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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Louis-Gilles Francoeur, “Pierre Dansereau 1911-2011. Un phare intellectuel et moral.” Montréal: LE DEVOIR, édition du vendredi, le 30 septembre 2011, page A1 et A10.

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Louis-Gilles Francoeur
Journaliste scientifique

Pierre Dansereau 1911-2011.
Un phare intellectuel et moral.”

Un article publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du vendredi, 30 septembre 2011, pages A1 et A10.



Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir  Pierre Dansereau a voué sa vie à décoder le mystère de la vie, son exubérance et sa beauté. On lui doit la première grande étude d’impacts environnementaux réalisée au Canada à l’occasion de la création de l’aéroport de Mirabel, qui allait devenir un modèle du genre. Son apport à l’évolution des sciences environnementales lui a valu une reconnaissance internationale.


Pierre Dansereau a voué sa vie à décoder le mystère de la vie, son exubérance et sa beauté. On lui doit la première grande étude d’impacts environnementaux réalisée au Canada à l’occasion de la création de l’aéroport de Mirabel, qui allait devenir un modèle du genre. Son apport à l’évolution des sciences environnementales lui a valu une reconnaissance internationale.

Un phare, un véritable phare intellectuel et moral, qui est devenu un repère dans le développement des sciences environnementales, s'est éteint dans la nuit de mercredi à jeudi, à huit jours de son 100e anniversaire après avoir éclairé des générations de chercheurs, étudiants et militants environnementaux du Québec et d'ailleurs, notamment au Brésil où on a édité la seule œuvre synthèse de son œuvre scientifique.

«Le Québec ne rêve plus
de devenir une société modèle:

voilà son problème d’environnement.»


À côté de lui, alitée elle aussi, son épouse Françoise, qui a atteint ses 100 ans en juin, ne cesse depuis plusieurs jours de réclamer son «amour», nous racontait avant-hier sa nièce Danièle. Ce couple, qui a traversé le dernier siècle avec les yeux de l'artiste-peintre et de son conjoint «décodeur du mystère», comme il se dépeignait, a récemment fêté ses 76 ans de vie commune. Avec humour, Pierre Dansereau expliquait cette surprenante résilience à sa philosophie «d'austérité joyeuse», l'antidote de la surconsommation, à l'origine de la destruction de l'environnement et des grandes iniquités du dernier siècle, répétait-il souvent.

Plusieurs à l'UQAM, professeurs, chercheurs et simples étudiants de l'édifice qui porte désormais son nom derrière la Place des Arts se souviendront de l'avoir croisé et abordé avec familiarité dans ce quadrilatère qu'il parcourait encore allègrement à 90, voire à 95 ans, accompagné de son fidèle adjoint, Daniel Garneau, qui veillait aux faux pas...

Si Pierre Dansereau est reconnu aujourd'hui comme un des grands pionniers des sciences environnementales, un secteur qu'il a profondément marqué de son empreinte, cet homme au sourire en coin, un brin moqueur, et à l'oeil pétillant, était accessible à tous.

Pourtant, il était l'ami et le conseiller de l'élite politique. Il comptait parmi ses amis René Lévesque, Pierre Elliot Trudeau et bien d'autres comme André Laurendeau, avec qui il a milité dans les années 30. Il s'est passionné pour tous [A-10] les débats sur les grands enjeux du dernier siècle, et pas seulement les grands enjeux environnementaux. Pour lui, les problèmes d'environnement étaient souvent d'abord le résultat de mauvaises décisions politiques, pouvaient expliquer des conflits sociaux aussi graves que le clivage Nord-Sud.

«On ne peut pas vraiment être un écologiste sans avoir une fibre socialiste profonde», me disait-il un jour dans son laboratoire de l'UQAM où il a oeuvré pendant 30 ans... après avoir pris sa retraite officielle!

Confiant dans l'intelligence humaine, mais jusqu'à un certain point dans la technologie à cause de ses dérives, ce scientifique d'une rigueur reconnue internationalement n'hésitait pas à s'en prendre aux excès du système économique actuel.

Un jour que je lui demandais quel bilan il faisait de l'environnement québécois, il a fait cette étonnante réponse qui le décrit si bien: «Le Québec ne rêve plus de devenir une société modèle: voilà son problème d'environnement. Il n'est plus tiré en avant par un grand projet comme au temps de René Lévesque. Un climat de morosité s'est installé, de repli sur soi, de chacun pour soi, qui devient une menace pour bien des espèces. En matière de gestion des richesses naturelles, le premier obstacle, c'est d'accepter l'ordre établi, celui qui permet à chacun d'empocher salaire et profits, comme s'il s'agissait d'une loi immuable, sans penser aux conséquences. Et en faisant de moins en moins de place à ceux qui voient la société de façon créatrice, chercheurs et artistes.»

Alors que beaucoup d'universitaires d'aujourd'hui accusent d'hérésie scientifique ceux ou celles parmi leurs collègues qui engagent leur savoir dans les grands débats publics, qui osent même prendre position, Pierre Dansereau, un des plus grands d'entre eux, l'a fait souvent.

Il s'est opposé notamment à la privatisation d'une partie du mont Orford et au projet de construire des plages en face de Longueuil, un cadeau que son ami René Lévesque voulait pourtant faire à sa circonscription dans un milieu faunique exceptionnel. Il n'acceptait pas non plus qu'on doive payer pour avoir accès aux parcs nationaux, un accès à la nature qu'il assimilait à un «service public de base».


Contribution novatrice


Pierre Dansereau a bouleversé les bases de la science de l'écologie. Il a couché sa vision novatrice dans Biogeography: An Ecological Perspective, un livre publié au milieu des années 50 qui allait lui assurer un rayonnement international.

Jusque-là, l'écologie scientifique s'était développée autour de la biologie et de la chimie, des sciences dites «exactes».

Dansereau a soutenu qu'on ne pouvait comprendre ce qui se passait en environnement si on n'abordait pas les questions de façon multidisciplinaire, c'est-à-dire en faisant tout autant appel aux sciences sociales, celles, me disait-il un jour, qui extirpent le sens des événements et la direction à suivre. Il allait plus loin: on ne peut plus, écrivait-il dans Biogeography, voir la nature d'un côté et les humains de l'autre. Les humains vivent de la nature, y interviennent et leurs interventions, voire leur vision des choses, doivent faire partie de l'analyse, disait-il.

Il a alors développé plusieurs matrices qui permettaient ultimement d'expliquer jusqu'aux comportements humains. Plusieurs chercheurs, comme Gilles Vincent, le directeur du Jardin botanique de Montréal — là où Dansereau a travaillé avec son mentor, le frère Marie-Victorien —, considèrent qu'il a en quelque sorte par ses travaux complété Darwin.

C'est d'ailleurs pourquoi Gilles Vincent dit de cet intellectuel engagé dans le savoir et la société que Pierre Dansereau est «l'écologiste avec un grand e» du Québec.

Autant Darwin mettait l'accent sur l'impact de la compétition dans l'évolution des espèces, Dansereau a toute sa vie mis plutôt l'accent sur la «collaboration» entre les plantes, animaux et humains.

Ce tournant imprimé à la science environnementale est reconnu internationalement. L'encyclopédie Britannica décrit Pierre Dansereau comme un des fondateurs de l'écologie contemporaine. Le Biographical Center de Cambridge le classe parmi les 2000 scientifiques qui ont eu le plus d'influence au XXe siècle. On lui a décerné plus de 15 doctorats honorifiques pour souligner notamment ses livres et ses quelque 600 articles scientifiques.

Ce grand universitaire a d'abord été un chercheur de terrain, où il se plaisait à «saluer les fleurs par leur nom». Et cela, sur plusieurs continents, y compris en Arctique.

Il a d'abord enseigné à l'Université de Montréal entre 1940 et 1950, mais comme il s'y sentait à l'étroit, il file aux États-Unis, où il devient professeur à l'Université du Michigan avant de revenir diriger l'Institut du Jardin botanique de Montréal, de 1955 à 1961, tout en occupant le poste de doyen de la Faculté des sciences. Le conservatisme politique et universitaire ambiant l'incite à retourner aux États-Unis pour enseigner la botanique et la géographie à l'Université Columbia, puis comme directeur adjoint du Jardin botanique de New York. Retour à l'Université de Montréal en 1968. En 1971, il passe à l'UQAM, attiré par l'ouverture sociale et la muldisciplinarité qui s'y pratique dans certaines disciplines plus avant-gardistes. Il y prendra sa retraite en 1976 à l'âge de 65 ans. Nommé professeur émérite, il consacrera tout son temps à diriger son «laboratoire» de recherche, d'où il continue jusqu'en 2005 à diriger des thèses, à faire des recherches et à donner encore des cours.

***

Louis-Gilles Francoeur
journaliste scientifique

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 octobre 2011 12:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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