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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La société : réalité sociale-historique et concept sociologique. ” (2003)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article du professeur Michel Freitag, professeur de sociologie à l'UQAM, “ La société: réalité sociale-historique et concept sociologique ”. Montréal: juin 2003. TEXTE INÉDIT. [Autorisation accordée mercredi le 23 juillet 2003].


Notes :

Note 1 Mais l'épistémologie n'a-t-elle pas alors fait hara kiri avec Kuhn, malgré le bouche-à-bouche pratiqué par le strong programm dans sa tentative de réanimation? Mais s'il n'y a plus de "science" mais seulement des "programmes de recherche", que reste-t-il comme fondement de la visée d'unité et de cohésion objective et méthodologique des disciplines, c'est-à-dire de leur prétention synthétique? Il faut admettre que si l'on est véritablement post-kuhnien, toutes les questions soulevées ici ne se posent plus, et pas seulement pour la sociologie. À moins qu'il n'appartienne alors justement à la sociologie de se ressaisir globalement du problème de la connaissance et de la scientificité, dans sa dimension non seulement empirique mais normative, dans sa dimension non seulement cognitive, mais praxique et historique!

Note 2 On peut déjà remarquer que dans toutes ces expressions, le sens du mot social s'est objectivé par rapport à l'ancienne acception présociologique du terme qui désignait d'abord une propension individuelle à cultiver la "vie sociale" et la "socialité", la fréquentation d'autrui, notamment dans la "bonne société".

Note 3 Cependant, la société moderne ne s'est jamais limitée à cette forme de l'État-nation, ni à une collection d'États-nations. Certains de ses aspects essentiels, comme la science moderne (analytico-déductive et empirique), la culture moderne (humaniste), l'économie moderne (chrématistique et capitaliste), l'idéologie moderne (individualiste et rationaliste), sans parler des relations internationales, dépassaient ou transcendaient largement le cadre des États-nations, qui ne représentaient par conséquent pas l'instance ultime de totalisation sociétale caractéristique de la modernité. On parlera alors de civilisation moderne, mais les concepts de société et de civilisation ne désignent pas des réalités substantiellement différentes ou distinctes, mais plutôt des dimensions complémentaires d'une réalité qui est en même temps auto-centrée et diffuse ou expansive.

Note 4 On devrait admettre qu'à défaut, la sociologie - comme toutes les sciences sociales - n'aurait jamais eu d'objet. Les scientifiques pensent d'ailleurs ainsi, et nous ne pouvons donc pas discuter avec eux en sociologues sur la spécificité de l'objet de la sociologie (alors qu'un physicien peut discuter avec un chimiste sans renoncer ni à son objet ni à son identité disciplinaire). Et comme le problème de cette identité nous est ici expressément posé, il faudra aussi introduire dans notre réponse une interrogation sur la nature "ontologique" de notre objet, en autant que nous pensions qu'il existe, voire seulement qu'il a existé, comme objet effectif d'une connaissance possible et pas seulement comme une construction langagière ou méthodologique. Le problème de l'autoconstruction objective de la société et du social devra donc aussi être abordé dans une perspective ontologique (et pas seulement être inclus dans le champ d'une épistémologie critique comme le font aussi bien le déconstructivisme que le constructivisme), ce que permet justement de faire une ontologie dialectique et non pas substantialiste.

Note 5 Le concept sociologique de société a eu des concurrents, notamment dans la perspective heuristique qui était celle des humanités que les sciences sociales ont prétendu détrôner. L'on peut penser ici d'abord au concept de civilisation. Le concept de culture lui a également fait concurrence, en particulier sous l'influence de l'anthropologie culturelle et la portée objective qu'il a acquise dans le monde anglo-saxon. On peut également rendre compte de ces différentes approches en termes sociologiques.

Note 6 Cela soulève un problème tout à fait général auquel il faudra répondre: comment fixer les limites historiques, territoriales et formelles d'une société? Faut-il le faire (en identifiant par exemple le concept de société et celui de "formation sociale") pour valider un concept réaliste de société? Quelle est la pertinence de la continuité historique (la continuité de quoi et en quoi, sous quels aspects), relativement à quel type de rupture ou de mutation, et à quelle modalité de l'altérité et de l'extériorité sociétales? Ainsi la "société grecque" englobe des réalités aussi différentes que la société athénienne (oi Athenaioi, voir plus bas), la société spartiate et la société macédonienne, ou encore la Grèce d'Homère et celle de Périclès, celle de l'Attique classique et celle des villes de l'Asie mineure (la Grèce de Thalès et de la plupart des Pré-socratiques). Quand y entre-t-on, où en sort-on? Inversement: où et quand commence vraiment l'État-nation, et quelles sont maintenant les "sociétés" qui en possèdent effectivement la forme? On connaît les problèmes qui se posent actuellement en référence à cette question, alors que le droit international a généralisé le modèle de l'État-nation comme forme de la reconnaisance des sujets politiques collectifs et de représentation des populations. L'opposition manichéenne entre les États et leurs sociétés civiles est loin de répondre à la question, puisqu'elle ne pense plus les conditions de constitution de la sphère "civile" en "société", la capacité propre aux phénomènes qu'elle rattache à cette sphère à former encore une société, que ce soit dans le cadre des États politiques ou de manière cosmopolite. Cette question devra être reprise dans le cadre de la discussion concernant la nature et la signification de la "globalisation".

Note 7 Ceci pour anticiper sur la question portant sur l'unité paradigmatique de la sociologie à laquelle devrait se mesurer la prétention de la sociologie à la scientificité : cette prétention est-elle cognitivement adéquate, ou n'est-elle pas seulement un symptôme de son engagement idéologique spécifiquement moderne? Encore faut-il voir alors que cette prétention à la scientificité a déjà largement été abandonnée, subvertie et dépassée au profit d'un engagement de toutes les sciences sociales vers l'opérativité pragmatique, en tant que technologies de gestion et de contrôle du "social". La seule "science humaine" reste alors celle de l'économie, puisqu'elle fixe normativement et dogmatiquement les seules règles du jeu à prétention "universelle" auxquelles tous les rapports sociaux devraient se soumettre ou s'adapter, comme s'il s'agissait d'une réalité ou d'une contrainte purement naturelle. La seule science humaine serait alors précisément une science de l'inhumain!

Note 8 Toute doctrine n'est pas nécessairement dogmatique, toute la philosophie est là pour le démontrer. Et ici aussi la sociologie s'inscrit, comme cela avait déjà été le cas pour la physique moderne depuis Galilée et Newton, dans le champ philosophique pour l'interpeller et le renouveler et non pour l'abolir, comme l'ont fait ensuite aussi la psychanalyse et la linguistique moderne, et on devrait ajouter maintenant tout un courant de la biologie et de la psychologie.

Note 9 Dans les sociétés modernes, cette unité de référence normative-expressive et identitaire (donc "idéologique" et justificative) est reprise à l'intérieur de chaque dimension institutionnelle sous la forme de la spécification des "principes universalistes" qui servent de références régulatives idéales aux divers procès spécifiques de leur reconstruction réfléchie et systématique : dans le droit, dans la reconstruction du pouvoir et de sa légitimité, dans la science et dans la culture humaniste, dans l'économie, etc. Le concept réaliste de la société, qui comporte la reconnaissance de son unité objective en soi, n'est donc pas tant "holiste" que structuraliste et fonctionnaliste puisque le rapport des parties au tout n'y est pas posé comme immédiatement substantiel ou immédiatement expressif, mais qu'il passe par la médiation de représentations idéales et justificatives qui restent confrontées réflexivement entre elles à l'intérieur d'une réflexion philosophique à caractère "idéaliste" (comme celle des Lumières), et que le moment de synthèse y reste expressément normatif et réflexif. Les sociétés véritablement "holistes" ne se pensent pas comme sociétés, le principe ontologique de leur unité ne leur appartient pas. C'est pourquoi aussi il est malvenu de qualifier d'"holistiques» les conceptions réalistes de la société qui s'opposent soit à l'individualisme méthodologique ou ontologique (psychologique), soit aux diverses versions du formalisme ou d'un pur instrumentalisme (qui ne s'interroge plus sur le sujet de cette instrumentation).

Note 10 C'est la modernité qui a distingué (reformulant une distinction déjà faite par les Grecs) et idéologiquement-pratiquement séparé dans son projet de reconstruction politique de l'ensemble de l'ordre social les "pratiques sociales" et la "praxis sociétale", c'est-à-dire les pratiques instituées et les pratiques instituantes, pour les rattacher respectivement aux sphères de la société civile et de l'État. Mais, comme dans la distinction spinozienne de la natura naturata et de la natura naturans, ces deux dimensions ne sont pas nécessairement séparées en soi. Dans les "sociétés de culture", le moment de l'institutionnalisation reste intérieur aux pratiques instituées qui participent directement à l'accomplissement de l'auroréflexivité diffuse qui caractérise l'ensemble du procès de reproduction sociétal. Le niveau sociétal ne se différencie donc pas ici du niveau simplement social. Mais dans ce cas, les pratiques particulières se resaisissent déjà elles-mêmes, en leur sens et leur participation à la vie de la totalité, sous l'autorité légitimante des récits mythiques ou religieux fondateurs.

Note 11 Ainsi, l'économie politique classique se présente comme la découverte des principes normatifs qui régissent une chrématistique universelle qui rejette la subordination de l'oikonomia médiévale et aristotélicienne à la recherche d'un équilibre harmonieux impliquant une référence à des normes et régulations sociales toujours particularisées de manière concrète c'est-à-dire circonscrite; de même l’œuvre théorique de Marx s'énonce-t-elle ensuite de manière centrale à partir d'une "critique de l'économie politique", et c'est en tant que critique qu'elle s'articule à son objet, qui est le développement de la société capitaliste. Cette posture critique présuppose une compréhension de la nature intrinsèquement (ontologiquement) normative de l'objet, que la théorie marxiste s'est efforcée de cacher ou de refouler derrière son adhésion dogmatique au matérialisme et à l'historicisme compris ensemble comme un déterminisme. Mais elle s'est emberlificotée dans cette dogmatisation du "matérialisme historique", alors que sa prise de position ou posture critique est parfaitement claire et cohérente, tant sur le plan sociologique que philosophique et historique. C'est sur ce point précis que lui a répondu, de l'intérieur, l'École de Franfort, mais celle-ci s'est à son tour empêtrée dans le subjectivisme individualiste auquel elle rapportait la dimension normative et expressive qui est attachée au symbolique, ce qui l'a conduite à concevoir sous le modèle de la réification et de l'aliénation toutes les formes à travers lesquelles s'instituait et s'objectivait la société et la socialité synthétique qui la caractérisait. Il en va de même chez Simmel, qui répondait également au scientisme impliqué dans le matérialisme historique marxiste, mais depuis cette extériorité que procurait la phénoménologie husserlienne. Tout cela fait partie du débat critique autour duquel se noue et se joue la pertinence objective de la sociologie et dans le cadre duquel se définit son identité disciplinaire, ce qui fait d'elle une discipline critique et synthétique qui se démarque clairement d'une simple science positive (comme le prétendait être, tout particulièrement, la science économique dans laquelle l'opposition entre une science et une doctrine a été poussée à son plus haut degré de confusion et d'occultation).

Note 12 On peut définir la philosophie comme une phénoménologie herméneutique des essences, c'est-à-dire comme la reconnaissance de l'«en tant que tel» des choses. Décréter qu'il n'existe pas d'en tant que tel objectif et significatif parce que tout ressortit du même est évidemment aussi une position philosophique ou métaphysique puisque cela implique une définition ou une représentation de ce «même» (par exemple comme "matière", ou comme "nombre", ou comme "algorythme informatique"), en dehors de laquelle il n'y a pas de description possible. On peut ignorer le moment philosophique mais non s'en défaire ou s'y soustraire ou le dépasser.

Note 13 Ils se distinguent ainsi d'abord eux-mêmes, et ce mode spécifique de reconnaissance et de conscience de soi (sous la forme par exemple de l'opposition humain-non humain, culture-nature) s'impose ensuite comme une donnée objective incontournable à ceux d'entre eux qui font le projet de les étudier - tels qu'ils sont réellement - de manière réfléchie et systématique ou méthodique, disons "philosophique" et "scientifique". À défaut, on parle d'autre chose, on réduit l'objet à ce qu'il n'est pas spécifiquement dans sa réalité essentielle.

Note 14 Ce n'est donc pas seulement par rapport à sa forme spécifiquement moderne (celle de l'État-nation) qu'il convient de s'interroger maintenant sur l'éventuelle disparition ou dissolution de la société dans le procès de la globalisation telle que nous le connaissons, et sur l'avenir que cela réserve aussi, par conséquent, à la sociologie. J'essayerai de montrer, à partir d'une analyse critique de la nature de ce procès de globalisation, que ce qui se trouve menacé, c'est la forme symbolique même qui fonde l'"essence" de la société comprise dans une perspective anthropologique absolument générale. Cela me conduira à m'interroger aussi sur la possibilité d'une alternative à la "globalisation", qui représenterait la visée et le résultat de l'ouverture des sociétés les unes aux autres, la formation d'une véritable interdépendance entre elles, accompagnant le développement d'une effective solidarité sociétale - et donc aussi morale et identitaire - au niveau mondial. Je nommerais cela, puisque le mot est déjà utilisé, la "mondialisation" de la société. La sociologie, à condition qu'elle fasse l'effort de s'ouvrir à cette forme non seulement élargie mais agrandie et approfondie de la réalité humaine (sociale et historique) pour s'engager dans son élaboration, n'aurait vraiment aucune raison d'y perdre son objet, ni son statut critique, ni sa portée en même temps cognitive, normative et expressive.

Note 15 Cela ne devient effectif que dans la situation-limite où l'aporisme de McLuhan, the medium is the message, devient vrai. Alors le contenu et sa signification propre, spécifique, devient simple arbitraire circonstantiel, tous les contenus se fondant et se confondant dans la participation au medium, en tant qu'objets d'immédiate stimulation ou consommation. L'aporisme de McLuhan rejoint alors exactement la «vérité» de tous les autres discours de la déconstruction et de tous les autres discours sur le caractère ultimement déterminant de la technique, son autofinalisation, qui les uns comme les autres constatent ou exhaltent l'abolition conjointe de la liberté ontologique de l'être humain et de toute forme déterminée de monde commun. Car la liberté ne peut être fondée que dans le symbolique compris non comme pure forme vide, mais dans la libre participation à l'institution d'un monde commun possédant pour tous valeur de réalité comme universum.

Note 16 Certains philosophes ont décrété - c'était à tort, car ils n'exprimaient qu'un symptôme d'une mutation problématique - la fin des philosophies de la représentation, mais il ne peut y avoir de communication significative qu'à l'intérieur d'un système commun de représentation. Autrement, il n'y a que transfert d'information. L'usage significatif de l'information requiert alors à son tour une référence représentative partagée qui est constitutive d'un monde commun. À défaut, on ne fait que brancher des opérations de logiciels les unes sur les autres, mais il n'y a plus moyen de savoir ce qui s'"y" passe, ce que tous ces branchements et tous ces échanges signifient.

Note 17 L'espace symbolique concret participe de l'essence conceptuelle du langage entendu au sens linguistique, mais il ne se réduit pas à cette modalité puisqu'il comprend d'autres formes d'expression sensible que la parole, comme les gestes et toutes les formes de figuration significative et d'expression codifiée, et finalement le champ entier des arts et des oeuvres humaines, comme la musique et la danse, le dessin, la peinture, la sculpture, l'architecture, ainsi que toutes les techniques comprises dans la particularité de leurs formes expressives et non seulement dans leurs résultats, en tant que ceux-ci seraient uniquement rapportés à leur efficace instrumental et non pas compris en leur valeur propre. C'est ainsi la totalité du monde humain, humainement significatif et signifiant, qui est symbolique, mais cette totalité tient son unité en ce que tout ce qu'elle comprend peut être dit, ou plutôt se tient dans l'horizon de la parole - et cela vaut également pour ce qui s'y présente comme un au-delà de la parole, comme ineffable, puisqu'il n'y a rien d'ineffable pour l'animal ou pour la pierre. Certes seul ce qui a été dit peut-être redit et reconnu, mais cette capacité et cette exigence de mise en parole et de mise en sens reste suspendue à la limite de l'ineffable qui ne lui est pas extérieure mais intérieure, et qui accompagne toute prise de parole, tout énoncé "clair et distinct" puisqu'elle circonscrit le lieu où il prend sens (précisément le sens d'un "dit", d'une expression parvenue à la signification parce qu'énoncée en elle). Le même problème de la non-délimitation ou de l'impossibilité d'une détermination significative absolue et donc parfaitement univoque se présente lorsqu'on veut décrire la société de manière purement empirique : on ne peut décrire la société que du dehors - et ce dehors est alors une autre société, une autre identification sociétale agrandie ou décalée (comme dans la variation eidétique de Husserl, comme dans l'inscription temporelle des récits chez Ricoeur, comme dans le décalage du rêve chez Freud). D'où l'exigence de la démarche comparative qui est propre à l'herméneutique phénoménologique, et par conséquent aussi à la sociologie qui s'occupe de l'agir humain appréhendé dans sa signification.

Note 18 La raison de cette nécessaire détermination est double, et ses deux dimensions sont solidaires ou réciproques. D'un côté elle tient au fait que les être humains sont aussi et d'abord des réalités physiques et des êtres vivants qui subissent comme tels des contraintes extérieures et doivent satisfaire à des exigences d'échange avec le "milieu extérieur": quelles que soient leurs "réactions" et leurs "réponses", leur mode d'existence est déterminé positivement, il n'est jamais entièrement arbitraire. De l'autre côté, elle tient à la nature différentielle du symbolique (la linguistique sausurrienne, etc., et Lévi-Strauss): or il ne peut exister aucune différentialité dans le vide (disons ici dans un vide sémantique, ou en absence de tout "référent sémantique déjà donné comme tel à la sensibilité de l'être vivant); la différencialité résulte toujours originellement d'un procès de différenciation - ou de composition différentielle - qui s'applique à quelque chose ou part de quelque chose: c'est par exemple les hommes et les femmes, le cru et le cuit, mais jamais "rien"! Si le structuralisme en a fait méthodologiquement abstraction, la réalité prélinguistique n'en peut pas être effectivement abtraite, ou soustraite. D'une part est toujours donné au symbolique le "corps du sujet" (ce que Merleau-Ponti nomme sa chair), qui bien sûr s'y trouve ressaisi; d'autre part le symbolique naît toujours d'une mise en forme d'un rapport, d'une expérience effective de l'altérité, qui se trouve réassumée, redéployée, réélaborée et éventuellement transformée dans cette nouvelle dimension ontologique qu'il institue: toute réalité objective s'y trouve reconçue selon le concept. Ce n'est pas ici le verbe qui se fait chair mais la chair qui devient verbe.

Note 19 Il faut ici remarquer que d'une manière ou d'une autre - à travers la large contingence qui préside à toute mise en forme symbolique - ce sont aussi les conditions «fonctionnelles» et «naturelles» de la vie collective qui sont reprises en charge de manière réflexive : l'autoréflexion des sociétés «globales» à travers des «récits» représente ainsi un moment interne de la vie sociale où est assumée subjectivement l'interdépendance fonctionnelle qui est impliquée dans les rapports sociaux (la "division du travail social"!) ainsi que la commune dépendance à l'égard du monde naturel. Je n'insiste pas ici sur cette évidence dont la "découverte" a coïncidé avec la naissance de la sociologie, qui souvent n'est parvenue à lui conférer une valeur objective déterminante qu'en réifiant directement cette fonctionnalité ou cette naturalité, sans passer, dialectiquement, par la reconnaissance elle aussi déterminante des médiations symboliques à travers lesquelles seulement s'exerce leur emprise sur la constitution d'un monde proprement humain et social.

Note 20 Voir Dario de Facendis, «Hannah Arendt et le mal», in Daniel Dagenais, sous la responsabilité de, Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, Québec, Les Presses de l'université Laval, 2003, pp. 52 ss.

Note 21 Ce qui n'est pas la même chose que dans le schéma du désir triangulaire de René Girard (qui n'est pas faux, mais seulement moins essentiel parce que trop spécifiquement "moderne"), un schéma où le sujet désire, mimétiquement, l'objet du désir de l'autre - plutôt que de se saisir lui-même, de manière conditionnelle et suspensive, comme l'objet du désir de l'autre (eros). Ainsi le fondement de la nature humaine n'est (peut-être) pas possessif, compétitif et provocateur (voir la critique historique de l'"individualisme possessif" de C.B. Macpherson), et l'exigence ou la dépendance à l'égard de la reconnaissance pourrait être première par rapport à la possibilité d'affrontement que produit cette reconnaissance (après tout, empiriquement, tout être humain commence sa vie comme bébé, et il n'est pas raisonnable de penser que l'origine du "genre" devait être absolument différente de chaque entrée dans le genre, et donc fondée sur un "acte" ou un "évènement" absolument unique et exceptionnel). Mais à chacun son Hegel, et je me contente du "mien" pour m'éclairer puisque c'est ainsi qu'il m'éclaire!

Note 22 Cette inonditionnalité ne concerne pas la loi positive, mais l'idée même de la Loi. C'est alors au nom de cette Loi que le sujet peut s'opposer à la loi positive "injuste".

Note 23 À ce sujet, voir en particulier André Pichot, Petite phénoménologie de la connaissance, Paris, Aubier, 1991.On peut remarquer qu'une telle forme de compréhension est également impliquée dans l'analyse "matérialiste" marxiste en terme de mode de production et de reproduction puisque la référence aux conditions matérielles déterminantes ne se comprend que relativement aux conditions de la reproduction de la vie organique. Plus largement, toutes les phénoménologies s'y réfèrent également au moins implicitement puisqu'il n'existe de phénoménalité (d'"apparaître") que dans le champ d'une expérience de l'altérité qui est ouverte par la sensibilité animale (et donc humaine), qui est elle-même liée à cette exigence d'échange avec le monde extérieur et donc à cette division de l'intériorité subjective et de l'extériorité objectivée qui caractérise d'abord tous les êtres vivants. C'est cette "présence du monde extérieur", toujours organiquement spécifiée (par les "organes des sens"), qui fournit la matière première originelle sur laquelle le symbolique peut construire toutes ses élaborations conceptuelles différentielles, y compris celles qui créent une pure virtualité idéelle, conceptuelle, normative ou esthétique. Toutes les constructions et abstractions formelles (temps, espace, nombre, formes...) renvoient en effet métaphoriquement à l'horizon d'une expérience sensible qui leur a servi de point de départ, et ceci quel que soit leur éloignement à l'égard de cette expérience originelle.

Note 24 Sur le rapport dialectique entre le comportement et l'évolution organique et physiologique, voir Adolf Portmann, La forme animale, trad. Paris, Gallimard, 1961.

Note 25 Il faut entendre cette relativité non seulement dans le sens banal qu'elle n'est jamais complète, ni dans le sens formaliste de la différencialité structuraliste, mais aussi et surtout dans le sens concret où l'autonomie de chaque domaine institutionnel est précisément relative à celle qui particularise chacun des autres dans un même système général de complémentarité relationnelle. La reconnaissance de cette relationalité constitutive n'implique donc aucun "relativisme" ontologique ou épistémologique. Elle signifie seulement que dans l'ordre symbolique, comme déjà d'ailleurs dans l'ordre du vivant, il n'y a d'existence que sous la forme de l'appartenance à un particulier (genos, compris comme procès continué d'engendrement), et que ce particulier s'est constitué à travers le rapport qu'il entretenait avec les autres dans un champ commun d'interdépendance. Il y a si l'on peut dire nécessité d'appartenance à une forme d'existence concrète contingente.

Note 26 Il faut relever que ces conditions ne concernent pas seulement l'accord "de la pensée et de la chose" (adequatio rei et intellectus), mais aussi et d'abord l'accord virtuellement universel des "pensées" individuelles entre elles. Une vérité purement ésotérique n'est plus une vérité, mais un acte ou un état de fusion gnostique.

Note 27 Sur l'opposition de l'oikonomia et de la chrématistique, je me permets de référer au chapitre 4 de L'oubli de la société, o. cit.

Note 28 On a largement insisté sur l'importance qu'a eu l'échec de l'internationalisme socialiste dans la montée des totalitarismes "historiques" que furent le fascisme, le nazisme et le stalinisme, mais on a peu relevé il me semble que cet "échec", d'un côté a été dû au cadre politique national auquel renvoyait l'action socialiste lorsqu'elle se voulait précisément démocratique (puisque la démocratie ne peut s'exercer que par référence à des institutions réelles dans lesquelles s'exprime une solidarité collective qui se reconnaît déjà de manière identitaire), et de l'autre l'importance que cet échec a eu relativement aux difficultés qu'ont éprouvées les sociétés sociales-démocratiques dans le contexte d'une ouverture unilatérale des marchés à l'expansion d'un capitalisme qui n'avait à répondre de rien, ni devant personne, dans les espaces inter-nationaux ou intersticiels (largement ouverts par l'impérialisme) où ne s'appliquait aucune norme sociale démocratique, mais plutôt ce qu'on a nommé le "droit de la mer". Sous cette deuxième forme, l'échec de l'internationalisme socialiste est donc directement lié à la montée d'un nouveau totalitarisme systémique au niveau mondial, qui prend précisément la forme de la globalisation néo-libérale. Mais comme il s'agit là du présent et de l'avenir imminent, un tel échec n'a encore rien d'irrémédiable.

Note 29 Tout d'abord dans le cadre des politiques impérialistes, puis surtout après la deuxième guerre mondiale, sous l'égide de l'hégémonie que les États Unis s'étaient acquise comme champion du "monde libre" après la victoire sur le nazisme, puis dans le contexte idéologique et militaire de la "guerre froide". Par ailleurs les institutions économiques internationales qui furent mises en place après Bretton Wood pour contrôler et harmoniser le développement (GATT, Banque Mondiale, FMI, OCDE, etc.) sur la base de la construction d'une véritable solidarité internationale ont été détournées de leur fin originelle sous l'effet de l'emprise que le néolibéralisme a conquise dans les années 1970 dans les milieux dirigeants de l'économie mondiale, et furent mises unilatéralement au service de la "libéralisation des marchés, et principalement, de la création d'un libre marché mondial des capitaux. L'AMI devait consacrer et couronner cette nouvelle politique pour en faire l'équivalent d'une "Constitution du capitalisme mondial". Voir François Chesnais, Lumière sur l'AMI. Le test de Dracula, 1999. Texte de synthèse rédigé à partir d'interventions, d'articles et de notes de travail émanant de plusieurs membres de l'Observatoire de la mondialisation. Document accessible sur Internet à partir du site www.attac.org. Voir aussi Michel Freitag et Éric Pineault (sous la direction de), Le monde enchaîné, perspective sur l'AMI et la capitalisme globalisé, Québec, Éd. Nota Bene, 1999.

Note 30 L'expression de "libre marché" est de toute façon devenue un euphémisme assez cynique dans un monde où l'économie (de même que la recherche scientifique et technologique et le monde "culturel" des media) est dominée par les corporations multinationales qui contrôlent plus des deux-tiers des investissements internationaux, et possèdent une puissance organisationnelle et stratégique supérieure à celle de la plupart des États membres des Nations Unies. Je ne fais que répéter ce que tout le monde sait, ce qui n'empêche pas de parler encore de la "liberté du marché", que ce soit pour ou contre! Voir à ce sujet "L'économie et les mutations de la société", chapitre IV de mon livre L'oubli de la société (avec la collaboration de Yves Bonny), Rennes, Presses de l'université de Rennes et Québec, Presses de l'université Laval, 2002.

Note 31 Jusqu'à présent, il n'a jamais été question sérieusement d'une globalisation des droits sociaux, de la protection des travailleurs, d'une politique salariale mondiale, d'une politique effective de développement planifié, du droit à la libre circulation de la main-d’œuvre et des personnes au niveau mondial, de l'égalité d'accès aux soins de santé, de la réalisation de la justice au niveau mondial, etc. Les instances internationales qui s'occupent de tels problèmes (BIT, FAO, OMS, UNICEF, etc.) ont vu leur poids relatif et leur capacité décisionnelle décliner dramatiquement depuis vingt ans par rapport aux organismes qui se sont attribué la tâche de soustraire le capitalisme à toute entrave politique et législative (Banque Mondiale, FMI, OMC, OCDE...). Même dans les domaines qui touchent le plus directement à l'avenir collectif de l'humanité comme celui de l'environnement, ou aux fondements d'un ordre mondial respectueux des droits humains les plus élémentaires (dont on parle tant comme ultime référence de légitimation), la principale puissance qui a mis tout son poids au service de la globalisation de l'économie capitaliste a refusé de s'engager: les États-Unis ont a ce jour refusé de signer le protocole de Kyoto, refusé de se soumettre à la Cour pénale internationale, refusé de signer un accord sur les mines antipersonnels, sur l'interdiction des armes chimiques et bactériologiques, etc.

Note 32 Les États signataires pouvaient inscrire trois réserves au moment de la signature de l'accord (touchant par exemple au domaine culturel). Mais ces réserves n'auraient eu qu'une portée temporaire et devaient être renégociées après six ans avec la seule possibilité d'en restreindre la portée. C'était le "mécanisme du ratchet" ou du cliquet. Une seule réserve générale était inscrite dans le projet de traité : c'était la réserve "pour raison de sécurité", mais on sait combien l'invocation de cette raison de sécurité est depuis longtemps pratiquement l'apanage des États-Unis, qui en font régulièrement l'usage qu'ils veulent bien à l'abri de tout jugement et de toute sanction internationale. Or ce n'est pas une Cour mondiale (par exemple le Conseil de sécurité des Nations Unies) qui aurait eu à juger de la pertinence de l'invocation de cette clause de sécurité, mais le tribunal arbitral de L'AMI.

Note 33 Les États devaient perdre aussi le contrôle de l'attribution de la citoyenneté puisque les investisseurs se voyaient accorder le droit d'établissement et de séjour partout où ils avaient des intérêts, et que ce droit s'étendait aux personnes engagées dans la gestion de ces intérêts. Les investisseurs devenaient du même coup des "citoyens du monde" placés au-dessus de toutes les lois régissant l'immigration, le statut des étrangers, le droit au travail et à la libre circulation, le droit à l'instruction des enfants, etc. Dans le cas du Québec, par exemple, ils auraient aussi été soustraits à la législation concernant la langue de travail et la langue de l'éducation protégeant la langue française.

Note 34 La pensée critique peut se consoler et échapper au catastrophisme en se disant que rien n'est encore joué de manière définitive. Elle peut aussi se montrer attentive aux résistances. Par exemple, les crises financières et sociales résultant de la déréglementation commencent à secouer le système et à ébranler l'idéologie qui le soutient. Du même coup, le discours dominant réhabilite l'idée de la nécessité d'une réglementation, et les responsables politiques de plusieurs États se permettent à nouveau de mettre en doute les bienfaits automatiques de la globalisation. (J'aurais pu inscrire cette remarque dans le texte plutôt que de la refouler dans la marginalité d'une note: mais ce qui est visé ici, c'est la construction d'un idéal-type, et non une description de la réalité, de ses potentialités et de ses incertitudes. Le type idéal, s'il est réaliste et non pas phantasmatique, permet alors d'éclairer la réalité et surtout d'orienter l'action sociale et politique en soulignant ses enjeux réels).

Note 35 Par "véritable", je veux dire que ce procès d'ouverture, d'élargissement et d'universalisation respecterait la nature même de la socialité et de la société, sa nature symbolique, politique et contingente. Voir le # b ci-dessus. J'ajoute que cette universalisation devrait être comprise comme la construction, nécessairement conflictuelle et problématique, d'un Universum particulier, et non comme le résultat nécessaire de la réduction de toutes les régulations et de tous les contrôles sociaux à la mise en oeuvre d'un universel abstrait, qu'il s'agisse d'un "principe" (idéaliste, comme la liberté individuelle ou même le principe de l'intérêt) ou d'un médium généralisé (opérationnel et pragmatique, comme l'"argent" - on peut lui garder ce nom! - ou l'"influence" :soit quelque chose qui "surplombe tout", soit quelque chose qui "circule partout" sans s'établir ni se tenir dans une structure propre que son objectivité soumet encore au jugement et à l'action critique réfléchissante (comme les "besoins" ou comme le "pouvoir", comme les "valeurs" et comme les "fins").

Note 36 Ce moment objectif est celui de la "chose", qui n'est peut-être pas "premier" si on le comprend selon le point de vue phénoménologique kantien, mais qui répond du moins à la puissance synthétique du concept. Je n'ai pas à me prononcer ici sur cette question qui renvoie à celle de la distinction du phénomène et de la "chose en soi". J'adhérerais plutôt personnellement à la critique qu'en a fait Hegel, et qui permet à mon sens de dépasser ce dualisme et la restriction de la connaissance à la connaissance phénoménale.

Note 37 Habermas fusionne sans raison valable la raison cognitive et la raison économique dans la raison instrumentale, dans la cadre d'une adoption non critique, dogmatique, de la thèse de la fin de la représentation! De la même manière il dissout la raison esthétique dans la rationalité communicationnelle.

Note 38 Voir ma contribution à l'ouvrage dirigé par Daniel Dagenais, Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, op. cit.

Note 39 On pourrait citer ici par exemple la théorie des réseaux, les théories des organisations comportant la conversion des théories politiques en théories de l'influence, de la décision et de la gestion, les modèles de la rétroaction cybernétique et des systèmes autopoiétiques, les théorisations formelles de l'information et de la communication, les théories opérationalistes, etc. La plupart sont d'ailleurs déjà intégrées, que ce soit de front, de dos ou latéralement, dans la théorisation luhmannienne. Toutes ces théories répondent de manière positive (positiviste!) à la négativité pure des philosophies de la déconstruction, de la mort du sujet, de la fin des grands récits, des flux désirants et des corps sans organes, de la multitude et de ses "non-lieux", de la fin de l'histoire, etc., et toutes ont "raison" ou sont (potentiellement) "vraies" si avoir raison objectivement et être vrai signifie aller dans le sens du courant sans soumettre le mouvement réel à aucun jugement ontologique ou existentiel, sociologique ou politique, historique ou circonstantiel. Elles sont vraies si la vérité ne comporte aucun engagement.

Note 40 Luhmann se rattache ainsi à un phénoménalisme radical, si radical que la phénoménalité de l'environnement systémique se déploie dans l'espace paradoxal d'une immédiate phénoménalité-en-soi (dont serait investie la différencialité informationnelle) et d'une phénoménologie sans sujet - si l'on fait exception de Luhmann lui-même!
41 Un glissement de la théorie fonctionnaliste de l'action vers une théorie de l'autorégulation systémique avait déjà caractérisé cependant l’œuvre tardive de Parsons, après qu'il ait "absorbé" dans ses ouvrages de maturité les théorisations de Easton et de Homans. Voir à ce sujet Alwin W. Goudner, The Coming Crisis of Western Sociology, un livre qui par ailleurs reste tout à fait d'actualité puisque nous sommes maintenant dans la crise, et que la question qui nous est posée revient à savoir comment en sortir.

Note 42 Je fais allusion ici à la théorie du réflexe conditionné, et non pas à sa réalité. À ce sujet, voir Bernstein, La structure de l'organisme et Erwin Strauss, Le sens du sens. On peut se référer aussi à Merleau-Ponty, La chair et l'esprit.

Note 43 Il faut mettre ici en contraste le symbolique conceptuel et le systémique opérationnel. Dans le symbolique, le concept saisit a priori le divers et le multiple de l'expérience empirique, qu'il laisse subsister dans sa subsomption sous le sens ou la signification. Le système informatisé convertit toute réalité en information, et une multiplicité d'informations en une "décision" ou un "choix" opérationnel; la complexité de l'information (et non pas sa diversité et sa variété) se trouve absorbée et réduite dans la simplicité opérationnelle et informatique de cette décision ou de ce choix, qui n'est qu'un simple output unidimensionnel. La compréhension pragmatique du langage permet déjà d'opérer un tel passage du symbolique au systémique, et ce passage n'est pas simplement une traduction, c'est une conversion où le chemin de retour vers une réalité autonome est aboli.

Note 44 Luhmann présente lui-même expressément sa théorie systémique comme une "théorie générale de la société" ( als Form gesamtgesellschafticher Analyse : voir le titre de son texte introductif à J. Habermas et N. Luhmann, Theorie des Gesellschaft oder Sozialtechnologie?, Frankfurt, Suhrkamp, 1971.

Note 45 Cela est vrai pour la réalité qualitativement différenciée dont hérite la théorie de Luhmann, mais cela est vrai également pour l'héritage sociologique (et littéraire) dont il use si largement et dont il sait brillamment mettre en valeur la richesse signifiante au profit de son oeuvre qui, à défaut, serait d'une parfaite sécheresse.

Note 46 Voir L'oubli de la société., op. cit.

Note 47 Qui est technologiquement intégrée dans l'élaboration des processualisation informatiques impliquées dans les fonctionnements systémiques.

Note 48 De la même manière que le maintien, au niveau des institutions, de la solidarité et de l'intégration sociétale nationales dans le contexte du développement du capitalisme internationnal avait représenté le problème central qui s'offrait à la réflexion sociologique classique.

Note 49 C'est sans doute dans un sens luhmannien qu'Habermas se réfère au "monde du système" (lequel n'a précisément plus le relief et la substance d'un "monde", mais ne désigne plus qu'un espace opérationnel globalisé à n dimensions). En effet la confrontation à laquelle Habermas a participé avec Luhmann au tout début des années soixante-dix a marqué son oeuvre, et en particulier a conduit à sa propre adoption d'une approche communicationnelle (cf. J. Habermas et N. Luhmann, op. cit.).

Note 50 Comme ils avaient été radicalement réinventés à la fin de la période médiévale pour inaugurer la modernité. Dans ce sens, c'est la période de la modernité qui est finie. Ne rien saisir de cet épuisement, de cette limite "époquale", c'est se résigner à la "fin de l'histoire", qui consiste précisément dans la mise à plat systémique.

Note 51 Ici aussi, c'est l'objet de la critique qui a changé, et donc son sens. Jusqu'à présent, la dimension critique des sciences humaines s'est accrochée au programme philosophique des Lumières: celui de l'émancipation des individus dans une perspective d'égalité et de justice collectives. Un tel programme n'a jamais été facile à réaliser, mais du moins la voie qu'il traçait pour l'action restait claire tant que sa cible pouvait se présenter sous la forme des structures instituées de domination héritées du passé, ce qui n'est plus le cas de la domination systémique. A cet égard, le cas de la sociologie classique est déjà particulier, puisque son intervention critique (et elle le fut largement) visait au moins partiellement à la reconstitution des solidarités sociales et sociétales menacées par le développement incontrôlé du capitalisme. Il appartenait donc déjà à la tradition de la sociologie classique de ne pas être engagée unilatéralement dans le mouvement d'émancipation de l'individu, ni dans la recherche d'une rénovation des institutions sur une base purement rationaliste-idéaliste, formaliste et déductive. Ce "sens conservateur" dont la nature même de son objet l'empêchait de se départir entièrement (comme ce fut aussi le cas pour l'anthropologie, toujours tentée par le romantisme) devrait la placer maintenant dans une situation théorique privilégiée pour comprendre la nature et l'ampleur des problèmes de sauvegarde de la société et de la socialité, et plus généralement de toute la dimension symbolique de la vie collective, que soulève l'extension virtuellement illimitée de l'autorégulation systémique. Ce n'est donc pas d'aujourd'hui qu'une "sociologie libérale" se révèle être une contradiction dans les termes, ou du moins dans les intentions.

Note 52 C'est justement le débat sur les fins et les valeurs que des libéraux pragmatistes comme Richard Rorty voudraient exclure radicalement de l'espace public, cet espace public se trouvant alors, de manière paradoxale et contradictoire, soit entièrement privatisé, soit directement technocratisé (réservé aux "experts" sans états d'âme). Cf R. Rorty, «Y a-t-il un universel démocratique? Priorité de la démocratie sur la philosophie», dans L'interrogation démocratique, Paris, Centre Georges Pompidou, Coll. Philosophie, 1989. C'est aussi ce débat qui est décrété définitivement clos par Francis Fukuyama dans sa thèse sur la fin de l'histoire.

Note 53 Cette dissolution de la dimension synthétique de la culture se produit autant au niveau de ce qu'on nommait la "haute culture" que dans ce qui était désigné comme "culture populaire", ces deux niveaux étant d'ailleurs portés à se confondre dans la culture médiatique.

Note 54 Cette tendance est fortement aidée par la rhétorique des "droits et libertés" lorsque celle-ci se détache de tout fondement universaliste (et donc philosophique) pour se reconvertir en défense judiciaire de "droit à la différence".

Note 55 Toutefois il s'agirait bien ici d'idéaux, faisant eux-mêmes objet de débats, et non de principes régulateurs immédiatement intégrés de manière a priorique et impersonnelle dans les activités communicationnelles!

Note 56 On peut faire ici une analogie avec la conception universaliste des Droits de l'homme, dont la proclamation lors de la Révolution française puis dans la Déclaration universelle des droits de l'homme s'adressait d'abord au législateur, et les chartes contemporaines des droits et libertés de la personne, inspirées par la constitution américaine, et qui donnent aux individus un recours judiciaire contre le législateur et ont entraîné la mutation des droits universels en droit particularistes à la non discrimination, ce qui nie virtuellement la capacité normative du législateur politique et réduit sa compétence au champ de la réglementation de nature instrumentale et opérationnelle. C'est dans cet esprit que l'AMI reconnaissait les "droits des investisseurs"!

Note 57 Il faut ajouter que malheureusement, la distinction - déjà reconnue par les Grecs - entre le niveau proprement législatif (celui des nomoi à portée normative universaliste ou du moins générale, et qui possédait un caractère fondateur à l'égard de la solidarité et de l'identité collective) et le niveau réglementaire (à caractère circonstantiel et pragmatique) a eu tendance à s'effacer en partie sous l'effet de cette division des pouvoirs, mais aussi et surtout à cause des exigences d'intervention "gestionnaire" de l’État qui résultaient du développement même du capitalisme et de la rupture de la solidarité sociale et sociétale qu'il entraînait.

Note 58 Cette expérience a été faite depuis plus d'un siècle par l'Occident, et largement imposée par lui au reste de l'humanité. Elle a été marquée notamment par le développement des totalitarismes qui ont dépassé, dans leur négation de l'humain, tout ce qu'avaient été en mesure de faire les autoritarismes traditionnels les plus tyraniques, et cette menace totalitaire est à nouveau portée par l'extension du systémisme post-moderne et post-historique. Voir à nouveau sur ce thème l'ensemble des contribution à l'ouvrage édité sous la direction de Daniel Dagenais, Hannah Arendt, le totalirisme et le monde contemporain, op. cit.

Note 59 Les empires ont fréquemment servi de conservatoires à toutes sortes de particularismes locaux. Une bonne illustration fictionnelle de cette caractéristique sociologique des empires est donnée dans les descriptions des villes imaginaires que Marco Polo fait au Grand Kahn dans Les villes, de Dino Buzzatti.

Note 60 Voir Michael Hart et Antonio Negri, Empire, Paris, Exils Éditeur, 2000.


Retour au texte de l'auteur: Michel Freitag, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 24 juillet 2003 14:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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