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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Alain-G. Gagnon et Raffaele IACOVINO, “Le projet interculturel québécois et l’élargissement des frontières de la citoyenneté.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome II, chapitre18, pp. 413-436. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par l'auteur, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser tous ses travaux dans Les Classiques des sciences sociales.]

[413]

Alain-G. Gagnon et Raffaele IACOVINO

Le projet interculturel québécois
et l’élargissement des frontières
de la citoyenneté
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome II, quatrième partie: “L'éducation, la langue et l'immigration”, chapitre 18, pp. 413-436. Montréal : Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection : DÉBATS.


Ce chapitre traite de l'impact de la pluriethnicité sur les communautés politiques vu sous l'angle spécifique des aspects symboliques de la citoyenneté. Ceux-ci constituent des indicateurs d'identification à un pays à partir desquels les citoyens font preuve d'un sens de cohésion sociale ainsi que d'une fidélité en matière de participation démocratique effective dans une polité donnée [1]. Quels sont donc les points d'ancrage symboliques qui encadrent et définissent les sentiments d'appartenance à une société démocratique et comment est-il possible d'évaluer de tels critères à la lumière du défi posé par la pluriethnicité ? Nous allons explorer ces questions par le biais d'une évaluation comparative et conceptuelle de la politique canadienne de multiculturalisme et du modèle québécois d'interculturalisme. Ces communautés politiques libérales ont répondu au défi posé par la pluriethnicité en mettant en place des modèles d'intégration spécifiques qui vont au-delà de l'idée de « neutralité bienveillante » en matière d'affaires culturelles. Une comparaison de ces deux approches distinctes peut servir à élucider certaines questions et certains défis auxquels se [414] trouvent généralement confrontées les démocraties libérales culturellement hétérogènes.

La citoyenneté dépasse les sphères de la représentation formelle (telles que les systèmes électoraux, les divers modes de représentation), ainsi que les questions reliées aux liens sociaux (comme la relation entre l'État, le marché et la société). En effet la citoyenneté implique la mise en branle de mécanismes multiples d'inclusion sociale et politique et ce de nature aussi bien pratique que symbolique. C'est pourquoi ce chapitre ne prétend pas couvrir de manière exhaustive le concept de citoyenneté. Il se donne davantage pour but de mettre en lumière un aspect particulier de ce concept qui semble avoir gagné de l'importance au sein des communautés politiques libérales des États démocratiques. Ce gain de pouvoir peut être attribué à différents facteurs tels que la migration et subséquemment l'augmentation des politiques identitaires qui s'ensuivit, les projets inachevés de construction nationale ou, dans le cas de petites nations comme le Québec, la quête de reconnaissance légitime en tant que société d'accueil et son affirmation comme société globale. Les aspects de la citoyenneté discutés ici s'apparentent tout particulièrement aux questions de sentiment d'appartenance et de solidarité. Ce chapitre s'attardera dans un premier temps à mettre à nu le concept de multiculturalisme en tant que paradigme théorique et proposera des critères normatifs permettant d'évaluer les modèles actuels de pluralisme culturel au Canada et au Québec. Dans un deuxième temps, il avancera une conceptualisation du modèle d'interculturalisme québécois. Enfin, dans un troisième temps, à la lumière des stratégies concurrentes de construction nationale identifiées, nous mettrons ces modèles en perspective. Toutefois, si l'on exclut les définitions strictes, le multiculturalisme, ou la « politique de la différence », constitue une réponse à un phénomène tardif du XXe siècle qualifié d'« ère de la migration » consistant à inviter les pays à redéfinir les règles de la vie politique [2].


CITOYENNETÉ MULTICULTURELLE
ET CITOYENNETÉ HOMOGÈNE


Selon Christian Joppke, le multiculturalisme consiste en un mouvement intellectuel construit autour des concepts d'égalité et d'émancipation. Son intérêt se situe au chapitre de la défense des identités de groupe particulières, la plupart du temps attribuées par d'autres, et rejetant l'universalisme occidental comme base d'allégeance à une collectivité donnée. Vu sous cet angle, l'universalisme [415] occidental apparaît comme étant un « élément favorisant l'homogénéisation de manière fallacieuse, et constituant un écran troublant pour le pouvoir [3] ». De cette façon, le multiculturalisme implique la prépondérance de cultures multiples coexistant dans les limites d'un territoire étatique défini et rejetant la perception jacobine de l'État-Nation ainsi que l'homogénéisation des identités. L'enjeu central consiste à reconnaître que ces communautés culturelles peuvent non seulement réguler des aspects spécifiques mais voir à la conduite de vie entière et devenir des sources de signification pour les personnes. Nous pouvons ici citer Joppke :


« Les défenseurs du multiculturalisme ont avancé que l'exercice des droits et des libertés individuels dépend de l'adhésion entière et libre à un groupe culturel respecté et en plein épanouissement. Malgré cela, la tension entre le libéralisme et le multiculturalisme reste réelle, le dernier étant basé sur la primauté ontologique du groupe sur l'individu, et si nécessaire, peut prendre en considération la suppression des revendications de ces mêmes individus [4] ».


Cette approche considère l'assimilation ou encore l'acculturation comme étant une violation de l'intégrité ou de la dignité de l'individu, dont les habitudes culturelles devraient être pleinement reconnues comme étant à la base même de l'identité d'une personne. Toute suppression de formes d'expression culturelle particulières par l'entremise de la construction symbolique d'une identité socioculturelle plus englobante limite la capacité d'un individu de se réaliser et nie ainsi l'idéal démocratique libéral voulant que les individus, en tant que membres d'une société plus large, aient les moyens d'explorer leurs possibilités. Bien souvent, les aspects attribués de l'identité et, plus particulièrement, les sources culturelles de signification sont perçus comme étant des conditions préalables à la réalisation de soi. Décaper ces sources de signification au nom de marqueurs universels d'identité, inscrits dans la construction d'une identité jacobine mononationale visant à assurer le maintien de finalités communes, viendrait à nier aux individus l'habilitation des citoyens face à leur propre vie à travers une participation aux affaires de la société. Iris Marion Young établit que si l'on définit de telles différences culturelles comme des « différences structurelles constituées de manière relationnelle », le lien supposé entre la citoyenneté et le bien commun est préservé car :

[416]

« Il devient évident que les intérêts socialement définis, les propositions, les revendications et les expressions de l'expérience sont souvent des ressources importantes pour la discussion et la prise de décision démocratiques. De telles connaissances peuvent être multipliées et contribuer à une relativisation des discours hégémoniques, tout en permettant par ailleurs à une connaissance non articulée la possibilité de contribuer aux décisions éclairées [5] ».


La polémique entre les bases universelles et particulières d'allégeance trace les contours du débat. L'idée de multiculturalisme peut être enracinée dans une conscience postnationale plus large, que certains vont du reste jusqu'à nommer postmoderne, ou encore « politique identitaire », dans la mesure où elle constitue une attaque à l'assimilation pratiquée par les États-Nations qui cherchent avant tout à attacher un sens de finalité commune au statut de citoyenneté [6].

Les sentiments associés à un statut de citoyenneté égale ont longtemps été considérés par les théoriciens libéraux comme faisant partie intégrale des communautés politiques démocratiques dans le sens où ils favorisent l'esprit civique, la confiance mutuelle et l'allégeance nécessaire pour le bon fonctionnement du gouvernement, la réalisation personnelle et la stabilité politique. Kymlicka précise que la réponse du libéralisme classique à la réalité pluriethnique a été de développer des bases communes de citoyenneté et de les inscrire dans une trame universelle. De cette manière, la fonction intégrante de la citoyenneté requiert que les différences culturelles soient traitées avec une certaine « neutralité bienveillante » afin que l'identité civique partagée soit forgée sans tenir compte des différences identitaires collectives ou de groupe. Iris Marion Young remarque que les tenants de ces arguments considèrent les demandes particulières basées sur des différences sociologiques comme nuisibles au fonctionnement de la démocratie en raison de l'opinion voulant que les citoyens soient généralement moins préoccupés par le bien commun que par leur groupe ou leurs intérêts spécifiques [7]. Kymlicka résume ce point de vue en rappelant que :

[417]

« La citoyenneté consiste par définition [...] à traiter les gens comme des individus ayant les mêmes droits en regard de la loi [...] [S'il s'agit d'un groupe différencié], il ne nous resterait plus rien pour relier les divers groupes au sein de la société et nous empêcher que n'apparaissent les conflits et la méfiance réciproque. Si la citoyenneté est différenciée, elle ne sera plus porteuse d'une expérience partagée ou d'un statut commun. Cette citoyenneté ne serait qu'un vecteur de désunion, au lieu d'être une façon de cultiver l'unité face à la diversité sociale croissante. Il est souhaitable que la citoyenneté soit un forum où les individus transcendent leurs différences et pensent au bien commun de tous les citoyens [8] ».


En bref, la culture, tout comme la religion, devrait davantage relever du domaine privé et non de l'État. Selon cette interprétation, l'établissement de bases universelles d'appartenance de cette communauté politique, encore qualifiées de civiques et familières aux systèmes d'identification transposables d'une culture à l'autre, constitue la seule voie qui s'offre aux démocraties pour s'épanouir.

Cependant, pour les défenseurs du multiculturalisme, la notion de « neutralité bienveillante »est traversée par une signification culturelle. Elle représente le maintien du statu quo au sein de nombreux États-Nations auparavant homogènes. La passivité étatique reflète alors une inadaptation aux réalités pluriethniques effervescentes de la société. Les membres des cultures minoritaires deviennent dès lors des participants inégaux, voire des citoyens de seconde classe si les sources de signification sont négligées dans la sphère publique. Ainsi, aucun idéal d'égalité ne peut être atteint si les citoyens sont forcés de se conformer à un rejet civique de leur identité ou à une autodéfinition affirmée des citoyens pris en tant qu'individus. Isajiw rappelle que la force du multiculturalisme émane d'un sentiment particulier au sein duquel la dignité du citoyen est liée à la dignité collective de sa communauté ethnique. Le multiculturalisme représente un ensemble de valeurs mettant en rapport les besoins de reconnaissance identitaire et le pouvoir instrumental des membres des communautés ethniques [9]. Charles Taylor analyse ainsi ce phénomène :


« L'exigence de reconnaissance prend une certaine acuité du fait des liens supposés entre reconnaissance et identité [...]. La thèse est que notre identité est partiellement formée par la reconnaissance ou par son absence, ou encore par la mauvaise [418] perception qu'en ont les autres : une personne ou un groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation réelle si les gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image limitée, avilissante ou méprisable d'eux-mêmes. La non-reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate peuvent causer du tort et constituer une forme d'oppression, en emprisonnant certains dans une manière d'être fausse, déformée et réduite [10]. »


La reconnaissance étatique du pluralisme culturel constitue de la sorte un appel pour un accroissement du pouvoir des citoyens. On peut donc se demander comment les citoyens d'une société pluriethnique sont habilités à se partager le pouvoir et à participer aux affaires de la polité sans pour autant sacrifier le plein achèvement de leurs « façons d'être ». En outre, il est opportun de s'interroger sur les façons dont les États font face à de tels défis.

Les contours théoriques du multiculturalisme tracés ci-dessus révèlent que les évaluations normatives de l'intégration reposent sur des considérations importantes. La première stipule que le plein statut de citoyenneté permet à toutes les identités culturelles de participer de manière égale à la vie démocratique sans que puissent être édulcorées leurs conceptions de l'identité sur une base personnelle. De plus, l'habilitation qui en découle permet aux citoyens de protéger leurs particularités culturelles lorsqu'ils exercent une influence sur les affaires de la polité en participant à la vie démocratique. Cela laisse entrevoir une acceptation, même si tacite, que des réalisations politiques pourront refléter des initiatives de l'État central en faveur de droits spécifiques à certains groupes. La deuxième considération relève de la place centrale du concept d'unité au sein de toute société. Dans ce cas, l'élément clé consiste en un sentiment commun de finalité dans les affaires publiques afin que la délibération ne soit pas confinée à des communautés segmentées, fermées sur elles-mêmes, qui se juxtaposent. Ces deux larges pôles sont à prendre en compte dans chaque modèle d'intégration ainsi que dans les conceptualisations subséquentes du statut de citoyenneté. En clair, il est nécessaire de trouver un équilibre entre une habilitation égale des identités de groupe en tant que composantes actives d'une communauté politique plus vaste, et le besoin de bases communes pour le dialogue, pour des raisons d'unité ; un repère central servant également de marqueur d'identité dans une société plus large et qui renferme en lui-même un pôle d'allégeance pour l'ensemble des citoyens.

[419]

INTERCULTURALISME :
LE MODÈLE QUÉBÉCOIS
DE PLURALISME CULTUREL

Il est possible de situer l'origine des revendications du Québec, dans sa quête de reconnaissance en tant que société d'accueil, au moment de la Révolution tranquille. L'activité accrue de l'État, à cette époque, dans plusieurs domaines de la vie des Québécois peut du reste être qualifiée de projet visant la construction graduelle d'une citoyenneté québécoise. Formulée autrement, l'idée d'une citoyenneté québécoise ne peut être dissociée de la question plus large de l'affirmation nationale du Québec dans un contexte de construction nationale pancanadienne. Ainsi, en construisant son propre modèle d'intégration, le Québec a, dans une certaine mesure, formulé une réponse à la politique canadienne de multiculturalisme : une position qui affirme la primauté de l'État québécois dans les domaines de la politique, de l'identité et rejette l'interprétation réductionniste voulant que l'État québécois soit le reflet d'un groupe ethnique monolithique. L'analyse de la diversité, située dans un plus large contexte historique, peut être considérée comme un des domaines de disputes majeurs entre les visions opposées des communautés politiques ou des multiples nations composant le Canada. Kymlicka. souligne du reste une progression vers la réalisation d'une citoyenneté québécoise plus formelle :


« La notion de citoyenneté distinctement québécoise a connu une progression spectaculaire. En l'espace d'une vie, l'identification dominante des Québécois s'est profondément transformée. De Canadiens, ils sont devenus Canadiens français, puis des Franco-Québécois et finalement des Québécois [...] Ces transformations ne peuvent s'interpréter comme la simple évolution d'une sorte de sentiment d'appartenance à la tribu. Elles représentent plutôt une progression continue de l'identité québécoise, dont le fondement est passé de la non-citoyenneté à la citoyenneté [11] ».


Historiquement, la raison principale de l'élan du discours sur la citoyenneté québécoise demeure la langue, c'est-à-dire 1) idée que la langue française constitue le véhicule prépondérant de préservation et d'épanouissement de l'identité québécoise. La langue a été le précurseur des réflexions sur l'immigration et l'intégration. Simultanément au déclin alarmant du taux de croissance au Québec, les acteurs étatiques se sont peu à peu penchés sur la tendance des allophones à [420] graviter sur le plan linguistique autour de la communauté anglophone. L'immigration et l'intégration sont ainsi devenues inextricablement liées au destin de la nation québécoise. La création d'un ministère de l'Immigration en 1968 atteste de l'activité du gouvernement du Québec en matière d'immigration, sauf, à ce moment, aux chapitres du recrutement et de l'accuei1 [12]. On peut ici mentionner des activités telles qu'un service de recrutement en emploi pour les nouveaux arrivants, un système de soutien pour les groupes communautaires visant à faciliter leur adaptation ainsi que le financement de programmes de préservation du patrimoine culturel et linguistique, incluant la traduction d'œuvres littéraires vers le français dans l'espoir de construire des ponts entre les communautés allophones et francophones. De 1969 à 1979-1980, le budget du ministère est passé de 2,8 à 20 millions de dollars. Le gouvernement du Québec a pris de nombreuses mesures en matière d'apprentissage de la langue et d'adaptation culturelle, autant d'initiatives constituant des premiers pas vers un modèle d'intégration cohérent. À cet égard, pour répondre aux critiques qui considéraient l'imposition légale du français aux individus comme un affront aux principes libéraux des droits individuels dans une société, Joseph Carnes rappelle l'aspect participatif du modèle québécois proposé afin d'en défendre les mérites démocratiques libéraux :


« L'obligation d'apprendre le français est intimement liée à l'obligation de contribuer et de participer à la société et est liée, de cette manière, aux principes démocratiques fondamentaux. L'apprentissage du français est, parmi autres choses, un moyen nécessaire favorisant la participation à la société pour que si quelqu'un peut établir l'obligation de participer, et je crois que quelqu'un le peut, quelqu'un puisse établir l'obligation d'apprendre le français [13] ».


Comme Michael Behiels le note, de nombreuses mesures, pourtant perçues comme positives par les allophones [14], furent assombries par une législation sujette à controverse qui débuta par la reconnaissance d'une seule langue officielle par le gouvernement libéral de 1974 (la loi 22), déclarant le Québec société francophone unilingue, et culmina en 1977 dans l'adoption de la Charte de la langue française (la loi 101) sous le gouvernement du Parti québécois de [421] René Lévesque. Cela fut considéré comme une approche radicale, en porte-à-faux avec la dynamique de création de ponts entre les groupes, et fut généralement rejeté par les communautés anglophones et allophones [15]. Avec l'adoption de la Charte, le gouvernement du Parti québécois établit toutefois la vision d'une communauté politique linguistique unilingue et ethniquement pluraliste au Québec, une vision qui contribuerait du reste à nourrir les futurs modèles d'intégration. Dès 1981, le modèle québécois commença à prendre forme, avec la publication du document ministériel intitulé Autant de façons d'être Québécois [16]. Le point central de cette publication rappelait que, contrairement au multiculturalisme canadien, le modèle d'intégration québécois met l'accent sur l'idée de convergence. Ce dernier point sera élaboré ci-dessous. Le plus saisissant reste le fait que le modèle québécois constitue de manière explicite un défi à la variante canadienne en tant que référent premier pour la citoyenneté. Les batailles devant les tribunaux tout au cours de la Révolution tranquille et les conflits linguistiques des années 1970 ont culminé dans un discours pleinement articulé et principalement centré sur la question de la citoyenneté au Québec. Ainsi, il n'est plus possible de contester le fait que le Québec constitue une société d'accueil dont le modèle d'intégration devrait servir d'exemple à d'autres démocraties libérales.

Le Québec a adopté comme position officielle un discours fondé sur l'interculturalisme pour répondre à ses composantes pluriethniques. Ce constat implique que l'incorporation d'immigrants ou de minorités culturelles dans une plus large communauté politique constitue un engagement réciproque, une sorte de contrat moral entre la société d'accueil et le groupe culturel en question, en vue d'établir un forum donnant aux citoyens de nouveaux pouvoirs, en somme une « culture publique commune [17] ». Il est possible de résumer ce contrat moral à ce qui suit :


– une société au sein de laquelle le français constitue la langue commune de la vie publique ;

[422]

– une société démocratique où la participation et la contribution de chacun sont attendues et encouragées ;

– une société pluraliste ouverte à de multiples contributions dans les limites imposées par le respect des valeurs démocratiques fondamentales et la nécessité de l'échange intercommunautaire [18]


Le gouvernement du Québec décrit ainsi la force majeure de ce modèle :


« Le « contrat moral » affirme que de ces choix de société découlent des droits et des responsabilités qui s'appliquent aussi bien aux immigrants, d'une part, qu'à la société d'accueil elle-même (incluant les Québécois des communautés culturelles, déjà intégrés ou en voie de s'intégrer à celle-ci) et à ses institutions, d'autre part. Être Québécois, c'est être engagé de fait dans les choix de société du Québec. Pour l'immigrant s'établissant au Québec, choisir celui-ci comme terre d'adoption, ce sera donc s'engager, au moins tacitement, comme tout autre citoyen, à respecter ces mêmes choix de société. C'est l'existence simultanée des droits et obligations complémentaires attribués à toutes les parties – et les engageant solidairement dans des rapports d'obligations réciproques – qui justifie le vocable de « contrat moral » pour désigner le cadre général régissant ces rapports en vue d'une pleine intégration des immigrants [19] ».


Vue sous cet angle, la culture publique commune ne s'applique pas seulement à la sphère juridique ; il ne s'agit donc pas d'une simple définition procédurale basée sur les droits individuels. Au lieu de cela, les piliers de base du contrat moral font que les manières d'agir dans les sphères économique, politique et socioculturelle doivent être respectées en tant que marqueurs d'identité et de citoyenneté et viennent ainsi s'ajouter aux institutions propres à la participation démocratique agissant comme un point de convergence pour les groupes appartenant à des identités collectives spécifiques afin que tous puissent partager et participer de manière égale à la vie démocratique. Carens souligne les traits principaux de ce modèle :

[423]

« Les immigrants peuvent constituer des membres intégrés de la société québécoise même s'il y a des différences en termes d'apparence et d'agissement par rapport au noyau principal de la population dont les ancêtres ont peuplé le Québec, sans qu'il soit besoin pour eux d'altérer leurs propres coutumes et référents culturels eu égard à leurs habitudes de travail et de loisir, à leur régime alimentaire, leur tenue vestimentaire, leur sommeil et leurs préférences sexuelles, leurs façons de célébrer et d'enterrer, etc., et ce aussi longtemps qu'ils agissent dans les limites imposées par la loi [20] ».


En établissant un modèle prenant pour appui la convergence des identités collectives, la langue française sert de langue commune dans la vie publique et ceci est perçu comme étant une condition essentielle à la cohésion de la société québécoise. En fait, le français constitue le fondement à l'origine de l'auto-identification du Québec en tant que communauté politique. Aussi la langue ne peut être conceptualisée comme un droit individuel. Micheline Labelle, François Rocher et Guy Rocher développent cet argument :


« Au Québec, [...] la langue française est présentée comme le « foyer de convergence » pour les divers groupes, qui peuvent par ailleurs maintenir et faire rayonner leur spécificité. Alors que la politique canadienne privilégiait une approche individualiste de la culture, la politique québécoise pose clairement le besoin de reconnaître le français comme un bien collectif qu'il faut protéger et encourager [21] ».


Les contours de la « vie publique » sont parfois quelque peu ambigus. En effet, ce qui constitue un « échange public » n'est pas toujours clair. En règle générale, l'espace public ne se limite pas aux activités de l'État, il englobe également l'espace public des interactions sociales. À titre d'exemple, les élèves peuvent, au nom de leurs droits individuels, communiquer dans la langue qu'ils souhaitent dans la cour de récréation d'une école francophone. Cependant, l'usage d'une langue dans la classe relève de l'espace public. D'autres exemples de ce qui constitue des « interactions privées » peuvent relever des relations familiales et amicales, des rapports avec les collègues ou avec n'importe quelle personne impliquée dans le cercle social de la personne en question où le choix de la langue utilisée relève du consensus. À nouveau on peut ici citer Labelle et al. :

[424]

« Il est toutefois précisé que la valorisation du français comme langue commune n'implique pas en soi l'abandon de la langue d'origine, et ce pour deux raisons. La première est celle du caractère démocratique de la société, qui doit respecter les choix individuels. La deuxième est d'ordre utilitaire : le développement des langues d'origine est présenté comme un atout économique, social et culturel. Il n'en demeure pas moins qu'il existe une distinction fondamentale entre le statut du français comme langue commune de la vie publique et celui des autres langues [22] ».


Ainsi, de l'usage soutenu de la langue française est considéré comme une condition minimale de l'exercice de la citoyenneté commune et comme un instrument de démocratie. Nous pouvons ici nous référer avec intérêt à France Giroux :


« [...] il importe que la langue française apparaisse d'abord et avant tout comme une condition de l'exercice des droits du citoyen, la nation moderne ne pouvant prétendre être un forum de discussion et de prise de décision sans l'existence d'une communauté de langage [23] ».


De plus, la société d'accueil s'attend à ce que les membres des groupes minoritaires s'intègrent complètement à la communauté plus large dans l'espoir que tous les citoyens contribuent et participent au tissu social de la culture publique commune. En tant que communauté démocratique, ceci implique qu’une fois la citoyenneté obtenue tous les membres sont encouragés de manière égale à « participer à la définition des grandes orientations de (la) société [24] ».

En ce qui a trait à l'éventualité d'un conflit entre les individus ou les groupes, la méthode de résolution doit correspondre aux normes démocratiques. Ce point est important, parce qu'il met en valeur une perspective qualitativement différente plutôt que parce qu'il met l'accent sur des voies procédurales. Le modèle québécois insiste sur le fait que, à l'occasion de la manifestation initiale d'un conflit, des mesures délibératives telles que la médiation, le compromis et la négociation directe sont préférées, laissant autant que possible d'initiative et d'autonomie aux parties en question. Les mesures juridiques et le recours à des droits spécifiques constituent une option de dernier recours. En d'autres termes, ce modèle met en valeur la délibération, la [425] compréhension mutuelle et généralement le dialogue comme caractéristiques fondamentales de la vie démocratique dans la sphère de la société civile, et revêt une fonction instrumentale dans le renforcement d'une conception cohérente et participative de la citoyenneté.

La prise en compte de la différence dans ce modèle ne suggère pas une société construite sur la juxtaposition de groupes ethniques, ou encore une mosaïque, ni ne réduit la citoyenneté à de simples protections procédurales empêchant l'intrusion de l'État par le biais d'une codification des droits individuels fondamentaux ainsi que la réduction des identités spécifiques à des principes universels [25]. Le modèle québécois de pluralisme culturel œuvre fondamentalement dans la tradition de la démocratie parlementaire et met l'accent sur la délibération et la représentation. Pagé résume ainsi son fonctionnement :


« Dans la conception de l'espace civique commun, ce sont les normes civiques communes qui constituent la base de la cohésion sociale. Ces normes se situent au-dessus des particularismes de cultures ethniques et ont une portée assez générale pour régler l'agir d'une société constituée d'individus appartenant à une pluralité de groupes ethniques. Ces normes sont choisies par les institutions démocratiques, qui sont capables de prendre en compte le pluralisme en cherchant toujours, dans les décisions votées démocratiquement, la base consensuelle la plus large possible, qui ne se limite jamais au seul groupe ethnique majoritaire ou à un ensemble de groupes minoritaire [26] ».


Au sein du cadre des principes de base – l'attachement à une résolution pacifique des conflits, une Charte des droits et libertés afin de fournir un recours légal permettant de veiller à la protection des droits individuels et collectifs, sans discrimination sexuelle aucune, un État séculier et un accès égal et universel des citoyens aux services sociaux (comme la santé) [27], l'interculturalisme cherche avant tout à trouver un équilibre entre les droits individuels et le relativisme culturel en mettant l'accent sur la « fusion des horizons » grâce au dialogue et à un accord faisant consensus. Le but de cette approche est d'atteindre le plus [426] large consensus possible, par le biais de la participation et de la délibération entre tous les groupes dans la sphère publique en ce qui concerne les limites et les possibilités de l'expression des différences collectives basées sur l'identité et en établissant les préalables à toute forme de cohésion sociale et de droits individuels dans un contexte public partagé. La reconnaissance des différences culturelles est tenue pour acquise dans un tel contexte : les sources de signification acquises à partir de l'identité culturelle sont reconnues comme des traits explicites de l'habilitation des citoyens. Il n'en demeure pas moins qu'une obligation est faite à toutes les parties de contribuer aux principes de base de la culture publique commune.

En dernière analyse, la reconnaissance des cultures minoritaires est inscrite au sein même du modèle, le « contrat moral » constituant un principe intégrateur par lequel les groupes ethnoculturels se voient conférer plus de pouvoir de participer, dans une langue commune, et de faire leur marque sur les principes de base de la culture publique commune. La différence est reconnue dans les limites de la cohésion sociétale et de la communauté politique, et non en tant que point de départ fondamental pour une identification commune et un sentiment d'unité.


DES STRATÉGIES CONCURRENTES
DE CONSTRUCTION NATIONALE

Avant de procéder à une étude comparative, il est bon de rappeler que ces politiques d'intégration ne peuvent être évaluées en l'absence d'une compréhension claire des processus politiques directement reliés à la stratégie de construction nationale. Cette situation est particulièrement pertinente dans le cas canadien, où la nature précaire de l'identité pancanadienne a traditionnellement constitué un « symbole national » en raison de la persistance de la question existentielle québécoise. Aussi, ainsi que nous allons l'exposer, les décideurs fédéraux chargés de définir les bases d'appartenance au Canada ne font pas seulement face aux défis associés à l'incorporation des identités culturelles différenciées mais ont également été confrontés avec une minorité nationale possédant des institutions politiques établies au sein d'un territoire bien délimité. Cet état de fait constitue un défi qualitatif différent qui incite à engager une comparaison entre le Canada et les États-Unis. Comme Joppke l'établit, les réponses de chaque société aux phénomènes d'immigration et de pluriethnicité ne proviennent pas uniquement de l'application d'un modèle abstrait au monde réel :


« La signification concrète du multiculturalisme et son lien avec l'immigration diffèrent de manière importante d'une société à l'autre. Ces différences sont [427] conditionnées par des traditions distinctes au chapitre de la nationalité, des contextes historiques spécifiques au sein desquels l'immigration a pris place, et enfin les régimes existant d'immigration [28].


Ainsi, le Québec, bien que formellement une province canadienne, nécessite une évaluation indépendante dans la mesure où l'État québécois a négocié l'obtention d'une responsabilité plus grande dans le domaine de l'immigration. En outre, le Québec forme une communauté politique distincte avec un projet culturel collectif bien défini et qui inclut l'intégration d'immigrants à son projet. Les autres provinces canadiennes, par contraste, ont préféré laisser ce domaine aux mains du gouvernement fédéral. En somme, le Québec devrait être considéré proprement comme une société d'accueil, porté par son propre développement historique et culturel, son sentiment nationalitaire spécifique et un discours distinct en matière d'orientations générales et de choix pour la société.

On constate de nombreux impératifs politiques en action dans de telles issues politiques. Ce chapitre a cherché à clarifier la signification du terme multiculturalisme afin de mettre en évidence les ambiguïtés qui s'y rattachent, et ce en faisant la distinction entre son usage en tant que label général d'une tradition émergente et la politique actuelle qui s'y rapporte et porte même son nom au Canada. Une évaluation du multiculturalisme canadien ne peut pas omettre le fait qu'ultimement il s'agit bien d'une politique publique et non d'un principe « ontologique » dénué de contingences. L'idéal du multiculturalisme ne doit pas être confondu avec la politique canadienne du multiculturalisme, ce qui pourrait faire taire les débats concernant le sens à donner au statut de citoyenneté.

Si on revient sur le cadre normatif qui nous permet d'évaluer l'intégration telle qu'elle est évoquée ci-dessus, il est clair que la stratégie canadienne est reliée à la fois aux visées unificatrices et au renforcement de la dignité citoyenne par le biais de la reconnaissance d'affiliations culturelles particulières. Cette stratégie cherche à atteindre l'unité en proposant un projet pancanadien de construction nationale qui met l'accent sur la primauté des droits individuels, notamment dans la Charte canadienne des droits et libertés, et dans le choix de la langue utilisée, soit le français ou l'anglais, à l'échelle du pays. À ces droits individuels vient s'ajouter la reconnaissance officielle et égale de toutes les cultures. Toutefois, une telle reconnaissance consiste davantage en une concession symbolique, ou dans la fabrication d'un marqueur identitaire symbolique basé sur l'adhésion volontaire à une culture particulière. Pour reprendre les termes de Weinfeld :

[428]

« En l'absence de tout consensus sur la substance de l'identité canadienne ou de la culture, le multiculturalisme comble un vide en définissant la culture canadienne en fonction des cultures ancestrales légitimes qui constituent l'héritage de tous les Canadiens, définissant ainsi le tout à travers la somme de ses composantes [29] ».


En forgeant une identité commune à travers le pays basée sur la somme de ses composantes, il était souhaité que le marqueur identitaire représentant l'unité soit universel et consiste en une reconnaissance égale de toutes les cultures au sein d'un régime fondé sur les droits individuels et le bilinguisme. De cette manière, l'adhésion des personnes à des ports d'attache culturels spécifiques pourrait se faire sur une base volontaire, tout en prétendant contribuer à un gain de pouvoir pour les citoyens en provenance des minorités culturelles en faisant appel à des moyens réducteurs : l'ordre symbolique canadien pouvait ainsi se déployer sur la négation de toute définition culturelle particulière. Bourque et Duchastel montrent qu'en conceptualisant la citoyenneté en de tels termes la réponse canadienne est venue modifier les relations sociales au point d'endommager l'exercice même de la démocratie. De cette manière, la communauté politique canadienne est plus construite sur la judiciarisation de ses interactions sociales que sur des processus de délibération inhérents à une démocratie représentative. L'idée d'un espace public favorisant la participation des citoyens, la réflexion et la délibération à l'intérieur d'une communauté politique reste désormais le privilège d'un noyau étroit d'ayants droit. Les assemblées délibératives cèdent leur place à la législation des relations sociétales, empêchant les parlements d'être responsables de l'organisation de la vie sociale, et ultimement les citoyens de s'identifier avec leurs concitoyens au sein de la communauté politique [30].

Selon Kymlicka, la visée finale du multiculturalisme comme symbole d'identification est analogue à celle des États-Unis en ce qu'elle échoue tout autant dans sa tentative de différenciation entre les minorités nationales et les communautés pluriethniques. La différence fondamentale entre les deux modèles est que le premier vise l'autodétermination des groupes tandis que le second cherche davantage l'inclusion. La politique canadienne ne parvient toutefois pas à répondre à cette distinction et le multiculturalisme se transforme en un mécanisme pour éteindre des aspirations nationales légitimes. De cette manière, il rejoint le modèle américain en ce qu'il tend à l'homogénéisation – à [429] l'universalisation de l'identité – bien qu'il emprunte la voie du relativisme culturel. Kymlicka avance que la réticence des Américains à reconnaître les nations minoritaires est la conséquence directe de leur modèle assimilateur et de la peur qu'une telle reconnaissance se répète pour l'ensemble des communautés pluriethniques et vienne par là mettre en péril les bases nécessaires au maintien de l'unité [31]. La politique du Canada s'est construite sur des appréhensions semblables. Toutefois, la réponse canadienne fut d'élever le statut des groupes culturels au même niveau que celui des minorités nationales. Tous deux sont de nature universelle, tous deux sont liés par des projets de construction nationale mettant en avant un sentiment d'unité et, enfin, tous deux échouent à reconnaître comme principe fédéral les droits différenciés des groupes à partir de frontières spécifiques [32].

Ainsi, la réponse canadienne ne s'établissait pas sur un véritable attachement à l'« idéologie du multiculturalisme » en tant que pilier sur lequel construire le cadre de la citoyenneté. L'objectif visé était principalement l'unité face au défi posé par une minorité nationale. L'identité nationale québécoise était dès lors juxtaposée, constitutionnellement parlant, aux autres cultures minoritaires comme une base possible d'identification [33]. On peut ici se référer à Giroux :


« La reconnaissance partielle des droits ancestraux et du droit à l'autodétermination [...] révèle a contrario, le refus de la reconnaissance de la nation québécoise. [...] Ainsi, les revendications des minorités nationales, celles des communautés [430] culturelles et celles du groupe majoritaire sont aussi considérées sans que soient définis ou pris en considération de manière explicite des critères de légitimation qui permettraient à la nation de rendre viable et effectif l'ordre démocratique. [...] En effet, sans critères valides d'inclusion ou d'exclusion, toutes les demandes deviennent recevables ; il serait possible de faire jouer les unes contre les autres les revendications de ces groupes et de transformer ainsi le pluralisme en un jeu à somme nulle [34] ».


Du point de vue de Taylor, le multiculturalisme en tant que tel ne parvient pas à rendre compte de la diversité profonde du Canada, où la différence pourrait être reconnue à partir de deux niveaux selon les aspirations politiques de groupes particuliers et des réalités historiques, territoriales et linguistiques. En adoptant une stratégie d'unité nationale similaire à la démarche américaine, à savoir l'uniformité basée sur des principes universels d'un océan à l'autre, la politique canadienne ne parvient pas à reconnaître que les minorités nationales, à l'opposé des communautés pluriethniques, cherchent à fournir un espace central d'identification qui soit leur propre pôle d'allégeance nécessaire pour l'unité et l'achèvement d'un but commun. En d'autres termes, l'identité nationale au Québec assume un projet autodéterminant pour la société. Toutefois, sous la bannière du multiculturalisme, le Canada demeure la communauté de référence pour tous les citoyens. Bourque et al résument cela ainsi :


« Cette idéologie [...] se définit dans son rapport à l’État territorial : elle circonscrit la communauté d'appartenance à l'État au sein d'un pays, le Canada. Elle privilégie donc, de façon très claire, les dimensions nationales de la production de la communauté, même si le discours parvient mal à proposer une représentation cohérente de la nation canadienne. Ce nationalisme canadien prend sa pleine signification dans son opposition (« ethnocidaire », dirait Ferry) aux contre-nationalismes que constituent les nationalismes québécois et autochtones [35] ».


Les arguments avancés sont fondés sur le fait que la similarité entre le Canada et les États-Unis s'appuie principalement sur la croyance que l'égalité repose sur l'individu et ce qu'il partage avec d'autres à travers le pays. La constitution canadienne protège généralement les individus contre les intrusions collectives. Il est possible de soutenir que l'impossibilité d'en arriver à l'unité et de se doter [431] d'un but commun ne soit pas inhérente au modèle de multiculturalisme adopté. En effet, le manque d'unité constitue davantage le produit de dynamiques fédérales : le Canada ne constitue pas un État-Nation qui peut revendiquer le statut d'une seule et unifiée société d'accueil.

Il est donc possible de réfléchir sur cette politique sans tenir compte de la question québécoise, laquelle, pour une large part, peut expliquer les raisons ayant conduit à l'implantation de la politique mais difficilement ses effets actuels en tant que modèle d'intégration. Ainsi, si l'on fait abstraction de la variable de la multinationalité au Canada, on peut se demander si le multiculturalisme s'est révélé porteur de succès en matière d'intégration des immigrants et des groupes ethniques. En effet, si nous partons de la supposition que le Canada constitue une communauté politique unique, ou une seule société d'accueil, nous pouvons dès lors procéder à une évaluation du succès du multiculturalisme sans pour autant considérer le manque d'unité sous l'angle de la fragmentation de « l'allégeance nationale ». L'unité peut ainsi être conceptualisée comme la profondeur avec laquelle les groupes minoritaires ressentent qu'ils appartiennent à une communauté unique appelée Canada, au sein de laquelle ils participent aux affaires générales de la société prise dans son sens large.

Pour répondre aux critiques qui considèrent le multiculturalisme comme une force causant des divisions au Canada, Will Kymlicka fournit quelques données empiriques tendant à démontrer le succès du multiculturalisme en ce qui a trait à l'intégration des minorités culturelles [36]. En effet, la position défendue [432] dans ce chapitre ne remet pas en question le succès de cette politique en matière d'intégration. Notre argument principal réside dans le fait que le Canada, en raison des impératifs de construction nationale poursuivis pour des raisons d'unité en vue de faire face à la question québécoise, a choisi d'adopter une formule de plus bas dénominateur commun, s'opposant ainsi à la reconnaissance de la culture comme un aspect déterminant du sentiment d'appartenance. Une fois de plus, il semble que la « société juste » de Trudeau repose sur la notion que tout attachement émotif à une polité est destructeur et arriéré, et que tout progrès requiert la prépondérance de la raison, qui soit universelle et susceptible de servir de principe guide dans chaque régime de citoyenneté. Cependant, si on regarde de près les indicateurs d'intégration identifiés par Kymlicka, on peut avancer que, bien que l'intégration se soit plutôt révélée être un succès, elle s'est effectuée aux dépens de la reconnaissance et du maintien des cultures minoritaires, ce qui en dernière instance constitue la caractéristique principale de l'idéologie du multiculturalisme.

Le modèle canadien agit en fonction de la primauté des droits individuels, inscrite dans la Charte canadienne des droits et libertés, cette dernière comportant une clause interprétative pour la reconnaissance de diverses affiliations culturelles. Cette clause interprétative constitue le seul élément permettant de différencier le modèle canadien du modèle assimilationniste américain. Il n'existe pas d'impératifs démocratiques prévus pour la reconnaissance des diverses cultures minoritaires à l'exception d'une provision légale et procédurale pouvant être invoquée dans le cas où le groupe minoritaire en question choisit de le faire. Ceci constitue une distinction conceptuelle clé entre les modèles canadien et québécois et s'appuie sur des attentes différenciées par rapport à la démocratie elle-même. Le fait que l'identité canadienne - la façon dont les citoyens sont liés les uns aux autres et à l'État en établissant leurs préférences sociétales – se fonde sur de telles bases présuppose qu'il n'y ait pas de culture publique à partir de laquelle les minorités culturelles puissent faire leur marque. Une fois de plus, on fait le constat que le multiculturalisme canadien ne reflète pas la reconnaissance des cultures diverses, mais constitue bien plus, en définissant les limites et les confins de l'espace public, un déni de culture. Ce même espace public se fonde sur la participation individuelle par le biais d'une déclaration de droits. Ce qui nous ramène à l'évaluation que Kymlicka fait du succès du multiculturalisme canadien au chapitre de l'intégration ; on ne peut que constater un manque de preuves concernant, par exemple, la capacité des membres des cultures minoritaires de prendre conscience du fait qu'elles aient été capables de poursuivre leur existence en raison des sources de signification attribuées par leurs affiliations culturelles. Pour sa défense, néanmoins, il faut noter qu'une telle entreprise exigerait une étude empirique de grande ampleur. Aussi, le fait que Kymlicka ait été capable d'opérationnaliser avec succès les mérites de l’intégration [433] mérite d'être signalé, de même que celui qu'il ait pu accentuer les efforts de conceptualisation des modèles d'intégration. Cependant, le succès des groupes minoritaires au vu d'indicateurs tels que le taux de naturalisation et la participation politique – dont les voies institutionnelles de participation, les compétences à communiquer dans les deux langues officielles, le taux de mariages interethniques et la non-généralisation d'enclaves territoriales pour les groupes culturels [37] – est présenté aux critiques qui considèrent le multiculturalisme comme étant un élément de division et un obstacle à la création d'une forte identité canadienne. Ces indicateurs ne répondent toutefois pas aux inquiétudes explicites quant à la préservation et à l'épanouissement des cultures minoritaires au sein de la communauté politique englobante ; en d'autres termes, la capacité de tels groupes à participer et à avoir un impact certain sur les affaires publiques du pays sans être forcés de se défaire de leurs identités particulières de groupe. Le débat lui-même prend place en marge des impératifs de l'idéologie du multiculturalisme. C'est pourquoi ces critères peuvent aussi se révéler être ceux d'un régime privilégiant l'assimilation.

La vertu du modèle québécois d'interculturalisme repose sur le fait qu'il parvient à atteindre un équilibre entre les préalables d'unité, comme base identitaire, et la reconnaissance des cultures minoritaires. Le modèle d'intégration québécois ne vise pas l'assimilation comme le fait celui des États-Unis, ni ne tombe de manière conceptuelle dans le relativisme culturel et la fragmentation dans sa défense du pluralisme culturel. C'est ainsi que, dans un contexte de marginalisation des groupes ethnoculturels, la pertinence de l'habilitation est telle que l'intégration constitue un préalable nécessaire à la pleine participation à la construction d'une culture publique commune comme référent identitaire. L'affiliation ainsi que la participation vécues à travers une variété de cultures ne sont pas exclues comme fondement en vue de l'obtention du statut de citoyenneté. Cependant, les possibilités d'enfermement et de ghettoïsation sont découragées car la reconnaissance d'identités culturelles particulières constitue de facto la reconnaissance de la culture comme existant au sein de communautés se satisfaisant elles-mêmes dans un vide d'espace et de temps. En d'autres termes, la reconnaissance résulte davantage de la participation puisque c'est en contribuant au développement d'une culture publique commune, à l'élargissement des bases de loyauté et d'identification, sans rejet aucun de l'ordre symbolique établi offert par la société québécoise ainsi qu'elle a pu se transformer historiquement, que les membres de groupes culturels minoritaires peuvent faire une différence au regard de leur statut de citoyens. De cette façon, l'unité et la solidarité cherchées par tout modèle de citoyenneté sont vues comme des [434] processus pouvant être construits par des parties diverses et mis en branle par le biais d'échanges et de dialogue, plutôt que comme un modèle proposant une empreinte préexistante de reconnaissance.

L'interculturalisme en tant que modèle répondant à la pluriethnicité représente un lieu d'habilitation et non de retranchement pour les citoyens. En partant de la prémisse qu'une culture nationale consiste, selon Renan, en un plébiscite de tous les jours, le modèle québécois repose sur l'idée que la culture publique commune inclut tous les groupes constituant sa trame évolutive en perpétuel changement. Jeremy Webber reconnaît cet aspect dynamique de l'identité nationale dans l'idée que les communautés se forgent au fil du temps au travers de débats publics dans une langue commune. Les valeurs partagées ne fournissent pas, à elles seules, le sens d'allégeance nécessaire à une communauté nationale pour qu'elle puisse prospérer. En effet, les désaccords par rapport aux orientations majeures d'une société sont emblématiques d'une communauté. La qualité démocratique d'une communauté politique en changement perpétuel repose précisément sur l'idée que les citoyens sont capables de s'identifier et d'avoir un impact sur les tendances des débats sociaux publics traversant une société ; et ceci requiert des interactions préalables entre les citoyens dans le cadre d'une langue partagée [38]. Sur ce sujet, Carens rappelle de manière succincte que, en « intégrant les immigrants, le Québec transforme leurs identités propres mais aussi la sienne [39] ». Ainsi, l'utilisation de la langue française ne vise pas à définir une culture statique dans laquelle les immigrants et les minorités culturelles sont supposés se fondre. Le français constitue plutôt un conduit au travers duquel les désaccords, les différends et autres conflits inhérents à une société culturellement diverse peuvent être entendus dans un contexte politique en pleine évolution. Somme toute, la participation implique une certaine part de conflits politiques. La communauté politique est fondée sur une langue partagée et les défis posés aux principes de base de la culture nationale ne sont pas considérés comme étant une menace, mais sont encouragés comme étant le résultat d'effets habituels et sains du processus de délibération démocratique.

[435]


CONCLUSION

Il est possible de discerner deux considérations générales dans l'évaluation des modèles qui se rapportent à la pluriethnicité et à la citoyenneté démocratique. Premièrement, le modèle doit prendre en considération l'unité comme un fondement à la stabilité démocratique – en contribuant à la venue d'un sentiment partagé –, une base commune pour entretenir le dialogue. Entre d'autres termes, il faut un pôle d'allégeance qui tienne lieu de centre identitaire de convergence pour assurer une participation active dans une société démocratique. Deuxièmement, la reconnaissance de la différence et un respect pour les sources de signification propres aux cultures minoritaires constituent des éléments intégraux dans la quête d'égalité du statut de citoyenneté – de la dignité citoyenne ou de l'habilitation. Dans la pensée libérale traditionnelle, de tels buts sont incompatibles. La place de la reconnaissance de groupes différenciés est considérée comme pouvant atténuer l'idéal précédent selon lequel l'égalité vient d'une adhésion partagée aux principes universels et la culture est considérée avec une neutralité bienveillante dans la sphère publique. Reconnaître les distinctions culturelles vient, dans une telle optique, briser cette unité et faire des citoyens des êtres inégaux.

Cette discussion ne constitue pas un argument radical en vue d'établir une politique d'identité postnationale. Aussi les mérites normatifs de l'unité ont-ils été, pour chaque État, reconnus de manière explicite. Elle ne vise pas non plus à prescrire une formule pour parvenir à l'unité dans un contexte spécifiquement fédéral. La présente discussion cherche davantage à démontrer les mérites de l'interculturalisme en tant que modèle de rechange pour parvenir à l’intégration et illustre que le multiculturalisme canadien a été et continue d'être le produit d'efforts de construction nationale plutôt qu'un véritable engagement aux principaux piliers de l'idéologie du multiculturalisme. En d'autres termes, il s'agit d'un élément de stratégie politique alimenté par l'État central et visant à forger un attachement fort, par ses citoyens, au Canada comme communauté politique unifiée et unique. Le multiculturalisme canadien ne devrait pas être considéré comme un exemple de l'idéologie du multiculturalisme en émergence et de ses implications en vue de la redéfinition de la légitimité des États-Nations dans le cas de sociétés pluriethniques. Les principaux fondements du statut de citoyenneté canadienne ne sont pas si éloignés de ceux des États-Unis. À ce sujet, la place de la culture dans les conceptions canadiennes de la citoyenneté est libérale au premier degré – il s'agit de construire une nation basée sur des principes universels. Par ailleurs, le modèle de pluralisme culturel construit selon les grandes lignes de l'interculturalisme québécois atteste d'un sérieux effort d'équilibrer les prérogatives de l'unité avec la préservation et l'épanouissement des cultures minoritaires.

[436]

Le problème durable confrontant le Québec et devant être pris en compte dans toute tentative future de vérification empirique du modèle québécois demeure la présence d'interprétations concurrentes du concept de citoyenneté par ceux-là mêmes qui sont visés par l'intégration. Labelle et Levy ont démontré, à la suite d'entretiens avec des porte-parole de groupes ethnoculturels, qu'il y a une ambivalence continue planant sur la légitimité du modèle québécois aux yeux de ces mêmes groupes [40].

Le modèle québécois est unique en ce qu'il s'inscrit dans un projet plus large d'affirmation nationale. Le fait qu'il puisse être inclus de manière légitime comme un modèle d'intégration démontre minimalement le progrès important fait par le Québec dans le domaine de la citoyenneté et peut également constituer une vue d'ensemble conceptuelle susceptible d'alimenter des recherches futures de nature plus empirique. Que de telles recherches puissent être entreprises dans le contexte de modèles compétitifs de citoyenneté, au sein d'un territoire donné, ne devrait en aucun cas exclure conceptuellement le modèle d'interculturalisme dans les débats portant sur les dynamiques de reconnaissance et d'intégration propres aux démocraties libérales.

Traduit de l'anglais par Vanessa Grée.



[16]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Alain-G. Gagnon est professeur titulaire de science politique et directeur du Programme d'études sur le Québec de l'Université McGill et coordonnateur du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP). Il occupe le poste de vice-président aux études et aux programmes de l'Association internationale des études québécoises depuis sa fondation en 1997. Il compte parmi ses plus récentes publications : Partis politiques et comportement électoral au Canada : filiations et affiliations (avec James Bickerton et Patrick Smith) (2002) ; Multinational Democracies (codirigé avec James Tully) (2001) ; et L'Union sociale canadienne sans le Québec (2000).

[17]

Raffaele Iacovino est candidat au doctorat en science politique à l'Université McGill. Ses recherches se concentrent sur la politique canadienne, les relations Québec-Canada, le fédéralisme et la citoyenneté. Il a publié en collaboration avec Alain-G. Gagnon « Framing Citizenship Status in an Age of Polyethnicity », dans Harvey Lazar et Hamish Telford (dir.), The Transformation of Canadian Political Culture and the State of the Federation, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations, (2002) et « Strengthening Regional Responsiveness and Democracy in Canada », dans David Stewart and Paul Thomas (dir.), The Changing Nature of Democracy and Federalism in Canada, Winnipeg, University of Manitoba Press, (à paraître, 2003).



[1] Will Kymlicka et Wayne Norman remarquent que les perceptions des communautés politiques par les citoyens, leur sens d'appartenance et leur engagement sont devenus des problèmes de taille aux yeux des théoriciens politiques contemporains, et ceci est particulièrement dû aux défis posés par l'intégration des groupes minoritaires dans les démocraties libérales établies. En d'autres termes, la « santé et la stabilité d'une démocratie moderne dépendent non seulement de la justice émanant des institutions, mais aussi des qualités et du comportement de ses citoyens ; à savoir, leur sens d'appartenance identitaire et leur manière d'appréhender des formes compétitives d'identités nationales, régionales, ethniques ou religieuses ; de leur capacité à tolérer les autres et à travailler ensemble, et enfin de leur désir de participer au processus politique en vue de faire la promotion du bien public et de tenir les autorités politiques imputables [...] Sans citoyens possédant de telles qualités, la capacité des sociétés libérales à fonctionner avec succès diminuera progressivement ». Will Kymlicka et Wayne Norman (dir.), Citizenship in Diverse Societies, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 6.

[2] Will Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Montréal, Boréal, 1999, p. 273-274.

[3] Christian Joppke, « Multiculturalism and Immigration : A Comparison of the United States, Germany and Great Britain », Theory and Society, no 25, 1996, p. 449.

[4] Ibid., p. 452.

[5] Iris Marion Young, Inclusion and Democracy, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 7.

[6] Pour plus de détails sur les défis posés par le multiculturalisme aux modèles libéraux de citoyenneté, voir Andrea Semprini, Le Multiculturalisme, Paris, Presses universitaires de France, 1997.

[7] Iris Marion Young, op. cit. Voir le chapitre 3, dans lequel Young présente une série d'arguments qui « attribuent la construction de revendications légales des groupes à une affirmation de leur identité particulière, et suggèrent que ces revendications mettent en danger la communication démocratique en ce qu'elles fragmentent la polité sur la base de groupes d'intérêts égoïstes », p. 83.

[8] Will Kymlicka, La Citoyenneté multiculturelle, op. cit., p. 247-248.

[9] W.W. Isajiw, « Social Evolution and the Values of Multiculturalism », texte présenté dans le cadre de la neuvième conférence biennale de l'Association des études ethniques canadiennes, Edmonton, Alberta, 14-17 octobre 1981, cité dans Evelyn Kallen, « Multiculturalism : Ideology, Policy and Reality », Revue d'études canadiennes, vol. 17, no 1, printemps 1982, p. 52.

[10] Charles Taylor, « La politique de la reconnaissance », in Multiculturalisme : différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994, p. 41-42.

[11] Will Kymlicka, Théories récentes sur la citoyenneté, Ottawa, Multiculturalisme et Citoyenneté Canada, 1992, p. 40, cité dans Micheline Labelle, Immigration et diversité ethnoculturelle : les politiques québécoises, cahier du Programme d'études sur le Québec de l'université McGill, no 13, septembre 1998, p. 13,

[12] L'accord Couture-Cullen, signé en 1978, donne davantage de pouvoirs au gouvernement du Québec aux chapitres du recrutement et de l'accueil des immigrants.

[13] Joseph H. Carens, Culture, Citizenship and Community : a Contextual Exploration of Justice and Evenhandedness, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 128.

[14] Les allophones sont définis comme membres de la société québécoise n'ayant aucune origine anglophone ou francophone. Il s'agit d'une catégorie majeure à prendre en compte dans toute discussion sur la citoyenneté dans la mesure où les allophones constituent des cibles d'intégration dans la société d'accueil.

[15] Michael D. Behiels, Quebec and the Question of Immigration : From Ethnocentrism to Ethnic Pluralism 1900-1958, Ottawa, Canadian Historical Association, 1991.

[16] Marcel Gilbert, Autant de façons d'être Québécois. Plan d'action à l'intention des communautés culturelles, Québec, ministère des Communications, Direction générale des publications gouvernementales, 1981.

[17] Pour davantage de conceptualisation des principes d'une culture publique commune telle qu'elle est comprise au Québec, voir Julien Harvey, « Culture publique, intégration et pluralisme », Relations, octobre 1991 ; et Gary Caldwell, « Immigration et la nécessité d'une culture publique commune », L'Action nationale, vol. LXXVIII, no 8, octobre 1988.

[18] Gouvernement du Québec, Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration, ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration du Québec, Direction des communications, 1990, p. 15.

[19] Gouvernement du Québec, Conseil des relations interculturelles, « Culture publique commune et cohésion sociale : le contrat moral d'intégration des immigrants dans un Québec francophone, démocratique et pluraliste », Gérer la diversité dans un Québec francophone, démocratique et pluraliste. Principes de fond et de procédure pour guider la recherche d'accommodements raisonnables, 1994, p. 11.

[20] Joseph H. Carens, Culture, Citizenship and Community, op. cit., p. 131.

[21] Micheline Labelle, François Rocher et Guy Rocher. « Pluriethnicité, citoyenneté et intégration : de la souveraineté pour lever les obstacles et les ambiguïtés », Cahiers de recherche sociologique, no 25, 1995, p. 221.

[22] Labelle et al., op. cit., p. 225.

[23] France Giroux, « Le nouveau contrat national est-il possible dans une démocratie pluraliste ? Examen comparatif des situations française, canadienne et québécoise », Politique et Sociétés, vol. 16, no 3, 1997, p. 137.

[24] Gouvernement du Québec, op. cit., p. 13.

[25] Julien Harvey, « Culture publique, intégration et pluralisme », Relations, octobre 1991, « Intégration dit contact culturel intermédiaire entre l'assimilation et la juxtaposition, tenant compte des deux cultures en contact et constituant une nouvelle synthèse et une nouvelle dynamique », p. 239.

[26] Michel Pagé, « intégration, identité ethnique et cohésion sociale », in Pluriethnicité et société : construire un espace commun, Fernand Ouellet et Michel Pagé (dir.), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1991, p. 146.

[27] Gouvernement du Québec, La Gestion de la diversité et l'accommodement raisonnable, ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, Montréal, 1993, cité dans Labelle et al., op. cit., p. 225.

[28] Joppke, op. cit., p. 454. Joppke procède à une comparaison de l'Allemagne, de la Grande Bretagne et des États-Unis.

[29] Morton Weinfeld, « Myth and Reality in the Canadian Mosaic : “Affective Ethnicity” », Canadian Ethnic Studies, no 13, 1981, p. 94.

[30] Gilles Bourque et Jules Duchastel, « Multiculturalisme, pluralisme et communauté politique : le Canada et le Québec », in Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, Mikhaël Elbaz et Denise Helly (dir.), Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 2000.

[31] Will Kymlicka, « Ethnicity in the USA », in The Ethnicity Reader : Nationalism, Multiculturalism and Migration, Montserrat Guibernau et John Rex (dir.), Cambridge, Polity Press, 1997, p. 240. Voir également Bourque et Duchastel, op. cit., 2000, p. 159, où les auteurs établissent que le multiculturalisme canadien est dans une large mesure un produit du refus de ce même pays à être défini en des termes multinationaux. La communauté politique canadienne était ainsi elle-même fondée sur cette négation de la multinationalité précisément en raison de l'impératif perçu visant à nier la place du Québec en tant que « minorité nationale ».

[32] Pour un plus long développement sur la distinction entre les minorités nationales et les communautés pluriethniques quant à la construction du cadre de citoyenneté, voir Gilles Paquet, « Political Philosophy of Multiculturalism », in Ethnicity and Culture in Canada, J. W. Berry et Jean A. Laponce (dir.), Toronto, University of Toronto Press, 1994.

[33] Pour de plus amples développements sur l'idée que le multiculturalisme officiel représente une large entreprise de redéfinition de l'ordre constitutionnel canadien en termes de références identitaires, voir Fernand Dumont, « La fin d'un malentendu historique », in Raisons communes, Montréal, Boréal, 1995, p. 33-48 ; et Gilles Bourque et Jules Duchastel, « La représentation de la communauté », in L’Identité fragmentée, Montréal, Fides, 1996, p. 29-51.

[34] France Giroux, « Le nouveau contrat national est-il possible dans une démocratie pluraliste ? Examen comparatif des situations française, canadienne et québécoise », Politique et Sociétés, vol. 16, no 3, 1997, p. 141.

[35] Gilles Bourque, Jules Duchastel et Victor Armony, « De l'universalisme au particularisme : droits et citoyenneté », in L'Amour des lois, Josiane Ayoub, Bjarne Melkevik et Pierre Robert (dir.), Sainte-Foy/Paris, Les Presses de l'Université Laval/L'Harmattan, 1996, p. 240.

[36] L'œuvre de Kymlicka constitue principalement une réponse aux arguments de Neil Bissoondath. Ce dernier affirme que les cultures minoritaires sont, a priori, reconnues dans le modèle canadien, et ceci s'effectue dans un vide d'espace et de temps qui tend à favoriser la ghettoïsation et la fragmentation de la loyauté de la société. Bissoondath défend ce point avec virulence en allant même jusqu'à qualifier ce phénomène d'« apartheid culturel ». Le différend repose sur le fait que le multiculturalisme définit la culture de manière provisoire, en des termes statiques, et interdit toute interaction sociale. En d'autres mots, la nature dynamique des sources culturelles de signification est négligée, car elle résulte d'une « folklorisation » et d'une « matérialisation » stagnante de la production culturelle et réduit la culture à une marchandise pouvant « être exposée, jouée, admirée, achetée, vendue, oubliée. Elle est de la sorte dévaluée, réduite à des babioles, au kitsch ». Ainsi, ni l'unité ni la dignité citoyenne accrue par la reconnaissance culturelle ne peuvent ici être atteintes. Il s'agit du résultat de la reconnaissance des cultures qui se juxtaposent sans aucune attente que de telles cultures puissent contribuer à définir les directions de la société par le biais d'un réseau d'idées. Les éléments de base des cultures minoritaires, et l'origine de leur signification, sont déterminés de manière virtuelle au préalable et ne sont pas sujets au changement ; négligeant de prendre en compte les vrais effets apportés par le déplacement des personnes dans leur nouveau contexte. Voir Will Kymlicka, Finding our Way ; Rethinking Ethnocultural Relations in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1998 ; et Neil Bissoondath, Le Marché des illusions : la méprise du multiculturalisme, Montréal, Liber, 1995, p. 96.

[37] Will Kymlicka, Finding our Way, Toronto, Oxford University Press, 1998, p. 17-19.

[38] Jeremy Webber, Reimagining Canada : Language, Culture, Community and the Canadian Constitution, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1994. Voir particulièrement le chapitre 6, « Language, Culture and Political Community », p. 183-229.

[39] Carens, op. cit., p. 133.

[40] Labelle, op. cit., p. 14.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 31 décembre 2012 19:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.s
 



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