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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Montréal, La Presse, 1992.

La trahison des élites politiques
Aussi longtemps que la classe politique québécoise acceptera de servir deux maîtres, c'est le Québec tout entier qui y perdra.

par Alain G. Gagnon, politologue, professeur agrégé et directeur du programme d'études sur le Québec de l'Université McGill. Il est le co-auteur de: Allaire, Bélanger, Campeau et les autres (Montréal: Québec/Amérique, 1991) et de Réplique aux détracteurs de la souveraineté du Québec (Montréal: VLB éditeur, 1992).

[Autorisation accordée par l'auteur le 17 mars 2006 de diffuser toutes ses publications.]
Courriel: gagnon.alain@uqam.ca


L'opposition aux changements constitutionnels est venue pour l'essentiel des élites politiques qui n'ont pas respecté les attentes des citoyens et rejeté le verdict des commissions royales d'enquête. En d'autres termes, lorsqu'il y a eu trahison des intérêts du Québec, celle-ci n'est pas venue de la classe intellectuelle ou des citoyens qui sont venus s'exprimer devant les commissions royales mais de la classe politique elle-même. 

(...) les nombreuses trahisons dont le Québec a été victime depuis son entrée dans la Confédération en 1867. En effet, une constante se dégage des relations entre l'élite politique canadienne-française de l'époque, puis québécoise depuis 1960, avec l'élite canadienne-anglaise: soit l'incapacité viscérale de la classe politique de protéger les intérêts de la nation et d'empêcher les empiétements constitutionnels. 

L'entrée enthousiaste du Québec dans la Confédération est un mythe largement répandu et ne supporte pas l'examen objectif puisque c'est par une seule voix de majorité que les députés des circonscriptions francophones du Bas Canada ont adhéré au pacte de 1867. La décision prise ne fit jamais l'objet d'une campagne électorale ni d'un référendum. 

Adélard Godbout 

Au cours de la majeure partie des années qui ont précédé la Deuxième Grande guerre, le Québec n'a pas fait énormément de vagues. Le rôle d'opposition au fédéralisme dominateur était plutôt tenu par l'Ontario qui tenait bon devant les assauts souvent répétés de la centralisation souhaitée par le gouvernement fédéral. Au Québec, le premier ministre Adélard Godbout (1939-1944) est celui qui a le mieux incarné l'incapacité politique du Québec. Sa défense des intérêts du Québec était frêle au point où il avait même oublié que la province revendiquait des changements au partage des pouvoirs afin que ses commettants puissent s'accomplir pleinement. Malgré tous ses défauts, il faut quand même retenir que Maurice Duplessis a exigé du gouvernement fédéral qu'il évacue les champs qui n'étaient pas de sa compétence.

Dans le but déclaré de procurer au Québec la place qui lui revient de plein droit dans la confédération, Jean Marchand, Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau décidaient d'un commun accord de faire le saut sur la scène politique fédérale en 1965. Ils disaient vouloir corriger les injustices faites au peuple du Québec mais ils se sont contentés de mieux encadrer le Québec dans l'ensemble canadien. Ils ont cependant délaissé la vision dualiste, appuyée sur la thèse des peuples fondateurs et défendue par les André Laurendeau et Davidson Dunton, pour lui substituer le bilinguisme et le multiculturalisme. 

Robert Bourassa 

Le Québec allait connaître une autre trahison après l'élection en 1970 de Robert Bourassa. Le nouveau premier ministre avait déjà tendance à tenir simultanément divers discours politiques: celui qu'il réservait à ses commettants et celui qu'il servait à ses homologues provinciaux et, finalement, celui qu'il utilisait dans ses négociations avec les hauts fonctionnaires à Ottawa. Les recherches et l'analyse des documents d'archives du politicologue Yves Vaillancourt illustrent cette dimension de la démarche de Robert Bourassa lors des négociations constitutionnelles de 1971 à Victoria.

Les textes rendus publics par Vaillancourt laissent voir que l'élite politique à Québec a davantage à coeur de sauver le Canada que de défendre les intérêts du Québec. Monsieur Bourassa tentait alors de vendre telle ou telle idée aux Québécois. Or, les Québécois ne veulent rien acheter; ils veulent tout simplement que les structures politiques leur permettent de s'épanouir et d'exprimer pleinement leur culture, leur langue et leurs traditions. Pour les Québécois, les structures politiques sont là pour refléter leur expérience collective en Amérique du Nord et non l'inverse. 

Le Parti québécois 

Plusieurs au Québec avaient cru en 1976 avec l'élection du Parti Québécois que les choses ne seraient jamais plus les mêmes. Or, avec un recul d'une quinzaine d'années, la stratégie étapiste constitue une autre déception puisqu'elle repoussait aux calendes grecques toute volonté politique de faire un jour l'indépendance. Après l'échec référendaire sur une question «molle» de négocier une nouvelle entente avec le reste du Canada, les militants ont eu tôt fait d'exprimer leur amertume.

Il ne fallait surtout pas compter sur la classe politique qui logeait à Ottawa pour aider le Québec à s'affirmer comme communauté nationale puisque les intérêts qu'elle défendait venaient après ceux de l'ensemble canadien et que s'il devait y avoir un perdant, ce serait le Québec. Pierre Elliot Trudeau, André Ouellet, Jean Chrétien, Marc Lalonde et les autres cherchèrent à diminuer la place du gouvernement du Québec en utilisant le pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence exclusivement provinciale, trahissant de la sorte l'esprit fédéral de 1867. De plus, les représentants du Québec à Ottawa profitèrent du rapatriement de l'Acte constitutionnel de 1982 pour faire perdre au Québec son droit de veto traditionnel et lui imposer une formule d'amendement qui ne requiert pas son consentement dans la majorité des situations. 

Piégé, René Lévesque jeta son dévolu sur le Beau risque à la suite de l'élection fédérale de 1984 qui portait Brian Mulroney au pouvoir et acceptait de donner au Canada une dernière chance. Cette nouvelle chance sera l'entente de principe du lac Meech qui offrait au Canada anglais le retour à rabais du Québec dans le giron constitutionnel. Pris dans l'engrenage de l'étapisme, René Lévesque n'a jamais su se débarrasser de ce carcan gênant. Démoralisé à la suite de l'affaissement des forces nationalistes au Québec après la défaite référendaire, René Lévesque n'a pu redonner à son parti le feu sacré des premières années de militantisme. De mouvement social qu'il était à ses débuts, le parti a trop vite fait de se transformer en un parti traditionnel qui a des intérêts à protéger alors que la population du Québec attend de cette formation politique qu'elle défende avant toutes choses les intérêts de la nation québécoise. 

Le retour de Robert Bourassa en 1985 alors que le Parti québécois connaissait une importante crise existentielle n'apportait pas en soi un dénouement heureux à la crise constitutionnelle créée par le rapatriement de 1982 sans l'appui du Québec. Même si elle ne représentait pas une panacée, l'entente du lac Meech de 1987 aurait permis de temporiser encore quelque temps les conflits entre Ottawa et Québec. Mais il devait en être autrement puisque les autres provinces n'en voulaient pas et ne veulent toujours pas d'un Canada où le Québec pourrait avoir les coudées franches dans les champs portant sur la culture, la langue, les télécommunications, l'immigration, etc. Toujours prêt à faire sa profession de foi au Canada, Robert Bourassa n'a jamais été un négociateur crédible à Ottawa à tel point que même les stratèges fédéraux m'ont confié ne pas comprendre pourquoi le premier ministre du Québec n'insistait pas davantage pour exercer la pleine compétence dans le secteur des télécommunications par exemple. 

A Ottawa, il est clair que M. Bourassa est prêt à faire passer le Canada avant les intérêts de la nation qu'il représente. Toute démarche qui cherche a faire croire le contraire n'est pas prise au sérieux; on sent qu'il bluffe. 

Les commissions d'enquête 

Les trente dernières années au Canada laissent voir que ceux qui ont laissé tomber le Québec se retrouvent rarement dans les commissions royales d'enquêtes, comme la Commission Laurendeau Dunton (1963-1968), la Commission Pepin-Robarts (1977-1979) ou la Commission Bélanger-Campeau (1990-1991). Les commissaires qui ont oeuvré au sein de ces commissions avaient pour la plupart laissé de côté la dimension partisane, ce qui leur avait permis de proposer des solutions réelles à la crise constitutionnelle canadienne. Les rapports de ces commissions ont vite été mis sur les tablettes par les politiciens qui s'opposent à tout changement qui puisse remettre en question les pouvoirs établis. L'opposition aux changements constitutionnels est venue pour l'essentiel des élites politiques qui n'ont pas respecté les attentes des citoyens et rejeté le verdict des commissions royales d'enquête. En d'autres termes, lorsqu'il y a eu trahison des intérêts du Québec, celle-ci n'est pas venue de la classe intellectuelle ou des citoyens qui sont venus s'exprimer devant les commissions royales mais de la classe politique elle-même. 

Ce que j'ai pu constater au lac Mousseau c'est que le même processus de nivellement par le bas a été activé et que cela n'augure rien de bon pour le Québec. Toute solution à la crise constitutionnelle qui a commencé il y a depuis trente ans et qui s'est accentuée au cours de la dernière décennie ne doit pas se limiter à la classe politique dont l'existence dépend justement de la pérennité du système fédéral. Il appert que la solution à la crise actuelle doit compter sur l'ensemble des forces vives du Québec et passer par l'indépendance pleine et entière du Québec. Il importe donc que le Québec sorte le plus rapidement possible du carcan fédéral actuel qui le contraint à négocier continuellement à la baisse sa place dans la fédération canadienne et selon des termes qui sont imposés de l'extérieur. 

Une classe piégée 

L'expérience de nos premiers ministres québécois démontre, et parfois bien malgré eux, que le système fédéral les amène à négocier sur le terrain de l'autre. La classe politique québécoise se voit ainsi piégée par un système qui la contraint à accepter le pouvoir du plus fort et à s'y conformer. En somme, tant et aussi longtemps que la classe politique québécoise acceptera de servir deux maîtres c'est le Québec tout entier qui y perdra. 

(...) Si l'histoire est porteuse d'avenir, il faut s'interroger sur les intérêts que les représentants du Québec à Ottawa défendent de même que la transparence des intentions du gouvernement de Robert Bourassa qui pourrait bien essayer de passer un autre Victoria à une population trahie maintes et maintes fois. La solution à l'impasse actuelle doit s'inscrire dans une démarche semblable à celle de la Commission Bélanger-Campeau alors que les lignes partisanes avaient été mises de côté afin de faire échec à la dynamique inhérente aux relations fédérales-provinciales qui contraint le Québec à négocier sur le terrain de l'autre. Force est donc de constater que le fédéralisme canadien a été désastreux pour le Québec puisqu'à chaque nouvelle initiative pour trouver une réponse à ses revendications, il en est sorti banalisé et pénalisé. Le choix se fait de plus en plus clair si le Québec veut récupérer les pouvoirs qui lui ont été soutirés au cours des années: l'indépendance. Une fois le Québec indépendant, il lui sera possible d'établir de nouvelles relations avec le Canada hors Québec vraiment d'égal à égal. Pour ce faire, il importe maintenant de briser le lien fédéral qui assujettit le Québec et qui le condamne à plus ou moins court terme à perdre son identité collective. 

Les sous-titres sont de La Presse.


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 18 mars 2006 7:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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