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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mona-Josée GAGNON, “La FTQ comme acteur politique.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier, La FTQ, ses syndicats et la société québécoise, pp. 155-166. Montréal : Comeau et Nadeau, Éditeurs, 2001, 258 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 23 juin 2003 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales].

 Mona-Josée Gagnon
 sociologue-historienne, Université de Montréal

La FTQ comme acteur politique”. 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction d'Yves Bélanger, Robert Comeau et Céline Métivier, La FTQ, ses syndicats et la société québécoise, pp. 155-166. Montréal : Comeau et Nadeau, Éditeurs, 2001, 258 pp. 

Table des matières 
 
Introduction
 
DEUX REMARQUES PRÉLIMINAIRES
 
De 1957 à 1975 : deux périodes pendant lesquelles la FTQ moderne vient au monde
 
Première période : avant 1965 environ - La gestation
Deuxième période : 1965-1975. La FTQ se construit et s'ouvre aux mouvements sociaux
 
De 1975 à aujourd'hui : la FTQ s'institutionnalise
 
Troisième période : de 1975 à 2000. De la social-démocratie au partenariat
2000 et au-delà : une quatrième période en gestation ?

 

Introduction

 

Pour discuter d'une organisation syndicale face à la question sociale, on utilise habituellement l'une ou l'autre de deux stratégies : proposer une analyse de l'organisation comme acteur politique face à d'autres acteurs politiques, ou encore proposer une analyse de son évolution idéologique. En d'autres termes, appréhender la FTQ, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, soit par ses pratiques, soit par ses discours. Bien sur, tant les pratiques discursives que les pratiques non-discursives d'une organisation syndicale constituent des sources d'information importantes, qui idéalement devraient être complémentaires. 

Pour une personne qui a contribué - comme c'est mon cas - à asseoir l'image idéologique de la FTQ par un travail salarié consistant à écrire pour elle, dans le respect bien entendu des fonctionnements décisionnels, il apparaît parfois imprudent de tirer des conclusions à partir de textes officiels. Ce mode d'analyse est précaire mais irremplaçable. Qui a-t-il de plus accessible, j'oserais presque dire de plus facile ? Et pourtant qu'en apprend-on des débats internes, des consultations, des querelles de palais et des querelles tous micros ouverts, de ce que pensent les gens qui ne manient ni la plume non plus que l'ordinateur ou le micro ? Rien. On se retrouve devant le résultat figé d'un processus sur lequel on fait l'impasse, mais les textes officiels par définition dégagent une odeur de solennité et de vérité. C'est écrit donc c'est vrai. 

Voilà en apparence de bonnes raisons pour préférer étudier l'action concrète de l'organisation syndicale. Tels gestes ont été posés, donc c'est vrai. Mais comment recenser les gestes, les actions, sans accorder une attention exagérée aux instances dirigeantes, sans négliger les gestes et actions non médiatisés, qui n'ont pas laissé de traces parce que fruits d'instances ou de groupes peu visibles ? Et dans le cas de la FTQ, telle suspicion est particulièrement pertinente. La FTQ est très décentralisée, elle est constituée de plusieurs syndicats, mais ses affiliés sont les sections locales. La FTQ est un univers éclaté, difficile sinon impossible à saisir. La FTQ n'est pas réductible à son discours ni à ses actions, parce qu'elle se décompose en multiples cultures et fonctionnements, les syndicats qui lui sont reliés étant aussi en général décentralisés. 

Et pourtant la FTQ existe bel et bien. Je l'ai connue et j'ai essayé de la saisir et même de contribuer modestement à son histoire, dans la mesure où les écrits font sens. Mais beaucoup d'aspects m'en échappent encore, de même que de grand pans d'histoire, de son histoire démultipliée par l'existence de tous ses syndicats aux traditions différentes, de métier, industriels, de gauche ou corporatistes, sachant que le corporatisme de métier peut fort bien se situer à gauche... Avec la FTQ, tout est compliqué parce que c'est un monde composite. 

Pour faire droit à ce que je sais de la FTQ et à mon histoire avec elle, j'ai décidé, aux fins de cette présentation, de ne pas choisir entre l'analyse textuelle et l'analyse empirique. Les propos qui suivent se fondent sur une observation participante de très longue durée suivie d'un compagnonnage auquel je ne voudrais pas mettre fin. Il y sera question des écrits, des actions, sans références précises. Bref, je ne choisis pas de privilégier les textes ou les gestes, essayant de restituer à ma manière la FTQ telle que je l'ai vécue, et telle que je l'ai analysée, discours et pratiques confondus. Je vais donc proposer une périodisation de l'histoire de la FTQ, en traitant en parallèle de l'état des lieux à la FTQ (structures et idéologie) et de son rapport avec les autres grands acteurs sociaux, soit la société civile et l'État. La périodisation que je propose tient en quatre temps, le premier à peine esquissé faute d'existence concrète de la FTQ, le dernier de même parce qu'il est (peut-être) en train de se mettre ne place.

 

DEUX REMARQUES PRÉLIMINAIRES

 

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je dois faire deux remarques préliminaires. En premier lieu, et faut-il le dire, les périodisations sont toujours risquées. L’histoire réelle ne peut pas s'inscrire dans des séquences arrêtées, par définition. Il est très facile de contester une périodisation, plus difficile d'en proposer une qui soit inattaquable. Celle que je propose est tout autant précaire. Elle est a mes yeux une façon de lancer une discussion. 

En deuxième lieu, il m'importe de parler de l'image de la FTQ au Québec. De sa fondation jusqu'à la fin des années soixante-dix, je dirais qu'il y a une préoccupation qui traversa l'action de la FTQ et de ceux qui l'ont animée, celle d'être RECONNUE : 

-   d'être reconnue par la classe politique québécoise et par les intellectuels comme une organisation québécoise. On me pardonnera de rappeler, ou de soutenir, que la FTQ est de très vieille souche et que les terreaux qui ont favorisé sa croissance étaient exempts d'ingrédients socialement hétéronomes, notamment clérico-nationalistes ;

-   d'être reconnue comme autre chose qu'un comité de coordination téléguidé par des Américains ;

-   d'être reconnue par les syndicalistes du Canada anglais et des États-Unis comme autre chose qu'une bourgade bizarre, où l'on ne parlait pas comme les autres et où on allait malgré tout encore à la messe ;

-   d'être reconnue par ses propres affiliés, virtuels ou effectifs ;

-   d'être reconnue enfin par la gauche québécoise. La FTQ a été historiquement l'enfant mal-aimé par la gauche qui s'est construite dans les années soixante. Les « anciens » de la FTQ ont dû affronter la méconnaissance sociale, au pire le mépris. Il faudrait assurément étudier la relation entre intellectuels de gauche et FTQ, interroger cette distance tenace, qui selon moi perdure.

 

De 1957 à 1975 : deux périodes pendant
lesquelles la FTQ moderne vient au monde

 

Première période : avant 1965 environ - La gestation

 

Née en 1957 de la fusion de la FPTQ et de la FUIQ, la FTQ est riche d'une longue histoire puisqu'elle s'inscrit dans le prolongement des syndicats les plus anciens et les plus militants du Québec. Mais en fait la FTQ est en gestation, et c'est dire la vérité que de la désigner comme un comité de coordination à cette époque. Elle ne mérite pas le nom de centrale syndicale. Elle met en place les fondements de ce qu'elle s'apprête à devenir. Elle est isolée dans sa bulle, avec des liens tracés en direction d'organisations politiques de gauche (par exemple le Nouveau Parti démocratique ou le Parti socialiste du Québec, plus marginalement le Parti communiste) ou en direction d'organisations nationalistes (par exemple le Rassemblement pour l'indépendance nationale) par l'intermédiaire de quelques personnes. Sa présence politique au Québec se réduit à peu de choses : un pèlerinage annuel sur la Grande-Allée pour présenter un « mémoire législatif », quelques éclats comme l'incontournable grève illégale de Murdochville, sévèrement réprimée. Une poignée de personnes, élus et salariés, font vivre la FTQ. 

Deuxième période : 1965-1975.
La FTQ se construit et s'ouvre aux mouvements sociaux

 

Il faut souligner que c'est pendant cette décennie que la FTQ se construit et se modernise. Elle émerge du statut réducteur de succursale effacée du syndicalisme international et pancanadien. C'est pendant cette décennie que la FTQ s'affirme face au Congrès du travail du Canada, face à ses affiliés, et commence à jouer un rôle politique au Québec. Pour réfléchir à son rôle d'acteur politique, nous verrons tout à tour l'évolution de son projet de société, et ensuite son rapport avec l'État et les mouvements sociaux. 

L'histoire des relations de la FTQ avec le Congrès du travail du Canada (CTC) a mal commencé. On se rappelle les revendications amères et non reconnues des années soixante. Le CTC ne veut pas voir en la FTQ autre chose qu'une fédération provinciale « ordinaire », à laquelle on concède un poste à l'exécutif, l'heureux candidat étant nécessairement agréé par le CTC. La FTQ est de plus en plus nationaliste, de plus en plus rassembleuse aussi ; ses affiliés sont derrière elle. Elle réclame haut et fort un statut particulier, mène campagne et s'astreint au lobbying. L'absence de statut particulier, de l'apport de nouvelles ressources, aurait condamné la FTQ à la marginalité dans un Québec syndical pluraliste. 

Arrive ce congrès triomphal du CTC à Vancouver en 1974, alors que la FTQ obtient un statut particulier au sein du Canada syndical. Les enjeux ? Des compétences sur l'éducation syndicale, les Conseils du travail, les relations internationales avec retour de ressources financières et transfert de personnels. De cette façon, la FTQ affirme et fait reconnaître la différence linguistique, sociale et culturelle du Québec sans renoncer à ses liens de solidarité avec le Canada syndical. 

Cette construction de la FTQ s'appuie aussi sur sa montée au créneau face à ses propres affiliés ou à ses affiliés virtuels. La FTQ augmente substantiellement sa cotisation et réussit à augmenter son taux d'affiliation (puisque l'affiliation à la FTQ est volontaire). Qu'il s'agisse de, s'affirmer à l'interne ou face au Canada anglais, la FTQ profite de cette particularité qui la met en face d'une organisation syndicale rivale (la CSN). Elle n'a pas le choix que de devenir, non seulement sur papier mais pour vrai, une centrale syndicale. Cette décennie. voit la FTQ se doter de nouveaux services (action politique, recherche, éducation, santé/sécurité, centre de documentation fonctionnel...) et au-delà la FTQ ouvre de nouveaux dossiers : condition féminine, langue, question scolaire, droits de la personne, etc. Et la FTQ, plutôt que de se soumettre à son annuel pèlerinage à Québec pour soumettre un mémoire législatif qui fait le bilan de ses revendications, intervient dans tous les débats, qui justement, à la faveur de la Révolution tranquille, se multiplient par l'intermédiaire de commissions parlementaires et de nouveaux organismes consultatifs. 

Cette construction de la FTQ face à ses affiliés va au-delà du simple rassemblement. En fait la FTQ commence à intervenir dans les problèmes de ses affiliés. Cela se passe dans la construction, Commission Cliche aidant, dans la confection, dans les « hôtels et restaurants ». À chaque fois, il s'agit d'une reconnaissance accordée par ses affiliés à la FTQ, reconnaissance qui lui permet en retour de confirmer son rôle de centrale syndicale. Mais entendons-nous : il s'agit d'une centrale syndicale décentralisée, qui doit toujours relever le défi d'affirmer une autorité politique qu'elle ne détient pas formellement. Mais ça y est : à la fin de cette décennie 1965-1975, on peut dire que la FTQ a gagné le pari de devenir une centrale syndicale. 

Ce n'est pas tout de devenir une vraie centrale syndicale. Encore faut-il avoir quelques idées, se construire une image, se tailler une place dans le paysage socio-politique québécois. Le projet de société de la FTQ vient tranquillement au monde, influencé par le climat d'effervescence intellectuelle et politique dans le Québec d'alors. À peine venue au monde, la FTQ se cherche, à l'instar de tant d'autres au Québec. On parle d'indépendance du Québec, de socialisme démocratique, de lutte de classes, tout se bouscule. La FTQ, qui émerge d'une condition modeste, humble comité de coordination, se trouve lancée dans un débat d'idées, alors que l'écrasante majorité de ses animateurs se consacrent aux affaires syndicales, cela dit sans connotation péjorative ; il est en effet prioritaire pour une organisation syndicale de protéger et améliorer les conditions de travail de ses membres et d'en recruter de nouveaux. Le membership de la FTQ n'est pas sans subir toutes ces influences. Peu pourvue en intellectuels, la FTQ se met en peu de mots, contrairement à la CSN qui est depuis longtemps une base stratégique d'intellectuels (dont plusieurs venant de l'Action catholique). La FTQ est en outre occupée à « digérer » la fusion dont elle est le résultat. Entre une FPTQ efficace mais peu intéressée aux débats d'idées et une FUIQ nationaliste et ouvertement socialiste depuis 1955, les fusions syndicales prennent un peu de temps à fermenter. 

La FTQ commence ainsi, comme organisation, à se questionner idéologiquement vers la fin des années soixante, parce qu'avant ç'eût été trop tôt, mais aussi parce que le Québec grouillait alors de débats d'idées. Où nichait la FTQ ? Si certains l'auraient souhaité se situer nulle part, je propose qu'elle tendait vers le socialisme dit démocratique à la fin des années soixante (sans que cette notion ne soit très définie), qu'elle traversa un intervalle marxisant mais artificiel au début des années soixante-dix, puis graduellement s'intéressa au modèle social-démocrate, qui était une façon de nommer cette vague aspiration socialiste. Bref, la FTQ, en même temps qu'elle se construisait à tous égards, se cherchait. Plus exactement, elle cherchait un créneau idéologique qui lui convienne. En fond de scène, bien sûr, la question nationale. 

Venons-en aux rapports avec la société civile. Dans les années soixante, dans la foulée de la Révolution tranquille et des discours de Jean Lesage, la participation était à l'ordre du jour (et la classe ouvrière aussi, tiens donc !). Les animateurs sociaux se répandaient dans plusieurs organismes ou initiatives, et les groupes populaires se multipliaient. Une mouvance prenait forme : elle était progressiste, et les organisations syndicales et politiques (de gauche) en étaient. La Crise d'octobre devait cristalliser les camps. 

Les rapports de la FTQ avec les mouvements sociaux, au début de cette période, sont parcellaires. Quelques mémoires en commun avec les autres centrales. Puis viennent des années plus fébriles, et la tenue de colloques régionaux intersyndicaux et populaires. La CSN parle d'un deuxième front, la FTQ parle d'un seul front, mais elles parlent de la même chose, à partir de formules que l'on veut percutantes. Il s'agit de dire que l'action politique est à l'ordre du jour, que le syndicalisme dit « affairiste » a vécu. C'est l'époque des fronts communs de tous ordres et à toutes échelles. Le mouvement syndical est en quelque sorte à la tête d'un mouvement social plus large, même si les centrales continuent à en découdre notamment en matière de recrutement et à rivaliser médiatiquement. À la fin de cette période ces rapports s'émoussent, les organisations syndicales sortent partiellement du rang, de rangs qui se clairsèment en fait. La « gauche » s'étiole, et l'accession au pouvoir du Parti québécois accélère ce processus. Mais n'anticipons pas. 

Le rapport de la FTQ avec l'État se confirme. D'abord nous voilà avec un État, qui grossit, qui grandit, qui permet à ses employés de se syndiquer (et aux centrales de les syndiquer dans une absolue rivalité), qui crée organismes consultatifs et administratifs à tour de bras. La FTQ en est, et elle doit en être pour consolider sa position. Graduellement, les organisations syndicales gagnent une place privilégiée dans tous ces nouveaux organismes. Au Québec comme dans les autres pays occidentaux, l'État commence à distribuer des fonds publics pour aider les organismes de la société civile, syndicalisme y compris, à s'organiser et à se faire entendre. Cette décennie consacre donc la reconnaissance par l'État de la F17Q comme organisation syndicale représentative.

 

De 1975 à aujourd'hui :
la FTQ s'institutionnalise
 

Troisième période :
de 1975 à 2000. De la social-démocratie au partenariat

 

Cette période débute par l'adhésion de la FTQ à la pensée social-démocrate puis évolue graduellement, au cours des années quatre-vingt, vers une certaine dilution idéologique, ce qui ne l'empêche pas cependant de mener des réflexions poussées sur certaines questions. La FTQ, dont personne ne conteste plus le statut de centrale syndicale, s'est affirmée comme un puissant acteur politique et s'est même, avec le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, immiscée avec succès dans l'arène économique. Proche des détenteurs du pouvoir, la FTQ a fait le choix de la realpolitik et mis au grenier les revendications qui heurtent par trop l'ordre établi. 

Sur le plan interne, la FTQ continue à s'affirmer face à ses affiliés. Sa crédibilité au sein de la société québécoise lui permet d'être à la fois indispensable et interventionniste à l'interne. Forte d'affiliés toujours plus nombreux, la FTQ veut maintenant se faire reconnaître comme la plus importante centrale. De nouveaux services sont créées (recrutement, francisation, condition féminine, solidarité internationale), d'autres sont renforcés et notamment l'appareil de direction. La FTQ confirme ainsi sa spécificité au sein du mouvement syndical canadien. La mise sur pied du Fonds de solidarité, en 1983, qui devient rapidement une réussite économique et financière, peut être vue en parallèle avec la volonté de la FTQ de se situer au devant de la scène syndicale. 

L'adhésion de la FTQ au projet social-démocrate se fait d'abord à la faveur de dossiers singuliers (comme celui de la santé et sécurité du travail) puis dans une optique globale. Ce n'est pas dire qu'il n'y a pas de flottements, d'interrogations. La social-démocratie de la FTQ n'est pas un corpus dogmatique très clair. Le modèle suédois, qui commençait à battre de l'aile au moment où le Québec le découvrait, s'était bâti sur un formidable élan politique et ouvrier qui avait des objectifs de transformation sociale profonde. D'importantes différences distinguaient en outre la Suède du Québec, et notamment le caractère très centralisé des relations du travail suédoises ; cette centralisation, bien plus qu'une forme juridique, était au cœur de l'objectif de lutte aux inégalités sociales. Les sociaux-démocrates de chez nous, la FTQ au premier chef, ont alors tendance à se replier sur des mesures et des revendications programmatiques comme une politique de plein emploi et des institutions tripartites consacrées à la gestion du marché du travail. Les social-démocraties nordiques ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes, mais elles maintiennent des indicateurs économiques qui font d'elles des sociétés plus égalitaires que la nôtre, nous rappelant ainsi les dimensions fondamentales de tout projet politique. 

Cela dit, les débats d'idées se sont faits plus rares à la FTQ au fil des années. Le « projet de société », selon l'expression consacrée, de la FTQ, ne fait plus tellement parler de lui, et les débats internes laissent la place à un unanimisme de façade. Les fractions plus sensibles aux questions politiques organisent des congrès, des discussions, dans le but de réfléchir sur l'objet de l'action syndicale. On peut parler de désarroi, de morosité, sentiments qui caractérisent d'ailleurs bien des groupes de gauche, bien des militants. 

Logiquement, le lien entre les mouvements sociaux et la FTQ se relâche tranquillement au cours de la période. S'affirmant comme sociale-démocrate, la FTQ en vient à adopter un modèle classiste de représentation politique, que d'aucuns appellent un modèle néocorporatiste. Cela n'est pas dire que les analyses en termes de classes sociales sont à l'ordre du jour (en fait c'est plutôt le contraire), mais que selon ce modèle les grands acteurs patronaux et syndicaux se présentent comme les deux interlocuteurs majeurs (sinon exclusifs) de l'État. Le mouvement syndical, pour sa part, aspire à représenter l'ensemble de la société civile, et c'est la FTQ qui transmet le plus fortement ce message. Rappelons-nous l'apparition de certaines expressions qui nous sont devenues usuelles : on parle des « décideurs », des « décideurs économiques », des « partenaires » et des « grands partenaires ». Le « consensus » est devenu le nec plus ultra de la discussion politique. 

Ce modèle s'illustre dans les exercices de concertation entrepris à partir de la fin des années soixante-dix, particulièrement prisés par le Parti québécois lorsqu'il est au pouvoir. Les représentants syndicaux et patronaux y occupent une majorité de sièges. Et si la recherche de consensus est devenue un objectif national, dans les milieux de travail syndiqués, en écho, on pratique la résolution de problèmes et la négociation dite raisonnée. « Le temps de la confrontation patronale-syndicale est révolu », assure-t-on. 

La FTQ est devenue un partenaire privilégié de l'État québécois. Épargnée par les soubresauts idéologiques dans lesquels se débattent la CSN et la CEQ jusqu'au début des années quatre-vingt (soubresauts qui opposent les néo-marxistes aux sociaux-démocrates), la FTQ prend tranquillement sa place, dans une harmonie en partie due à son caractère décentralisé, et grâce à la force du nombre. Ainsi la FTQ pèse-t-elle lourdement sur la rédaction de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et sur les structures mises en place pour l'appliquer, qui sont sociales-démocrates pur jus. Par ailleurs, les succès du Fonds de solidarité en viennent à permettre à la FTQ de jouer « pour vrai » un rôle de décideur économique, -de s'impliquer notamment dans le développement régional. Enfin, il faut signaler que la FTQ, qui fut la première organisation syndicale à se prononcer pour la souveraineté, a par (jeune) tradition pratiqué une complicité active avec les gouvernements du Parti québécois, ce qui a entraîné une proximité avec l'appareil d'État en tant que tel. 

2000 et au-delà : une quatrième période en gestation ?

 

Nous voici dans l'actualité immédiate, sans recul aucun et donc sur une glace très mince. Les périodisations sont arbitraires, on l'a dit. Mais il me semble qu'il y a des signes, des traces de changement. Les débats refont surface à la FTQ, qui, comme les autres, a été rejointe par la géopolitique. La mondialisation est devenue un enjeu majeur, la FTQ s'engage dans la nécessaire contestation de la façon dont on veut imposer la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) et réapprend à dire « non ». Devant un gouvernement qui déréglemente, qui n'ose pas faire un pas sans l'assentiment patronal (patronat devenu de moins en moins coulant), la FTQ a-t-elle le choix que de durcir son discours, de se tourner vers des alliés plus « naturels » et d'abandonner ses idéaux néo-corporatistes de représentation classiste ? 

Si bien que l'on peut poser comme hypothèse que la FTQ, et elle n'est pas la seule, est dans une phase de repositionnement idéologique, qui forcément l'amènera à se situer différemment face à l'État et face aux alliances à créer. 

Contrairement à sa quête idéologique du début des années soixante-dix, la FTQ est maintenant une organisation syndicale puissante, et elle fait son chemin en compagnie d'une puissance institution financière, par nature intégrée dans les fonctionnements d'une économie capitaliste où l'État est de plus en plus « libéral ». Ces contradictions apparentes peuvent fort bien ouvrir un chemin vers de nouvelles pratiques, amener à de nouvelles synthèses. Exilée sur ma colline universitaire, j'envie les personnes qui participent à ces bouleversements, qui font l'histoire de la FTQ et celle du Québec.



Retour au texte de l'auteur: Mona-Josée Gagnon, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le dimanche 18 novembre 2007 12:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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