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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gabriel Gagnon, “ Les voies de l’autogestion ” (1967)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gabriel Gagnon, “ Les voies de l’autogestion ”. Un article publié dans l’ouvrage Québec 1960-1980. La crise du développement. Matériaux pour une sociologie de la planification et de la participation. Textes choisis par Gabriel Gagnon et Luc Martin (pp. 143-156). Montréal : Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1973, 500 pp. [Ce texte est extrait de Parti pris, vol. 4, nos 7-8, 1967, pp. 56 à 72.]

Introduction

Dans un précédent numéro, (1) j'avais, parmi les divers visages du socialisme suggéré la voie autogestionnaire comme devant particulièrement convenir au Québec que nous sommes à construire. Il me faut maintenant poursuivre la discussion amorcée en présentant les possibilités concrètes d'une telle voie vers le socialisme.

Comme nous essayons de le montrer plus haut, (2) le Québec est actuellement à l'heure d'un néo-capitalisme basé sur les monopoles privés et le pouvoir incertain d'un État en voie de constitution. La rencontre de ces deux forces, tout en allant dans le sens d'une plus grande rationalité. détruit en même temps les formes de participation prévues dans une société traditionnelle non encore industrialisée sans fabriquer de mécanismes de remplacement. La situation est d'autant plus ressentie que ce néo-capitalisme est dominé de l'extérieur, ce qui ajoute à son caractère contraignant.

À ce projet continental d'un néo-capitalisme nord-américain. il nous faut évidemment opposer une vision de type socialiste passant par la réappropriation par l'État de l'économie et de la société québécoise pour qu'il puisse les remettre ensuite aux mains des travailleurs et des producteurs qui en sont les vrais propriétaires.

Sans tomber dans le messianisme dont nous accusent certains économistes et syndicalistes (3) obnubilés par le modèle américain, notre seule chance de survie au point de vue économique et culturel est de parier pour une utopie socialiste, dans le sens d'un projet global qui orienterait notre action vers une image idéale du futur.

Société industrielle avancée, société à tradition égalitaire et participationniste, société colonisée, le Québec pourrait plus que bien d'autres pays se rapprocher de ce rêve permanent des travailleurs qu'est le contrôle non seulement de l'État mais encore de la région, de la municipalité, de l'entreprise par la majorité de ceux qui y habitent ou y travaillent et non par une minorité de possesseurs de capitaux.

Dans la société industrielle qui est la nôtre, les travailleurs subissent en effet une triple aliénation.

Le travail, sous presque toutes ses formes, constitue une première aliénation qui tient au fait d'accomplir des activités fastidieuses, souvent sans aucun sens, dans des conditions plus ou moins pénibles, pour se procurer cet argent qui entrouve les portes de la société de consommation. À cette première dépossession qui tient à la nature du travail lui-même, seules des transformations technologiques et l'importance grandissante des loisirs pourront apporter des palliatifs, sans jamais la faire disparaître cependant.

Une seconde aliénation tient à l'organisation de la propriété et surtout du pouvoir dans des entreprises où les ouvriers, qu'ils travaillent pour la Dominion Textile ou pour l'Hydro-Québec, sentent que tout leur échappe dans leur activité quotidienne: négligeables unités de production, en dehors de certaines barrières posées par la convention collective, toutes les décisions importantes sur le fonctionnement et l'avenir de l'entreprise se passent sans qu'ils y participent d'aucune façon et sans qu'ils en soient même informés dans la plupart des cas.

Pour le travailleur québécois s'ajoute encore cette aliénation coloniale qui fait que la grande majorité des entreprises échappent encore à tout contrôle de l'État qu'il s'est donné et participent avant tout à la désagrégation de sa culture et de son économie au profit de la puissance américaine.

C'est à ces deux dernières aliénations que tente de répondre un socialisme autogestionnaire: non seulement il mettrait les travailleurs au pouvoir pour changer les structures de la propriété mais, poussant plus loin son projet, il transformerait les structures du pouvoir elles-mêmes au niveau de chaque usine, de chaque école, de chaque bureau. Le développement de la société industrielle et les expériences des pays socialistes montrent en effet d'une part qu'il ne suffit pas de donner aux travailleurs le pouvoir politique pour que disparaisse leur aliénation fondamentale et, d'autre part, qu'il est dès maintenant possible, dans certaines conditions, de réaliser cette autogestion ouvrière, ce dépérissement de l'État dont rêvaient des penseurs comme Marx, Proudhon et Gurvitch.

Cette transformation globale que je souhaite personnellement mais qui, au Québec, est liée à la conjoncture internationale aussi bien qu'à l'action des divers groupes de gauche, ne peut être prévue avec certitude pour les prochaines années. Peut-on cependant dès maintenant l'amorcer de façon partielle sans tomber dans un plat réformisme rafistoleur de nos structures politico-économiques décadentes,

Dans Stratégie ouvrière et néocapitalisme, le philosophe et sociologue André Gorz, voulant proposer à la gauche de l'Europe occidentale d'autres possibilités que l'insurrection armée ou la réformette, suggère une distinction entre réformes réformistes et révolutionnaires:

«Est réformiste une réforme qui subordonne ses objectifs aux critères de rationalité et de possibilité d'un système et d'une politique donnés. Le réformisme écarte d'emblée les objectifs et les revendications - si profondément enracinés soient-ils dans les besoins - incompatibles avec la conservation du système.

N'est pas nécessairement réformiste, en revanche, une réforme revendiquée non pas en fonction de ce qui est possible dans le cadre d'un système et d'une gestion donnés, niais de ce qui doit être rendu possible en fonction des besoins et des exigences humaines.» (4)

Alors que les premières réformes, préconisées jusqu'à maintenant par toutes les formes de social-démocratie, permettent au capitalisme de durer, les autres permettraient d'ouvrir au sein du système capitaliste des brèches qui amèneraient brusquement ou progressivement sa transformation.

C'est en m'inspirant de cette distinction de Gorz que je voudrais analyser les différentes tentatives de réforme de l'entreprise tentées ces dernières années dans les pays industrialisés pour essayer d'en dégager une stratégie pour les travailleurs québécois et leurs syndicats, au-delà des ornières de la simple convention collective et en deçà d'un gauchisme apocalyptique refusant de se déchiffrer dans les risques et les incertitudes du présent.


Notes :

(1) Gagnon, G. Pour un socialisme décolonisateur, parti pris, sept-oct. 66.

(2) Dans l'article de Bourque, Pichette, Pizarro et Racine.

(3) Maurice Bouchard au Colloque des Étudiants en Sciences Sociales et Gérard Rancourt au Congrès de l'UGEQ sont les derniers en date.

(4) Gorz, A. Stratégie ouvrière et néocapitalisme. Seuil 1964, pages 12 et 13.

Retour au texte de l'auteur: Gabriel Gagnon, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 18 novembre 2004 08:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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