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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Montréal: Le Devoir, 25 juillet 2000.

Le Québec, entre l'État-nation et l'État-région.
«À défaut d'achever son projet d'État-nation, le Québec a réussi, depuis le début des années 1980 en particulier, à s'affirmer comme État-région auprès de ses partenaires économiques et politiques.»”

par Alain G. Gagnon, politologue, Directeur du Programme d'études sur le Québec, Université McGill
[Autorisation accordée par l'auteur le 17 mars 2006 de diffuser toutes ses publications.]
Courriel: gagnon.alain@uqam.ca


Extrait d'une présentation faite au colloque «Nations et territoires : Vers un Atlas du Québec flexible et inclusif», organisé sous les auspices de l'Association professionnelle des géographes du Québec et de l'Equipe de l'Atlas du Québec et de ses régions, le 18 mai 2000. 

L'éminent philosophe Will Kymlicka affirme qu'il est légitime au Canada de faire la promotion de deux grandes cultures sociétales étant donné la concentration de la culture à dominance-canadienne-anglaise à l'extérieur du Québec et, en sol québécois, d'une culture ayant ses propres traits, utilisant la langue française comme langue publique commune, tout en ayant en partage des institutions économiques, sociales et politiques. Aujourd'hui, alors que l'identité québécoise est clairement établie sur des fondements libéraux, la diffusion de la culture donne un sens profond à la vie politique en ce qu'«elle procure un accès à des façons signifiantes d'être au monde dans un vaste éventail d'activités humaines» sur un territoire précis. 

En laissant tomber la référence ethnique canadienne-française au cours des années 1960, les Québécois ont été libres par la suite de chercher à construire un projet fondé sur des valeurs émancipatrices et sensibles à l'interculturalisme. Mon interprétation se rapproche de l'analyse que Craig Calhoun fait du nationalisme. Il affirme: «Le nationalisme n'est pas simplement une revendication de similitude ethnique, mais plutôt une revendication selon laquelle certaines similitudes devraient constituer la façon dont se définit la communauté politique. Voilà pourquoi le nationalisme a besoin de frontières, au contraire de l'éthnicité pré-moderne.» 

Découle de ce constat l'importance de retenir l'espace québécois, comme lieu de définition, plutôt que l'ethnicité, en vue d'affirmer les principes d'inclusion essentiels à toute démocratie libérale et permettant d'édifier des lieux de solidarité fondée sur la proximité, mais sans négliger toutefois ses responsabilités à l'égard de la communauté internationale. 

L'État-région et l'État-nation 

Nombreux sont les auteurs qui, dans la mouvance des théories de la modernisation pointent dans la direction de la disparition du territoire comme lieu de mobilisation collective. On peut se référer ici aux travaux de Bertrand Badie, tout particulièrement La fin des territoires: essai sur le désordre international et sur l'utilité sociale du respect dans lequel il annonce l'inévitabilité de nouveaux processus de solidarité fondés sur les réseaux, sans ancrages proprement territoriaux. Or, comme l'avance Kenichi Ohmae, dans la foulée de l'éclatement d'un monde bipolaire sous influence américaine ou soviétique, nous sommes plutôt entrés dans une ère d'affirmation de l'État-région aux dépens de l'État-nation. 

A défaut d'achever son projet d'État-nation, le Québec a réussi, depuis le début des années 1980 en particulier, à s'affirmer comme État-région auprès de ses partenaires économiques et politiques. Le Québec a pris l'initiative de lancer plusieurs missions économiques sur la scène internationale, parfois avec le concours du gouvernement fédéral, parfois sur ses propres bases. Plus près nous, on peut penser à la récente décision des autorités de la NASDAQ de venir s'établir à Montréal à l'invitation du gouvernement du Québec. On peut aussi penser à la participation du Québec aux conférences annuelles des premiers ministres de l'Est du Canada et des Gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre. En outre, les missions du Québec auprès d'autres États-régions, dont ceux de la Catalogne, la Wallonie et de la Bavière doivent être soulignées. 

L'exercice de certains pouvoirs par l'État-région s'avère souvent nécessaire dans un monde marqué par la concurrence. C'est en mettant davantage l'accent sur des territoires déjà bien intégrés qu'il devient possible de relever le défi de la compétitivité internationale. L'élaboration des politiques de développement régional, d'éducation et de formation de la main-d'oeuvre, tenant compte des ressources du milieu, gagne à être faite par des gouvernements près des citoyens. En pareil cas, l'État-région contribue à maintenir et à développer une cohésion interne maximale entre les grands acteurs; nous avons à l'esprit ici les syndicats, les groupes intermédiaires, le milieu des affaires et les intervenants de la société civile. 

Des sociétés globales 

La mondialisation amène souvent les communautés nationales à se resolidariser autour de nouvelles formes territorialisées de citoyenneté. C'est ainsi qu'en Écosse, en Catalogne et au Québec, par exemple, les communautés nationales s'efforcent de proposer des projets inclusifs visant à rassembler l'ensemble de leurs concitoyens. Dieckhoff rappelle à cet égard : «Un trait sociologique majeur unit Québec, Catalogne, Pays basque, Écosse et Flandre, et explique la persistance du nationalisme: ces pays sont des sociétés globales. Qu'est-ce à dire? Que ces sociétés sont dotées d'une structure sociale complète, d'institutions propres, d'un territoire spécifique et d'une culture particulière. Parce que de telles sociétés ont une forte densité, leurs membres se situent davantage par rapport à elles que par rapport au cadre étatique général, à savoir le Canada, l'Espagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique.» 

L'existence des identités multiples plutôt que d'atténuer l'importance du territoire vient lui donner de l'importance. Nous ne pouvons plus faire abstraction de la présence de nouvelles formes identitaires. Leur insertion dans de nouveaux espaces mieux délimités comme celui de l'État-région, alors que l'État-nation perd parfois de sa pertinence surtout lorsque les communautés sous-jacentes sont plurinationales comme c'est le cas en Belgique, au Canada et en Espagne, vient donner un sens réel au territoire. 

La consolidation du marché économique nord-américain (puis pour l'ensemble des Amériques) ne devrait se faire que dans la mesure où que les décideurs politiques auront des comptes à rendre et seront responsables de leurs choix auprès de leurs commettants. Dans le cas du Québec ou de la Catalogne, cette obligation sera plus facilement respectée dans la mesure où la principale base de mobilisation pour les membres de la société civile et les groupes intermédiaires sera l'État-région. Les interventions mobilisatrices se font donc à l'intérieur de frontières bien délimitées. Le territoire ne perd donc pas de son sens comme l'ont confirmé les manifestations menées sous l'égide de L'Action des patriotes gaspésien (ne) s ou celles des camionneurs de la région de Saint-Zénon en 1999-2000. Il s'agit de mouvements d'opposition ciblés et faisant appel aux élus provinciaux, confirmant ainsi que cette instance politique régionale est celle qui demeure la plus concrète dans l'esprit des protestataires. 

Une meilleure imputabilité 

La revendication des communautés politiques infra-étatiques exigeant un pouvoir plus près d'elles rappelle l'importance d'instances politiques à proximité et permet d'entrevoir une plus grande imputabilité que ce qu'il eut autrement été permis d'attendre des décideurs. La récente étude de Donald Savoie concernant la forte concentration du pouvoir autour du premier ministre du Canada, sans d'ailleurs qu'un système de contrepoids performant ne puisse intervenir efficacement pour veiller à l'intérêt public, laisse entendre le peu d'incidence des autres ordres de gouvernement, des groupes intermédiaires et de la société civile sur la gouverne et confirme, par le fait même, l'appauvrissement de la vie démocratique canadienne. Alors que la gouverne dans les états centraux se complexifie et que les citoyens ont l'impression que les décisions importantes leur échappent, voici que la formation d'un État-région rapproche le pouvoir des citoyens. La partie n'est pas gagnée pour autant pour les citoyens puisqu'il faudra que ceux-ci soient aux aguets et exigent qu'on leur rende des comptes. 

A défaut d'être un État-nation, le Québec peut se réconforter d'être un État-région et d'avoir su convaincre ses commettants de la nécessité de prendre en charge des fonctions étatiques de plus en plus importantes. Mais, comme nous avons pu le constater à la suite du transfert de la responsabilité en matière de la formation de la main-d'oeuvre, les citoyens ont été prompts à exiger de la part du gouvernement du Québec que ce programme soit géré avec la plus grande efficacité possible. La proximité a joué un rôle très marqué en ce qui concerne l'imputabilité alors que dans le cas du milliard de dollars dilapidé par les fonctionnaires du ministère du Développement des ressources humaines du Canada, il a été beaucoup plus difficile d'exiger que les responsables viennent rendre des comptes à la population. 

L'urgence de poursuivre l'affirmation de cet espace politique devient évidente lorsque l'on fait le constat que le territoire demeure l'un des rares lieux dans les démocraties libérales où il est encore possible d'actualiser la représentation et d'exiger l'imputabilité des acteurs politiques. L'État-région se fait donc à la fois porteur des solidarités et révélateur des pratiques démocratiques. Toutefois, il faut s'assurer que l'État-région ne devienne pas un projet totalisant et qu'il soit loisible pour les tenants de la diversité et de l'altérité de se faire pleinement sentir en son sein.


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 18 mars 2006 7:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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