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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Sous la direction d'Alain G. GAGNON et d'Alain NOËL, L’espace québécois (1995)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction d'Alain G. GAGNON et d'Alain NOËL, L’espace québécois. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1995, 305 pp. Collection: Société Dossiers/documents. [Autorisation accordée par M. Alain G. Gagnon, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser tous ses travaux.]

Introduction

Chapitre 1 

“Le monde, les régions, la nation :

vers une nouvelle définition de l'espace québécois”

 Alain Noël et Alain Gagnon
 
Le monde : la fin des territoires ?
Les régions : vers la décentralisation ?
La nation : quel statut politique pour le Québec ?

 

La permanence des conflits internationaux, des problèmes de développement régional et de questions nationales irrésolues confère au territoire, et plus généralement à ce que l'on peut appeler l'espace, une place centrale dans la vie politique. Pour le Québec, il n'en va pas autrement. Interpellés par les transformations de l'ordre international, par les difficultés persistantes de plusieurs régions et, bien sûr, par une question nationale incontournable, les Québécois sont appelés à poursuivre une définition toujours à recommencer d'un espace qui leur soit propre, c'est-à-dire d'un point de rencontre relativement cohérent entre une diversité d'espaces mondiaux, nationaux et régionaux. 

En novembre 1993, le Congrès américain ratifiait l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), donnant ainsi le feu vert à une intégration plus poussée des économies canadienne, américaine et mexicaine. Plutôt favorable à l'accord, le Québec se voyait néanmoins obligé de relever un important défi, celui de l'ajustement à l'intérieur d'un marché continental où se confrontent des niveaux de productivité, de revenus et de protection sociale à peine comparables. Cette même année, on parlait de plus en plus au Québec d'une « révolte des régions ». Un peu partout sur le territoire, des protestations s'élevaient contre diverses réformes administratives ayant un impact régional, contre la centralisation de façon générale et, encore plus, contre l'incapacité du gouvernement à trouver une réponse au chômage élevé et à la perte de vitalité de plusieurs régions. Enfin, toujours en 1993, les électeurs québécois élisaient à la Chambre des communes une opposition officielle souverainiste, gardant ainsi ouvert le dossier constitutionnel, que plusieurs au Canada auraient préféré voir clos et remplacé par des discussions ponctuelles, de nature administrative [1]. 

Deux ans et une élection québécoise plus tard, ces trois questions occupent toujours une place centrale. Dans la mouvance du référendum sur la souveraineté, le débat politique accorde beaucoup d'importance à la place du Québec en Amérique du Nord, au développement régional et à la décentralisation et, évidemment, à la question nationale et à ses corollaires. Quel qu'en soit le résultat, le référendum définira pour plusieurs années les relations du Québec avec l'ensemble canadien, l'Amérique du Nord et le monde, les possibilités de changement politique et économique dans les régions, et, plus fondamentalement, la nature même de la société québécoise. 

Sur le plan international, la relative stabilité de la période 1945-1975 a donné l'impression que, pour l'essentiel, la question de l'espace était réglée. En réaction au fascisme et à la guerre, à cause aussi de la guerre froide, les grandes puissances ont privilégié durant ces trente années le principe de l'inviolabilité des frontières, plutôt que celui potentiellement concurrent du droit des peuples à l'autodétermination. Avec la décolonisation, de nouveaux pays sont apparus, mais presque toujours dans le respect des frontières établies. Les frontières définissant l'espace international apparaissaient presque immuables, déjà données [2]. Sur le plan économique, une logique parallèle de respect des frontières nationales prévalait. Le commerce international se libéralisait, les investissements directs à l'extérieur progressaient, et des institutions internationales stables étaient mises en place, mais tout ceci se faisait dans le respect des espaces nationaux. Le compromis essentiel de ces trente années de prospérité, selon le politologue américain John Gerard Ruggie, consistait justement à combiner le libéralisme sur le plan international et la protection sociale en politique intérieure [3]. À partir des années 1980, ces deux logiques de respect des frontières seront remises en question, l'une par la fin de la guerre froide, l'autre par la mondialisation économique. Un nouveau contexte mondial rend donc inévitable un retour, plus ou moins fondamental, sur la définition des rapports du Québec avec l'extérieur.

Sur le plan régional, les enjeux ont également changé. Jusqu'au milieu des années 1970, les gouvernements des démocraties occidentales avaient tendance à étendre aux régions une logique interventionniste, plus ou moins inspirée de John Maynard Keynes et des politiques de l'État-providence, afin d'atténuer les disparités économiques et sociales entre celles-ci. Le Québec et le Canada ne firent pas exception, comme l'indique la mise sur pied d'une gamme de programmes gouvernementaux durant cette période. L'objectif poursuivi apparaissait fort simple. Il s'agissait d'insérer les économies régionales dans les grands ensembles économiques continentaux et mondiaux à partir de stratégies locales ou nationales. Dans les années 1960, l'accent a été mis sur la réduction des disparités régionales par la planification et la modernisation à partir d'agences centrales. Plus tard, de nouvelles instances régionales furent créées afin d'encadrer les institutions locales et de favoriser l'émergence de pôles de croissance. L'échec relatif de ces approches définies au centre, les transformations économiques des années récentes et une demande grandissante de démocratisation favorisèrent les remises en question à partir des années 1980. Alors même que les frontières nationales semblent devenir moins imperméables et plus fragiles, les dynamiques régionales deviennent plus significatives, et les politiques publiques mettent l'accent sur les initiatives du milieu, la concertation et le rôle accompagnateur de l'État [4]. 

Enfin, bien sûr, la question nationale occupe toujours une place centrale, au Québec comme ailleurs. Tant que les frontières étaient essentiellement fixes, et tant que le rôle planificateur et modernisateur de l'État central demeurait clair et incontestable, la question nationale apparaissait plutôt simple. Il s'agissait pour une nation de se doter d'un territoire et d'un État, afin de disposer d'un espace à soi et des outils pour l'aménager. Les remises en question contemporaines complexifient les choses. D'abord, les frontières et les territoires semblent moins aisément définis et plus facilement remis en question, ce qui rend la création de nouveaux États-nations plus réalisable mais aussi plus difficile à maintenir. Ensuite, la mondialisation des échanges économiques et la remise en cause des stratégies d'intervention étatiques rendent plus difficile la définition de ce qu'au Québec on appelle un projet de société. Enfin, la multiplication contemporaine des demandes nationalistes et identitaires laisse largement ouvert un débat que plusieurs souhaiteraient ne faire qu'une seule fois.

 

Le monde : la fin des territoires ?

 

Avec l'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, une nouvelle époque commençait. Pour la première fois depuis 1945, un président américain pouvait parler de construire un nouvel ordre mondial [5]. Les espoirs de 1989 allaient vite être révisés, notamment par la guerre du Golfe et les conflits dans les Balkans. Un nouvel ordre international était néanmoins en place, un ordre plus fluide et plus complexe que le précédent, où les frontières, les territoires et les identités allaient devenir des enjeux de première importance. 

Comme le souligne Daniel Latouche dans le deuxième chapitre, loin d'annoncer la fin de l'État-nation, ce nouvel ordre international semble propice à la mise en place de nouvelles frontières et à la formation de nouveaux États. La logique du changement est d'abord géopolitique. Le monde bipolaire de la guerre froide faisait de presque tous les territoires et de presque toutes les frontières les enjeux d'une lutte d'influence globale, et les rendait de ce fait presque immuables. Plus encore, en Allemagne, en Corée, au Vietnam, la division du monde traversait un même pays pour le séparer en deux systèmes opposés, pour toujours semblait-il [6]. L'éclatement de l'Union soviétique a permis à la fois la création de nouveaux États sur le territoire de l'URSS et les remises en question un peu partout ailleurs, dans un contexte où de telles remises en question cessaient, sauf exception, d'avoir une signification stratégique globale. 

Pour un moment, entre la chute du mur de Berlin en novembre 1989 et le début de la guerre du Golfe en janvier 1991, tout semblait simple. Le capitalisme libéral et la démocratie avaient triomphé et les peuples du monde semblaient libres de leur destin. C'est presque exactement à mi-chemin de ce bref moment d'espoir qu'échoue l'Accord du lac Meech, qui aurait reconnu le Québec comme société distincte à l'intérieur du Canada. Robert Bourassa tire alors les conclusions de cette défaite constitutionnelle, en déclarant à l'Assemblée nationale que « quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement » [7]. Deux jours plus tard, la fête nationale du Québec était marquée par une « euphorie extraordinaire », que Charles Taylor interprète comme une réaction à la fin de la longue hésitation des Québécois « entre le consentement raisonnable à une structure qui ne les reconnaissait pas et l'insistance pour voir leurs objectifs nationaux acceptés ouvertement » [8]. Une forte majorité de Québécois était soudainement devenue souverainiste, et la souveraineté semblait tout à fait réalisable, dans un monde en plein renouveau.

Sur la scène internationale, cependant, le vent allait rapidement tourner. La désintégration de l'Union soviétique et de la Yougoslavie, en particulier, allait vite faire oublier le retour de la démocratie dans plusieurs pays de l'Europe de l'Est, pour montrer du doigt le caractère dangereux du nationalisme. Le « tribalisme » est de retour, titrait la revue The Economist à la fin de 1991, en déplorant la renaissance de « tribus animées par des griefs linguistiques, religieux ou territoriaux vieux de plusieurs siècles » et par la « haine viscérale de leurs voisins ». Des « tribus guerrières venues du fond des temps », renchérissait le New York Times au printemps 1992, se battent « pour des terres dont le monde n'a jamais entendu parler... ou pour des causes perdues dans le brouillard de l'histoire » [9]. La tentation était grande, pour les intellectuels comme pour les grandes puissances, de tout amalgamer pour réduire toute question nationale à un combat d'arrière-garde mené par des barbares antidémocratiques. 

En parallèle, au Canada, le climat se durcit. Après un bref moment où l'opinion dans le reste du Canada semble résignée au départ du Québec et prête à ne pas compliquer les choses, les attitudes deviennent plus intransigeantes, avec les événements de Kanesatake et de Kahnawake à l'été 1990, et encore plus avec les succès du Bloc québécois à l'élection fédérale d'octobre 1993 [10]. Le référendum de 1992 sur l'Accord de Charlottetown confirme la difficulté de trouver un compromis et, graduellement, le discours public devient de moins en moins ouvert à l'endroit du Québec. Face à la souveraineté du Québec, en particulier, on soulève de plus en plus des objections dures, remettant en question la légitimité ou la légalité de la démarche, niant la possibilité d'une association économique, ou revendiquant le territoire du Québec. Certains, comme l'historien David Bercuson et le politologue Barry Cooper de l'Université de Calgary, vont jusqu'à proposer un découpage ethnique du territoire québécois [11]. Le débat sur la souveraineté devient ainsi plus difficile, plus complexe, moins euphorique. 

Ce double désenchantement, sur la scène internationale et au Canada, a eu l'avantage de favoriser une réflexion qui restait encore à faire. D'abord, on dépasse de plus en plus la dénonciation simpliste du nationalisme. Dans un essai essentiel sur la question, Alain Finkielkraut explique que l'on réduit les conflits nationaux à des luttes ethniques primaires par mépris pour les peuples concernés et pour éviter de chercher à comprendre les enjeux politiques sous-jacents. Pour Finkielkraut, nationalisme et démocratie ne s'opposent pas ; « la vraie question... n'est pas de savoir si la démocratie aura raison de la nation » mais plutôt de savoir « si la version démocratique du sentiment national l'emportera sur le nationalisme antidémocratique » [12]. Quant à l'argument selon lequel la remise en question des frontières par l'autodétermination d'une nation rend inévitable le démantèlement ultérieur de cette même nation par ses minorités – argument souvent utilisé par Pierre Elliott Trudeau – il a autant de valeur, selon le philosophe américain Michael Walzer, que les arguments du XVIIe siècle contre la tolérance. En laissant jouer la démocratie et la liberté, explique Walzer, on retrouvera vite un équilibre où les peuples créeront les frontières et bâtiront les liens qui leur conviennent [13]. 

De façon générale, ce qui ressort des discussions contemporaines sur le nationalisme, c'est le caractère particulier, presque exemplaire, du cas québécois. D'abord, parce que nulle part ailleurs dans les démocraties bien établies un mouvement sécessionniste n'est-il aussi près de réussir par des voies démocratiques [14]. Le Québec dément clairement – avec la Catalogne, la Flandre, l'Ukraine et plusieurs autres cas – l'association simpliste entre nationalisme et violence politique [15]. Plus important encore, le Québec pose parfaitement la question des rapports étroits entre libéralisme et nationalisme, question au cœur des débats actuels en philosophie politique. Au Québec, explique Joseph Carens, le libéralisme et le nationalisme se sont développés ensemble, en se renforçant mutuellement, et peu de cas illustrent mieux les problèmes et les enjeux du nationalisme libéral [16]. Bref, comme le souligne Daniel Latouche dans le deuxième chapitre, dans un ordre international où les frontières changent et où les grands principes sont encore mal établis, « le Québec ne peut plus guère échapper au regard des autres ». 

Sur le plan économique, les remises en question sont également importantes. On a beaucoup écrit sur la mondialisation, en exagérant probablement tant la nouveauté et l'ampleur du phénomène que son impact sur les économies nationales et les politiques gouvernementales. Il n'en reste pas moins que le monde change. Les échanges commerciaux et financiers s'intensifient, de nouvelles institutions internationales et continentales se créent, et la politique intérieure des différents pays se heurte de plus en plus à des contraintes externes. La recherche de la compétitivité semble être devenue la préoccupation presque exclusive des gouvernements, au détriment des autres aspects du développement économique, politique et social [17]. Ainsi, dans les années 1980, le discours du gouvernement québécois est devenu tout entier dominé par l'économique. Il n'y a « pas de meilleure illustration de l'hyper-économicisme qui s'empare du discours politique québécois », observent Gilles Bourque et Jacques Beauchemin, que « ce glissement qui s'opère au fil des énoncés du gouvernement libéral, de la promotion d'une économie à valeur ajoutée à celle d'une société à valeur ajoutée » [souligné dans le texte]. La concurrence internationale était présentée comme une fatalité à laquelle le Québec ne pouvait que s'adapter, et les notions de progrès économique et social ont été à peu près évacuées. Il ne restait à l'État qu'à gérer des problèmes ponctuels, concernant des individus définis par leur statut social (chômeurs, bénéficiaires, jeunes, etc.) plutôt que vus comme des acteurs sociaux porteurs de demandes et de projets [18]. C'est cette même logique qu'au chapitre 3 Louis Bélanger trouve dans la politique étrangère québécoise. Entre 1985 et 1991, note Bélanger, le gouvernement québécois a délaissé ses préoccupations passées pour les « relations internationales » pour se concentrer sur les « affaires internationales ». On ne parlait plus tant entre « peuples » qu'entre « provinces et régions » cherchant à faire partie de l'espace économique mondial. De la part d'un gouvernement qui avait graduellement mis de côté même la modeste notion de société distincte, un tel virage économiste et provincialiste surprend finalement assez peu [19]. 

Pourtant, la course à la compétitivité et l'économisme ne sont pas des fatalités. L'économiste américain Paul Krugman dénonçait récemment l'obsession de la compétitivité en soulignant le fait que la croissance de la productivité nationale – et non les gains de productivité par rapport aux autres pays – expliquait à peu près entièrement la progression des niveaux de vie. Les pays ne sont pas comme des entreprises en compétition, ajoutait Krugman, parce que les gains de l'un ne sont pas les pertes de l'autre [20]. De plus, l'essentiel de l'activité économique est encore interne. En 1991, les exportations représentaient 10 % du produit intérieur brut américain, 22 % de celui du Canada et 21 % de celui du Québec [21]. Quoi qu'il en soit, il y a bien des façons d'être compétitifs. Sans nier la réalité de la contrainte extérieure, il faut bien reconnaître que les différences entre les institutions et les pratiques étatiques demeurent importantes [22]. Ces différences contribuent d'ailleurs à inscrire les pays dans l'espace économique international, et la progression des échanges pourrait très bien favoriser l'accroissement des divergences, dans la mesure où les différents pays répondent différemment aux défis lancés par la mondialisation. Le Québec, par exemple, s'est révélé plus favorable au libre-échange que d'autres provinces du Canada en partie parce qu'il disposait d'institutions et de structures lui donnant un avantage comparatif dans le marché continental [23]. Comme le rappelle Pierre Martin dans le chapitre 4, l'appui au libre-échange constituait également une façon de promouvoir l'autonomie du Québec, à l'intérieur du Canada ou comme futur pays souverain. Dans un monde étroitement intégré sur le plan économique, il y a en effet des avantages à être un petit pays capable de réagir rapidement, de créer des consensus et de s'ajuster [24]. L'intégration économique favorise donc l'autonomie des régions et des petits pays et, réciproquement, les régions et les petits pays cherchent à accroître l'intégration économique [25]. 

La transformation de l'espace mondial contribue ainsi à redéfinir les enjeux pour le Québec, en posant plus ouvertement que jamais la question de la souveraineté et celle du modèle économique et social approprié pour une petite société démocratique et ouverte sur le monde. La mise en place d'un tel modèle implique non seulement la définition du rapport à l'extérieur et l'établissement d'institutions nationales, mais également la prise en compte de ceux qui sont laissés pour compte par le changement économique [26]. Ce qui nous amène à la dimension régionale de la définition de l'espace québécois. 

 

Les régions : vers la décentralisation ?

 

En 1989, le Conseil des affaires sociales publiait un rapport remarqué intitulé Deux Québec dans un, rapport qui faisait état de l'importance de la pauvreté au Québec et de la dimension territoriale du problème. Le chômage, la pauvreté, les problèmes de santé et les problèmes sociaux de toutes sortes étaient concentrés dans de nombreuses municipalités rurales en déclin démographique et dans les quartiers centraux des grandes villes, et le problème était tel que seuls quelques pôles de croissance semblaient y échapper [27]. Six ans plus tard, la Commission nationale sur l'avenir du Québec faisait un constat semblable sur la perte de vitalité « de grands secteurs du territoire québécois » [28]. 

Cette cassure du territoire québécois et la difficulté qu'ont les gouvernements à y répondre de façon adéquate témoignent, expliquent Benoît Lévesque et Lucie Mager au chapitre 5, « de la ruine de l'ancien modèle de développement » face à la mondialisation et aux transformations économiques et sociales. En vertu d'une économie axée sur la production de masse et inspiré par la pensée keynésienne et la construction de l'État-providence, ce modèle appliquait aux régions la logique interventionniste et homogénéisante de la planification d'abord, et des pôles de croissance ensuite. Les limites d'une telle approche – constatées dans les différents bilans sur les disparités régionales – mais surtout les demandes locales pour un autre type de développement amenèrent une remise en cause au cours des années 1980. 

La social-démocratie européenne, explique le politologue américain Herbert Kitschelt, s'est transformée au cours des années 1980, délaissant ses préoccupations traditionnelles pour la distribution des ressources en faveur de questions liées à l'organisation physique et sociale de la production et aux conditions culturelles de la consommation. La technologie, l'environnement, l'aménagement urbain, la place des femmes, la qualité des services et, surtout, le caractère démocratique de l'allocation des ressources ont remplacé la simple distribution du revenu comme enjeux centraux du débat politique [29]. Cette même évolution prend place dans les régions. « Les alliances qui se tissent actuellement autour de la question régionale, écrivent Lévesque et Mager, débordent l'enjeu de la redistribution des bienfaits de la croissance sur le territoire » et cherchent à affirmer les différences régionales à l'aide de « lieux de concertation décisionnels, représentatifs et opérationnels en région ». Dans la mesure où les gouvernements répondent à de telles demandes et misent sur le local, plusieurs craignent un délestage de responsabilités, une privatisation du développement, ou même une centralisation déguisée des grandes orientations [30]. Plusieurs options existent en effet, de la privatisation et de la dualisation néo-libérales au développement local concerté, en passant par la simple préservation des acquis d'une solidarité centralisée. Comme le soulignent Lévesque et Mager, « les jeux sont encore ouverts ». 

La demande de décentralisation des pouvoirs semble particulièrement forte au Québec, et c'est sur le terrain du social et du politique que se définiront les pouvoirs des régions [31]. La question régionale, écrit Serge Côté, ne relève pas simplement de l'économie ou de l'État. Elle « se manifeste lorsque des acteurs sociaux territorialisés se mettent en mouvement pour la défense ou l'amélioration de leurs conditions sociales d'existence » [32]. C'est ce genre de mobilisation que présentent Hughes Dionne et Juan-Luis Klein au chapitre 6, en reconnaissant bien l'ambivalence des acteurs du milieu, qui souhaitent plus d'autonomie locale mais désirent également maintenir le soutien financier de l'État [33]. Cette ambivalence est reconnue dans le récent projet de décentralisation du gouvernement du Québec, qui conclut « qu'une véritable décentralisation doit toujours s'accompagner des ressources financières correspondantes » et qui propose d'assurer l'autonomie financière des instances décentralisées en leur attribuant des sources de financement autonomes et en établissant des mécanismes de redistribution tels que la péréquation [34]. 

Les difficultés des régions peuvent laisser entendre que les grandes villes sont plus favorisées, faisant partie des « régions qui gagnent » [35]. Si ce fut jusqu'à un certain point le cas pendant une bonne période, ce l'est de moins en moins. Comme l'explique Pierre Filion au chapitre 7, les villes centrales sont minées par la désindustrialisation, le déclin démographique, la pauvreté et le manque de ressources fiscales. En octobre 1993, les maires de Montréal, Québec, Hull, Sherbrooke, Trois-Rivières et Chicoutimi – les six principales capitales régionales du Québec – demandaient au gouvernement du Québec d'intervenir pour compenser les dépenses, et les niveaux de taxes plus élevés, qu'elles supportaient pour fournir des services dont profite leur banlieue. Toujours en 1993, le rapport d'un groupe de travail sur la région de Montréal proposait de créer un conseil métropolitain chapeautant les 102 municipalités de la région [36]. Deux ans plus tard, ces questions sont toujours à l'ordre du jour. Dans son rapport, la Commission nationale sur l'avenir du Québec recommande un nouveau pacte fiscal pour Montréal, de même que la création d'une « véritable région métropolitaine » [37]. En même temps, ce qui ressort du chapitre de Filion, comme des deux chapitres précédents, c'est l'importance des dynamiques locales pour la définition de nouvelles pratiques et institutions répondant mieux aux défis lancés par les changements économiques et sociaux contemporains. Au Québec, et à Montréal en particulier, les innovations en matière de développement local et de décentralisation sont encore très récentes et, comme l'indique l'élection montréalaise de novembre 1994, elles demeurent très fragiles. C'est pourtant à ce niveau, autant qu'à celui plus large des débats constitutionnels et des politiques gouvernementales, que se définira le développement local en milieu urbain [38]. 

Au-delà de la question des pouvoirs et du financement, la décentralisation implique également une réflexion sur la construction de l'espace. Comme le note Vincent Lemieux au chapitre 8, le Québec compte en fait plusieurs décentralisations concurrentes, dont on voit mal la signification au chapitre de la représentation territoriale. Dans une étude essentielle pour comprendre l'espace québécois, Pierre Bérubé explique comment les réformes des trente dernières années ont perturbé un modèle d'organisation du territoire fondé sur le comté, modèle qui était établi et stable depuis de nombreuses années et qui correspondait bien aux réalités communautaires [39]. Le territoire québécois, précise Bérubé, est subdivisé de nombreuses façons : 

On y dénombre près de 1 500 municipalités, 96 municipalités régionales de comté (MRQ en plus de 3 communautés urbaines, 125 comtés électoraux, 16 régions administratives, sans oublier les découpages administratifs particuliers auxquels se réfèrent les ministères et organismes publics du gouvernement québécois, etc. Tout ceci s'ajoute à la délimitation des comtés électoraux fédéraux et aux redécoupages administratifs des différents ministères et organismes gouvernementaux reliés à ce palier de gouvernement [40]. 

L'enchevêtrement est tel, conclut Bérubé, « que l'on est venu à perdre une réelle notion de région au Québec » [41]. Le sentiment d'appartenance est miné par l'hétérogénéité des structures auxquelles les citoyens doivent se référer et, surtout, les possibilités de prise en charge locale et de décentralisation sont entravées par l'absence de cadre de référence qui corresponde aux communautés réelles. Bérubé propose de réorganiser le territoire québécois à partir des régions administratives et des MRC existantes. Pour sa part, tout en reconnaissant le problème, le rapport du gouvernement du Québec sur la décentralisation laisse ouverte la question difficile du découpage territorial [42]. Au chapitre 8, Vincent Lemieux évalue différents scénarios et lie la question à celle du mode de scrutin. Au chapitre 9, Louis Massicotte pousse plus loin l'analyse du découpage électoral, pour mesurer l'impact de la concentration des votes libéraux dans les comtés anglophones lors des élections de 1985 et 1989 et lors du référendum de 1992. L'effet de cette concentration est bien réel, constate Massicotte, mais il fluctue avec les scrutins, selon le caractère plus ou moins unilatéral du vote anglophone. En introduisant la dimension linguistique de l'espace québécois, Massicotte met en évidence un de ses clivages les plus fondamentaux, et annonce la troisième et dernière section du livre, qui porte sur la question nationale.

 

La nation : quel statut politique pour le Québec ?

 

En renouvelant la constitution sans l'accord du Québec en 1982, le gouvernement canadien rompait avec des conventions politiques aussi vieilles que le pays et amorçait une nouvelle ère politique, marquée par l'impossibilité de trouver un compromis constitutionnel acceptable pour toutes les parties. Le désaccord n'est pas que symbolique. D'abord, le gouvernement du Québec n'a toujours pas consenti à une réforme qui diminuait ses pouvoirs. Les dirigeants politiques québécois les plus engagés envers le fédéralisme – Daniel Johnson par exemple – estiment toujours inacceptable la réforme de 1982 [43]. Ensuite, en réformant la constitution sans le Québec, le gouvernement canadien entérinait politiquement l'idée que le Québec était une province comme les autres et rendait encore plus difficile la reconnaissance de la diversité profonde qui est constitutive du Canada. L'Accord de Charlottetown, par exemple, reconnaissait beaucoup plus aisément et en termes beaucoup plus significatifs les peuples autochtones que la réalité de la société québécoise [44]. Enfin, avec le temps, les changements adoptés en 1982 de même que la façon d'adopter ceux-ci ont tendance à devenir des pratiques constitutionnelles acceptables et établies, et changent de ce fait de façon durable les conventions politiques canadiennes [45]. 

Cette évolution des pratiques est d'ailleurs observable à plus d'un niveau. De façon générale, les politiques canadiennes ont toujours eu tendance à nier la différence québécoise et à exprimer principalement les préférences du Canada anglais [46]. La constitution, et notamment la division des pouvoirs, était essentiellement perçue comme un obstacle que l'on pouvait contourner pour le bien commun. Sylva Gelber, qui dirigeait à l'époque le Bureau de la main-d'œuvre féminine du ministère du Travail à Ottawa, explique en termes révélateurs l'incorporation des congés de maternité au régime d'assurance-chômage en 1971, contre les objections de la Commission de l'assurance-chômage et de nombreux groupes de femmes : « Plus tard, certaines provinces ont été prêtes, mais à l'époque aucune province n'était prête. On s'est donc penché attentivement sur notre constitution, et j'ai dit merveilleux, on va inclure les congés de maternité dans l'assurance-chômage. Et voilà l'histoire : ils sont devenus fédéraux » [47]. Le nouveau contexte constitutionnel renforce ces tendances, en niant la dualité canadienne et en affirmant plus que jamais l'égalité des provinces et le caractère national du gouvernement fédéral [48]. Ainsi, le récent rapport sur les politiques sociales du Comité permanent du développement des ressources humaines de la Chambre des communes explique que le rôle du « gouvernement national » consiste à établir « de concert avec les provinces et autres intervenants, des normes et des principes nationaux généraux » afin de protéger les valeurs qui « font partie intégrante de notre identité en tant que Canadiens ». Il ne s'agit pas de nier le rôle des provinces, précise-t-on, mais au contraire de « respecter les secteurs de compétence des gouvernements fédéral et provinciaux et (de) tenir compte de la diversité des provinces dans le contexte de l'idée commune que l'on se fait du Canada » [49]. Le Canada se définit ainsi sur une base nationale, autour d'une « idée commune » et de « principes nationaux généraux ». Dans ce rapport comme dans bien d'autres, n'est national, et donc essentiel, que ce qui est canadien. Ovide Mercredi lui-même devient « le chef national de l'Assemblée des premières nations » [50] ! 

Bref, autant sur le plan des politiques gouvernementales que sur celui des arrangements constitutionnels, le Canada se pense de plus en plus comme une communauté nationale indifférenciée [51]. Dans un tel contexte, l'option souverainiste québécoise est rapidement réduite à un phénomène ethnique ou particulariste. Puisque le Québec n'existe pas comme nation ou même comme « société distincte », les demandes québécoises peuvent être comprises comme des demandes strictement linguistiques ou ethniques. C'est à partir de ces perceptions que se construisent les attaques les plus sévères contre le projet souverainiste ou contre toute demande de reconnaissance venant du Québec. 

Ainsi, dans Goodbye... et bonne chance – un livre qui a eu un succès important au Canada –, David J. Bercuson et Barry Cooper présentent le Québec non pas comme une société globale et pluraliste, mais plutôt comme une région du Canada dominée par un groupe ethnique qu'ils appellent les « Français » du Québec. Les nationalistes québécois, écrivent-ils, n'ont pas tous des ancêtres français, mais ils « se voient comme les descendants des colons français » et revendiquent « l'autodétermination fondée sur l'ethnie » [52]. Bercuson et Cooper savent bien que les Québécois, même les nationalistes, ne descendent pas des colons français. Aussi parlent-ils d'une identité subjective pour maintenir l'idée d'une ethnie. Ce faisant, ils nient que c'est comme société globale, comme communauté pluraliste que le Québec demande à être reconnu. Pour eux, seul le Canada anglais peut revendiquer un tel statut ; les termes étant ainsi posés, le Canada anglais devient pluraliste, multi-ethnique et ouvert, le Québec, ethnique, uniforme et fermé. 

En ramenant ainsi les demandes constitutionnelles du Québec à celles d'un groupe ethnique, Bercuson et Cooper réalisent trois objectifs. Premièrement, ils peuvent qualifier les revendications du Québec de demandes ethniques contraires à la logique libérale. Deuxièmement, ils associent le refus canadien-anglais de reconnaître le Québec à une défense fort légitime de principes démocratiques essentiels. Et, enfin, ils peuvent justifier des conditions punitives advenant l'accession du Québec à l'indépendance. 

La logique ethnique de Bercuson et Cooper prend tout son sens lorsque les auteurs présentent les conséquences de l'indépendance. Si les « Français » se prévalent du droit à l'autodétermination basée sur l'ethnie, expliquent-ils, « alors les non-Français ont le même droit de se séparer du Québec » [53]. Il devient donc possible, et en fait juste, de redéfinir les frontières d'un Québec indépendant non seulement à coup d'arguments juridiques et constitutionnels mais aussi a partir de l'ethnicité. Ainsi, un projet intellectuel qui au départ dénonce le Québec au nom des valeurs universalistes libérales se termine en divisant les populations d'après des identités ethniques présumées. Avec ces propositions de partage territorial, la réduction du Québec à un statut ethnique prend tout son sens. En procédant de cette façon, Bercuson et Cooper obtiennent bien plus que la défense habituelle d'une certaine conception du libéralisme. Ils inventent des opposants ethniques, leur allouent des territoires, et préparent et justifient des politiques ethniques vindicatives. 

Sans aller aussi loin que Bercuson et Cooper, de nombreux auteurs ont soulevé des questions sur la légalité, la légitimité et les conséquences territoriales d'une démarche souverainiste québécoise. En ce qui concerne la légalité, on reconnaît de plus en plus les limites d'une argumentation trop étroitement juridique. Patrick J. Monahan et José Woerhling, deux juristes dont les évaluations du processus sont fort contrastées, s'accordent pour dire qu'une sécession constitutionnelle serait possible mais improbable, et pour conclure que le droit international ne confère pas au Québec un droit de sécession sans équivoque, sans pour autant y faire obstacle. Surtout, les deux admettent qu'en définitive la question relève de « considérations politiques » plus que « d'arguments juridiques » [54]. La légitimité du processus et la possibilité de s'entendre au Canada pèseront donc plus que les précédents légaux. Or, comme le note Robert Young, en reconnaissant le Québec souverain, le Canada s'éviterait énormément de difficultés économiques, politiques et légales [55]. Plus important encore, dans le contexte canadien, le principe démocratique prévaudrait probablement : « diverses autorités fédérales, explique Woehrling, ont déjà reconnu le droit des Québécois à l'indépendance, à condition qu'il soit exprimé de façon démocratique » [56]. Bref, les arguments niant la possibilité d'une souveraineté démocratique ou évoquant les pires conséquences juridiques ou politiques ne sont pas convaincants. « Les institutions canadiennes et québécoises, conclut Woerhling, sont fondées sur le principe démocratique, c'est-à-dire que le respect de la volonté populaire constitue leur justification et le véritable moteur de leur fonctionnement. Si certaines règles juridiques, fussent-elles de nature constitutionnelle, empêchent la réalisation d'une volonté populaire profonde et résolue, elles seront rapidement dénuées de légitimité » [57]. 

Sur le plan territorial, une logique semblable devrait prévaloir. Ainsi, les arguments souvent évoqués sur la reprise possible par le Canada des territoires septentrionaux du Québec ou sur le fractionnement du territoire québécois ne semblent guère avoir de fondements juridiques [58]. Même d'un point de vue politique, beaucoup de facteurs favorisent la continuité et la stabilité des frontières, aussi « artificielles » soient celles-ci [59]. Ceci étant dit, un certain nombre de questions demeurent ouvertes. Au minimum, le Québec et le Canada devraient négocier leurs frontières maritimes, compte tenu des compétences nouvelles du Québec en vertu du droit international [60]. Ensuite, un certain nombre de problèmes concernant les zones frontalières pourraient être abordés. Comme le souligne Henri Dorion au chapitre 10, ces problèmes débordent « largement ... la simple question de la délimitation et du maintien des frontières » et ils demandent une réflexion sérieuse, libre de toute « paranoïa frontalière ». Des modifications territoriales mineures, par exemple, pourraient faciliter grandement la gestion de certaines zones frontalières. En ce qui concerne les autochtones, cependant, les enjeux semblent plus importants et la « paranoïa frontalière » plus probable. 

Au chapitre 11, Daniel Salée présente une analyse particulièrement lucide du choc des nationalismes québécois et autochtones. L'affirmation identitaire autochtone, explique Salée, heurte de front l'identité québécoise moderne. En délaissant la référence ethnique ou linguistique pour une identité pluraliste définie sur une base territoriale, les Québécois donnaient au territoire une signification symbolique et politique centrale. En même temps, les nationalismes autochtones se définissaient également à partir de revendications territoriales, et remettaient donc en cause la compréhension québécoise du territoire. Pour réaliser la souveraineté, le Québec doit donc confronter la question – la plus difficile et la plus controversée de toutes celles qui devront être réglées – et ne peut le faire en se contentant d'énoncer de bonnes intentions. Pour les autochtones, écrit Gerald R. Alfred, un référendum sur la souveraineté ne réglerait rien, au contraire [61]. En effet, les revendications autochtones demeureraient insatisfaites et un changement de régime sans l'aval des autochtones aggraverait un contentieux déjà lourd. Ceci étant dit, si les Québécois doivent reconnaître les autochtones et la légitimité de leurs revendications fondamentales, les autochtones doivent en contrepartie reconnaître le caractère légitime, pluraliste et démocratique de la démarche souverainiste québécoise [62]. Idéalement, conclut Reg Whitaker, pour éviter les pires dérapages, une entente négociée devrait précéder la souveraineté, entente qui permettrait au Québec et au Canada de reconnaître les mêmes droits autochtones sur les deux territoires sans remettre en question les frontières entre ces territoires [63]. Dans l'éventualité d'un résultat référendaire négatif, évidemment, une telle entente ne serait pas requise et, comme le souligne Daniel Salée, elle serait constitutionnellement et politiquement difficile à atteindre ; le Québec pourrait difficilement « octroyer à l'identité autochtone une légitimité que l'identité québécoise a peine à conserver et à se faire reconnaître pour elle-même ». 

C'est par cette question plus générale de l'identité que Guy Laforest termine cet ouvrage sur l'espace québécois, en proposant un grand débat sur l'identité québécoise et le pluralisme libéral. Les années récentes, écrit Laforest, nous auront permis de dépasser une conception trop uniformisante de la nation québécoise, sans pour autant tomber dans l'anti-nationalisme ou le post-nationalisme. On peut maintenant reconnaître, par exemple, l'anglais comme « partie intégrante du patrimoine collectif de notre société ». Il faudrait aller plus loin, propose Laforest, et reconnaître le caractère plurinational du Québec, jusque dans nos institutions. Dans le cas contraire, les non-francophones québécois n'ont guère de raisons positives d'appuyer la souveraineté, même si celle-ci se définit sur une base pluraliste [64]. Faire l'économie de ce grand débat nous engagerait, conclut Laforest, sur la voie de la normalité, mais pas sur celle de la justice. 


[1]   Voir, respectivement : David E. Rosenbaum, « House Backs Free Trade Pact in Major Victory for Clinton After a Long Hunt for Votes », New York Times, 18 novembre 1993, A1 ; André Pépin, « Le Québec de la périphérie en révolte », La Presse, 5 juin 1993, B1 ; et Alain Noël, « Distinct in the House of Commons : The Bloc Québécois as Official Opposition », dans Douglas M. Brown et Janet Hiebert (dir.), Canada : The State of the Federation 1994, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations, 1994, 19-35.

[2]   J. Samuel Barkin et Bruce Cronin, « The State and the Nation Changing Norms and the Rules of Sovereignty in International Relations », International Organization, 48 (hiver 1994), 122-125.

[3]   John Gerard Ruggie, « International Regimes, Transactions, and Change : Embedded Liberalism in the Postwar Economic Order », International Organization, 36 (printemps 1982), 209.

[4]   Serge Côté, « À l'heure de la mondialisation, les politiques régionales de l'État central sont-elles devenues caduques ? », Égalité, 34 (automne 1993), 17-43 ; Juan-Luis Klein, « De l'État-providence à l'État-accompagnateur dans la gestion du social : le cas du développement régional au Québec », Lien social et politiques, 33 (printemps 1995), 133-141.

[5]   Voir Bruce Cumings, « The End of the Seventy-Years' Crisis », dans Meredith Woo-Cumings et Michael Loriaux (dir.), Past as Prelude : History in the Making of a New World Order, Boulder, Westview, 1993, 9.

[6]   Bertrand Badie, La fin des territoires : essai sur le désordre international et sur l'utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995, 148.

[7]   Cité dans Jean-François Lisée, Le tricheur : Robert Bourassa et les Québécois, 1990-1991, Montréal, Boréal, 1994, 26.

[8]   Charles Taylor, « Le pluralisme et le dualisme », dans Alain-G. Gagnon (dir.), Québec : État et société, Montréal, Québec/Amérique, 1994, 73 ; voir aussi Daniel Latouche, Plaidoyer pour le Québec, Montréal, Boréal, 1995, 146.

[9]   Notre traduction ; cités dans Daniel Patrick Moynihan, Pandœmonium Ethnicity in International Politics, Oxford, Oxford University Press, 1993, 16-19.

[10] Jean-François Lisée, Le tricheur, 53-77 ; Pierre Martin, « Association after Sovereignty ? Canadian Views on Economic Association with a Sovereign Quebec », Canadian Public Policy, 21 (mars 1995), 53-71 ; Noël, « Distinct in the House of Commons », 24-29.

[11] David J. Bercuson et Barry Cooper, Goodbye ... et bonne chance : les adieux du Canada anglais au Québec, Montréal, Le Jour, 1991.

[12] Alain Finkielkraut, Comment peut-on être croate ?, Paris, Gallimard, 1992, 19 et 38-39 ; voir aussi Will Kymlicka, « Misunderstanding Nationalism », Dissent, (hiver 1995), 130-137.

[13] Michael Walzer, « The New Tribalism : Notes on a Difficult Problem », Dissent, (printemps 1992), 169.

[14] Stéphane Dion, « Why is Secession Difficult in Well-Established Democracies ? Lessons from Quebec », British Journal of Political Science, 25, (1995), 1108-1109.

[15] David D. Laitin compare les cas violents et non violents, dans « National Revivals and Violence », Archives européennes de sociologie, 36, (1995), 3.

[16] Joseph H. Carens, « Liberalism, Justice, and Political Community Theoretical Perspectives on Quebec's Liberal Nationalism », dans Carens (dir.), Is Quebec Nationalism Just ? Perspectives from Anglophone Canada, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1995, 3-4.

[17] Groupe de Lisbonne, Limites à la compétitivité : vers un nouveau contrat mondial, Montréal, Boréal, 1995.

[18] Gilles Bourque et Jacques Beauchemin, « La société à valeur ajoutée ou la religion pragmatique », Sociologie et sociétés, 26 (automne 1994), 33-56.

[19] Voir, à ce sujet, Guy Laforest, De la prudence : textes politiques, Montréal, Boréal, 1993, 22 et 152-153.

[20] Paul Krugman, « Competitiveness : A Dangerous Obsession », Foreign Affairs, 73 (mars/avril 1994), 34.

[21] Paul Krugman, Peddling Prosperity : Economic Sense and Nonsense in the Age of Diminished Expectations, New York, Norton, 1994, 257 ; Statistique Canada, Exportations : commerce des marchandises 1993, 65-202 et Comptes économiques provinciaux, estimations annuelles 1988-1992, 13-213, Ottawa, Statistique Canada, 1994. Lorsque l'on ajoute ce que le Québec vend dans le reste du Canada, la part du commerce devient beaucoup plus importante et alors, comme le souligne Pierre Martin dans le chapitre 4, le Québec « se compare aux petits pays de l'Europe du Nord ».

[22] Gosta Esping-Andersen, « After the Golden Age : The Future of the Welfare State in the New Global Order », Occasional Paper n° 7, World Summit for Social Development, Genève, United Nations Research Institute for Social Development, novembre 1994, 5 et 23 ; Gérard Boismenu et Alain Noël, « La restructuration de la protection sociale en Amérique du Nord et en Europe », Cahiers de recherche sociologique, 24, (1995), 49-85.

[23] Daniel Latouche, Le bazar : des anciens Canadiens aux nouveaux Québécois, Montréal, Boréal, 1990, 149.

[24] Peter J. Katzenstein, Small States in World Markets : Industrial Policy in Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1985 ; Latouche, Plaidoyer pour le Québec, 167-178.

[25] Ibid. ; Alberto Alesina et Enrico Spolaore, « On the Number and Size of Nations », NBER Working Paper n° 5050, Cambridge, National Bureau of Economic Research, mars 1995, 23.

[26] Diane-Gabrielle Tremblay et Alain Noël, « Beyond Quebec Inc. ? Concertation in a High Unemployment Society », Inroads, 2 (printemps 1993), 74-85.

[27] Conseil des affaires sociales, Deux Québec dans un : rapport sur le développement social et démographique, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur, 1989, 106-120.

[28] Commission nationale sur l'avenir du Québec, Rapport, Québec, Secrétariat national des commissions sur l'avenir du Québec, 1995, 73.

[29] Herbert Kitschelt, The Transformation of European Social Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, 2-6.

[30] Juan-Luis Klein, « Partenariat et planification flexible du développement local », Revue canadienne des sciences régionales, 15 (1992), 491-505 ; Hughes Dionne, « Centralisation tranquille et ambiguïtés du développement régional », dans Serge Côté, Juan-Luis Klein et Marc-Urbain Proulx (dir.), Et les régions qui perdent... : tendances et débats en développement régional, Rimouski, GRIDEQ-GRIR-Département de géographie de l'UQAM, 1995, 105.

[31] Serge Côté, « L'espace régional, reflet des différences ou miroir de l'unité ? », dans Jean-Marie Fecteau, Gilles Breton, et Jocelyn Létourneau (dir.), La condition québécoise : enjeux et horizons d'une société en devenir, Montréal, VLB, 1994, 194 ; Ministère du Conseil exécutif, Décentralisation : un choix de société, Québec, Gouvernement du Québec, 1995, 3-8.

[32] Serge Côté, « L'espace régional, reflet des différences ou miroir de l'unité ? », 203.

[33] Voir aussi Juan-Luis Klein et Louis Favreau (dir.), « Dossier : les régions », Nouvelles pratiques sociales, 8, (printemps 1995), 29-119.

[34] Ministère du Conseil exécutif, Décentralisation : un choix de société, 5, 48 et 56-57.

[35] Georges Benko et Alain Lipietz, « Le nouveau débat régional : positions », dans Benko et Lipietz (dir.), Les régions qui gagnent. Districts et réseaux : les nouveaux paradigmes de la géographie économique, Paris, PUF, 1992, 13-14.

[36] Louise Quesnel, « La vie locale et régionale », dans Denis Monière (dir.), L'année politique au Québec, 1993-1994, Montréal, Fides, 1994, 92-93.

[37] Commission nationale sur l'avenir du Québec, Rapport, 72.

[38] Pierre Hamel, « The Paradox of Locality and the Constitutional Crisiso, dans Henri Lustiger-Thaler (dir.), Political Arrangements : Power and the City, Montréal, Black Rose, 1992, 105.

[39] Pierre Bérubé, L'organisation territoriale du Québec : dislocation ou restructuration ?, Québec, Les Publications du Québec, 1993, 91.

[40] Ibid., 72. Parmi les découpages administratifs du Québec, on trouve 170 districts de centres locaux de services communautaires (CLSC) ; 16 régies régionales de la santé et des services sociaux ; 14 conseils régionaux de développement et de concertation ; 9 districts et 111 territoires desservis par les postes de la Sûreté du Québec ; 15 régions pour le ministère des Transports ; 19 régions touristiques ; 10 régions pour le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche ; 12 régions agricoles et 75 bureaux de renseignements agricoles ; 129 commissions scolaires intégrées, 17 commissions scolaires régionales et 56 commissions scolaires locales ; 11 régions administratives pour le ministère de la Justice, 36 districts juridiques et 73 bureaux d'enregistrement ; 18 régions pour le ministère de la Main-d'œuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle ; 11 régions pour la Commission de formation professionnelle ; 10 régions pour Hydro-Québec ; etc. Ibid., 125.

[41] Ibid., 122.

[42] Ibid., 123 ; Ministère du Conseil exécutif, Décentralisation : un choix de société, 69.

[43] Gilles Normand, « Johnson dit qu'un NON est un OUI à un partenariat renouvelé », La Presse, 19 janvier 1995, A1.

[44] Alan C. Cairns, « The Charlottetown Accord : Multinational Canada v. Federalism », dans Curtis Cook (dir.), Constitutional Predicament : Canada after the Referendum of 1992, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1994, 58-59.

[45] Alain-G. Gagnon et Guy Laforest, « The Future of Federalism : Lessons from Canada and Quebec », International Journal, 48 (été 1993), 483.

[46] A. Corry, « The Uses of a Constitution », dans The Constitution and the Future of Canada, Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, Toronto, Richard De Boo, 1978, 9-10.

[47] Notre traduction ; Sylva Gelber citée dans Sandra Burt, « Organized Women's Groups and the State », dans William D. Coleman et Grace Skogstad (dir.), Policy Communities and Public Policy in Canada : A Structural Approach, Mississauga, Copp Clark Pitman, 1990, 203.

[48] Kenneth McRoberts, « Les perceptions canadiennes-anglaises du Québec », dans Gagnon, Québec : État et société, 120-12 1.

[49] Comité permanent du développement des ressources humaines, Équité, sécurité et perspectives d'avenir : les Canadiens, maître d'œuvre du renouveau social, Ottawa, Chambre des communes, 1995, 69-70 et 78.

[50] Ibid., 15 ; voir à ce sujet le rapport minoritaire du Bloc québécois, dans ibid., 282.

[51] Michael M. Atkinson, « What Kind of Democracy Do Canadians Want ? », Revue canadienne de science politique, 27 (décembre 1994), 743.

[52] David J. Bercuson et Barry Cooper, Goodbye ... et bonne chance : les adieux du Canada anglais au Québec, 25.

[53] Ibid., 181.

[54] José Woerhling, « Les aspects juridiques et politiques d'une éventuelle accession du Québec à la souveraineté », Choix : série Québec-Canada, 1, 12, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, juin 1995, 33 ; Patrick J. Monahan, « La sécession du Québec : considérations juridiques et politiques », Choix : série Québec-Canada, 1, 12, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, juin 1995, 13.

[55]      Robert A. Young, La sécession du Québec et l'avenir du Canada, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1995, 91. Patrick Monahan reconnaît l'importance des coûts que le Canada s'infligerait s'il faisait obstacle à la souveraineté : Monahan, « La sécession du Québec », 16-17.

[56] José Woerhling, « Les aspects juridiques et politiques d'une éventuelle accession du Québec à la souveraineté », 32 ; voir aussi Daniel Turp, L'Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec : texte annoté, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, 1995, 9.

[57] José Woerhling, « Les aspects juridiques et politiques d'une éventuelle accession du Québec à la souveraineté », 37.

[58] Ibid., 36 ; Thomas M. Franck, Rosalyn Higgins, Alain Pellet, Malcolm N. Shaw, et Christian Tomuschat, « L'intégrité territoriale du Québec dans l'hypothèse de l'accession à la souveraineté », dans Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté, Exposés et études, volume 1 : les attributs d'un Québec souverain, Québec, Assemblée nationale, 1992, 443-445. Une opinion dissidente est présentée dans Monahan, « La sécession du Québec », 13-16.

[59]      Bertrand Badie, La fin des territoires, 102-107 ; Jeffrey Herbst, « The Creation and Maintenance of National Boundaries in Africa », International Organization, 43 (automne 1989), 673-692.

[60] Daniel Turp, L'Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec, 54-60.

[61] Gerald R. Alfred, « L'avenir des relations entre les Autochtones et le Québec », Choix : série Québec-Canada, 1, 10, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, juin 1995, 4.

[62] Reg Whitaker, « Quebec's Self-determination and Aboriginal Self-government : Conflict or Reconciliation ? », dans Carens (dir.), Is Quebec Nationalism Just ?, 211-216.

[63] Ibid., 217 ; voir aussi Woerhling, « Les aspects juridiques et politiques d'une éventuelle accession du Québec à la souveraineté », 36-37.

[64] Jeremy Webber, « Le référendum et l'avenir des anglophones du Québec », Choix : série Québec-Canada, 1, 9, Montréal, Institut de recherche en politiques publiques, juin 1995, 23.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 28 décembre 2007 15:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.s
 



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