deux enseignements utiles ont fini par s'apercevoir qu'ils étaient de même nature... et ils ont songé à se souder l'un à l'autre et éliminer leur intermédiaire » (cité dans NH, 264). Mais en réalité ces deux adversaires abstraits ne sont autre chose que l'État auquel ils sont plus directement soumis que l'enseignement secondaire.

La cause la plus fondamentale de ce phénomène réside dans la tendance à l'esprit démocratique, « la démocratie, qui déteste ce qui se distingue d'elle, ce qui est l'esprit cultivé, l'homme qui, en dehors de son métier, a des clartés de tout... qui, peut-être, aura une pensée par lui-même et ne pensera pas selon sa classe et selon son parti, qui ne pensera pas tributim ; en somme, et cela va de soi, elle déteste l'individu (ou mieux, la personnalité)... Et c'est contre cet intellectualisme, trop aristocratique à son gré, que la démocratie s'élèverait quand elle veut mettre bout à bout l'enseignement primaire et l'enseignement supérieur » (NH, 266).

On a ici un second adversaire du système : la masse, porteuse de cet esprit. Les anticléricaux forment un dernier groupe d'opposants, parce qu'ils ont compris quel avantage l'Église trouvait au maintien des vieilles études classiques (NH, 267).

De façon secondaire seulement, les humanités classiques s'opposent au système d'éducation américain : cet adversaire est moins dangereux parce que plus directement opposé. « La divergence d'opinion se rattache donc, en somme, à une opposition de vues sur l'essence de l'éducation et de ses fins ultimes » (II, 224). Les Américains la limitent à l'instruction qui « n'est plus la culture désintéressée ... mais la seule utilité de celui qui s'instruit » (ibid.). Il n'est pas nécessaire de s'attaquer à cet adversaire puisque tout le monde reconnaît « la supériorité de la formation française sur l'anglo-saxonne » (III, 99).

Application au Canada

On transpose ensuite au Canada français l'analyse de la situation de l'enseignement classique en France. On reconnaît que la situation n'est pas la même : les attaques ne sont qu'un « écho des luttes menées en France » (NH, 268). L'adversaire ici n'est pas l'État puisqu'il n'a pas de contrôle sur les enseignements primaire et supérieur ; il ne s'agit pas non plus de groupements sociaux définis, mais simplement de catégories de personnes : des professeurs de l'enseignement primaire, des hommes de profession à idées utilitaires, « d'anciens élèves de nos collèges classiques... à qui leur séjour au collège n'a pas laissé d'assez bons souvenirs pour des raisons qui tiennent plus à leur humeur qu'au régime en général,... [71] quelques professeurs laïcs de notre monde universitaire, épris des méthodes étrangères, en particulier de celles du monde anglo-saxon américanisé » (ibid.).

Les véritables adversaires des humanités classiques ne sont donc pas ces individus isolés, qui n'appartiennent pas proprement à l'ordre social (nous y reviendrons). Il s'agit d'une part de l'esprit démocratique américain, mais surtout de « réformateurs européens › (I, 250). Ceux-ci non seulement sont condamnés au nom de l'idéologie humaniste, mais en retour ils servent même à la justifier par le simple fait de leur opposition. Ce processus de rationalisation apparaît déjà dans la première période : « Le bolchévisme ne sera pas à craindre chez nous tant que notre peuple vivra dans le rayonnement des collèges classiques » (VII, 424) ; on le retrouvera de façon beaucoup plus marquée dans la seconde période : « Les humanités ne sont pas orthodoxes aux yeux des hommes de désordre [les partis de gauche], c'est déjà plus qu'une forte présomption en leur faveur, du moins pour les gens bien pensants » (XV, 170).

III. LE DESTINATAIRE

A.  Identification du destinataire

Le problème des adversaires du système nous conduit déjà à la vision de la société implicite à l'idéologie humaniste. Cette vision se précisera si on considère le destinataire de l'idéologie : celui-ci est l'être social auquel cette idéologie doit être transmise. On verra donc directement dans la définition de cet être social la définition de toute la société dont il est partie.

L'élève du collège classique

Le destinataire, qui à première vue est évidemment l'élève des collèges classiques, sera ainsi le groupe social où il se recrute et celui qu'il est appelé à former. Cette classe constitue une aristocratie intellectuelle qui est le fondement même de la société ; à ce titre, elle s'oppose à l'État qui dans un système démocratique représente directement cette masse inconsciente des intérêts de la nation, intérêts que la classe intellectuelle conservera par le culte des traditions : « Nous considérons qu'avant tout il importe de préparer une élite éclairée, une aristocratie d'esprit, qui s'élève au-dessus du réalisme utilitaire, comprenne et sauvegarde les intérêts permanents et supérieurs de la nation » (V, 97).

Par ailleurs, cette aristocratie est identifiée à la classe bourgeoise : dans l'enseignement secondaire « doit se maintenir le modèle intellectuel,  chargé d'assurer l'unité de formation  spirituelle [72] dans les classes moyennes de la société » (NH, 262). [7] Cette classe moyenne est composée des hommes de profession, anciens élèves des collèges classiques, et elle se définit par référence à cette éducation qui a fait d'eux « des alliés naturels [du clergé] dans la lutte de demain » (VIII, 187). C'est donc le clergé qui constitue le noyau de l'aristocratie intellectuelle à laquelle il revient de définir toute la société.

Le clergé

Le clergé constituant le cœur de la classe d'élite, il est par excellence le destinataire de l'idéologie. Le prêtre éducateur, sans négliger les autres élèves, s'attachera donc davantage à ceux qui se destinent à la prêtrise ; et c'est ainsi qu'au congrès d'éducation de 1917, la commission des vocations est mise au premier plan : « Nos petits séminaires sont surtout des foyers où s'élabore et se prépare la vie. Nos maisons d'enseignement classique sont des pépinières de recrutement sacerdotal. Il est bien nécessaire et surtout plus difficile de préparer pour la vie spirituelle du prêtre » (I, 10).

On a vu par ailleurs que l'idéologie humaniste appartenait en propre au clergé enseignant comme groupe de support. « L'enseignement classique a réclamé chez nous — il le réclamera toujours — le dévouement sans borne et sans salaire de toute une classe d'hommes. A la longue s'est créé un monopole de bienfaisance intellectuelle et morale » (VII, 431). Or, ce monopole historique est fondé en droit : « Les professeurs doivent être des religieux dans l'âme, s'ils ne sont constitués en ordre religieux proprement dit, ... épris du double idéal classique et chrétien d'ordre et d'amour » (NH, 248).

Conclusion

L'idéologie appartient donc en droit au clergé et elle est destinée premièrement à celui-ci. Ainsi, dans la première période, on traite beaucoup du recrutement sacerdotal et très peu de la formation sociale : on a très peu conscience de la société. Celle-ci est représentée d'une façon abstraite : v.g., « Cet homme qui est notre idéal est un être social vivant au milieu de gens en tous points semblables à lui... Les parties d'un tout s'influencent nécessairement les unes les autres... » (VI, 8). La société n'est en définitive qu'un concept abstrait reliant le clergé transmetteur de l'idéologie au clergé qui en est le destinataire.

B. Vision de la société

La nation

On retrouve cependant certains éléments d'élaboration de ce terme abstrait qu'est la société, en particulier à travers la définition [73] des adversaires du système. On a vu que la classe bourgeoise, à titre d'aristocratie intellectuelle, constitue le cœur de la société. Celle-ci est d'abord le clergé mais aussi, par extension, « quatre classes d'hommes (qui) exercent de l'influence : les littérateurs, les historiens, les orateurs et les philosophes, c'est-à-dire des humanistes » (III, 71). Mais cette classe éclairée, dirigeante, a besoin d'un milieu susceptible de la comprendre et disposé à l'écouter. On a donc ensuite dans la hiérarchie sociale « des groupes de second plan, ceux qui, par leurs jugements habituels, leur allure générale, entraînent la masse, surtout en pays démocratiques » (NH, 285). Ces groupes de second plan comprendraient les commerçants, les industriels qui « deviennent aussi des conducteurs d'hommes et contribuent à la prospérité de la nation » (NH, 317). Cet élément de la vision du social sert à justifier la prédominance non seulement qualitative mais aussi quantitative de l'enseignement classique : il importe que ces individus moins doués passent aussi par la culture humaniste s'ils doivent être en mesure de comprendre la classe dirigeante et de faire le lien entre celle-ci et la masse. On est ainsi amené au troisième échelon de la hiérarchie sociale : la masse informe et indifférenciée, dont on ne dit à peu près rien.

Ces trois éléments constituent la nation, qui est la société véritable, corrélative de la famille et de l'Église. Il appartient ainsi au bachelier, soutien de l'ordre social, de « défendre et contribuer à étendre de plus en plus le règne du Christ, faire prévaloir... nos droits et nos libertés, remettre notre langue sur son piédestal, combattre les doctrines perverses, en un mot, travailler, jusqu'au dévouement complet, au bonheur de la société » (VII, 818). La société est donc une entité nationale et religieuse, mais avant tout religieuse : « Tout progrès social vient non de la force du nombre ni même de la force conquérante des idées, mais avant tout de la rénovation intérieure des âmes par la pratique intégrale de la religion » (NH, 87). Elle est aussi une entité familiale puisque c'est en tant que suppléant des parents que l'éducateur se doit de transmettre à l'élève « l'héritage physique, intellectuel et moral qui lui vient de sa famille, de sa nationalité en même temps que de l'Église » (NH, 288). Mais on glisse sur ce dernier aspect qui sera surtout mis en relief durant la seconde période (XIX, 250 : on y montre le caractère familial de l'internat, présenté comme lieu d'apprentissage de la vie sociale).

L'État

D'autre part, l'opposition des adversaires amène l'idéologie à reconnaître une seconde réalité sociale, l'État démocratique. Il s'agit ici d'une société politique ; on ne retrouve aucune perception de la société économique : on ne reconnaît pas l'ouvrier comme producteur mais comme le nouveau prolétaire conscient qui constitue maintenant la masse caractérisée par l'instinct de révolte (NH, 308). Cette [74] nouvelle société politique n'a pas de réalité de droit mais elle est une dégénérescence par rapport à la société nationale ; elle est fondée sur le culte de l'incompétence inhérente à la démocratie (NH, 281). L'État démocratique, qui était le principal adversaire de l'humanisme, constitue ainsi une sorte de société concrète en face de laquelle se dresse la société idéale et réelle de la nation. Cette société concrète est un sous-produit de la civilisation moderne « artificielle et compliquée » (III, 153) et, en particulier, de la vulgarisation de la presse, des notions scientifiques (NH, 308). Mais cet envahissement de l'esprit démocratique américain n'a pas pénétré la société canadienne-française ; il se fait surtout sentir dans les « milieux plus artificiels des villes » (NH, viii), où il a engendré une « atmosphère déprimante » (VII, 173) contre laquelle doit lutter l'élite éclairée, le clergé.

Si on revient aux adversaires des humanités classiques au Canada, on voit de quelle façon ils n'appartiennent pas à l'ordre social ; leur existence n'est qu'une manifestation de cet épiphénomène qu'est la tendance à l'esprit démocratique. Ainsi, les professeurs du primaire n'émergent pas de la masse indifférenciée : leur opposition manifeste ce nouvel instinct de révolte ; les hommes de profession à idées utilitaires renoncent à ce qui fait l'essence de leur classe (i.e., la culture humaniste, la solidarité avec le clergé) ; les professeurs laïcs américanisés laissent de côté l'esprit national.

Conclusion

Pour résumer, il y a deux sociétés : l'idéale, et pourtant la seule réelle parce que la seule authentique, qui est la nation ; la concrète (plus ou moins réalisée au Canada) et l'artificielle, qui est l'État démocratique. En tant que fondement de la première, l'élite intellectuelle doit lutter contre la seconde. Il n'y a donc, dans cette première période, aucune conscience d'une société économique, d'une société à classes. La hiérarchisation de la société se fait d'après les qualités personnelles de chacun, et c'est le clergé qui préside à cette hiérarchisation par la diffusion de la culture classique. On rejoint ici la conception individualiste de l'éducation et la vision monolithique de la société qui se définit essentiellement par référence au clergé.

II. MÉCANISMES D'ÉVOLUTION

Après la parution en 1927 de Nos humanités, formulation systématique de l'idéologie humaniste, celle-ci commence effectivement à se transformer, dans une tentative d'intégration de situations nouvelles, telles que perçues.

[75]

J'ai divisé en trois périodes l'histoire de cette évolution : 1929-1938 (IX-XVII), 1938-1951 (XVIII-XXX), 1951-1960 (XXXI-XL). La première période débute par une série d'articles de M. Adrien Pouliot sur l'enseignement des sciences ; le début de la seconde coïncide avec un changement de direction (le Père M.-Alcantara Dion, des Franciscains de Trois-Rivières), de même que la troisième (M. Richard Joly, du Centre d'information pédagogique). C'est dans les écrits de ces formulateurs qu'on perçoit davantage les modifications auxquelles est acculé le système. Et on verra comment l'intérêt se centre, dans la première période sur l'idéologie complémentaire, dans la deuxième sur les idéologies secondaires, dans la troisième sur l'idéologie primaire elle-même. Je devrai me contenter, pour les fins du présent article, de résumer brièvement les faits marquants des deux périodes de transition.

I. PREMIÈRE PÉRIODE : 1929-1938

La polémique Pouliot, qui marque le début de la première phase d'évolution, ne porte pas sur l'idéologie elle-même ; elle consiste en une argumentation de faits pour poser en face de l'idéologie une situation dont elle aurait à rendre compte : l'alarmante infériorité de notre culture en matière scientifique. « Les dangers qui menaçaient notre race ont disparu pour faire place à d'autres moins apparents peut-être mais non pas pour autant moins inquiétants ... Nous allons être conquis pour la seconde fois ! » (IX, 465).

En fait, c'est au moyen de l'idéologie comme système que l'auteur attaque l'idéologie comme programme d'action : « Les sciences jouent un rôle de plus en plus important dans le développement de l'esprit humain ; elles sont devenues un élément indispensable de la culture générale, et nos études littéraires ou philosophiques, nos traditions religieuses et nationales aussi bien que nos conditions ethniques, loin d'excuser le mépris qu'on leur porte généralement chez nous, exigent, au contraire, que nous suivions sans tarder le reste de l'humanité civilisée dans la voie du progrès » (X, 84).

L'idéologie complémentaire

Cette première mise en question de l'idéologie humaniste qui portait sur un aspect complémentaire, la culture scientifique, a peut-être influé sur le mode d'intégration de celle-ci ; de toutes façons, les sciences n'ont pas de statut fixe à l'intérieur de l'idéologie.

En général, l'intégration se fait surtout des sciences descriptives au nationalisme : il s'agit de « créer un esprit national chez notre jeunesse, rien qu'en faisant aimer le pays canadien » (XIV, 67).

[76]

Les idéologies secondaires

Le problème majeur de cette première période est, nous l'avons vu, celui de l'idéologie complémentaire qu'est la culture scientifique ; on constate du même coup un effacement des idéologies secondaires. Non qu'elles soient modifiées ou totalement absentes — « Le but premier de nos collèges est l'éducation religieuse » (XIV, 15) — mais si on les prend encore pour acquises, on n'éprouve pas le besoin de les exposer. Cette atténuation vaut surtout pour l'idéologie religieuse.

Quant à l'idéologie nationaliste, elle conserve à peu près la même importance que durant la première période — « La question est avant tout une question nationale » (IX, 477) — et c'est à son bénéfice que tend à diminuer l'accent mis sur l'idéologie religieuse. Ce glissement tient au fait qu'on considère l'idéologie nationaliste comme le point d'application privilégié de l'idéologie religieuse : « Le clergé canadien-français a-t-il comme corps une mission spéciale à remplir à l'égard du peuple canadien-français sur le terrain national ? Il semble qu'il faut répondre oui et que cette mission est une mission d'éducation nationale. Le prochain assaut dirigé contre nos institutions le sera au nom d'une déficience nationale vraie ou prétendue dans l'enseignement t> (XVI, 158).

L'idéologie primaire

On constate, au niveau de l'idéologie primaire, certaines modifications dont la plus importante se rapporte à la définition même de la « culture générale » : celle-ci se caractérise seulement par le fait qu'elle est désintéressée ; les autres aspects de la définition primitive (caractère formel, but individuel) sont laissés de côté. Il faudrait « dépouiller de tout formalisme l'enseignement des mathématiques » (X, 184) ; « le but de l'enseignement secondaire n'est pas seulement l'éducation intellectuelle et morale de l'individu, c'est aussi la formation de la classe dirigeante du pays en vue des besoins de la nation » (IX, 9).

La société

L'introduction de la perspective sociale comme but essentiel de l'enseignement secondaire manifeste un début de vision plus concrète de la société. Mais cette société plus concrète n'est pas encore la société globale ; l'intérêt social se centre pour le moment sur les relations interpersonnelles, à partir desquelles on essaie de reconstruire la société globale (« la nation ») ; le passage s'opère par l'intermédiaire de la famille.

[77]

Si on considère maintenant la définition que donne de lui-même le groupe de support dans la société, on constate une première différenciation du prêtre et du laïc : « Le clergé a su jusque dans ces dernières années orienter l'enseignement dans le sens le plus favorable à notre race. C'est une des raisons qui lui garantissent non seulement l'estime des classes populaires mais aussi et surtout la reconnaissance des classes dirigeantes » (IX, 341). C'est dire que le clergé est maintenant situé en dehors des classes dirigeantes et donc de l'ordre social.

D'autre part, la société ne s'identifie plus à l'élite ; c'est la masse qui est maintenant le cœur de la nation : « Chez nous comme ailleurs, le grand facteur de survivance, ce n'est pas l'indépendance économique ou politique, c'est le patriotisme de la masse. Les efforts des chefs seraient vains s'il n'y avait la réponse généreuse et unanime de la masse » (XVI, 155). La nouvelle conception populaire coïncide avec une première acceptation des valeurs démocratiques (XI, 607).

II. DEUXIÈME PÉRIODE : 1938-1950

Durant cette période, on s'attache beaucoup moins à la rationalisation du système qu'à la défense du programme d'action : « Il y entre en jeu, non plus la discussion abstraite des principes, mais leur application à des problèmes concrets dont plusieurs données dépendent plus de notre économie politique ou sociale que de la pédagogie qui les subit. . . Sans changer notre système éducationnel, il faut certainement l'adapter à des circonstances changées... Devant vivre dans un monde socialisé par l'une des grandes influences qui se disputent les masses : christianisme, fascisme ou communisme, celle-là triomphera qui pourra grouper le plus d'hommes formés à la conquête par le don de soi sous une discipline aimée » (XVIII, 7 et suiv.). L'idéologie prendra donc un caractère polémique et acceptera les contradictions au niveau du système de rationalisation. Par ailleurs, l'accent est mis sur les idéologies secondaires ; en tant qu'idéologies globales de la société, liées existentiellement à la vision du monde humaniste, elles n'ont pas besoin d'être rationnellement justifiées et intégrées à celle-ci: leur exposition serait ainsi la meilleure façon de défendre l'idéologie humaniste.

L'idéologie complémentaire

L'idéologie complémentaire conserve le même caractère ambigu : seules les sciences naturelles font réellement partie de l'idéologie humaniste : « Dans une éducation de type littéraire, elles donnent le sentiment de la vie, le goût de la beauté » (XX, 505).

[78]

Un fait nouveau attire cependant notre attention : on se sert des sciences comme argument en faveur des humanités. « Personne ne soutient que l'élève ne se cultive pas l'esprit par l'étude des mathématiques ou des sciences » (XXIV, 316) ; or, « la méthode scientifique existe aussi dans l'étude des langues et des littératures ». Ceci pourrait être un signe de l'importance nouvelle de l'idéologie scientifique, importance qui la fait rejeter à l'extérieur de l'idéologie humaniste : ne pouvant plus se la subordonner, celle-ci la rejette en s'appropriant ses moyens de justification.

Les idéologies secondaires

Les idéologies secondaires fournissent le plus grand nombre de thèmes idéologiques durant cette période. Elles sont maintenant exposées pour elles-mêmes comme deux idéologies primaires supportées respectivement par le clergé enseignant et un groupe de laïcs du mouvement de l'Action nationale.

a) La religion

Le clergé enseignant a tendance à abandonner l'idéologie humaniste comme idéologie primaire pour promouvoir l'idéologie religieuse. « Quel est notre rôle dans de telles circonstances : revenir à l'essentiel de notre mission sacerdotale de messagers et de témoins de l'Absolu, de Dieu » (XXVII, 244). Le cours classique se distingue maintenant parce qu'il donne une culture mystique et générale ; ses objectifs sont de former « d'éminents disciples du Christ pour l'Église, et des penseurs, des chefs, des apôtres pour la Société » (XXVI, 13). C'est dire que l'idéologie religieuse ne forme plus seulement le noyau, elle recouvre totalement toute l'idéologie humaniste.

b) Le nationalisme

Ce nouvel humanisme chrétien, identifié totalement à l'idéologie religieuse, ne peut plus rendre compte de l'idéologie nationaliste, qui passera à un groupe de support distinct, et les deux systèmes idéologiques coexisteront, sans qu'on puisse discerner aucun effort réel pour les intégrer.

c) La tradition

Dans les deux systèmes, la tradition joue un rôle déterminant. Pour le clergé enseignant, elle se présente comme l'argument ultime en faveur du système d'éducation : « Parce que sûrs, immuablement sûrs, des fins lointaines de notre éducation, possédant sur la nature humaine les certitudes combinées de la foi et de la raison, nous [79] restons attachés à des moyens que nous savons immuables, on nous accuse de ne pas comprendre les changements énormes de notre siècle » (XXIV, 12). Pour le groupe nationaliste, elle est tout simplement l'idéologie primaire : il faut veiller sur les sources de vie que sont la famille et les classes rurales, et se créer des traditions industrielles et commerciales qu'exigent l'ampleur et la complexité de la vie économique moderne (XXII, 601 et suiv.).

L'idéologie primaire


a) Le but du cours secondaire

La séparation des deux idéologies secondaires devait entraîner dans l'idéologie primaire des contradictions entre les deux systèmes. Il y a aussi contradictions à l'intérieur du système humaniste et chez le même auteur parce que la rationalisation logique et le fondement philosophique du système (conception formelle, principe d'ordre, principe d'unité) ont perdu de leur importance. Le premier point de divergence porte sur le but du cours classique au sujet duquel on élabore plusieurs théories différentes.

b) Éducation et instruction

La séparation entre éducation et instruction constitue probablement la modification la plus importante dans l'idéologie primaire. On les distingue selon que l'une est orientée à la volonté et l'autre à l'intelligence, ce qui en change complètement la définition : « Puisque c'est d'enseignement seul que nous causons, c'est l'intelligence qui est d'abord en cause et c'est d'elle seule que nous parlerons. Il ne faut pas cependant croire qu'elle résout à elle seule les difficultés de notre éducation nationale » (XXX, 347). Le système d'enseignement secondaire est une question d'instruction ; les problèmes des collèges classiques, de l'enseignement féminin, de l'éducation nationale sont des questions d'éducation (ibid.). Cette nouvelle systématisation vise à préserver le caractère aristocratique du cours classique, i.e. la prépondérance sociale du groupe de support ; en effet, si l'enseignement est une question d'intelligence et que dans l'intelligence il y a deux sortes d'opérations, il y aura deux types d'enseignement : un pour l'élite et un pour les classes moyennes. « Il fut un temps ... où l'on trouvait extrêmement utile à un pays d'avoir des hommes capables des plus hautes opérations de l'esprit... Et l'on ne se froissait pas d'être un honnête marchand n'ayant fait que du primaire » (ibid.).

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c) Le programme

Finalement, ce qui constituait l'essentiel de l'idéologie primaire, i.e. la culture gréco-latine, perd beaucoup de son importance. Dans le système nationaliste, c'est l'histoire qui serait la discipline fondamentale ; l'étude des civilisations grecque et latine ne fournit que des points de comparaison. Dans le système humaniste, l'histoire du Canada, la littérature française et le latin sont mis sur le même pied ; surtout, l'accent est fortement mis sur la religion qui tend ainsi à devenir idéologie primaire. Ce n'est pas pour elles-mêmes mais pour de simples raisons historiques, parce qu'elles se justifient par la tradition, qu'on conserve les matières du programme : « Bien qu'elles ne différencient pas les deux genres d'enseignement, les matières ont leur importance capitale ... H n'est pas indifférent qu'on applique à n'importe quelle matière l'esprit qu'on veut former aux activités secondaires, qu'on veut garder canadien-français et catholique. Ce n'est pas impunément pour notre race que nous changerions le régime alimentaire de son esprit, ni même le dosage des divers éléments qui le composent » (XXX, 351).

La société

a) Dans le système nationaliste

La conception « communautaire » de la société, impliquée dans le concept de nation, est systématisée dans l'idéologie nationaliste : « Deux grandes conceptions de la patrie se font jour. La conception communautaire, au fond traditionnelle, qui met l'accent sur l'homme et les richesses culturelles, morales, spirituelles incarnées en lui. La conception politique ou juridique qui met l'accent sur l'État » ; le nationalisme se fonde sur la première conception (XXIII, 545).

La nation se définit par la masse qui lui fournit son caractère distinctif et dont l'élite n'est pas réellement distincte : « Nous sommes un peuple faible, minoritaire en son propre pays et nous fournissons la forte proportion des classes populaires de la société canadienne » (XXIV, 525). Dans le système humaniste, on trouve la conception contraire : la nation se définit par l'élite : « La nation sera donc grande et forte si elle est formée de personnes en quantité suffisante qui ont mis en valeur toutes leurs aptitudes » (XXVIII, 323).

b) Dans le système humaniste

On voit pourtant se dessiner un début de reconnaissance d'une classe populaire comme entité autonome, ce qui est considéré comme une anomalie : « Nos élèves devront normalement être les meneurs dans la société de demain ; prendre la tête des mouvements [81] sociaux dont trop souvent jusqu'à aujourd'hui nos élites se sont désintéressées à leur grand détriment et à celui de toute la collectivité. Il a fallu que les humbles, les petits, constatant l'apathie des classes instruites, prennent en main l'organisation de leur relèvement en fondant eux-mêmes des syndicats ouvriers, des coopératives » (XXIII, 241). Devant cette anomalie on cherche un compromis : « Il faut veiller à ce que l'accès hâtif aux études classiques soit facilité aux fils d'ouvriers et de paysans ; c'est parmi eux que se recrutera toujours une élite scientifique pour l'usine et la terre qu'il serait vain d'attendre d'ailleurs » (XXIV, 228).

III. VERS UN NOUVEL HUMANISME :
1951-1960


Cette période à partir de laquelle la direction de la revue est assumée par un laïc, se caractérise par une mise en question directe et explicite de l'idéologie primaire, même dans la plus grande partie de l'ancien groupe de support des prêtres-éducateurs. « Nos difficultés présentes ne sont pas des conflits de méthode mais des conflits de valeurs » (XXXIV, 292). Cette mise en question sera plus ou moins profonde ; elle ira d'un simple abandon du programme d'action à la tentative de formuler une nouvelle idéologie à partir d'une vision du monde différente. Par ailleurs, l'ancienne conception subsiste encore, à l'état pur ou par certains aspects mélangés à la tentative nouvelle.

L'idéologie primaire

Au terme de cette évolution où nous avons vu apparaître l'importance du contenu par opposition à la culture strictement formelle, c'est la définition initiale de l'humanisme qui est elle-même changée. Elle ne se réfère plus à la théorie des facultés de connaissance avec prépondérance absolue de l'intelligence, mais vise à englober tout l'homme : « Dans l'ordre de la culture vivante une tête bien faite est loin de réunir tout l'essentiel des buts de la formation secondaire ... Ces gestes qui conduisent à la culture véritable... n'atteignent en lui que le mécanisme intellectuel... ; (celui-ci) ne s'intègre pas à sa personnalité totale » (XXXIII, 197 et suiv.). On a ici la formulation explicite d'un changement latent dans les périodes antérieures et qui souvent demeure encore implicite. Un point reste définitivement acquis : l'humanisme ne se définit plus par le formel mais contre lui. « Si nous devons dans notre enseignement expliciter les qualités formelles d'une œuvre, nous devons être plus soucieux encore de détecter ses résonances humaines » (XL, 10). En conséquence, les humanités gréco-latines perdent leur statut d'idéologie [82] primaire : « La culture générale n'est pas seulement littéraire et philosophique » (XXXI, 93), « le but que nous poursuivons tous n'est pas l'étude du grec et du latin comme le voulait la Renaissance » (XXXV, 72).

On peut grouper en trois catégories les principales formulations d'un nouvel humanisme primaire. La première se rattache à la conception personnaliste de Louis Meylan : les humanités sont « un ensemble de disciplines qui dans une civilisation et à une époque aident à devenir une personne » (XXXI, 15). Ici se groupent tous les prolongements de l'ancienne idéologie ; puisque le programme importe peu mais que ce sont les méthodes qui comptent (XXXI, 9), « peu importe le matériel, il faut d'abord l'esprit qui donne le sens de l'homme. Tout ce qui peut revêtir le formel des humanités est moyen de culture » (XXXVI, 198). On peut conserver le programme actuel qui est « suffisamment riche et complet et humanisant en lui-même » (XXXVIII, 222). C'est le principe d'unité qui sert de fondement à ces conceptions mais cette unité est cherchée dans différentes directions. Malgré l'abandon du système de rationalisation, ou même du programme d'action, on n'a pas ici de modification essentielle dans la vision du monde humaniste.

Dans une deuxième direction, la culture se définit comme l'héritage du passé : « On s'accorde à reconnaître que les études classiques cherchent à promouvoir la formation intellectuelle en mettant de jeunes esprits en contact avec les œuvres des grands esprits qui ont édifié la culture occidentale » (XXXVIII, 222). Cette formulation, qui peut sembler traditionnelle, assure en fait par sa souplesse le passage à la troisième définition de la culture humaniste. En effet, la culture occidentale vient de trois courants (la Grèce, Rome, la tradition judéo-chrétienne), mais puisqu'elle comprend maintenant une quatrième composante, « le christianisme, ayant assimilé l'hellénisme, doit maintenant absorber le courant scientifique afin de donner une solution toujours plus intégrale au problème de l'homme » (XXXVI, 198).

Cela nous conduit vers la troisième formulation qui renvoie à la notion de civilisation : « La culture est une force toute tournée vers l'avenir, vers la production... Grâce à l'histoire, nous sentons bien unies culture et civilisation : culture qui est source de vie dans le passé, civilisation qui est débordement de vie dans le présent » (XXXVIII, 63). Ici apparaissent les humanités modernes qui se définissent par une ouverture sur le monde : « Le cours de civilisation doit faire pendant au cours de langue : ils sont inséparables... Les humanités modernes ont pour but de procurer à l'élève une ouverture sur le monde, nécessaire aujourd'hui » (XXXVIII, 229). On trouve là le point de départ d'une nouvelle idéologie qui assumerait un programme d'action totalement différent : en face du mouvement d'internationalisation, « il est un domaine cependant où le dégagement [83] de soi a visiblement tardé à s'accomplir, c'est celui de l'enseignement classique. Satisfaits, à tort ou à raison, de la situation actuelle de notre cours classique et de sa valeur, nous sommes longtemps restés craintifs en face de toute orientation de pensée qui tentait d'amener une révision des positions que nous occupons... Cela peut signifier dans la pratique toute une révolution de notre comportement actuel » (XXXIX, 151).

Les idéologies secondaires


a) Religion

Avec la concentration de l'intérêt autour de l'idéologie primaire, les idéologies secondaires perdent beaucoup de leur importance. En tant que telle, l'idéologie religieuse ne se retrouve qu'à l'état de survivance. On serait tenté pourtant d'en voir une transposition dans les nouvelles discussions sur l'enseignement de la philosophie ; en effet, on essaie maintenant de montrer comment cette discipline couronne les études classiques : sa fonction est de « communiquer le goût de la vérité absolue, montrer que l'intelligence est dans son rôle en exerçant une fonction religieuse » (XXXIII, 55). Mais, le système thomiste participant à la valeur indiscutable de l'idéologie religieuse, il sera surtout question des modalités de l'enseignement de la philosophie (programme, manuels, méthodes), sans qu'on tente réellement l'intégration au nouvel humanisme.

b) Nationalisme

L'idéologie nationaliste est presque entièrement abandonnée. On la rejette d'abord sous l'aspect de la fonction sociale de l'enseignement : « La fonction sociale de l'éducation qui est de préparer des techniciens, des savants, des hommes d'État tend précisément à détruire l'essentiel même de l'éducation et à lui substituer des fabriques de serviteurs de la société » (XXXV, 330). Cette première forme de rejet est liée à la conception personnaliste de la culture ; selon le nouvel humanisme, on met en question le nationalisme au nom de l'internationalisme : « La tradition d'aucun peuple n'est assez riche pour suffire seule à sa croissance » (XXXIII, 195). On voit maintenant jusqu'à quel point l'idéologie humaniste traditionnelle reste profondément liée au nationalisme : la seule raison de maintenir l'enseignement classique tient à son rôle de rempart contre la civilisation américaine. Mais ce nationalisme n'est pas le même que celui de la période précédente : il ne se définit plus dans le contexte canadien mais à l'échelle nord-américaine.

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c) Tradition

La dernière idéologie secondaire, la tradition, est par définition même, rejetée par le nouvel humanisme : « Pourquoi appeler « humanités » (le tout) ces études littéraires (la partie) si riches soient-elles ? Question de tradition.. . qui gagnerait tout à s'élargir » (XXXII, 275). La culture classique est alors rejetée avec la tradition en tant qu'opposée à l'histoire présente : « Le collège semble en quelque sorte mis en demeure de choisir entre la culture que véhiculent ses instruments pédagogiques et celle de la société qu'il sert » (XXXV, 11). Ou encore, de préférence, on cherche une synthèse des deux : « unir le progrès à la tradition » (XXXV, 278), « la culture et la civilisation » (XXXVIII, 63), « un internationalisme lucide (qui n'est) pas incompatible avec un enracinement dans la tradition » (XXXIII, 195). Il semble que ce soit là le critère essentiel à partir duquel le nouvel humanisme tentera de se définir.

Les idéologies complémentaires


a) Les sciences

On constate maintenant une réelle intégration de l'humanisme scientifique à l'idéologie nouvelle « après des années consacrées à rendre hommage à la valeur culturelle de ces disciplines et à n'envisager que leur valeur de formation professionnelle » (XXXVI, 119). On cesse alors de se référer uniquement aux sciences naturelles pour se tourner vers les mathématiques, les sciences physiques et les sciences humaines. Les mathématiques sont encore intégrées sous forme de gymnastique intellectuelle (XXXIV, 361), en raison de leur rôle de formation de l'esprit : « En effet la caractéristique la plus marquante de la culture est d'être essentiellement simple ... Ces vérités exigent un esprit habitué à viser l'essentiel, un esprit formé à la rigoureuse simplicité... A cette éducation de l'esprit les mathématiques ont à apporter une contribution essentielle... parce que c'est là que l'esprit humain vit de la manière la plus frappante ses propres nécessités internes » (XXXVI, 262-264). On leur donne ainsi un statut dans la seconde formulation, en tant qu'elles contribuent « à l'assimilation de l'héritage spirituel de l'humanité » (XXXVIII, 168). En ce sens, on leur cherche une nouvelle signification : « C'est de l'humain qu'on doit découvrir dans la géométrie » (XXXVIII, 167) ; ce qui peut se faire en deux directions : une réflexion sur la nature de la géométrie, ou bien sur les phénomènes psychologiques (ibid.). Quant aux sciences physiques et aux sciences humaines, elles sont intégrées directement au nouvel humanisme : « Le rôle des humanités est d'acculturer le jeune homme à la civilisation actuelle...   Ces sciences [humaines] doivent faire [85] partie des humanités... Puisque les humanités tendent à libérer l'humanité dans l'homme, les sciences physiques y occuperont donc une part proportionnelle à celle qu'elles tiennent dans la culture objective » (XXXVI, 203, 204). On insiste même davantage sur les sciences de l'homme : « Dans une culture moderne, la contribution des sciences de l'homme est peut-être à l'égal de la contribution de la philosophie, et certainement supérieure à celle des arts littéraires » (XXXVI, 198). Mais le statut des sciences physiques reste écartelé entre les deux perspectives : le rôle de formation de l'esprit attribué aux mathématiques et le rôle de participation à la culture objective ; ceci se manifeste dans la méthode d'enseignement qu'on leur attribue : d'un côté, on cherche dans l'initiation à la méthode scientifique le nœud de l'enseignement des sciences, « l'objectif central qui puisse résumer les autres » (XXXVI, 300) ; de l'autre côté, on insiste sur la méthode historique pour « faire suivre à chaque esprit la marche de l'humanité dans l'acquisition de la science » (XXXV, 71).

b) L'histoire

On en arrive ainsi à une seconde idéologie complémentaire qui prend maintenant une importance considérable : l'histoire. Cette prépondérance s'était manifestée déjà durant la période précédente dans le cadre du nationalisme, perspective qu'on retrouve encore dans la période actuelle : « L'histoire révèle l'âme de la patrie aux élèves ; elle est indispensable pour la formation de notre élite » (XXXII, 213). Mais à cause de l'affaiblissement du nationalisme, cette perspective est plutôt infléchie dans un sens moral : « L'histoire, tout en informant l'élève, vise aussi à le former, à développer chez lui la fierté et le patriotisme, qui lui proposent des modèles à imiter, des vices à éviter » (XXXVIII, 156) ; il s'agit en somme de l'ancienne idéologie dont le noyau est toujours l'idéologie religieuse : « Cette discipline concourt à la formation intellectuelle et morale des futurs chefs de la société religieuse et civile » (XXXVII, 179). Dans le nouvel humanisme, la signification de l'histoire est différente. On rejette d'abord le patriotisme comme but de l'enseignement de l'histoire : ce but est au contraire la connaissance vraie du passé (XXXV, 11 ; XXXIX, 267). On rejette également son rôle principal dans l'idéologie primitive : « Vouloir faire de l'histoire la servante de la littérature, c'est ne pas faire d'histoire du tout et, par cela, perdre un des moyens d'éducation les plus importants » (XXXVII, 244). L'histoire se présente d'abord, dans la première formulation de l'humanisme, dont le critère central est le principe d'unité, comme « le cadre indispensable d'un cours secondaire qui veut conduire à une unité, à une synthèse des connaissances humaines, (et qui) ne possède pas en lui l'unité qu'il veut donner. Est-ce qu'on peut prétendre unifier un esprit par l'étude du grec, du latin, du français, des [86] mathématiques ou des sciences ? Alors l'histoire nous apparaît comme un merveilleux instrument, comme un cadre indispensable » (XXXV, 13). Dans le nouvel humanisme, l'histoire aura comme rôle essentiel de « permettre à l'élève de bien comprendre la société dans laquelle demain il devra vivre » (XXXVII, 263). En ce sens elle devient le cœur même de cette nouvelle idéologie.

La société

La seule théorie de la société qu'on retrouve, à l'état très dispersé, durant cette période, est celle qui correspond à l'ancienne vision humaniste. D'abord, identification de l'élite au clergé ; devant l'insuffisance de celui-ci à la tâche de l'enseignement, on répond par la vision monolithique de la société : « Y aura-t-il dans le processus deux enseignements classiques, l'un donné par les prêtres, l'autre par les laïques ? Non ! il y aura un enseignement classique chrétien donné par les laïques catholiques et leurs prêtres travaillant en étroite collaboration » (XXXV, 57). On ne trouve pas non plus de perception d'une différenciation verticale — les collèges classiques ne sont pas au service d'une classe privilégiée (XXXI, 149) —, sauf en termes de l'ancienne vision théorique à trois niveaux : « Comme résultat de notre système d'enseignement actuel, nous sommes en présence de trois groupes : une élite peu nombreuse qui détient quelques postes-clés... A côté de cette élite intellectuelle vient se ranger un nombre très restreint de diplômés de l'enseignement spécialisé. Et au palier inférieur, la foule est énorme de gens qui n'ont pas de métier... journaliers honnêtes et respectables sans doute, mais aussi dignes descendants des « scieurs de bois » et des « porteurs d'eau » » (XXXVII, 207). Et, finalement, on trouve la même théorie globale de la société autour du concept de nation, vue en quelque sorte comme un prolongement de la famille : « La famille donne à l'individu sa vie... Le milieu où il doit faire sa place, lui aussi fait monter en lui des similitudes de vie commune à tous les membres de son groupe... On appelle ce milieu la Nation » (XXXVIII, 90). L'Etat entre dans cette conception comme « un nouvel organisme social pour sauvegarder les valeurs humaines de la famille et de la Nation » (ibid.). Une seule formulation, qui semble se rattacher à la définition personnaliste de l'humanisme, oppose la famille à une société extérieure : « Il reviendra à l'école d'assurer le passage... de la famille où l'on est apprécié comme individu et où les conséquences des actes que l'on pose se voient clairement, à une série de milieux plus anonymes, où l'on est apprécié pour certaines qualités indépendamment de la personnalité totale » (XXXVII, 256).

La vision de la société ne s'est donc pas modifiée : dans la conception personnaliste parce qu'on refuse le point de vue de la société ; [87] dans la conception historique parce que celle-ci demeure superficielle et reste orientée vers le passé ; dans la conception en termes de civilisation, sans doute parce que cette dernière n'est pas encore rendue à ce stade mais commence par situer la société par rapport à un ensemble plus vaste avant de se pencher sur les éléments de sa structure interne.

CONCLUSION

Résumons d'abord les caractéristiques essentielles de l'idéologie primitive et les étapes majeures de son évolution.

La conception originelle est centrée sur la notion de culture générale : éducation individuelle par l'enseignement formel des humanités gréco-latines. La culture générale comporte aussi un aspect secondaire auquel on rattache un but social : à cet aspect correspondent les matières secondaires du programme. L'équilibre harmonieux des facultés humaines constitue le principe de base de cette éducation ; la religion en est l'élément matériel d'unification. Ce système d'éducation découle de la nature du peuple canadien-français : il en constitue un élément essentiel. Il est en outre impliqué par trois idéologies globales de cette société qui s'impliquent elles-mêmes mutuellement : le nationalisme qui exalte cette nature, la tradition qui en est le moyen de préservation et la religion qui en est l'élément fondamental. Les sciences et autres matières secondaires peuvent prendre place dans le système ; on doit les conserver puisqu'elles existent mais elles ne sont pas en soi nécessaires. La situation historique n'a qu'une importance secondaire puisque le but de l'éducation est individuel. Les adversaires du système n'ont pas d'existence effective. La Société, c'est la Nation dont l'âme est l'élite intellectuelle dirigée par le clergé : cette élite donne la vie à la masse par l'intermédiaire des classes moyennes.

La première phase d'évolution se caractérise d'abord par une tentative d'intégration de l'idéologie scientifique ; tentative vouée à l'échec puisque les éléments d'une synthèse véritable ne se trouvent pas dans le système idéologique primitif : on ne trouve ici qu'un syncrétisme plus poussé. On constate par ailleurs une évolution dans la coloration pessimiste de la pensée idéologique, dans la mise en veilleuse du système de rationalisation logique qui va jusqu'à l'abandon de la définition de la culture générale par l'aspect formel. Cette évolution est corrélative à un début de prise de conscience d'une réalité historique concrète qui se manifeste dans une tendance vers une vision différenciée de la société ; mais cette intuition nouvelle du social est détournée par l'individualisme humaniste vers une simple reconnaissance des relations interpersonnelles.

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La seconde étape d'évolution se présente comme une réaction de l'individualisme humaniste devant cette prise de conscience du réel historique. On abandonne le système de rationalisation logique où la contradiction s'est introduite et qui est impuissant à résoudre les tensions vécues, pour s'enfermer dans l'absolu de la pensée idéologique. L'idéologie religieuse, de soi plus absolue, devient alors idéologie primaire. Elle laisse coexister comme idéologie primaire distincte et subordonnée l'idéologie nationaliste déléguée aux laïcs ; il existe en effet certains dénominateurs communs aux deux idéologies : toutes deux s'appuient sur la tradition et débouchent sur le système d'enseignement humaniste. Cette spécialisation des deux idéologies consacre, dans le concret, le début d'une vision différenciée de la société : on accorde une part d'existence autonome aux autres niveaux de la hiérarchie sociale, mais on ne voit toujours ceux-ci que dans leur relation de subordination au niveau supérieur qui est le groupe de support de l'idéologie humaniste.

Dans la dernière phase, on assiste à la tentative de mise en place d'une idéologie nouvelle en trois directions ; chacun de ces modes se dégage, à des degrés divers, de l'idéologie humaniste. La conception la plus différente, s'appuyant sur l'histoire comme idéologie primaire, met l'accent sur le présent pensé en termes de civilisation Il me semble légitime d'y voir la première étape d'une idéologie tournée vers l'avenir, dont les sciences de l'homme constitueraient 1’élément primaire. À ce moment se formulerait une nouvelle vision de la société, dont l'idéologie actuelle ne présente encore aucun élément.

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Ce texte est extrait de : Recherches sociographiques, IV, avril-juin 1963, 167-299.



[1] L'Enseignement secondaire [ES] parut pour la première fois en 1915. Ce début relativement tardif ne nous permet pas de dessiner l'histoire de l'idéologie scolaire au Canada français.

[2] Fernand Dumont, « Structure d'une idéologie religieuse », Recherches sociographiques, I, 2, avril-juin 1960, 168-169.

[3] Georges Courchesne, Nos humanités, Nicolet, Procure de l'École Normale, 1927. — La revue publiait à l'époque des résumés substantiels des cours de l'abbé Courchesne qui était par ailleurs collaborateur de la revue. Tout le contenu de Nos humanités aurait donc pu être dégagé de la revue elle-même où on le retrouve en substance — « cet ouvrage a paru presque en entier dans notre revue » (ES, VII, 63) — et où il constitue à lui seul la plus grande part du matériel idéologique. L'ouvrage offrait l'avantage d'être plus détaillé et plus systématique, mais il y a fondamentalement identité entre les deux sources. De plus, on verra aussi par la suite, d'après les nombreuses références qui y sont faites dans la revue, comment Nos humanités est devenu le classique de l'idéologie humaniste.

[4] Les références à Nos humanités sont désignées par les lettres NH ; le chiffre renvoie à la page du volume. Les références non identifiées sont extraites de L'Enseignement secondaire ; le chiffre romain renvoie au volume de la revue, le chiffre arabe, à la page.

[5] On peut ainsi glisser sur la philosophie qui toujours est présentée comme couronnement des études secondaires : comme culture formelle, les humanités sont un cours de logique naturelle (NH, 283) ; quant à l'idée philosophique, la philosophie étant de soi catholique (NH, 207), l'explication des auteurs dans la perspective religieuse suffit.

[6] On pourrait ranger sous la même étiquette la philosophie, parce qu'elle est presque totalement ignorée durant cette période. On la signale seulement comme un couronnement nécessaire du cours classique parce que « le jeune homme qui n'a pas étudié la philosophie ignore tout de ses facultés qu'il a développées par un long travail » (V, 75). Également l'anglais, qu'on assimile à une conception élargie de la culture : « Cette culture (classique) peut s'entendre aussi dans un sens beaucoup plus large et s'appliquer à l'étendue des connaissances ou à la variété des aptitudes dont une personne dispose. Culture alors est synonyme d'instruction et l'homme cultivé, c'est l'homme instruit, l'homme qui sait beaucoup de choses, et d'abord l'homme qui sait parler plusieurs langues. En apprenant à nos élèves à parler anglais, nous travaillons encore à leur culture, dans le sens pratique » (VII, 223). Mais de soi l'anglais n'est pas intégré à l'idéologie primaire : « L'anglais n'est pas du tout une matière obligatoire d'un cours classique... Il est nécessaire au Canada à tous ceux qui veulent avoir de l'influence » (II, 55) ; l'intégration se fait plutôt du côté du nationalisme. On pourrait sans doute démontrer la même chose pour l'histoire.

[7] Par classes moyennes, l'auteur entend la classe bourgeoise qui est le milieu d'où viennent les élèves (NH, 400).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 février 2016 14:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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