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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Alain G. Gagnon, “Le dossier constitutionnel Québec-Canada.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec: État et société. Tome II, chapitre 6, pp. 151-174. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS. Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation accordée par l'auteur, vendredi le 17 mars 2006, de diffuser tous ses travaux dans Les Classiques des sciences sociales.]

[151]

Alain G. Gagnon

Politologue, département de science politique, UQÀM

Le dossier constitutionnel
Québec-Canada.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’Alain-G. Gagnon, Québec : État et société. Tome II, deuxième partie: “La gouvernance”, chapitre 6, pp. 151-174. Montréal: Les Éditions Québec/Amérique, 1994, 2003, 588 pp. Collection: DÉBATS.


D’emblée, le Québec n'est pas une province comme les autres. On doit utiliser un vocabulaire adapté pour rendre compte de cette réalité politique de façon adéquate. C'est ainsi que nous employons ici les notions d'État du Québec, de nation politique inscrite dans un ensemble multinational et de région historique pour la spécificité québécoise plutôt que celles de province, de gouvernement subalterne ou de groupement politique. Ces dernières expressions sont en porte-à-faux avec la façon dont une forte majorité de Québécois se perçoivent et se définissent [1].

Il y a diverses façons d'aborder les rapports Québec-Canada en matière de relations fédérales-provinciales. Certains chercheurs ont opté pour une démarche juridique (ex : Andrée Lajoie, dans le présent ouvrage) ; d'autres ont plutôt choisi de procéder à une étude du fédéralisme fiscal (ex. : la Commission Séguin sur le déséquilibre fiscal au Canada [2]). Le présent texte privilégiera la dimension historico-institutionnelle des relations fédérales-provinciales afin de donner un portrait plus englobant et permettant d'offrir une perspective qui tienne davantage compte de l'évolution des rapports de force entre ordres de gouvernement de même qu'au sein du système partisan. Nous procéderons en trois temps : a) la première période fait état des fondements historiques et de l'établissement du premier ordre constitutionnel ; b) la deuxième période en est une de transition et couvre les années 1960 à 1982 ; et c) la troisième période s'étend de 1982, année du rapatriement de la Constitution sans l'accord du Québec, jusqu'à aujourd'hui et fait le point sur la rupture avec l'ordre constitutionnel établi et la mise en place d'un nouvel ordre politique.

[152]

LES FONDEMENTS HISTORIQUES
ET LA MISE EN PLACE DU PREMIER ORDRE
CONSTITUTIONNEL


Les événements fondateurs d'une communauté politique ne font pas l'unanimité. Dans le cas québécois, toutefois, il est assez facile de convenir des dates importantes, quoique l'interprétation qui en est fournie varie selon les différentes familles politiques. On peut cerner jusqu'aux années 1960 pas moins de quatre moments structurants : a) la Conquête de 1759-1760, suivie de la Cession de 1763 ; b) l'Acte de Québec de 1774 ; c) les Rébellions de 1837-1838, suivies de l'Acte d'union de 1840 ; et d) la Confédération de 1867. Chacun de ces moments a marqué le développement de la culture politique québécoise de façon notoire. Il arrive encore souvent aux auteurs contemporains de retourner à ces moments, soit pour les ressasser, soit pour les dépasser, mais rarement pour s'en défaire.

Les grands épisodes de la Conquête et de la Cession ont été plusieurs fois passés en revue dans l'analyse des rapports Québec-Canada. Les interprétations dissonantes avancées respectivement par les tenants de l'École de Montréal et de l'École de Québec et, plus près de nous, dans la série d'émissions télédiffusée à Radio-Canada sur l'Histoire populaire du Canada ou dans les échanges entre Gérard Bouchard et John Saul [3]sur les conséquences politiques de cibler l'un ou l'autre de ces deux événements.

L'Acte de Québec de 1774 constitue un moment structurant dont les répercussions n'ont pas fini de se faire sentir. Certains analystes ont évoqué le désir de la Grande-Bretagne d'empêcher à l'époque que ne s'étendent à l'ancienne possession française et catholique ses conflits militaires avec les Américains, qui eux souhaitaient s'affranchir de la mère patrie. D'autres analystes ont avancé des interprétations plus nuancées, rappelant avec intérêt que l'Acte de Québec constitua le premier statut impérial reconnaissant à une colonie sa propre constitution [4].

C'est dans ce contexte que ceux qui se définissaient comme « les Canadiens » et leurs élites se voyaient reconnaître, d'une part, le droit d'exercer leur foi, d'utiliser le français et, d'autre part, obtenaient le rétablissement du régime seigneurial, la dime et les usages de droit commun. L'Acte de Québec représente dans les faits un document interprétatif dont on ne saurait ignorer l'importance pour les générations suivantes.

[153]

La portée de l'Acte de Québec sur la légitimité des revendications québécoises au sein de la fédération canadienne est à maints égards proportionnelle à celle de la Proclamation royale de 1763 pour les nations autochtones. C'est probablement d'ailleurs ce qui incita les auteurs du rapport préliminaire de la Commission royale sur les peuples autochtones à établir, en 1995, un parallèle entre les revendications de ces nations et celles de la nation québécoise dans l'ensemble canadien.

Les événements entourant la Rébellion au Bas-Canada ainsi que l'Acte d'union de 1840 ont marqué l'imaginaire des « Canadiens français » de l'époque. On peut d'ailleurs faire remonter à cette période l'entrée des idées républicaines et libérales au Québec. Toutefois, l'année 1840 ne représente pas une année mémorable pour les « Canadiens français » puisqu'elle signifie la fusion forcée du Haut et du Bas-Canada sans même qu'un gouvernement responsable ait été institué ; il fallut attendre jusqu'en 1848 pour que cette avancée politique se réalise.

C'est au moment de l'union des deux Canadas que les Canadiens français se tournèrent résolument vers l'Église qui les prenait sous sa protection et que les premiers balbutiements d'une formule consociationnelle furent entendus [5].

En fondant, en 1867, la Confédération canadienne ou ce qu'il convient de désigner comme le premier ordre constitutionnel, les Canadiens français et les Canadiens anglais s'entendent sur les grandes lignes d'un partage des pouvoirs. Malgré les modifications ponctuelles, cet ordre constitutionnel perdura jusqu'au rapatriement de 1982.

Trois interprétations ont eu cours pendant cette période : la création du Canada a été interprétée soit comme un statut impérial, soit comme une entente entre les provinces fondatrices ou encore comme un pacte entre les Canadiens anglais et le Canadiens français. Au Québec, l'interprétation qui a dominé tous les débats est celle du dualisme et elle a donné lieu à l'élaboration d'une littérature riche sur le plan constitutionnel. Par exemple, les travaux du juge Thomas-Jean-Jacques Loranger, au début des années 1880 [6], méritent d'autant que l'on s'y attarde qu'ils sont venus établir des liens avec l'Acte de Québec de 1774 et fournir des balises interprétatives dans les rapports Québec-Canada. Les principales prémisses du juge Loranger sont résumées dans le rapport préliminaire de la Commission royale sur les peuples autochtones déposé en 1993 :

[154]

« 1- La confédération des provinces britanniques a été le résultat d'un pacte formé par les provinces et le Parlement impérial, qui, en décrétant l’Acte de l'Amérique du Nord britannique, n'a fait que le ratifier.

2- Les provinces sont entrées dans l'union fédérale avec leur identité corporative. Leurs anciennes constitutions, et tous leurs pouvoirs législatifs, dont elles ont consenti à retrancher un certain nombre qu'elles ont cédés au parlement fédéral, pour les exercer dans leur intérêt commun et dans des fins d'utilité générale, mais en conservant le reste pour en laisser l'exercice à leurs législatures, agissant dans la sphère provinciale, d'après leur ancienne constitution, sauf certaines modifications de forme établies par le pacte fédéral.

3- Loin de leur avoir été conférés par le gouvernement fédéral, les pouvoirs des provinces non cédés à ce gouvernement sont le résidu de leurs anciens pouvoirs, et loin d'avoir été créé par lui, il a été le fruit de leur association et de leurs conventions et il a été créé par elles [7]. »


Le juge Loranger appuie son raisonnement sur la règle de la continuité en matière constitutionnelle et rappelle qu’il n'est pas loisible pour les acteurs politiques d'ignorer les traités, les ententes et les conventions dans l'élaboration des réformes constitutionnelles.

L'influence des interprétations avancées par le juge Loranger dans l'élaboration des positions constitutionnelles au Québec est aussi inscrite en filigrane dans le rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, le rapport Tremblay, qui fut déposé par le gouvernement du Québec en 1956. Le rapport Tremblay met l'accent sur des notions d'autonomie provinciale sur les plans fiscal et financier, de coordination entre les deux ordres de gouvernement et de subsidiarité. Le rapport recommande que le Québec, à titre d'État membre de la confédération canadienne, puisse assurer pleinement le développement de sa culture. Le rapport Tremblay a permis d'actualiser les avancées conceptuelles du juge Loranger en matière d'autonomie provinciale, tout en représentant une source d'inspiration majeure pour les instigateurs de la Révolution tranquille au moment où ceux-ci élaboraient un vaste programme de réformes sur les plans culturel, économique et social en vue de réduire le fossé qui s'était creusé entre le Québec et l’Ontario en particulier.

[155]

DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE
AU RAPATRIEMENT
DE LA CONSTITUTION DE 1982 :
UNE PÉRIODE DE TRANSITION


Le début des années 1960 fut marqué par une fébrilité politique impressionnante au Québec : l'arrivée au pouvoir des libéraux de Jean Lesage, l'apparition de plusieurs tiers partis, l'interventionnisme de l'État, l'affirmation de la société civile, la montée du mouvement syndical et, pour se limiter à ces exemples, les premières expressions du Front de libération du Québec. Ces acteurs sociaux et politiques cherchaient à redresser les iniquités structurelles dont le Québec avait souffert au cours des ans et à procurer aux Québécois un contexte de choix leur permettant de s'affirmer sur les plans culturel, économique, social et politique.

Au tout début de la période, le gouvernement du Québec a tenté de se faire des alliés dans les capitales provinciales. C'est d'ailleurs à l'initiative de Jean Lesage que les premiers ministres provinciaux canadiens ont commencé à se rencontrer annuellement en vue de présenter un front commun face aux actions unilatérales d'Ottawa dans les champs de compétence exclusive aux provinces.

Sur le plan constitutionnel, et en réponse aux revendications du Québec, le gouvernement libéral minoritaire de Lester B. Pearson décida de mettre sur pied en 1963 la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme et de donner un sens réel au principe de l'égalité entre les deux peuples dits fondateurs [8]. C'est dans ce contexte de grande fébrilité que le gouvernement du Québec cherche, de concert avec les autres États membres de la fédération, à élaborer des propositions en vue d'en arriver à des ententes négociées avec le gouvernement fédéral. Cela a notamment eu pour effet d'augmenter la fréquence des rencontres fédérales-provinciales, d'élargir l'éventail des questions discutées au cours des réunions et de favoriser la création de comités ministériels chargés d'étudier les questions en litige.

Subséquemment, et inspiré par la doctrine autonomiste du juge Loranger, Paul Gérin-Lajoie a proposé le prolongement externe des compétences internes du Québec [9]. C'est alors que le Québec investit la scène internationale et commença à entretenir des relations avec des organismes internationaux et des gouvernements étrangers, ce qui provoqua de sérieux conflits avec Ottawa. Le gouvernement du Québec reconnaissait que la politique extérieure était de compétence fédérale, mais arguait de son droit d'agir dans ce domaine lorsque [156] les sujets relevaient de sa compétence exclusive. Cette démarche fut particulièrement efficace de 1964 à 1966, période au cours de laquelle Québec conclut plusieurs ententes touchant l'éducation, la jeunesse et la culture (voir la contribution de Louis Balthazar dans ce volume). Les initiatives québécoises, combinées aux efforts de concertation avec les autres provinces, firent monter la pression en faveur d'une réforme constitutionnelle.

À l'époque, l'établissement d'une formule d'amendement constituait un problème majeur sur la voie de la réforme constitutionnelle. Au cours du règne libéral de Jean Lesage (1960-1966), deux formules d'amendement furent proposées au Québec, puis rejetées. En 1961, Lesage refusa la formule proposée par le ministre fédéral de la Justice, Davie Fulton, parce que le gouvernement fédéral refusait de circonscrire les pouvoirs qu'il s'était arrogés en 1949, pouvoirs qui lui permettaient d'amender unilatéralement la Constitution dans les domaines de compétence fédérale exclusive. Ottawa refusait en outre de donner au Québec voix au chapitre de la réforme d'institutions aussi importantes que la monarchie, le Sénat et la Cour suprême.

En janvier 1966, la formule Fulton-Favreau, qui avait d'abord été reçue favorablement par tous les premiers ministres provinciaux à la conférence fédérale-provinciale d'octobre 1964, connut le même sort à la suite du retrait de l'appui du Québec. Cette formule préconisait le consentement unanime des provinces et du gouvernement fédéral pour revoir le partage des compétences, l'utilisation des deux langues officielles, la garantie concernant les écoles confessionnelles et le mode de représentation à la Chambre des communes, alors que les modifications touchant la monarchie et le Sénat pouvaient être apportées avec l'accord de 7 provinces comptant 50 % de la population canadienne. Après réflexion, l'unanimité était difficilement acceptable pour le Québec puisqu'elle risquait de compliquer la signature d'ententes intergouvernementales sur des sujets aussi cruciaux que la langue et le transfert de pouvoirs. Dans le but de donner une certaine flexibilité au système, on avait imaginé une clause de délégation de pouvoirs permettant aux États membres de la fédération et à Ottawa de déléguer respectivement, et dans des conditions précises, des responsabilités. Pour ce faire, il aurait fallu obtenir l'appui de quatre provinces et du parlement fédéral, ce qui avait pour effet d'empêcher toute entente bilatérale entre Québec et Ottawa. Le principe du dualisme avait été évincé.

Le véritable enjeu au Québec concernait moins la formule d'amendement que le partage des compétences [10]. Les élections provinciales approchant, Lesage [157] ne pouvait se permettre d'accepter des propositions qui iraient à l'encontre des sentiments nationalistes et autonomistes largement répandus au Québec. Aussi refusa-t-il de considérer toute forme de rapatriement de la Grande-Bretagne ou de formule d'amendement à moins qu'il n'obtienne en échange une définition claire des pouvoirs provinciaux ainsi qu'une protection constitutionnelle pour la langue et la culture françaises. Ce faisant, il définissait le cadre qui allait guider les exigences constitutionnelles québécoises pour les années à venir.

Craignant d'être doublé par l'Union nationale de Daniel Johnson et pressé par l'aile progressiste au sein de son parti, Lesage a définitivement abandonné son discours sur l'égalité des provinces en faveur d'un statut particulier pour le Québec. Pendant qu'il peaufinait son discours autonomiste, il cherchait aussi à influencer les décisions du gouvernement fédéral. Il alla même, à l'occasion du dépôt du budget provincial de 1966, jusqu'à demander pour le Québec une participation à l'établissement et à l'exécution des politiques fiscales, monétaires et commerciales, des domaines de compétence exclusivement fédérale. Le gouvernement fédéral rejeta cette proposition.

Le gouvernement Lesage était résolu à obtenir les réformes nécessaires à l'amélioration de la situation économique et politique du Québec, même au risque d'envenimer ses relations avec Ottawa. Dès 1964, le gouvernement du Québec avait ainsi réussi à créer son propre Régime des rentes, ce qui lui assurait une plus grande autonomie financière et permettait de prendre des initiatives structurantes sans avoir à obtenir l'autorisation d'Ottawa. La création de la Caisse de dépôt et placement, le joyau des institutions financières québécoises et l'une des plus importantes sources de financement public au Canada, en est le résultat le plus durable et le plus impressionnant. Le gouvernement fédéral a bien tenté de convaincre d'autres provinces de signer des ententes similaires, afin d'éviter que le Québec n'obtienne de facto un statut particulier, mais sans succès.

Les unionistes ravirent le pouvoir aux libéraux en 1966 avec le slogan Égalité ou indépendance et adoptèrent la même approche au chapitre des relations fédérales-provinciales, tout en misant davantage initialement sur la corde nationaliste. En faisant référence au caractère binational du Canada et en mettant de l'avant un projet de statut distinct, le premier ministre Daniel Johnson faisait franchir une nouvelle étape au Québec. Johnson fit d'ailleurs part de son interprétation à l'occasion de la tenue, à l'automne de 1967, de la Conférence sur la Confédération de demain, convoquée à la demande du premier ministre de l'Ontario, John Robarts, qui souhaitait trouver une solution au malaise canadien. Johnson voulait obtenir de la part de ses collègues un appui ferme indiquant que le Québec doit se voir reconnaître une responsabilité particulière lui permettant d'assurer la promotion de la culture canadienne-française.

La position adoptée par Daniel Johnson, puis par Jean-Jacques Bertrand (1968-1970), s'apparentait à celle proposée par la Commission royale d'enquête [158] sur les problèmes constitutionnels (la Commission Tremblay, 1953-1956), selon laquelle le partage des pouvoirs et des revenus entre les provinces et le gouvernement fédéral devrait être fondé sur l'interprétation québécoise de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB). Dans cette perspective, l'Union nationale exigeait que des limites soient imposées aux paiements de transfert fédéraux aux individus effectués par le biais des programmes sociaux pancanadiens et que le gouvernement fédéral se retire complètement des programmes à frais partagés.

Réclamant une réforme constitutionnelle et bénéficiant de la mouvance suscitée par la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme (la Commission Laurendeau-Dunton, 1963-1969), Johnson envisagea une solution binationale pour résoudre les problèmes constitutionnels canadiens. Sa proposition était fondée sur l'interprétation de l'AANB en tant que pacte entre deux peuples fondateurs. L'Union nationale avait déjà, sous Maurice Duplessis, au pouvoir à Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959, tenté de protéger le partage des compétences de 1867 des empiètements fédéraux. Avec Johnson, le parti exigea en outre des pouvoirs additionnels pour protéger les francophones du Québec et, dans une certaine mesure, ceux vivant à l'extérieur de ses frontières. Ces modifications étaient conformes à la reconnaissance du Québec comme principal défenseur des intérêts de la communauté franco-canadienne.

Malgré les différends constitutionnels, plusieurs dossiers ont été débloqués au cours de la deuxième moitié des années 1960. Ainsi, plusieurs ententes furent signées avec Ottawa dans le domaine de la fiscalité et une formule de retrait avec compensation financière fut implantée. De plus, c'est à cette époque que le Québec s'est vu reconnaître comme un acteur important au sein de la francophonie et que son bureau d'immigration fut transformé en ministère. Ces changements ouvraient la voie au fédéralisme asymétrique.

Le choix de Pierre Elliott Trudeau comme leader du Parti libéral fédéral en avril 1968 et son élection comme premier ministre du Canada au scrutin général de juin de la même année devaient changer la donne de façon majeure. Son projet de réforme constitutionnelle allait conduire à de nombreux tiraillements avec les divers gouvernements québécois appelés à se succéder et, finalement, au rapatriement de la Constitution en dépit du désaccord unanime des partis représentés à l'Assemblée nationale du Québec.

D'entrée de jeu, Pierre Elliott Trudeau refusa d'accorder au Québec ce qu'il n'était pas prêt à reconnaître aux autres États membres de la fédération. Cela n'empêcha pas Johnson de défendre que les programmes tels que les allocations familiales, les régimes de retraite, l'assistance sociale, les services de santé et la formation de la main-d’œuvre étaient de la seule responsabilité des provinces. Pour Johnson, il était clair que le caractère distinct du Québec l'autorisait à bénéficier d'arrangements qui pouvaient lui être accordés sans que cela oblige [159] Ottawa à signer des ententes similaires avec les autres gouvernements provinciaux. L'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser était dénoncée par Johnson comme ayant une influence néfaste sur le fonctionnement du fédéralisme dans la mesure où il ne respectait pas le principe des compétences exclusives.

Au cours des années suivantes, Québec et Ottawa ont malgré tout signé plusieurs ententes qui élargissaient les compétences de l'État québécois en matière d'immigration et, à un moindre degré, dans le champ des affaires extérieures. Il faut souligner que ces arrangements se limitaient à des ententes administratives, réversibles à souhait, et que ni Ottawa ni les provinces anglophones n'ont accepté à ce jour de constitutionnaliser les pouvoirs du Québec en ces matières.

Au cours des années 1970, le gouvernement du Québec a maintenu sa politique autonomiste et insisté pour obtenir des pouvoirs supplémentaires et les ressources fiscales nécessaires à leur exercice. C'est dans cet esprit que Robert Bourassa, premier ministre du Québec de 1970 à 1976 et de 1985 à 1993, a élaboré ses thèses du fédéralisme rentable, de la souveraineté culturelle et, plus tardivement, de la souveraineté partagée. Il faut comprendre que, pour Bourassa, la priorité n'était pas d'enchâsser les aspirations nationales du Québec dans la Constitution canadienne, mais plutôt de réviser le fonctionnement du système fédéral de façon à obtenir les pouvoirs et les ressources propres à affirmer le caractère biculturel du Canada. En 1971, dans le cadre de la Conférence de Victoria, les analystes politiques ont brièvement cru que Bourassa réussirait à mettre fin au débat constitutionnel, mais l'opposition des forces nationalistes le contraignit à reculer et l'entente ne fut jamais entérinée. On justifia cette volte-face par l'imprécision de l'article 94A, qui traitait des responsabilités en matière de pensions et autres programmes sociaux. Pour le Québec, cet article révélait la timidité des interlocuteurs en matière de renouvellement du partage des compétences. La formule d'amendement, qui donnait un veto au Québec, à l'Ontario ainsi qu'aux provinces de l'Ouest et aux provinces de l'Atlantique, suscitait aussi de très importantes réserves et avalisait une vision du Canada sans égard pour le dualisme. Par surcroît, le projet ne garantissait pas la responsabilité première du Québec quant à la culture et aux politiques sociales.

Les négociations reprirent en 1975, avec la suggestion d'Ottawa de suspendre la révision du partage des compétences pour favoriser le rapatriement de la Constitution et la recherche d'une formule d'amendement. Cela signifiait que toute discussion sur le partage des compétences était reportée à des négociations bilatérales et multilatérales ultérieures entre le Québec, les autres États membres et le gouvernement fédéral. Ottawa reconnaissait toutefois que, en modifiant le partage des pouvoirs, la protection et la promotion de la culture et de la langue [160] étaient des enjeux cruciaux pour le Québec et cette position fut présentée à l'époque comme la reconnaissance d'un statut particulier pour le Québec [11].

De ce fait, le gouvernement fédéral cherchait sans aucun doute à désarmer le Parti québécois, qui gagnait en popularité au Québec. Les porte-parole du gouvernement du Québec firent savoir publiquement qu'ils étaient prêts à accepter cette approche dans la mesure où ses intérêts dans les domaines linguistique et culturel étaient enchâssés dans la Constitution [12]. En échange du rapatriement, Bourassa exigea que les éléments suivants soient inscrits dans la Constitution : un droit de veto pour le Québec sur les futures modifications constitutionnelles ; la prépondérance de la législation québécoise en matière d'éducation et de culture ; le droit de se retirer des programmes fédéraux avec compensation financière ; un rôle plus important en matière d'immigration, surtout en ce qui concerne la sélection et l'intégration des immigrants ; l'imposition de limites au pouvoir déclaratoire et au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.

L'initiative fédérale était accompagnée d'une menace de procéder unilatéralement, sans l'accord des provinces, ce qui motiva par la suite le premier ministre du Québec à déclencher des élections hâtives pour l'automne 1976. Le 15 novembre, les électeurs portèrent au pouvoir le Parti québécois et son projet de souveraineté du Québec accompagnée d'une association économique (remplacée par la suite par la notion d'union économique) avec le reste du Canada. L'élection de ce gouvernement autonomiste ne modifia pas la volonté du gouvernement fédéral de rapatrier la Constitution et d'y enchâsser une formule d'amendement.

Entre-temps, le Groupe de travail Pepin-Robarts avait reçu du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau le mandat de travailler à « l'élaboration des moyens visant à renforcer l'unité canadienne [13] ». Dans l'esprit de Trudeau, cela voulait dire une centralisation des pouvoirs à Ottawa. Les conclusions du rapport Pepin-Robarts s'appuyaient sur trois constats : l'existence de différentes régions, la prédominance de deux cultures et l'égalité des deux ordres de gouvernement. Les recommandations des commissaires allaient dans le sens du fédéralisme asymétrique, arguant que toutes les provinces n'étaient ni semblables ni égales. Les commissaires observèrent notamment que le Québec bénéficiait de facto d'un statut particulier qui tenait au fait qu'il était souvent le seul à participer aux arrangements administratifs proposés par Ottawa, tel que l'illustre le [161] Régime des rentes québécois. Cette reconnaissance du statut particulier et de l'asymétrie s'étendait à la langue, la politique linguistique devant relever essentiellement des provinces.

Les principales innovations institutionnelles incluaient des propositions pour réformer le Sénat et la Cour suprême et pour abolir certains pouvoirs fédéraux désuets, tels le pouvoir de désaveu et celui de réserve. Le Groupe de travail recommandait de remplacer le Sénat par une Chambre de la Fédération dont les membres seraient nommés par les provinces. Elle proposait aussi, suivant le principe de la représentation proportionnelle, d'augmenter le nombre de sièges à la Chambre des communes de façon à obtenir une représentation plus équitable des partis politiques. En matière de justice, elle préconisait la division de la Cour suprême en bancs spécialisés pour répondre aux difficultés soulevées par la diversité des causes entendues par les juges. Elle proposait enfin que les pouvoirs de dépenser, déclaratoire et d'urgence deviennent des compétences concurrentes. Désireux de résoudre à la fois les problèmes de l'aliénation des provinces de l'Ouest et du nationalisme québécois, les commissaires furent appelés à se pencher sur l'autonomie des États membres, sur les compétences, sur leur représentation dans les institutions fédérales, ainsi que sur le statut du Québec au sein de la fédération.

À défaut de rédiger le rapport souhaité par Trudeau, le Groupe de travail a permis aux instances fédérales de gagner un temps précieux en donnant au gouvernement fédéral la possibilité de s'engager parallèlement dans l'élaboration de son projet de réforme, initiative mise en veilleuse à l'occasion du déclenchement des élections de novembre 1976 au Québec. Ottawa pouvait ainsi faire d'une pierre deux coups. D'un côté, les stratèges politiques laissaient croire qu'une voie de réconciliation pouvait être imaginée pour répondre aux attentes de tous les États membres de la fédération et, de l'autre côté, ils préparaient la vraie réplique en élaborant le projet de loi C-60 : Le Temps d'agir. Nous étions aux premiers balbutiements d'un plan A et d'un plan B [14].

En 1978, Ottawa présenta le projet de loi C-60, Projet de loi sur la réforme constitutionnelle, lequel contenait des propositions largement similaires à celles de Victoria. On y proposait un renforcement de la représentation provinciale au sein des institutions fédérales et l'enchâssement d'une charte des droits et libertés (qui ne serait appliquée aux provinces que dans la mesure où elles [162] l'auraient adoptée). Le Sénat aurait été remplacé par une Chambre de la Fédération dont les membres auraient été nommés pour moitié par les provinces et pour moitié par la Chambre des communes. Par la même occasion, on aurait enchâssé le droit du Québec de nommer trois juges à la Cour suprême. De plus, le veto de la Chambre de la Fédération sur les législations linguistiques aurait pu être réduit à un veto suspensif de 60 jours qui n'aurait pu être supplanté que par un vote des deux tiers de la Chambre des communes [15].

La Cour suprême du Canada statua en 1979 que, malgré le pouvoir d'amendement de l'article 91(1), le parlement fédéral n'avait pas la compétence de réformer unilatéralement les institutions fédérales si cette réforme influait sur les pouvoirs des provinces. La Cour fit notamment valoir que la substitution du Sénat par une Chambre de la Fédération modifiait une institution qui était de la plus haute importance pour les provinces [16].

Le gouvernement du Québec montra peu d'intérêt à l'égard de cette initiative fédérale, occupé qu'il était à préparer son propre projet constitutionnel, La Nouvelle Entente Québec-Canada (1979). Cette option préconisait la reconnaissance formelle de deux communautés composées respectivement des neuf provinces anglaises du Canada, d'une part, et du Québec, d'autre part, existant séparément sur le plan politique, mais demeurant associées au sein d'une nouvelle union économique. Pour le Québec, la souveraineté-association avait le mérite de résoudre la difficile question de la dualité canadienne, alors que, dans le reste du pays, elle avait le grand inconvénient d'ignorer le principe de l'égalité des provinces, une notion de plus en plus populaire, surtout dans les provinces moins populeuses et périphériques.

En mai 1979, les Canadiens se donnaient le premier gouvernement conservateur depuis 1963. Le premier ministre du pays Joe Clark montrait des dispositions plus favorables que Pierre Elliott Trudeau à la décentralisation du fédéralisme en proposant une vision du Canada fondée sur la notion d'une communauté de communautés, ce qui laissait espérer des relations Québec-Canada plus harmonieuses. À cette époque, cependant, le Canada connaissait une situation économique difficile et la crise constitutionnelle Perdurait tandis qu'au Québec le gouvernement Lévesque persistait dans sa volonté de tenir un référendum sur son projet de souveraineté-association. Par ailleurs, des difficultés imprévues forcèrent le gouvernement conservateur minoritaire à tenir une élection fédérale anticipée et, en février 1980, les libéraux de Pierre Elliott [163] Trudeau, plus désireux que jamais d'écraser les « séparatistes » et toujours aussi peu enclins à trouver des solutions satisfaisantes aux exigences québécoises, furent reportés au pouvoir.

Durant la campagne référendaire de 1980, Trudeau fut l'un des principaux adversaires des indépendantistes. Les libéraux fédéraux promirent que le rejet de la proposition référendaire ne serait pas interprété comme un appui au statu quo et que des réformes seraient proposées pour répondre aux besoins particuliers du Québec. Plusieurs partisans de cette option crurent que le fédéralisme renouvelé ainsi promis comporterait la reconnaissance officielle du caractère distinct du Québec et l'octroi de pouvoirs additionnels allant de pair avec ce statut. On se souviendra que les fédéralistes de diverses tendances se sont ralliés à Trudeau pour défaire l'option de la souveraineté-association. Dans un ultime effort pour convaincre leurs commettants de voter contre le projet de René Lévesque, certains députés fédéraux au Québec mirent même leur siège en jeu. Ces promesses furent généralement perçues comme une preuve de la volonté du gouvernement fédéral d'accommoder le Québec.

En 1982, le gouvernement fédéral rapatriait la Constitution contre la volonté du Québec. Plutôt que d'obtenir un statut particulier, le Québec sortait affaibli de cette entreprise et le coup de force fut décrié, tant par les nationalistes que par les fédéralistes actifs sur la scène provinciale, y compris ceux (tels Claude Ryan, Robert Bourassa et plusieurs gens d'affaires) qui s'étaient rangés aux côtés de Trudeau en mai 1980. Se sentant trahis, ils exigèrent des correctifs dans les plus brefs délais afin de préserver l'unité du Canada.

Cet épisode révèle que le gouvernement fédéral, contrairement à ce qu'il avait promis à l'occasion de la tenue du Référendum de mai 1980, avait interprété les résultats favorisant l'option fédéraliste (40 % pour le oui) comme une indication que les Québécois souhaitaient rester au sein de la fédération plutôt que comme un engagement en faveur de son renouvellement. Maintenant que les « séparatistes » étaient désorganisés et démoralisés, Ottawa se ferait intraitable à l'égard du Québec. Trudeau mit de l'avant une vision centralisatrice du fédéralisme en arguant que la décentralisation et le provincialisme étaient des concepts dépassés. Le PQ était en plein désarroi, le PLQ avait livré une bataille contre l'indépendance alors qu'à Ottawa les libéraux avaient la majorité en Chambre, l'économie traversait des moments difficiles et l'idéologie néolibérale gagnait en popularité.

Immédiatement après le Référendum, Trudeau convoqua une conférence constitutionnelle pour le mois de septembre 1980. Craignant une action unilatérale de la part d'Ottawa, Québec s'efforça de son côté de forger des alliances avec les autres provinces canadiennes, mais le gouvernement fédéral sut conserver l'initiative en déposant, le 2 octobre de la même année, le Projet de résolution concernant la Constitution du Canada. Le Québec et sept autres provinces, « le [164] groupe des huit », s'opposèrent à cette entreprise et soumirent leur cause devant les cours d'appel du Québec, du Manitoba et de Terre-Neuve, mais les résultats de cette démarche furent décevants. En dernière instance, la Cour suprême du Canada trancha dans une décision majoritaire. Richard Simeon et Ian Robinson en tirent les constats qui suivent :


« Il serait légal pour le Parlement d'agir sans l'assentiment des provinces mais une telle mesure serait néanmoins inconstitutionnelle parce qu'elle violerait une convention exigeant un appui substantiel des provinces. [...] Les provinces sont averties que, si elles continuent de faire de l'obstruction, il se peut qu'Ottawa agisse seul. La seule solution est de retourner à la table de négociation. Mais, maintenant, il y a une différence de taille : la convention, a dit le tribunal, n'exige pas l'unanimité, mais seulement « un appui substantiel ». Deux provinces ne constituent clairement pas un tel appui, mais une province seule ne peut plus arrêter le processus. Les fondements d'un règlement sans le consentement du Québec sont jetés [17] ».


Profitant de la situation, une nouvelle conférence fut convoquée par Trudeau pour novembre 1981. Avec le soutien de l'Assemblée nationale et de sept provinces, le gouvernement Lévesque exprima son opposition au projet du gouvernement central. Initialement et stratégiquement, Lévesque avait accepté le principe de l'égalité des provinces, mais il continuait de s'opposer au rapatriement sans avoir d'abord convenu d'une formule d'amendement et d'un nouveau partage des compétences, demandait que le Québec soit reconnu comme une société distincte sur les plans linguistique et culturel et exigeait les ressources et les responsabilités que cela impliquait. En échange de la reconnaissance du principe de l'égalité des provinces, les autres gouvernements provinciaux acceptaient le droit de veto du Québec.

Opposé à toute forme de statut particulier pour le Québec, Trudeau isola le Québec. Le 5 novembre 1981, en l'absence du premier ministre Lévesque, tous les premiers ministres provinciaux acceptèrent de procéder au rapatriement et à l'enchâssement d'une Charte canadienne des droits et libertés. En échange, ils obtenaient la formule d'amendement qu'ils souhaitaient [18] et le droit de se soustraire aux clauses dites secondaires de la Charte. Cette concession garantissait à Ottawa l'appui des premiers ministres de l'Ouest. Le Québec était isolé et [165] la seule option qu'il lui restait était d'utiliser la clause dérogatoire, confirmant ainsi le principe de la souveraineté parlementaire, ce qu'il fit systématiquement jusqu'à l'élection des libéraux de Robert Bourassa en décembre 1985.

La décision de rapatrier la Constitution et d'y intégrer une Charte des droits et libertés était une attaque en règle contre la vision québécoise du fédéralisme, dans un environnement politique de plus en plus hostile à des mesures de protection. Dans l'esprit des fédéralistes centralisateurs, le temps se chargerait de faire oublier cet affront [19].

Cette période de transition, qui s'est amorcée au début des années 1960 avec la ferme volonté d'inclure le Québec comme un élément fondamental de la fédération canadienne, s'achève sur une note d'exclusion, d'isolement et de refus de reconnaissance. Pendant ce temps, l'ordre constitutionnel canadien a été repensé sans que les revendications du Québec soient satisfaites.


LA MISE EN PLACE
D'UN NOUVEL ORDRE CONSTITUTIONNEL :
DE 1982 À NOS JOURS


L'imposition d'un nouvel ordre constitutionnel en 1982 vient rompre avec la continuité et met au rancart la vision dualiste comme élément définisseur de la fédération canadienne. Selon le philosophe James Tully, l'imposition de ce nouvel ordre constitutionnel fait en sorte que le Québec n'est pas libre dans la fédération canadienne pour au moins trois raisons :


« Les autres États membres peuvent lui imposer des amendements constitutionnels sans son consentement ; »

« Le contenu de la formule d'amendement introduite en 1982 fait en sorte qu'il est virtuellement impossible, en pratique, d'amender la Constitution de façon à ce que le Québec soit reconnu comme nation. »


À ces deux raisons, Tully en ajoute une troisième à la suite du dépôt en août 1998 de l'Avis de la Cour suprême sur le droit du Québec de faire sécession :


« La Cour soutient que la phase deux des négociations, amorcée par l'obtention d'une majorité référendaire claire au sujet d'une question claire, devrait être [166] encadrée par la présente formule d'amendement. Or, pour la première raison susmentionnée, le Québec n'est pas lié par cette formule d'amendement. De plus, puisque le droit du Québec d'amorcer des changements constitutionnels est bloqué en pratique, cette phase de négociation se conclurait par une impasse et, aux dires mêmes de la Cour, cette injustice légitimerait la position du Québec voulant qu'il puisse faire sécession unilatéralement. Enfin, toute demande de reconnaissance en tant que nation [...] implique en corollaire une demande d'amendement de l'actuelle formule d'amendement [20] ».


Le fait de lier le Québec à la présente formule d'amendement, qu'il conteste par ailleurs, revient à dire que ses droits de proposer des changements constitutionnels ne lui sont pas reconnus et que sa liberté est carrément brimée.

La Constitution de 1982 est ainsi venue réduire l'espace démocratique en niant la place centrale du Québec dans la fédération canadienne. C'est d'ailleurs ce qui avait motivé les conservateurs de Brian Mulroney, portés au pouvoir en septembre 1984, à identifier une façon réparatrice de réintégrer le Québec dans le giron constitutionnel « dans l'honneur et l'enthousiasme ». Répondant à cette politique de la main tendue, René Lévesque prit le pari du « beau risque [21] ». En mai 1985, Lévesque soumit au nouveau leader fédéral son Projet d'accord constitutionnel : Propositions du gouvernement du Québec [22], contenant 22 propositions pour résoudre la crise constitutionnelle.

Ces propositions allaient pour l'essentiel être reprises dans la position constitutionnelle adoptée par Robert Bourassa lorsqu'il fut porté au pouvoir à Québec en décembre 1985. Les différences portaient moins sur le fond que sur la portée des revendications. Le projet péquiste servit d'ailleurs de point de départ aux libéraux pour les négociations qui suivirent [23]. Il faut cependant noter que de 1981 à 1985, en raison de l'échec référendaire de mai 1980, Lévesque a négocié en position de faiblesse. Cette situation fut en partie corrigée avec l'arrivée au pouvoir de Bourassa. Les libéraux posèrent cinq conditions préalables à [167] leur participation à la table des négociations : 1) la reconnaissance explicite de la société distincte québécoise ; 2) des pouvoirs accrus quant au choix, à l'administration et à l'intégration des nouveaux arrivants ; 3) la nomination à la Cour suprême de trois juges formés dans la tradition civiliste ; 4) la restriction du pouvoir fédéral de dépenser ; et 5) un droit de veto sur toute nouvelle modification à la Constitution.

Il en résulta le projet d'entente sur le lac Meech (1987-1990), mais l'entreprise se heurta, d'un côté, au manque d'ouverture à la différence québécoise de la part des partenaires canadiens et, de l'autre, à une formule d'amendement dont les règles de fonctionnement ignorent le dualisme canadien, principe fondateur s'il en est un de la fédération canadienne. Exception faite de la clause de la société distincte, l'Accord du lac Meech reflétait par ailleurs la priorité qu'Ottawa accordait à la notion d'uniformité en tant que principe opérationnel du fédéralisme canadien. En donnant à toutes les provinces ce que le Québec réclamait, Ottawa pouvait ainsi éviter de lui reconnaître un statut particulier. Le gouvernement fédéral obtenait une concession majeure du Québec, qui se disait prêt à reconnaître le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Au Québec, ce pouvoir a toujours été interprété comme une intrusion du gouvernement fédéral dans les sphères de compétence provinciale. C'est donc au grand dam des nationalistes et des autonomistes que cette proposition fut acceptée en principe par le gouvernement québécois. Par ailleurs, dans le reste du Canada, nombreux étaient ceux qui considéraient que la clause de la société distincte affaiblissait le gouvernement fédéral, en raison notamment de la possibilité qu'elle offrait aux provinces qui choisissaient de ne pas participer à un programme pancanadien de se retirer avec une pleine compensation financière.

Au même moment, des groupes s'organisaient pour faire échec à la vision québécoise du fédéralisme. Ce faisant, les revendications québécoises furent banalisées et dépeintes comme menaçantes pour les droits des Premières Nations, pour l'égalité des provinces et pour l'uniformité des programmes d'un bout à l'autre du pays. Des élections provinciales au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve offrirent sur un plateau d'argent des munitions aux leaders qui ne se gênèrent pas pour faire le plein de voix en misant sur des sentiments anti-Québec. Ce fut l'échec de l'Accord du lac Meech.

Subséquemment à cet échec en juin 1990, le gouvernement du Québec se trouvait dans un cul-de-sac, sans vrai programme constitutionnel. Le Parti libéral du Québec élabora à toute vapeur une nouvelle position politique (le rapport Allaire) et mit sur pied la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec (Commission Bélanger-Campeau). Cette commission avait pour mandat de redéfinir les arrangements politiques et constitutionnels qui régissent le statut du Québec et ses relations avec les autres États membres de la fédération. Cette commission marque un moment unique dans l'histoire du [168] Canada en ce que, par elle, un gouvernement provincial, avec l'appui de l'opposition officielle, envisageait de mettre un terme aux liens qui l'unissent à un pays auquel ses citoyens ont donné naissance. Moment unique aussi pour les Québécois, qui revivaient la mobilisation provoquée par le coup de force fédéral ayant abouti au rapatriement de la Constitution en 1982.

À la suite du dépôt du rapport de la Commission Bélanger-Campeau, la loi 150 fut promulguée pour instituer deux commissions parlementaires spéciales de l’Assemblée nationale. Le gouvernement du Québec souhaitait ainsi maintenir la pression sur les autres gouvernements (fédéral et provinciaux), en confrontant quotidiennement l'option du fédéralisme renouvelé et de la souveraineté. Les commissaires demandaient qu'un référendum sur l'avenir du Québec se tienne au plus tard le 26 octobre 1992.

Pour reprendre l'initiative, Ottawa publia, le 24 septembre 1991, un document proposant une restructuration de la fédération selon les principes d'un modèle économique centralisé et mit sur pied une Commission parlementaire mixte (Castonguay-Dobbie, qui deviendra Dobbie-Beaudoin) pour, une fois de plus, examiner prioritairement les rapports Québec-Canada.

Contre toute attente, le gouvernement fédéral et les neuf provinces anglophones parvinrent à une entente, le 7 juillet 1992. L'essentiel de cette entente fut confirmé dans l'Accord de Charlottetown, signé le 28 août 1992. Loin de reconnaître le statut distinct du Québec et de favoriser une dévolution des pouvoirs vers les provinces, l'entente proposait une augmentation des pouvoirs du gouvernement central par la constitutionnalisation du pouvoir de dépenser et le renforcement des institutions fédérales. Plutôt que de transférer des pouvoirs aux provinces, comme le demandait le Québec, l'Accord de Charlottetown proposait d'élargir la représentation des provinces au Sénat et de consolider la capacité du gouvernement central d'intervenir dans les sphères de compétence provinciale exclusive. L'entente contenait en outre une clause Canada qui plaçait sur un pied d'égalité la société distincte, le principe d'égalité des provinces et l'obligation pour les Canadiens et leurs gouvernements de promouvoir la minorité anglophone du Québec. Une section entière de l'entente était consacrée à l'éventualité d'un gouvernement autochtone autonome.

Soumis à la population, l'accord fut défait au Québec (56,7 %), de même qu'au Manitoba (61,6 %), en Saskatchewan (55,3 %), en Alberta (60,2 %), en Colombie-Britannique (68,3 %), en Nouvelle-Écosse (51,3 %) et au Yukon (56,3 %). Il fut aussi rejeté par les communautés autochtones, au grand désarroi du chef de l'Assemblée des Premières Nations, Ovide Mercredi, dont le leadership fut ébranlé.

Cette consultation traduisit un rejet sans précédent de la classe politique, les Canadiens ayant dit non à un accord scellé derrière des portes closes. Il marqua aussi un recul important pour Robert Bourassa, qui s'était, d'après certains de [169] ses plus proches conseillers, effondré à la table des négociations. Il lui fut notamment reproché d'avoir échoué dans sa défense des revendications traditionnelles du Québec. En outre, l'accord était loin de répondre aux cinq conditions préalables minimales que le leader libéral avait lui-même exigées pour que le Québec revienne à la table des négociations constitutionnelles. Le Québec n'avait fait aucun gain sur le plan du partage des compétences et la tendance vers la centralisation s'en trouvait confirmée puisque le gouvernement fédéral exigeait de négocier avec les provinces des ententes réversibles de cinq ans. Ottawa aurait ainsi vu ses pouvoirs d'ingérence confirmés, voire renforcés. C'est dans ce contexte que l'aile la plus nationaliste du Parti libéral quitta la formation pour fonder, sous le leadership de Jean Allaire puis de Mario Dumont, l'Action démocratique du Québec.

Les conséquences de l'échec de l'entente de Charlottetown furent majeures pour les conservateurs fédéraux, qui, après avoir porté à bout de bras la réforme, furent presque rayés de la carte à l'élection du 25 octobre 1993. C'est à ce moment que le Bloc québécois fit une impressionnante percée au Québec en allant chercher 54 des 75 sièges pour former l'opposition officielle à Ottawa. Un parti nationaliste québécois occupait maintenant une place stratégique au sein même de la Chambre des communes et pouvait mettre davantage en évidence les revendications québécoises. S'ensuivit la victoire du Parti québécois à l'élection du 12 septembre 1994, ce qui permit à Jacques Parizeau, fort de la présence du Bloc comme allié du Québec à Ottawa, de poursuivre sa marche en faveur de la souveraineté du Québec.

Du côté fédéral, le parti ministériel de Jean Chrétien fit comme si la question nationale au Québec n'intéressait plus personne et s'engageant dans un projet de réforme majeure des programmes sociaux. La meilleure façon d'arriver à ses fins était de couper les vivres de façon substantielle aux provinces, ce qui fut accompli en février 1995 par la ratification du projet de loi C-76 en vertu duquel les transferts aux provinces allaient être réduits du tiers, soit de six milliards de dollars sur une période de deux ans, dans le secteur de la santé [24].

C'est dans ce contexte qu'un projet de souveraineté, fondé sur un partenariat économique et éventuellement politique, fut proposé comme solution de rechange pour en finir avec les déboires constitutionnels du Québec dans la fédération et que les Québécois furent invités à se prononcer le 30 octobre 1995, pour une deuxième fois en 15 ans, sur leur avenir politique. Une fois les votes dépouillés, avec un taux de participation approchant les 94 % des personnes [170] inscrites sur la liste électorale, seulement 54 288 voix avantageaient les tenants du non. Contrairement au Référendum de 1980, où 2 électeurs sur 5 avaient appuyé le projet de la souveraineté-association, cette fois, pas moins de 49,4 % des Québécois étaient en faveur de l'option souveraineté-partenariat en vue de faire du Québec une nouvelle entité politique libre de négocier avec ses partenaires actuels une nouvelle union économique et politique [25].

Plus réticent que jamais à toute forme d'accommodement à l'égard du Québec, le premier ministre Jean Chrétien préféra s'en tenir au statu quo constitutionnel. Il avança que les citoyens étaient « fatigués » des questions constitutionnelles et avaient d'autres préoccupations, dont les hauts taux de chômage et la relance de l'économie. Avec célérité mais surtout pour donner l'impression qu'il avait compris quelque chose aux demandes de reconnaissance politique du Québec, le gouvernement Chrétien adopta le 11 décembre 1995, par simple loi, une résolution affirmant le caractère distinct de la société québécoise au sein du Canada. Puis, le 2 février 1996, le gouvernement fédéral ajouta un nouvel obstacle sur la route de la réforme constitutionnelle en superposant aux dispositions déjà prévues dans la Constitution canadienne un droit de veto régional à quatre ensembles territoriaux formés respectivement du Québec, de l'Ontario, de l'Ouest canadien et des provinces de l'Atlantique [26]. Ces droits de veto ne sont pas garantis constitutionnellement puisqu'ils peuvent être retirés à la suite de l'adoption d'une loi.

Dans le même esprit, les provinces canadiennes et Ottawa déposèrent, le 14 février 1997, un avis de consultation auprès de la population canadienne, connu sous l'appellation de la Déclaration de Calgary [27], et rappelèrent certains principes sur lesquels se fonde l'unité canadienne. Ayant reconnu parmi un large ensemble de principes celui du caractère unique de la société québécoise, les signataires rejettent toute forme de fédéralisme asymétrique et conviennent de discuter prioritairement d'une des compétences exclusives aux provinces, la prestation des programmes sociaux. En outre, ils conviennent que la Déclaration constitue un cadre de consultation publique en vue de renforcer la fédération canadienne. La porte est ouverte pour qu'Ottawa puisse entretenir les Canadiens d'un projet d'union sociale, projet qui est dans les cartons depuis le projet d’Accord de Charlottetown.

Le régime fédéral, après une période d'hésitation sous la gouverne des conservateurs de 1984 à 1993, a repris ses assauts contre toute forme d'autonomie [171] provinciale et a choisi de renforcer le nouvel ordre constitutionnel de 1982 en fixant lui-même les règles du jeu. La réélection d'un gouvernement majoritaire libéral à Ottawa en 1997, puis en 2000, allait d'ailleurs rendre la tâche plus facile. Le raisonnement était simple : Si les provinces ne collaborent pas dans le sens désiré par Ottawa, elles se verront couper les vivres. La réélection d'un gouvernement majoritaire souverainiste en 1998 au Québec n'a pas mis fin aux débats constitutionnels. Toutefois, le fait que les libéraux provinciaux, maintenant sous le leadership de Jean Charest, à défaut de remporter l'élection en 1998, aient obtenu davantage de votes que le Parti québécois limite de façon importante le pouvoir du parti ministériel.

Les dernières années ont surtout été caractérisées par des confrontations entre le Québec et le gouvernement fédéral. Fort de sa victoire électorale de 1997, le gouvernement Chrétien s'est engagé dans une bataille contre le droit du Québec de faire sécession. Les réponses obtenues à la suite du Renvoi relatif à la sécession du Québec ne furent pas dans tous les cas celles souhaitées par le gouvernement fédéral. Cherchant à réinscrire le principe de la continuité dans le discours constitutionnel, la Cour suprême reconnaît, comme fondements mêmes de la fédération canadienne, quatre grands principes : 1) le fédéralisme ; 2) la démocratie ; 3) le constitutionnalisme et la primauté du droit ; et 4) le respect des minorités. La Cour suprême souligne, aux paragraphes 84 et 85 de son avis, qu'une modification constitutionnelle pourrait permettre à une province de faire sécession. La Cour rappelle au paragraphe 87 :


« […] un référendum ne pourrait à lui seul réaliser une sécession unilatérale [mais] [...] conférerait une légitimité aux efforts que ferait le gouvernement du Québec pour engager un processus de modification de la Constitution en vue de faire sécession par des voies constitutionnelles [28] ».


Si le rapatriement de la Constitution de 1982 enlève au Québec sa liberté d'action, comme l'établit James Tully, l'Avis de la Cour permet de corriger un peu la donne. Le paragraphe 88 en constitue le nœud gordien :


« Le rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l'ordre constitutionnel existant conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l'obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique en engageant des négociations et en les poursuivant en conformité avec les principes constitutionnels sous-jacents [...] »

[172]

L'Avis de la Cour suprême permet d'envisager les rapports Québec-Canada d'une manière relativement ouverte, redynamisant de la sorte les fondements démocratiques de la fédération canadienne et laissant entrevoir la possibilité d'un retour à la continuité. La Cour souligne que l'obligation de négocier avec le Québec doit toutefois être perçue comme un droit inaliénable. L'Avis rappelle, avec intérêt aussi, au paragraphe 92 :


« Les droits des autres provinces et du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecte les droits des autres ».


Contrairement au rapatriement de 1982, qui avait discrédité la Cour suprême aux yeux de nombreux Québécois, le Renvoi relatif à la sécession du Québec vient redorer son blason. Toutefois, ainsi que l'étaye James Tully :


« La condition de liberté d'une société multinationale repose sur le fait que ses membres soient libres d'entamer des discussions et des négociations au sujet d'amendements possibles à la structure de reconnaissance en vigueur et qu'en corollaire, les autres membres aient un devoir de répondre aux demandes légitimes. Un membre qui cherche à se voir reconnaître en tant que nation (dans une forme elle-même ouverte à la contestation) est libre dans la mesure où les possibilités de discussions, négociations et amendements ne sont pas bloquées, en pratique, par des contraintes arbitraires. La Constitution d'une société où sévit un pareil blocage doit être considérée comme une camisole de force ou comme une structure de domination. Cette situation d'absence de liberté peut être illustrée, au Canada, autant par le cas du Québec que par celui des Premières Nations [29] ».


Qu'en est-il au Canada ? Autant les nations autochtones que la nation québécoise sont confrontées à des situations de domination. Le rapatriement de la Constitution a fait entrer le Québec dans une ère d'asservissement de la liberté politique et d'imposition d'un nouvel ordre constitutionnel.

Sans nous arrêter longuement sur le projet de loi C-20 sur la clarté (voir le texte d’André Lajoie dans le présent ouvrage), mentionnons simplement que nous sommes en présence de l'imposition de mesures arbitraires de la part du gouvernement fédéral. Cette loi vient en quelque sorte suspendre l'Avis de la Cour suprême eu égard au droit du Québec de faire sécession et couper court à toute volonté de négociations constitutionnelles que le Québec pourrait vouloir exprimer.

[173]

La réélection des libéraux fédéraux à l'automne 2000 et la désignation de Bernard Landry, en remplacement de Lucien Bouchard, à la tête du gouvernement du Québec en mars 2001 ne laissent entrevoir aucun rapprochement Québec-Canada à brève échéance. Aussi, pendant que le Québec s'acharnera à démontrer que le fédéralisme canadien en est un de façade, Ottawa s'entêtera à réduire la condition fédérale [30] de non-subordination des pouvoirs pour lui substituer un ensemble de principes sans égard pour la diversité canadienne. Cette pratique se traduit par l'imposition de plus en plus contraignante de politiques publiques homogénéisantes, rendant illusoire toute réforme importante de la fédération qui pourrait permettre de prendre en compte les attentes fondamentales du Québec au chapitre de la diversité et de l'affirmation d'un contexte de choix légitime, appuyé en amont comme en aval par les Québécois.


EN GUISE DE CONCLUSION

Les élections fédérales de l'automne 2000 ne laissent rien présager de prometteur pour le rétablissement de la paix constitutionnelle au Canada. Les libéraux de Jean Chrétien, ayant réussi à faire élire pour une troisième fois consécutive un gouvernement majoritaire, sentiront peu d'urgence à procéder à des modifications constitutionnelles permettant d'accommoder les revendications du Québec. C'est d'ailleurs de façon désinvolte que les ministres fédéraux ont réagi au programme politique du Parti libéral du Québec, Un projet pour le Québec. Affirmation, Autonomie et Leadership (2001), se contentant de rappeler que ce parti n'exerçait pas le pouvoir au Québec et estimant superflu d'émettre des commentaires.

La condition canadienne cherche à contraindre le Québec à n'être qu'une province comme les autres dans la fédération, ce qui est loin de correspondre à l'image que le Québec projette de lui-même ici comme sur la scène internationale. En rupture avec l'ordre constitutionnel fondateur, les rapports Québec-Canada, à la suite du rapatriement de 1982, sont entrés dans une phase de non-reconnaissance et d'appauvrissement des pratiques démocratiques. L'Avis de la Cour suprême concernant le droit du Québec à la sécession était venu élargir le front des possibles pour aussitôt être encadré, limité par le gouvernement fédéral, qui souhaite de toute évidence empêcher que se tienne un débat de fond sur l'avenir de la fédération.

À force d'ignorer les conventions constitutionnelles et de nier l'existence de la nation québécoise, le potentiel pour en faire un symbole d'identité et de [174] mobilisation politique demeure redoutable. En somme, l'expérience fédérale canadienne ne vaudra la peine d'être poursuivie que si les États membres sont libres d'adhérer à la fédération et qu'est condamnée toute structure de domination.


[16]

NOTES SUR
LES COLLABORATEURS


Alain-G. Gagnon est professeur titulaire de science politique et directeur du Programme d'études sur le Québec de l'Université McGill et coordonnateur du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP). Il occupe le poste de vice-président aux études et aux programmes de l'Association internationale des études québécoises depuis sa fondation en 1997. Il compte parmi ses plus récentes publications : Partis politiques et comportement électoral au Canada : filiations et affiliations (avec James Bickerton et Patrick Smith) (2002) ; Multinational Democracies (codirigé avec James Tully) (2001) ; et L'Union sociale canadienne sans le Québec (2000).



[1] Les commentaires d'Andrée Lajoie ont été fort utiles pour la mise à jour de ce chapitre.

[2] Voir Commission sur le déséquilibre fiscal, Pour un nouveau partage des moyens financiers au Canada, (Commission Séguin), Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 2002.

[3] Voir Gérard Bouchard, « La vision siamoise de John Saul », Le Devoir, 15 et 17 janvier 2000 ; John Saul, « Il n'y a pas de peuple conquis », Le Devoir, 22 et 24 janvier 2000.

[4] Hilda Neatby, The Québec Act : Protest and Policy, Scarborough, Prentice-Hall, 1972 ; Philip Lawson, The Imperial Challenge : Québec and Britain in the Age of American Revolution, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1989.

[5] Garth Stevenson, Community Besieged. The Anglophone Minority and the Politics of Quebec, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1999, chapitre 2.

[6] Thomas-Jean-Jacques Loranger, Lettres sur l'interprétation de la constitution fédérale : première lettre, Québec, Imprimerie A. Côté et cie, 1883.

[7] Commission royale sur les peuples autochtones, Partenaires au sein de la Confédération. Les Peuples autochtones, l'autonomie gouvernementale et la Constitution, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1993, p. 23.

[8] Tous les partis fédéraux allaient d'ailleurs s'entendre à un moment ou à un autre au cours de cette décennie pour reconnaître le concept des deux peuples fondateurs comme principe fondamental de la fédération. Cette reconnaissance allait toutefois connaître des moments de flux et de reflux au cours des décennies suivantes.

[9] Elle reconnaît et défend le droit des provinces de négocier des ententes avec des acteurs ou des organismes internationaux dans leurs champs de compétence.

[10] Ironiquement, Québec a accepté le principe de l'unanimité en 1980 dans une ultime tentative visant à bloquer le projet de rapatriement de la Constitution proposé par Ottawa.

[11] Garth Stevenson, Unfulfilled Union. Canadian Federalism and National Unity, Toronto, Gage Publishing, 1982, p. 210.

[12] Pierre Elliott Trudeau, « 1976 Correspondence to all Provincial Premiers », in Canadian Federalism, Myth or Reality, Toronto, Methuen, 1977, p. 140-167.

[13] Le Groupe de travail sur l'unité canadienne, Se retrouver. Observations et recommandations (le rapport Pepin-Robarts), Ottawa, Éditeur officiel du Québec, vol. 1, 1979, p. 143.

[14] Il s'agit ici des deux voies envisagées pour « régler une fois pour toutes » la question du Québec : une voie conciliatrice et une autre coercitive à la suite de la réélection du Parti québécois en 1994 et des résultats obtenus (près de 50 % des voix) à l'occasion du Référendum de 1995. On pourra se reporter avec beaucoup d'intérêt aux travaux du juriste Daniel Turp, dont son ouvrage Une nation bâillonnée : le Plan B ou l'offensive d'Ottawa contre le Québec, Montréal, VLB éditeur, 2000.

[15] Douglas Verney, Three Civilizations, Two Cultures, One State, Canada's Political Traditions, Durham, Duke University Press, 1986, p. 367.

[16] D'après Douglas Verney, la Cour appuya sa décision sur le Livre blanc fédéral, paru en 1965, qui reconnaissait « le rôle des provinces, même pour des modifications touchant des questions qui n'étaient pas de la compétence exclusive des provinces », Verney, op. cit., p. 367.

[17] Richard Simeon et Ian Robinson, L’État, la société et l'évolution du fédéralisme canadien, Ottawa, ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1990, p. 302.

[18] La principale formule d'amendement prévoit que des changements constitutionnels peuvent être apportés avec le soutien de 7 provinces comptant pour 50 % de la population canadienne. La réforme de la formule d'amendement était soumise à l'unanimité. Cette situation fut imposée au Québec, qui devait dès lors se conformer à des règles adoptées par d'autres, perdant ainsi toute liberté d'action à ce chapitre.

[19] S'il faut en croire les événements qui ont entouré les célébrations organisées par le gouvernement fédéral pour souligner les 20 ans du rapatriement en avril 2002, les stratèges fédéraux n'ont pas eu encore à regretter véritablement leurs actions, toutefois le Référendum d'octobre 1995 a failli être un moment fatidique pour le pays.

[20] James Tully, « Liberté et dévoilement dans les sociétés multinationales », Globe. Revue internationale d'études québécoises, vol. 2, no 2, 1999, p. 31-32.

[21] Pour une analyse politique récente, Michel Vastel, « La Charte a 20 ans : Des promesses plusieurs fois répudiées », Le Soleil, 17 avril 2002, p. A-6.

[22] Ce projet fut largement inspiré par un document préparé par le ministère des Affaires intergouvernementales durant le premier mandat du gouvernement péquiste. Voir Les Positions constitutionnelles du Québec sur le partage des pouvoirs (1960-1976), Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978. Pour une mise à jour du document jusqu'à mars 2001, on peut consulter www.mce.gouv.qc.ca

[23] Avant d'arriver au pouvoir, les libéraux provinciaux avaient préparé une série de documents qui discutaient des questions pour lesquelles des compromis devaient être négociés. Voir Une nouvelle constitution canadienne (1980), connu sous le nom de Livre beige ; Un nouveau leadership pour le Québec (1983) et Maîtriser l'avenir (1985).

[24] Voir Alain-G. Gagnon, « Introduction : L'opposition du Québec à l'union sociale canadienne », dans L'Union sociale sans le Québec, Montréal, Éditions Saint-Martin, 2000, p. 12.

[25] Alain-G. Gagnon et Guy Lachapelle, « Quebec Confronts Canada : Two competing societal projects searching for legitimacy », Publius vol. 26, no 3, 1996, p. 177-191.

[26] Ce qui fait dire aux spécialistes de la question que la voie constitutionnelle est fermée. Voir Robert Dutrisac, « Une camisole de force », Le Devoir, 14 avril 2002, p. G-7.

[27] http ://www.ccu-cuc.ca/fran/dossiers/calgary.html

[28] Renvoi relatif à la sécession du Québec, 2 R.C.S., 1998.

[29] James Tully, « Liberté et dévoilement dans les sociétés multinationales », Globe, Revue internationale d'études québécoises, vol. 2, no 2, 1999, p. 30.

[30] Donald Smiley, The Federal Condition in Canada, Toronto, McGraw-Hill, 1987.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 31 décembre 2012 16:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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