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La recomposition des territoires.
Préface
par Michel BASSAND
Institut de recherche sur l'environnement construit
École Polytechnique fédérale de Lausanne
La Recomposition des territoires est un superbe livre ! Il démontre que tout en se mondialisant, les sociétés contemporaines font renaître les collectivités locales. Pourtant il n'y a pas si longtemps de cela, de nombreux chercheurs en sciences sociales avaient décrété la mort des collectivités locales ! Elles n'étaient plus que des survivances des sociétés préindustrielles, condamnées à disparaître !
Christiane Gagnon, à partir d'études de cas dans une région québécoise, le Saguenay- Lac-Saint-Jean, met en relief la vitalité des collectivités locales et leur rôle essentiel dans la gestion du Québec et de son territoire. La démarche est parfaitement claire : les premiers chapitres du livre sont consacrés à présenter la problématique et le cadre régional, les suivants relatent très finement la dynamique de décisions où des collectivités et des acteurs locaux jouent un rôle significatif. En conclusion, des stratégies sont dégagées pour l'action et la réflexion. Juste, solide, complète, élégante et vivante, cette étude s'inscrit dans un important courant en sciences sociales et en aménagement du territoire en vue de rendre compte des transformations des territoires des sociétés contemporaines. La Recomposition des territoires fait avancer cette problématique de manière décisive.
Nous aimerions nous associer à ce mouvement en apportant une touche plutôt sociologique qui s'inscrit, pensons-nous, parfaitement dans la démarche présentée. Nous sommes acteurs et analystes d'une dynamique de la modernité. Nous sommes de ceux qui pensent, en fonction d'une analyse des sociétés contemporaines, que la modernité n'arrive pas à son terme, mais bien au contraire se redéploie très largement.
Quelques aspects de la modernité, et non des moindres, ne sont pas nouveaux, ils ont parfois des antécédents fort anciens. Nous pensons à la mondialisation des transactions économiques, sociales, politiques et culturelles, avec l'accroissement redoutable des inégalités Nord-Sud. Cette mondialisation remet en cause les institutions politiques des États, [12] bien sûr pas toutes et pas systématiquement. Néanmoins des systèmes politiques totalitaires se sont effondrés et la privatisation et la dérégulation vont bon train. L'affirmation des sciences et des techniques s'amplifie, elles deviennent les cadres culturels majeurs des femmes et des hommes contemporains. Cette hégémonie des sciences et des techniques met très sérieusement en cause - mais pas elle seule - l'organisation du travail fondée sur le taylorisme et le fordisme. Elle contribue encore à générer des pratiques de mobilité et de communication à l'échelle du monde. La crise de l'environnement prend elle aussi une envergure mondiale. Dans ces turbulences, l'individualisme et l'individuation s'exacerbent. De nouveaux rapports sociaux dominés par la technocratie surgissent et annoncent une société programmée. Bien sûr ces divers aspects de la modernité sont en interaction et n'ont que peu de sens pris isolément. Ensemble, ils expliquent la recomposition des territoires. Ainsi, si certaines métropoles sont en déclin, d'autres deviennent des pôles incontournables. Sous une forme ou une autre, elles sont les points fixes à partir desquels le monde se recompose rendant possible une mobilité généralisée. Le réseau des métropoles forme l'armature et le carrefour du monde.
Ces quelques propos suggèrent une formidable rationalisation du monde avec ses séquelles. Pourtant la modernité implique un autre mouvement. En effet, partout, dans les métropoles et hors d'elles, se développe une contestation de cette rationalisation, dans sa globalité ou dans certains aspects particuliers. Les collectivités locales, mais pas elles seules, émergent comme des acteurs de premier plan. Parfois, elles s'expriment sous forme de résistances à la modernité, mais le plus souvent leur combat fait partie du mouvement de modernisation. D'ailleurs les deux temps sont indissociables.
C'est exactement dans cette mouvance que la recherche de Christiane Gagnon se situe. Les collectivités locales qui émergent face à Alcan, à l'État québécois sont autant des opposantes que des partenaires. Leurs valeurs sont notamment la qualité de la vie, le développement durable, l'identité, [13] l'autonomie, la participation, l'équité, Ces valeurs sont inhérentes à la modernité. La gestion du sociospatial, quel que soit l'acteur considéré, passe par leur prise en compte.
La modernité ainsi n'est pas le fait exclusif des acteurs détenant les clés de la rationalisation du monde. Ceux qui au nom de l'identité, les collectivités locales notamment, contestent cette rationalisation sont dans leur opposition des partenaires importants. Grâce aux conflits qu'ils suscitent, ils font émerger une modernité plus équitable. C'est là un des enseignements fondamentaux de ce livre. Un très grand merci à Christiane Gagnon.
Michel BASSAND
Institut de recherche
sur l'environnement construit
École Polytechnique fédérale de Lausanne
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