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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Richard FOURNIER, “Société globale ou société virtuelle: un secret mal gardé.” Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 28, 1997, pp. 37-62. Montréal: Département de sociologie, UQÀM. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 27 septembre 2008 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[37]

Richard FOURNIER

Sociologue, poète, écrivain, journaliste et haïkiste.

Société globale ou société virtuelle :
un secret mal gardé
.”

Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 28, 1997, pp. 37-62. Montréal : Département de sociologie, UQÀM.

Introduction [37]
1. La notion de société globale : du fait social au fait sociologique [42]
2. L'idée de marché à la jonction des sociétés globales et de la société virtuelle [46]
3. L'intelligibilité du social et l'idée de société globale [50]
Conclusion [58]
Résumé / Summary / Resumen [61]


Notre époque n'est pas définie par le triomphe de la technologie pour la technologie, non plus que comme l'art pour l'art, pas plus qu'elle ne l'est par le nihilisme. Elle est action pour un monde à venir, transcendance de son temps — transcendance qui réclame l'épiphanie de l'Autre.
EMMANUEL LEVINAS

Introduction

Inspiré par l'actualité de la question à l'origine de ce colloque, mon exposé s'intéresse à l'idée de société globale. Dans la tradition des sociologues, je considère donc ici cette idée dans sa valeur de principe d'intelligibilité, c'est-à-dire de « principe de la raison des choses » pour ce qui est de vivre en société [1]. Cela étant dit, je me situe dans le contexte d'une certaine analyse des rapports observés entre l'État et les nouvelles formes de l'économie. De ce point d'observation, je vais développer en trois étapes une seule interrogation : De quoi s'agit-il aujourd'hui à parler de société globale ?

Il y a lieu au départ de résumer les thèses générales de mon propos. Je voudrais soumettre, en effet, en guise de première proposition, qu'on peut réfléchir à notre explication de la société d'aujourd'hui à travers le jeu de deux concepts. Le premier, celui de société globale, dans son acception originelle, serait alors corrélatif d'une forme de société, la société moderne. Il s'agit de cette forme de société où répond à l'arbitrage incessant entre les groupes une sorte d'auto-transcendance de l'État, c'est-à-dire cette transcendance que l'État fonde sur lui-même en tant que cadre normatif de la légitimation des rapports sociaux. D'autre part, parallèlement à cette analyse, il est loisible [38] également de remarquer qu'un second concept puisse se faire jour pour étudier la société actuelle. J'appellerai ce second concept l'idée de société virtuelle. Il s'agirait, en effet, de désigner par ce concept une forme de société basée principalement, non plus sur l'arbitrage entre les groupes et sur la souveraineté de l'État, mais sur la communication et sur la pensée par modélisation. Le concept de société virtuelle traduirait ainsi l'idée d'une forme spécifique des rapports sociaux concomitante de l'émergence d'une société marquée par la mondialisation de l'économie et la fluidité des appartenances.

Ma seconde proposition tiendra alors qu'à l'analyse un point de suture réunit les deux concepts : l'idée de marché. Cette idée de société virtuelle, en effet, suppose, entre autres, une analogie entre ce qui se passe dans la société et ce qui se passe dans l'activité économique. Le fait est, semble-t-il, qu'à ce point de suture se présente un mouvement de la société par lequel l'idée de marché apparaît en voie de se substituer à celle d'État.

Ma troisième proposition revient en conséquence à examiner en quoi, dans ce contexte, le concept de société virtuelle ainsi défini permettrait de penser la société d'aujourd'hui d'un point de vue sociologique, c'est-à-dire à titre d'outil opératoire sur un pied complémentaire avec l'idée, déjà acquise comme une sorte de primitive de la connaissance, de société globale. Dans l'étude empirique du social, le concept de société globale, en somme, mettrait l'accent sur l'aspect réalisation de l'interaction, l'idée de société virtuelle, sur l'aspect anticipation inhérent à la relation sociale. Articulant le concept, l'étude de l'Autrui généralisé et celle des effets pervers nous aideront alors à estimer la valeur d'intelligibilité du social attachée à l'idée de société virtuelle.

Voici donc le plan que je me propose de suivre.

En premier lieu, je verrai à considérer comment, à propos de la notion de société globale, on peut passer aujourd'hui du fait social au fait sociologique. J'introduis à cette occasion la notion de société virtuelle aux côtés de celle de société globale. Dans une deuxième partie, je présente un troisième terme, l'idée de marché, en invitant à le considérer comme le point de suture entre les deux précédents. En troisième lieu, on essaiera de situer la valeur explicative que, dans ce contexte, semble trouver ou retrouver la notion de société globale. Me serviront ici de repères épistémologiques deux notions bien connues : celle d'effets pervers et celle de l'Autrui généralisé. Et je conclurai en relevant ce qui m'apparaît être certaines conditions permettant de préciser la valeur heuristique de semblable opération.

[39]

Mais avant, je me permets d'élaborer sur le propos d'un tel trajet. Certaines approches, il me semble, font ressortir que l'idée de société globale peut être vue comme une façon, à la fois théorique et pratique, de rendre lisible le rapport de l'individu à l'ensemble — rapport qui ne va pas de soi, à commencer par la théorie des ensembles. L'ensemble n'est-il pas défini par les caractéristiques empruntées à ses éléments ; dès lors, en quoi le tout ajoute-t-il aux parties ? Par des fonctions, sans doute, non des caractéristiques. Ainsi de la société globale : une socialité, non une sociabilité ; une cohésion, non une identification ? Mais la notion de frontière, comme celle de bord en mathématique (fractals), dérange nos certitudes : la partie qui fait fonction d'interface ne posséderait pas cette caractéristique ? Etc.

Sur le plan des caractéristiques sensibles, l'idée de contrat social, par exemple, renferme l'idée d'un rapport avec l'ensemble sous la forme de l'idée d'une certaine autonomie du social en regard de l'existence du sujet. C'est un tel rapport qu'on peut traduire par l'idée que le social n'existe qu'en tant qu'extérieur à l'individu. Durkheim fonde là-dessus une sociologie. Cependant, un tel contrat social, on s'en rend compte, est généreusement confondu, dans le cadre de l'économie néolibérale à l'heure actuelle, avec le contrat de travail, à partir, entre autres, des mouvements de restructuration d'entreprises [2]. De la sorte, parle-t-on volontiers d'instaurer un nouveau contrat social, appuyé sur les emplois précaires et autres dépouilles du travail : les objectifs concurrentiels de l'entreprise qu'on voit s'entamer, l'individualisme qu'on voit éclater, la découverte du fait qu'il est impossible de prédire l'évolution de la technologie, la vie privée durement secouée, etc. [3]. Cela, sans doute, en dit long sur la nature ou l'essence spéciale attribuée par la société à cette extériorité du social : c'est celle de la valeur ajoutée, d'un coût de location d'une force de travail, pour reprendre la définition de ce qu'est le contrat de travail [4].

Mais, pour autant, cette notion de contrat fournit une illustration éloquente de la réalité du social. Le social y apparaît comme un « être-ensemble » qui, de sa nature, ne se réalise pas autrement que par un [40] arbitrage, celui-ci devrait-il être essentiellement, par exemple en droit public, celui de l'État. Ce qui nous donne une première caractéristique à retenir de cette extériorité du social : celle-ci s'affirme dans nos sociétés comme le produit d'un arbitrage.

Il en va de même, deuxième exemple, de l'idée de système. L'automatisme qu'évoque l'idée de système se transfère aisément à celle de 1'« être-ensemble » : par exemple, le système des inégalités [5], celui des signes [6] ou, lorsque les deux, inégalités et signes, se conjuguent, comme dans l'entreprise, le système des emplois [7]. C'est Sainsaulieu qui disait : « Au cœur de l'emploi, il y a le travail avec d'autres [8] », lieu de partage des signes (système de représentation) et source des sentiments d'appartenance et d'identité.

Cette conjugaison dans le phénomène de l'emploi entre système de signes et système social s'avère, au reste, bien concrète. C'est dans une vieille étude (1931) de Lazarsfeld menée dans une communauté autrichienne que Marie Jahoda a observé à ce propos une sorte de débordement du système des emplois sur l'ensemble de la vie sociale [9]. Le débordement s'effectuait, entre autres, par cette fonction que comporte un emploi de structurer le temps.

Car, sans doute, dans la communauté de Marienthal, les individus sans emploi se percevaient-ils erratiques quant à leur propre histoire de vie, sinon anomiques quant aux normes de la communauté. Mais, s'ils étaient erratiques, c'était comme des errants dans le temps. Assujettis à l'extériorité du système des emplois, ils se trouvaient, de fait, à éprouver cette extériorité caractéristique du système des emplois comme un effet de l'extériorité du social ; en conséquence, ils en arrivaient à faire une expérience particulièrement critique, comme va le constater l'étude, du contrôle social : ce chômeur de Marienthal se révélait, en effet, sorti du temps, propulsé hors foyer de la communauté, rejeté de cet « être-ensemble » du social, bref extrait finalement de lui-même. Impression étonnante : on aperçoit le chômeur de Marienthal comme éjecté, à la façon du passager d'un habitacle sidéral, par le hublot de la communauté, si vous me permettez l'image, dans l'extériorité d'un espace [41] proprement sidérant, c'est-à-dire cet espace élémentaire de l’inexistant l'origine de la production de la société par elle-même.

C'est pourquoi les chercheurs avaient remarqué sur le terrain quelque chose qui nous apparaît aujourd'hui significatif : les chômeurs se racontent entre eux des histoires mettant en scène des membres de la génération précédente. On revient à sa jeunesse ou à son enfance, dirait-on aujourd'hui, mais par le biais de sortes de souvenirs-écrans (Freud) fournis par le groupe et lui appartenant. Le chômeur de Marienthal est donc ainsi, à sa façon, un vivant rappel de l'autonomie foncière du social par rapport au sujet.

Cette seconde caractéristique, sorte d'auto-transcendance du social (ou autosuffisance de fonctionnement par rapport au sujet), ne s'oppose qu'en apparence à la première, l'arbitrage. Il est des arbitrages automatiques, ou, du moins, qui se veulent tels, au premier chef la notion de marché ou celle de démocratie (lorsque opposée au tyran). Et on peut remarquer que, dans la notion de système que pratique la cybernétique, il est quelque peu admis que puissent exister telles choses que des automatismes inconscients. Un exemple nous en est donné par la notion d'entropie à buts dans l'analyse des significations par l'analyse de contenu [10].

Arbitrages et automatismes délimitent ainsi, à même le foisonnement de 1'« être-ensemble », les deux faces du social où je choisirai d'ancrer ma démarche. L'objectif, ce faisant, est d'essayer d'y discerner comment se présenteraient des conditions contemporaines de lisibilité du rapport de l'individu à l'ensemble. Cette dernière question, sans doute, requiert une attention multiforme. Cependant, je ne l'aborde principalement ici qu'en raison de l'actualité d'une autre idée, apparue depuis peu dans nos sociétés, que je dirais concurrente de l'idée de société globale, l'idée de société virtuelle.

L'exposé aborde donc de ce fait la notion de société globale en tant qu'outil logique et à la façon d'une difficulté conceptuelle dans la tradition criticiste : Comment saurait-on qu'on parle de société globale quand on le fait, et comment le fait-on ?

Je n'ai évidemment pas l'ambition de répondre ici. J'amorcerai plutôt une sorte de réflexion préliminaire sur la valeur de référence intellectuelle attachée à l'idée de société globale dans sa rencontre contemporaine avec l'idée de marché. Car, sans doute aurait-on de [42] bonnes raisons, presque chaque jour, de se demander laquelle de la société globale ou de la société virtuelle, lequel de la souveraineté des États ou de l'empire d'Internet constituent finalement l'idée la plus rentable ? Un tel questionnement, peut-on croire, n'appartiendrait pas, en effet, qu'aux seuls politiques.

Il y a donc lieu, avant de passer au cœur de l'exposé, d'établir les phénomènes dont je veux parler.

1. La notion de société globale :
du fait social au fait sociologique


En règle de méthode, il convient de distinguer entre un fait social et un fait sociologique, bien que les deux s'enracinent dans l'expérience sociale. C'est pourquoi il peut être utile, en commençant, de distinguer ce que je vais entendre sous ce terme de société globale et sous celui de société virtuelle. Je le ferai à partir de phénomènes sociaux plus ou moins liés entre eux du point de vue de l'idée d'ensemble.

Pour l'usage qui suivra, j'envisage donc tout d'abord que la société globale ne se confond pas avec la société du salariat (qui est en même temps société de consommation et celle des classes moyennes). Il est vraisemblable que le phénomène de l'exclusion sociale maintenant caractéristique des sociétés du salariat débouche sur une société duale, cassée en deux sur une ligne de fraction, pour faire court, entre ceux qui occupent un emploi de qualité, ou espèrent en occuper un, et les autres (chômeurs ou travailleurs précaires : jeunes, femmes, indigents, personnes du troisième âge, personnes handicapées).

En ce sens, la fracture expose une démonstration en acte de l'extériorité du social, si je puis dire, expérience corrélative de l'existence du social en tant que réalité autonome en dehors des sujets, avions-nous remarqué. Mais, cette société du salariat, quant à se rapporter, dans mon esprit, à la société globale, n'est pour autant que cela : une forme possible de société globale, non son idée.

Sous le terme de société globale, je n'entends pas non plus, à l'opposé, la société archaïque. Pour la raison, entre autres, que je voudrais parler ici de la société globale comme d'un principe d'intelligibilité au sens second du terme, c'est-à-dire comme principe d'intelligibilité pour la science et non seulement dans la vie commune. Or, comme le faisait naguère observer Fernand Dumont, en cette matière de la vie commune, l'homme archaïque, loin de se répandre à [43] rendre celle-ci intelligible, selon le sens reçu du terme, se dissimule plutôt « quelque chose [11] ».

Or ce quelque chose, peut-on penser, c'est précisément un effet épistémologique de cette extériorité du social, un produit de cette autonomie de l'existence du social par rapport à celle du sujet. Dumont, par exemple, le décrivait ainsi : « l'autonomie radicale de l'action […], les activités axées avant tout sur l'efficacité, c'est-à-dire des fins limitées qui excluent leur insertion dans un ordre total ».

Ce que se dissimule l'homme archaïque serait donc finalement la rationalité instrumentale qu'on retrouve à la base de la fragmentation de l'idée de société globale dans nos propres sociétés, autant la fragmentation idéelle issue de l'origine romantique de l'idée de société de masse [12] que la fragmentation concrète, celle des solidarités dans l'idée de société de droits [13].

Pourquoi Dumont écrivait-il « se dissimuler » ? La question suggérée ici, en effet, est de savoir pourquoi l'homme archaïque se serait dissimulé quelque chose plutôt que de simplement l'ignorer ? Car il existe une efficacité instrumentale, une division du travail, dans les sociétés archaïques. La raison instrumentale que, nous, nous connaissons n'est pas la division en elle-même du travail social, mais une forme, censément avancée, de division du travail, voire une forme de socialité. Elle répond à l'émergence historique de la notion d'individu et, par contraste avec la société archaïque, valorise les activités des agents économiques et sociaux par autre chose, à savoir les droits, que le recours à des valeurs collectives autonomes comme le sont les valeurs du mythe, par définition déconnectées de l'idéal d'un ensemble social en construction réflexive sur la place publique.

D'où le goût de se demander, du milieu de ce manque de savoir caractéristique, à nos yeux, de l'homme archaïque, si l'idée de société globale finalement serait effectivement — protégé par l'ignorance — ce secret aussi bien gardé qu'on le dit en évoquant aujourd'hui la dissolution de cette dernière ; ou si, au contraire, les rapports de l'idée de société globale avec celle d'une nouvelle sorte d’« être-ensemble », à savoir la société virtuelle, ne seraient pas de nos jours, comme le titre de cet exposé veut le suggérer, un secret plutôt mal gardé, c'est-à-dire appartenant résolument à ce genre de secrets dont en pratique tout le monde parle (comme le chômage, l'identité, les droits).

[44]

Il y a donc lieu de préciser ce que j'entends ainsi par société virtuelle.

La notion de société virtuelle que j'emploie ici est, dois-je dire d'abord, différente de l'idée de société fictive. Par exemple, l'idée de société fictive pourrait être cette idée particulière de la société qu'incarne dans une société concrète le Droit. Il faut remarquer, en effet, que dans nos sociétés le droit n'est pas l'organisation de la société, mais le résultat du processus juridique.

Par exemple, c'est en se basant sur la notion tout à fait particulière de « l'autorité de la preuve » que le processus juridique, dans nos sociétés, accumule, par jurisprudence, une vision de la société qui en vient à constituer une représentation concrète d'une certaine idée fictive de cette société. Et il en va ainsi, semble-t-il, de l'État, des autres institutions de la société ou de l'organisation de celles-ci. Nous voici chaque fois devant l'élaboration intellectuelle d'une idée fictive de ce qu'est la société ou telle société donnée. Cependant, ce n'est pas ce genre de fiction qui, au premier chef, constituerait, à mon sens ici, une application de l'idée de société virtuelle, bien qu'il puisse s'agir d'un produit intellectuel de l'imaginaire collectif.

Par société virtuelle j'entendrai donc plutôt une forme assez précise de l'idée de société propre à notre époque, forme ainsi historiquement déterminée, et c'est pour cette raison qu'elle me paraît relativement précise. Cette forme nous est proche, en effet. On peut la voir se développer, à ce qu'il me semble, à la jonction de deux caractéristiques intellectuelles particulières à notre époque : le développement de la communication numérique et l'avènement de la pensée par simulation.

Le développement de la communication numérique fait évidemment référence aux télécommunications (microprocesseurs, satellites, audiovisuel, fibre optique) et aux idées d'instantanéité et de réseautage. Son importance intellectuelle néanmoins dépasse la technique. Dans la métaphore de l'autoroute électronique se niche une sorte de place de marché international, comme le souligne un observateur [14]. Il y a donc avantage à continuer ici d'y distinguer de ses formes historiques ce qui compose l'abstraction constitutive de l'idée de marché [15]. De son côté, la pensée par simulation désigne la capacité de modéliser le comportement [45] de phénomènes dans le temps à partir de renseignements qu'on possède actuellement. Elle renvoie aux ressources logiques de l'informatique, de même qu'à certains courants de l'épistémologie contemporaine (positivisme logique, analyse de système, intelligence artificielle, etc.).

Cette dernière parenté ne rend sans doute pas inintéressante la pensée par simulation. À la suite de travaux en intelligence artificielle ou en psychologie cognitive, on a pu avancer l'hypothèse que la pensée par simulation traduirait l'essor d'une forme relativement nouvelle d'activité intellectuelle [16]. L'hypothèse faible revient à signaler que, appuyée par les capacités de calcul de la machine (essentiellement : volume de données et vitesse d'opération), la capacité de l'esprit humain à la métaphore peut se doter d'un nouvel objectif épistémique : la « paramétrisation universelle », comme l'a baptisée quelqu'un, c'est-à-dire le travail intellectuel d'exploiter et de maîtriser la capacité de considérer un jeu théoriquement presque infini de variables sur à peu près n'importe quoi et opérant dans un temps théoriquement aussi fini qu'on le voudra. C'est la modélisation.

De ce point de vue, le pas est rapidement franchi pour déduire de ces deux variétés de la nouveauté, communication numérique et modélisation, l'émergence de nouvelles formes de vie en société, sinon d'un nouveau type de société. Par exemple, l'interactivité qui singularise la communication numérique suppose, selon un observateur, une nouvelle définition de ce qu'est un produit manufacturé, ici un contenu, à partir du moment où le client ajoute à l'information, puisque cet ajout a pour effet de modifier le contenu. De même, l'interactivité agrandit-elle l'élasticité des produits (les gens en redemandent [17]). Tout se passe là-contre comme si l'interactivité allait ajouter à l'abstraction de la marchandise, si je puis dire, une nouvelle sorte d'immatérialité, de l'ordre du cognitif, qui influe sur des coûts de transaction (prix, profits, droits de propriété). Par ailleurs, la modélisation comme processus intellectuel devient en elle-même, peut-on penser, une métaphore de la vie (paramétrisation universelle). Pour autant, elle accomplit ce paradoxe de constituer une métaphore réaliste, c'est-à-dire abolissant ce que Minsky appelait le « mythe » de la « distinction claire entre des représentations qui sont réalistes et d'autres qui sont purement [46] suggestives [18] ». Pour un peu, notre mémoire de McLuhan ou d'Innis est toute disposée ici à renaître de ses cendres à travers les aventures socioéconomiques d'Unix ou d'Internet, pour venir nous indiquer que nous sommes déjà entrés dans une société de la participation virtuelle.

Cette convergence de propos à la jonction de l'informatique et de l'épistémologie m'amène donc tout naturellement à introduire le troisième terme annoncé de ma réflexion, l'idée de marché. Déjà, on en avait entrevu la portée lorsqu'on a défini l'idée de société globale comme différente de celle du salariat, ou après avoir apparenté l'idée de société virtuelle à l'aventure de la communication numérique. Il est donc temps de faire sortir de l'ombre cette idée de marché, pour se demander si effectivement celle-ci ne serait pas, en effet, placée par l'actualité en une sorte de point de suture entre les sociétés globales et la société virtuelle.

2. L'idée de marché à la jonction
des sociétés globales et de la société virtuelle


Je commencerai par remarquer que cette idée de société virtuelle suppose, entre autres, une analogie entre ce qui se passe dans la société et ce qui se passe dans l'activité économique. L'analogie est empruntée à l'analyse que font des auteurs de la pensée néolibérale. Selon cette analyse, celle-ci opposerait explicitement la souveraineté du marché à la souveraineté de l'État [19]. Or, il me semble que ce point de vue peut aussi s'appliquer à l'idée de société virtuelle.

Nous invitent à le faire en particulier deux caractéristiques observables qui se démarquent franchement dans l'activité sociale des sociétés dites développées. Ce sont respectivement la libéralisation des règles du marché et ce que j'appellerai plus loin la fluidité du sentiment d'appartenance.

La notion de libéralisation des règles du marché, première caractéristique, recouvre ici ce que l'on nomme la mondialisation de l'économie. Le phénomène concrétise pour plusieurs un postulat dominant de la pensée économique et politique actuelle. Ce postulat pose qu'« il faut libéraliser les marchés nationaux pour aboutir à un espace unique mondial où circulent librement marchandises, capitaux, services et personnes dans une logique de compétitivité universelle ». [47] Cette logique de compétitivité universelle regarde « tous les hommes, tous les groupes sociaux institués, toutes les communautés territoriales (villes, régions, États [20]) ».

En conséquence, du point de vue de la société et sous l'angle des sociétés globales en particulier, « est considérée comme hérétique toute forme de protection nationale » : il ne saurait exister dans ce cadre ni intérêts de la société ni volonté populaire souveraine. Ainsi, un compte rendu paru dans Le Monde diplomatique rapportait en 1995 que toute l'activité de coordination entre États observée au cours des quinze dernières années « s'est faite exclusivement pour libérer les marchés et limiter la souveraineté de gouvernements démocratiquement élus [21] ».

L'idée de marché apparaît donc sous cet éclairage comme une sorte de forme sociologique. On y subordonne volontiers l'idée de contrat social, lequel se voit ramener sans exagérer soit à un droit de propriété à définir sur Internet : droits d'auteur, brevets, réputation (ici se placerait le droit à la libre expression), etc. [22], ou, pour le reste, à un contrat de location de la force de travail : disparition de postes de travail et précarisation des emplois qui restent, sélection des seuls marchés, produits et services solvables, etc. [23].

En parallèle à cette idée de marché apparaît une seconde caractéristique, que j'appelais, faute de mieux, la fluidité du sentiment d'appartenance. Je ne désignerai pas ici sous cette expression une certaine vulnérabilité du sentiment d'appartenance chez les individus. On peut en présumer sans trop de frais la présence : elle se manifeste simplement à titre de sous-produit de la logique précédente d'une compétitivité universelle, en contrepartie de l'affaiblissement des solidarités qu'impose cette dernière logique [24]. Plutôt, par la notion de fluidité des appartenances, j'entendrai d'abord l'effet d'une sorte de postulat concret de la pensée actuelle sur la société, apparié, dans les conditions actuelles, à l'idée de marché. La particularité de ce postulat est de se faire jour dans la praxis sociale de concert avec la mise en place dans la culture de la primauté du sujet.

[48]

En sa forme élémentaire, le postulat repose sur la notion de désir, c'est-à-dire « une tendance devenue consciente de son objet » (D. Julia). Il affirmerait la préséance (réussie ou non, c'est une autre question ; véridique ou non, c'est aussi une autre question) d'un foyer de désir, le sujet, foyer qui l'emporte immanquablement sur l'objet du désir, sur le donné extérieur au sujet : un produit, un service, une activité, une situation, voire une émotion, si on pense, par exemple, à un état d'âme qui serait cultivé selon une version occidentalisée du zen, etc.

D'où ces essais pour interpréter la culture contemporaine par les notions d'ambiance, de narcissisme, etc. [25].

L'intérêt du postulat tient en ceci que, jusqu'à un certain point, l'individu aurait ainsi le sentiment qu'il possède les pouvoirs intérieurs de s'inventer à lui-même son existence. Il en retirerait, en corollaire, le sentiment de maîtriser un certain pouvoir personnel dans sa vie sociale ; par contre, il éprouverait jusqu'à un certain degré l'absence de ce sentiment, le cas échéant, selon son statut ou des caractéristiques particulières d'âge, de sexe, d'origine ethnique, etc. En outre, il s'agirait surtout en ce sens d'un sentiment partagé : il s'accompagne, en effet, du sentiment qu'éprouve l'individu ne pas être seul pour s'inventer une existence s'il le désire. L'individu est soutenu par la conviction de pouvoir partager avec d'autres, momentanément ou selon le ou les temps qu'il veut, l'activité relative à la même quête de soi que celle qui l'occupe. La quête de soi s'allie explicitement à une quête du nous. Ce que traduit, en bref, la possibilité dont il jouit de se joindre à un ou des partenaires, à des groupes ou à des réseaux. Et c'est en raison de ce dernier aspect du postulat que je proposerais de parler ici d'appartenance à propos de cette espèce de fluidité du lien social. Car c'est bien d'un état ou d'un besoin d'appartenance, ce me semble, qu'il s'agit à travers ce sentiment de son propre pouvoir intérieur : l'extériorité du social a été rapatriée à l'intérieur du sujet.

En d'autres termes, la primauté du sujet observée dans la culture des sociétés dites développées témoignerait d'une sorte d'effet de laïcisation, si l'on veut, du caractère sacral des représentations de [49] l'autorité (autorité du Nous, de l'institution, etc.). Ce qui aurait pour résultat de ramener à l'intérieur du sujet des forces ou des éléments de représentations — essentiellement des normes, valeurs et contrôles — pris jusqu'ici pour être le propre de l'extériorité constitutive de l'autonomie du social.

Ce rapatriement subjectif, du reste, ne se coupe pas pour autant de l'extériorité du social, doit-on faire remarquer. Celle-ci n'en demeure pas moins telle, c'est-à-dire autonome. Le contrôle social, pour se trouver peut-être plus diffus, n'en est pas moins présent, peut-on penser, en tant qu'élément constitutif du lien social. Sauf que le sujet réclame à travers ce lien social son existence caractéristique de sujet, c'est-à-dire une existence comme principe normatif et, en conséquence, le droit et le pouvoir de faire ses propres choix dans l'ordre éthique, esthétique, etc., de les respecter et de les voir respectés.

Il en résulte pour mon propos que le sentiment d'appartenance, si on veut toujours en parler sur fond de société globale se dissolvant à l'horizon, n'est plus un donné issu exclusivement de déterminants extérieurs, comme les « racines sociales » de l'individu : sa classe, son territoire, son travail, son métier, sa famille, etc. Selon le postulat, l'appartenance au contraire ne paraît plus se maintenir qu'à la façon d'un construit plus ou moins incessant, en ce qu'il est soumis à un ensemble d'aléas, insoupçonnés ou non : difficultés de communiquer (parce que la communication est trop facile ou trop difficile), instabilité économique, isolement, recomposition des familles, exclusion sociale, etc.

On voit alors en quoi un modèle de ce que j'appelais la société virtuelle trouve à se développer à partir de ces deux caractéristiques d'où je proposais de l'apercevoir, c'est-à-dire la mondialisation de l'économie et la fluidité des appartenances.

Ce développement, en effet, rejoint celui de ces autres objets de désir, les capitaux. On sait que ces derniers, à la suite de l'apparition d'une industrie financière liée à la mondialisation et à l'amenuisement de la souveraineté des États, s'activent désormais sans normes autres que celles qu'on invente à mesure, lorsqu'il en faut. Or la même chose peut se répéter ailleurs. Et nous pourrions dire qu'à l'instar de la flexibilité des capitaux, désormais sans normes autres, soulignons-le, que celles qu'on invente à mesure, lorsqu'il en faut, fluctuent de même les identités de la personne dans un espace social non plus spéculatif, comme pour les capitaux, mais spéculaire. Cet espace serait celui des groupes de référence, espace social de la participation ou de la non-participation symbolique dans la recherche et l'expérimentation de l'identité, son identité à soi comme nos identités à nous.

[50]

À la limite, l'idée de société virtuelle se présenterait comme une sorte d'idée de société globale simulée, voire en simulant en permanence le rapport de l'individu à l'ensemble.

Mais un modèle ne possède pas la capacité de remplacer la réalité. En qualité de simulation de l'idée de société globale, cette idée de société virtuelle apparaîtrait donc aussi comme autre chose : en l'occurrence un rapport spécial de l'intériorité du sujet avec l'extériorité du social. À ce titre, ce que j'appelais l'idée de société virtuelle serait un rapport qui, en théorie, risque toujours, en tant que rapport, de ne reposer sur rien — rien de connu, du moins, comme on peut connaître le social par ses morphologies, ou de repérable facilement. La notion correspondante de société virtuelle ne serait ainsi rien d'autre que l'institutionnalisation d'un tel rapport.

Si cet éclairage mérite d'être retenu, il amènerait donc à comprendre qu'on soit tenté finalement de soupeser l'équivalence conceptuelle entre société globale et société virtuelle en partant, à cet égard, de la première. Je poserai une question préalable : Qu'est-ce, en effet, qu'un principe d'intelligibilité — si tant est que l'idée de société globale en soit un ? Sous ce chef, j'ai donc l'intention maintenant d'interroger ce que vaut l'idée de société globale en posant la question suivante : Que peut-on entrevoir, se plaçant dans le contexte des conditions nouvelles de l'économie, de la valeur de l'idée de société globale en tant que principe d'intelligibilité ? C'est le point central, on l'aura reconnu, d'où le reste découle.

3. L'intelligibilité du social
et l'idée de société globale


La question, selon mes réflexions précédentes, peut en surface se formuler comme ceci : Qu'arriverait-il dans la réalité et dans la tâche des sciences sociales si l'idée de marché prenait le relais de l'idée de société globale ?

Que pourrait-on alors constater sur l'existence de l'État comme sujet de droit dans des sociétés où règne la pensée unique, emblème de l'économie néolibérale ? Ou, dans ces sociétés en passe de vivre les problèmes d'identité que nous avons vus, que pourrait-on constater à leur sujet, du moment que ne les réunit l'une à l'autre explicitement que la seule fiction du marché, tout comme cette fiction tend à y faire coexister au sein de chacune les différents groupes ?

J'appuierai ma tentative de réponse sur un rappel de deux notions : celle d'effet pervers ou effet de système, celle de l'Autrui généralisé ou [51] l'Autre comme Tiers inclus [26]. Par ces deux côtés, je m'adresserai à ce qui me semble l'une des difficultés conceptuelles importantes à propos de l'idée de société globale.

Pour saisir le profil de cette difficulté, je commencerai cependant par évoquer en quoi le concept de société globale peut servir de principe d'intelligibilité et, pour ce faire, je rappellerai d'abord qu'effectivement il a été pris comme tel depuis longtemps, en sociologie du moins.

L'idée de société globale, en effet, y fait figure de schème d'explication, accepté comme tel à un double titre : comme concept opératoire et comme schématisme cognitif.

J'en voudrai pour preuve l'exemple de Durkheim. Il y aura cent ans bientôt celui-ci écrivait dans L'Année sociologique :

Les faits religieux, juridiques, moraux, économiques, doivent tous être traités conformément à leur nature, c'est-à-dire comme des faits sociaux. Soit pour les décrire, soit pour les expliquer, il faut les rattacher à un milieu social déterminé, à un type défini de société, et c'est dans les caractères constitutifs de ce type qu'il faut aller chercher les causes déterminantes du phénomène considéré [27].

En premier lieu, je ferai remarquer — langage d'époque mis à part — qu'on peut difficilement demander plus à cette formulation en guise de traduction opératoire de l'idée de société globale. Tous les matériaux ou presque, tous les outils opératoires y sont : l'idée de différenciation et de complexification des parties, l'idée d'ensemble, l'idée de rapport des parties au tout, de caractéristiques des éléments, etc. Il n'est pas jusqu'à l'idée de typologie, voire celle de l'opposition — traditionnelle depuis Maine jusqu'à Weber et Tönnies [28] — entre communauté et société qui ne puisse s'y retrouver.

En un mot, nous aurions ici un exemple historique de la valeur opératoire de l'idée de société globale.

[52]

Cependant, cette valeur opératoire est aussi dotée d'une valeur cognitive, au sens, du moins, où Tiryakan pouvait y apercevoir une loi de la perception. « Le précepte ou règle (qu'un phénomène social est structuré par son milieu), observe-t-il à propos de l'École française, correspond à un principe de la psychologie de la forme selon lequel l'objet de la perception est donné comme un tout dans le rapport intrinsèque de la figure et du fond [29]. » En ce sens, l'idée de société globale représente en effet un schème cognitif sui generis.

Se présentant comme concept opératoire, l'idée de société globale concrétise aussi en même temps un schématisme cognitif de base, sorte de schématisme originaire, pourrait-on dire, de la saisie du social.

Je note, en passant, qu'affirmer cela ne tranche en rien la question d'accorder au social une existence autonome, ni celle de son extériorité par rapport à l'intériorité d'un sujet. Sur le plan opératoire de l'étude du social, on ne sait pas plus si, comme le disaient Touraine ou Boudon, on doit prendre la société dans l'acteur (comme peut-être chez Weber) ou en dehors de lui (comme chez Durkheim).

S'il en est ainsi d'une double fonction logique de l'idée de société globale, le problème épistémologique préalable revient alors à se demander : Comment sait-on, lorsqu'on le fait, qu'on parle de société globale ? Ne viserait-on pas plutôt l'idée de totalité, l'un de ces schématismes innés de l'esprit humain ? Ou encore ne parlerait-on pas, plus proche de nous, de système, au sens biologique de la cybernétique, et comme s'avise, au demeurant, de le faire la pensée unique dans l'idéologie néolibérale dominante ?

D'autre part, n'aurait-on pas plutôt en tête une autre de ces primitives de la connaissance, l'idée d'ensemble ou de collection ? En théorie des ensembles, en effet, l'ensemble vide phi n'existe pas au sens strict, puisque, ne contenant aucun élément, il ne possède aucune caractéristique qui lui soit propre par collection de celles-ci extraite d'éléments le composant. S'il existe en sociologie un ensemble phi, une extériorité formelle du social par rapport à l'individu, on pourrait donc ici encore parler de primitives. Mais, dès lors, à quoi rime le formalisme de l'idée de société globale pour exprimer le rapport de l'individu à l'ensemble ?

Supposons donc que je m'interroge à propos de la société globale sur le mode diagnostique, c'est-à-dire en regardant la société concrète.

[53]

Ce que j'aperçois d'abord me semble alors témoigner fortement, entre autres, de ce qu'on a appelé la « décomposition » des sociétés globales : remise en question des communautés dites nationales, des États souverains ou des États en tant que sujets de droit, des identités, des cultures, des appartenances, voire des solidarités (travail, famille, patrie). Voilà autant de réalités, jusqu'ici censément tenues pour acquises, que des particularismes de tous ordres maintenant dispersent dans la confusion du droit et des droits, ou dans le mouvement brownien, comme disait l'autre, d'individus particules sociales.

Dans ce contexte, en quoi l'apparition d'un effet pervers quelconque, c'est-à-dire, en sa définition la plus simple, d'un « résultat obtenu contraire au but recherché [30] », tel que ceux dont je viens de relever l'existence, nous renseigne-t-elle sur la valeur explicative de l'idée de société globale ? On peut répondre que la manifestation d'effets pervers le fait sur deux plans : celui de l'observation du social ou plan du chercheur, et celui de l'expérience sociale ou de l'acteur.

L'observation d'abord. L'analyse de système, origine de la notion d'effet pervers (ou effet de système ou externalité : il y a ici des variantes sémantiques), fonctionne à ce jour sur la base logique d'un schématisme binaire. Par exemple, c'est la métaphore des circuits logiques que l'école de l'intelligence artificielle transposait au fonctionnement du cerveau ou que le courant de la programmation neurolinguistique prétend appliquer encore pour actualiser la pensée symbolique [31].

Or il n'est pas indifférent de voir que l'idée de société globale à son tour puisse aussi s'exprimer au moyen d'un schématisme binaire. Ainsi l'idée spencerienne de la différenciation des fonctions ou l'idée durkheimienne de division du travail social, héritières de la notion d'organisme, se prêtent à l'opération binaire caractéristique de la notion de système. On n'a qu'à songer à l'opposition fonction-nel/dysfonctionnel [32]. Il suffit ici de parler de système social.

Sur le plan de la formalisation, d'autre part, on peut remarquer que déjà les équations de Volterra portent sur la compétition des éléments dans les organismes et les unités sociales (par exemple : la compétition entre deux espèces est plus fatale que la relation rapace-proie). Ce sont là des équations sociales ; sur le plan de l'explication sociologique, elles laissaient prévoir l'importance des schématismes binaires en théorie des systèmes sociaux. Cette importance, du reste, est signalée par [54] Bertalanffy sous le terme de coïncidentia oppositorum, l'une des caractéristiques de la généralisabilité de la théorie des systèmes [33]. À titre d'exemple, on pourrait sans doute montrer, par ailleurs, en s'aidant du carré logique de Greimas ou de sa version mathématique, que cette caractéristique générale est applicable à un système de catégories en analyse du contenu de la communication [34].

Mais il ne s'agit toujours que d'expliquer le social. Si l'on veut aborder le plan de l'expérience sociale plutôt que celui de l'explication, on devra admettre que dans la vie commune ou dans l'expérience sociale existe alors telle chose qu'une logique cognitive de la vie sociale et du jugement de valeur. Il s'agirait d'une sorte de logique simplificatrice de l'action logée à la base de l'interaction sociale et qu'expriment des catégories binaires du type proche/loin, ami/ennemi, Eux/Nous, jeune/vieux, etc. [35]. Schématisme originaire dans la notion de stéréotype, une telle logique le serait aussi pour le jugement de valeur [36]. C'est à un schématisme semblable, au demeurant, que se rattacherait, dans les mots d'un philosophe, l'expérience préontologique de l'être [37].

Du point de vue du chercheur ou de celui de l'acteur social, on peut donc placer dans le contexte d'une logique binaire tant l'activité sociale que l'explication qu'on lui apporte. Qu'en est-il alors de la fonction conceptuelle de la notion d'effet pervers ? Je propose de considérer que cette fonction tient en ceci que l'effet pervers, tant dans l'explication de la vie sociale que dans l'expérience qu'on en fait, constitue précisément ce qui nous renvoie à Autrui (l'Autre généralisé) comme à l'échappée cognitive de l'alternative binaire, comme à l'extériorité du social. Dans le schématisme de l'analyse qui a inventé la notion d'effet pervers, c'est-à-dire en analyse de système, l'effet pervers serait, s'appliquant aux systèmes sociaux, ce par quoi se rappelle toujours à nous l'existence autonome du social — au risque autrement pour la connaissance de celle-ci d'être perpétuellement confondue avec le fonctionnement du système.

[55]

Cela m'amène à aborder la deuxième notion suggérée ci-dessus pour cerner le profil de l'idée de société globale, à savoir la notion d'Autrui ou l'Autre généralisé. Je prends la notion en tant que structure de la relation sociale, au sens où l'élaborait G.-H. Mead [38], structure par définition à la fois vide et pleine [39] et, de ce fait, structure significative de la société globale par où l'individu parvient à apprendre, à vivre et jusqu'à un certain point à connaître son rapport à l'ensemble.

Pour situer le recours que je propose ici à la notion de l'Autre généralisé, regardons de nouveau la notion d'effet pervers dans sa simplicité de résultat obtenu contraire au but recherché. Simplicité éloquente, en effet : le but peut être celui d'une politique, d'une institution, d'une conduite, d'un système, d'un état du système (entropie à buts), etc. Cette apparente simplicité conceptuelle de la notion d'effet pervers se découvre donc en même temps polyvalence analytique. Mais on peut remarquer qu'à travers cette polyvalence ce qu'atteint chaque fois la simplicité de la notion est toujours, en quelque façon, ce qui, dans le système ou l'état de situation décrits, fait l'étrangeté essentielle de l'existence du social, c'est-à-dire l'expérience de l'Altérité dans l'interaction. Un résultat contraire obtenu, en effet, est indissolublement une contradiction logique et une contrariété sociale.

De la sorte, peut-on faire remarquer au passage, l'analyse de système se présente comme un produit tout à fait adapté à cette forme de société que j'appelais tout à l'heure la société de la participation virtuelle. Nous avons aperçu celle-ci, en effet, comme une société quelque peu en mal d'altérité. Société désacralisée par rapport à la société archaïque, c'est-à-dire société distanciée par rapport à l'autonomie du social ; société ayant appris à se produire et se reproduire par elle-même ; société économiste ; société vouée à la raison instrumentale ; société de la communication à tout prix et sans faille ; société de l'image et du reflet ; société de l'expérimentation de soi, etc., la société de la participation virtuelle que j'ai décrite est aussi par quelques-uns de ses traits la société de la recherche de la transcendance dans et à travers l'Altérité [40].

Or on trouve à partir de la notion d'espace social une illustration frappante de cette extériorité du social par laquelle, à travers cette recherche, se manifeste en société virtuelle l'Autre généralisé.

[56]

Un disciple éloigné de Tarde énonçait jadis (1896), question de morphologie sociale, que la société possède un espace à trois dimensions comme elle a un temps ; ce qui donne la curiosité que, les Orientaux étant plus courts de façon générale que les Européens, la société chinoise est moins haute que les sociétés européennes [41]. Mais on sait qu'il existe un espace social plus formel que la définition d'un espace physique, c'est celui que rappellent les notions de relation sociale, de distance sociale. Cet espace-là se mesure en effet sur des relations entendues autant au sens sociométrique qu'au sens de rapports sociaux (de classe, etc.)- Si néanmoins on préfère ramener la fonction de l'espace social à un espace géographique, on sait bien que, d'une analyse à l'autre de celui-ci, reviennent présider à ce formalisme les mêmes déterminants de la relation et une même organisation : statut, rôle, échange, processus sociaux de coopération, d'antagonisme, binarisme logique du stéréotype (près/loin, haut/bas, chaud/froid, etc.).

À cet espace social formel correspond sans doute un temps social formel : celui de l'anticipation qu'encadre le système d'attente relié à l'organisation de la société en statuts et rôles et que définissent des modèles de comportement. Car, du point de vue du fonctionnement de la société, l'organisation des relations sociales en statuts et rôles, organisation qui définit une structure de la société, c'est un peu, remarquons-le, la question que le philosophe (J. Lacroix) posait après coup à Lamartine : « Ô Temps, suspends ton vol ! — Oui, mais pour combien de temps ? » Aux yeux du sociologue, en effet, il n'y a pas, inscrit dans la structure empirique de la relation sociale, qu'un temps psychologique, mais aussi un temps logique, temps de la relation de cause à effet. Et, à observer l'interaction sociale, on pourrait presque dire ainsi qu'il n'y a pas de délai cognitif dans l'activité sociale : c'est sur-le-champ que se manifestent attentes et réponses, du moment que, pour l'explication, l'anticipation est considérée comme un élément constitutif de la relation sociale.

Or pour le sociologue, cet élément de temps logique, c'est-à-dire la relation réciproque de cause à effet, constitutif de l'attente reliée aux statuts comme aux rôles, est au moins doté d'une fonction bien précise. C'est Merton qui en indiquait la portée avec la notion de status-sequences : l'anticipation comporte un déroulement, une durée où se fusionnent sans cesse temps psychologique et temps logique. Une telle durée, fusion du cognitif et du social, n'est pas toujours explicite, mais elle est bien réelle et fonctionnelle. Cette analyse de l'anticipation aide à comprendre, par exemple, la notion de groupe de référence chez Merton. Il me serait loisible, en effet, de tenter de retracer l'influence du groupe de référence en faisant l'hypothèse qu'elle s'exerce entre [57] deux cas de figure, semble-t-il : 1) la durée zéro : car comment l'instant se succède-t-il à lui-même, comme disait l'autre ; 2) le chiliasme (Mannheim) ou la vertu d'espérance, comme diraient les théologiens : car comment sortir d'une situation sociale difficile ? Etc.

De sorte que si l'altérité, par cette notion de l'Autre généralisé, constitue le fond cognitif du processus de la socialisation secondaire (Mead), on pourrait ajouter que la fonction sociale du groupe de référence selon Merton traduit, pour sa part, l'existence dans la socialisation secondaire d'un phénomène de socialisation par anticipation (anticipatory socialization). En conséquence, une société de la participation virtuelle serait donc la société qui ferait de ce phénomène de l'anticipation propre à la structure de la relation sociale un processus concomitant de la socialisation secondaire ou encore un sous-processus de celle-ci.

On peut donc penser, en conclusion, que c'est ce sous-processus que la société virtuelle, telle que je l'ai précédemment décrite, met précisément à l'avant-scène pour exister historiquement en tant qu'idée de société. Comme type ou idée de société, la société virtuelle serait ainsi celle qui arrive à accentuer le poids historique de ce processus dans le déroulement de l'activité quotidienne. Par ce truchement, elle accorde priorité dans la praxis sociale à l'aspect anticipation de la relation sociale sur l'aspect réalisation de celle-ci. À la limite théorique, la société virtuelle serait ainsi cette forme de la société qui permet à une société quelconque d'affirmer dans ses valeurs, et de concrétiser dans ses institutions, ce processus de la socialisation par anticipation, en tant que celui-ci est le processus de production de ce qui la constitue en elle-même comme société virtuelle sous la forme de groupes d'appartenance ou de référence.

De la sorte, l'élément rencontre (recherche ou fuite) de l'Altérité, l'élément recherche de soi et de son identité, individuelle ou collective, énergies caractéristiques de ce que j'ai appelé la société virtuelle, trouveraient un fondement observable, voire une valeur explicative dans l'aspect d'anticipation inhérent à l'organisation des relations sociales.

Nous approchons donc, ainsi, du terme de notre interrogation initiale. Avancer une telle hypothèse, en effet, revient, sans doute, à accorder à l'idée de société virtuelle une valeur explicative à portée sociologique. Cependant, cette valeur rejoint-elle celle qu'on a coutume d'accorder à l'idée de société globale ? En effet, cette idée de société virtuelle n'en renvoie pas moins ici — bien qu'en quelque sorte à la manière d'une société de l'anticipation pure — à une organisation des statuts et rôles, à des institutions, bref à des systèmes d'action, tout comme y renvoie pour sa part l'idée de société globale. La différence [58] consiste en ceci que, par le truchement de cette dernière idée de virtualité, c'est l'aspect anticipation du lien social plutôt que l'aspect réalisation de celui-ci qui deviendrait la structure de fait, structure empirique ou structure historique, de ce qui n'est jamais rien d'autre, de toute façon, qu'une organisation en statuts et rôles, une société.

Si bien qu'on pourrait finalement reconnaître aussi à cette idée de société virtuelle, ce me semble, aux côtés de sa valeur sociologique, une valeur explicative comparable à celle de l'idée de société globale. Il s'agirait en ce dernier cas d'affirmer que ce qui, sans doute, différencie empiriquement société globale et société virtuelle réside dans leur rapport à l'autonomie du social.

Dans cet esprit, je suis tenté de proposer, en guise de conclusion, quatre observations provisoires sur la nature de ce rapport.

Conclusion

Ma première observation s'inspire d'un constat de méthode. Si, comme je l'ai suggéré, la présence d'effets pervers renvoie d'une façon particulièrement significative à l'extériorité du social par rapport au sujet, il faut constater une implication de cette signification théorique. C'est que le sujet pourrait bien en être réduit dans une telle approche à ne devoir exister qu'à titre de virtualité identitaire par sa quête de l'Autre. La présence observée d'effets pervers renverrait ainsi à une vision quelque peu réductrice du sujet. Or on n'est pas obligé de s'y contraindre. Il suffit, en effet, de remarquer que l'organisation sociale, tant l'entreprise dans la vie économique que l'organisation de la société en statuts et rôles, ne comporte en réalité ni conscience ni effets autres qu'elle-même — conscience et effets que l'individu ne saurait s'approprier, en tout état de cause, qu'à travers le lien social, mais sans pour autant cesser de pouvoir être considéré comme un sujet.

Prenons des exemples. Le premier emprunte à un jargon célèbre. « Si l'homme vient à penser l'ordre symbolique, écrivait Jacques Lacan, c'est qu'il y est d'abord pris dans son être. L'illusion qu'il l'ait formé par sa conscience provient de ce que c'est par la voie d'une béance spécifique de sa relation imaginaire à son semblable qu'il a pu entrer dans cet ordre comme sujet. » Ainsi formulée, la proposition fait écho, autre exemple, à Lévi-Strauss qui rappelle dans son introduction à Mauss que « les choses n'ont pas pu se mettre à signifier progressivement [...] d'un stade où rien n'avait un sens, à un autre où tout en possédait ». Ce qui, dans les deux cas, revient à affirmer que la société, en quelque sorte sans coup férir, engendre elle-même d'un coup sec en [59] tout temps l'organisation qui la définit, à la façon, du moins, dont le symbolisme est extérieur à l'homme [42].

Existerait donc bien alors ce que j'ai appelé, en évoquant l'espace sidérant de l'inexistant qui guette les chômeurs de Marienthal, une autonomie radicale de la société dans l'opération de se produire elle-même, véritable auto-transcendance du social par rapport à l'individu.

La conséquence pratique est évidente dès que nous considérons quelque travail attaché à relever les effets pervers [43]. En raison de cette extériorité constitutive du social que signale la présence d'effets pervers, nous voilà alors sans doute, en effet, chaque fois placés, d'un point de vue opératoire, au cœur de la notion formelle de système — ou du social comme lieu d'opérations autonomes. Mais pour autant aussi nous abordons une première étape de méthode quasi inévitable, peut-on penser. C'est l'étape que l'école française nommait l'étape de la morphologie sociale. Il s'agit, pour mémoire, d'une démarche quelque peu synthétique de sociologies particulières et d'autres disciplines (géographie, démographie, etc.). Pour un peu, elle se voudrait antérieure à l'explication causale proprement dite, sinon à l'explication par la société globale. Au moyen de la quantification ou soit autrement [44], la démarche vise essentiellement à décrire et expliquer les différenciations entre éléments de l'organisation des relations sociales à partir de leur substrat matériel (famille, travail, emplacement, déplacements, etc.). On cherche en quelque sorte à rabattre l'extériorité du social sur la vie des individus, afin de relever dans celle-ci des traces de cette extériorité. À l'origine, du reste, comme un passage de Lazarsfeld le rappelle curieusement, on voit l'opération intellectuelle qui consiste à faire de la morphologie sociale en s'appuyant sur la quantification, dans l'idée apparemment explicite de se mettre en mesure de saisir l'extériorité du social [45].

Ma seconde remarque renvoie à ce qui doit être le sujet, tant empirique que transcendantal, de cette extériorité observable dans ses effets. Jusqu'à preuve du contraire, il semble que ce soit encore, selon [60] mes propos ici du moins, l'État considéré en sa qualité de sujet de droit. Cependant, la réflexion proposée ci-dessus nous a permis d'entrevoir, à l'instar d'une certaine analyse de l'idée de marché, deux souverainetés concurrentes en train de se disputer rien moins que le droit de se manifester en tant que siège de cette extériorité. Or c'est se disputer pour autant, dans mon hypothèse, le statut d'une sorte de sujet épistémique collectif. Car à cette fonction de légitimation se rattachent en effet des champs spécifiques d'activités cognitives, comme je l'ai indiqué, reliées à la connaissance de soi et de l'Autre à travers la socialisation en acte. Ainsi ai-je pu faire remarquer que la fluidité des appartenances se comporterait en société virtuelle à la façon des autres anticipations de l'économie de marché : schématismes et représentations du soi, du moi ou des nous y deviennent alors des produits de l'activité microéconomique au sens propre, c'est-à-dire sujets au calcul de coûts de transaction.

Troisièmement, avancer l'idée que la méthode morphologique puisse être une sorte d'instrument intellectuel capable de traiter la connaissance des effets pervers comporte une autre incidence. Car, sans doute, on se met alors en position d'articuler éventuellement dans une problématique intégrée le social et l'économique. Mais surtout, on se trouve à disposer d'une tradition relativement bien constituée, la morphologie sociale, pour aborder ces effets de système autrement laissés, dans les sociétés actuelles, en dehors de tout questionnement : dans le discours public par l'idéologie, branchée sur la dominance de l'idée de marché, et souvent dans la science par l'analyse de système en son état actuel.

Sans doute m'en voudrais-je finalement, dernière observation, de ne pas faire remarquer, tant qu'à proposer ces conclusions à la discussion, l'avantage qu'il y aurait pour une telle morphologie sociale à ne pas confondre un certain nombre de choses, que l'idée de société globale est synonyme de projet de société ; ou que la crise de la social-démocratie à laquelle renvoient des effets pervers observés est synonyme de crise de la société globale. Comme le disait ce médecin écrivant sur les phases de la lune : « Considérons maintenant le loup-garou et la réalité. »

Richard FOURNIER
Gouvernement du Québec,
Secrétariat du Conseil du Trésor

[61]

Résumé

L'auteur s'interroge sur la valeur explicative de l'idée de société globale en contexte de société de droits au moment où l'économie se mondialise. Étudiant divers aspects de ce contexte sous le rapport entre souveraineté de l'État et souveraineté du marché, il attire l'attention sur l'émergence à travers l'expérience de la vie sociale d'un schème explicatif concurrent, l'idée de société virtuelle. Appuyé sur la notion d'effet pervers, empruntée à l'analyse de système, et sur celle de l'Autre généralisé, issue de l'étude de la socialisation, il suggère en conclusion comment l'interrogation initiale pourrait trouver réponse dans les pratiques de la morphologie sociale.

Mots-clés : économie de marché, effets pervers, épistémologie, État néolibéral, groupes de référence, informatique cognitive, morphologie sociale, société globale, société virtuelle, théorie des systèmes.

Summary

The author examines the explanatory value of the idea of society as an organic whole in the current era of post-modern societies and économie globalization. Analyzing various aspects of this context from the perspective of the relationship between state sovereignty and market sovereignty, the author focusses attention on a new idea of society emerging in contemporary social life — the virtual society. Drawing on the notions of unintended conséquences, as employed in Systems analysis, and the Generalized-Other, common to studies of socialization, he concludes by suggesting how an examination of the above question could profit from morphology analysis.

Key-words : market economy, epistemology, holistic approach, infor-matization process, reference groups, social organization, morphology analysis, System analysis, virtual society, unintended consequences.

Resumen

El autor se interroga sobre el valor explicativo de la idea de sociedad global en el contexto de una sociedad de derecho y de la mundialización de la economia. Se estudian diversos aspectos de dicho contexto en función de la relacion entre soberanίa estatal y soberanίa de mercado y se senala la emergencia, a partir de la experiencia de la vida social, de un esquema explicativo alternativo : la idea de sociedad virtual. Basándose en la noción de efectos perversos, noción que ha sido tomada del análisis de sistemas y del « Otro generalizado », proveniente [62] del estudio de la socialización, el autor sugiere en conclusion que la interrogación inicial podrίa encontrar una respuesta en las prácticas de la morfologίa social.

Palabras claves : economîa de raercado, efectos perversos, epistemologίa, Estado neoliberal, grupos de referencia, informática cognitiva, morfologίa social, sociedad global, sociedad virtual, teorίa de sistemas.



[1] D'après A. Lalande (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris PUF, 1980), on devrait à Alfred Fouillée d'avoir introduit la notion d'intelligible en français dans son ouvrage La philosophie de Platon, II, 1869. J'applique ici à la connaissance de la société la définition du principe d'intelligibilité en un sens kantien, comme on le verra par la suite.

[2] Par exemple, la série de sept articles « The downsizing of America », parue dans The New York Times, du 3 au 9 mars 1996.

[3] Ainsi P. F. Drucker, Managing in a Time of Change, New York, Truman Talley Books/Dutton, 1995 ; G. Egan, « Hard time — Contracts », Management Today, 19 janvier 1994, pp. 48-50 ; D. Méda, Le travail. Une valeur en voie de disparition, Paris, Aubier, 1995 ; D. M. Rousseau, « Psychological and implied contracts in organizations », Employee Responsabilities and Rights, vol. 2, no 2, 1989, pp. 5-31.

[4] C. Bessy et F. Eymard-Duvernay, « Les économistes et les juristes face à la relation de travail dans l'entreprise », Revue d'économie politique, vol. 105, no 6, novembre-décembre 1995, pp. 937-964 ; T. Revêt, « L'objet du contrat de travail », Droit social, no 11, novembre 1992, pp. 859-870.

[5] Alain Bihr et R. Pfefferkorn, Déchiffrer les inégalités, Paris, Syros, 1995.

[6] M. Augé, Génie du paganisme, Paris, Gallimard, 1982 ; U. Eco, La structure absente, Paris, Mercure de France, 1972.

[7] R. Sainsaulieu et D. Segrestin, « Vers une théorie sociologique de l'entreprise », Sociologie du travail, no 3, 1986, pp. 335-352.

[8] R. Sainsaulieu, « Emploi, travail et cohésion sociale », L'Entreprise et l'Homme, 72e année, no 3, juin 1995, pp. 99-105.

[9] P. Lazarsfeld, M. Jahoda et H. Zeisel, Les chômeurs de Marienthal, Paris, Minuit, 1981.

[10] R. Fournier, Une mesure du rendement du codage en analyse de contenu : l'indice MRC, Québec, Ministère de l'Éducation du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, 1984.

[11] Fernand Dumont, Le lieu de l'homme, Montréal, HMH, 1968.

[12] L. Bramson, The Political Context of Sociology, Princeton, Princeton University Press, 1967.

[13] Charles Taylor, Grandeur et misère de la modernité, Montréal, Bellarmin, 1992.

[14] M. Cartier, « Les inforoutes, mythes et réalités », texte d'une conférence à l'Institut d'administration publique du Canada, Québec, ENAP-Québec, 19 octobre 1995.

[15] Par exemple, les évaluations ex ante et ex post des coûts de production (et des profits) dans la définition des droits de propriété. Voir R. Heilbroner, Les grands économistes, Paris, Seuil, 1971 ; K. Polanyi, The Great Transformation, Beacon Hill, Beacon Press, 1957.

[16] P. Lévy, Les technologies de l'intelligence : l'avenir de la pensée à l'ère informatique, Paris, La Découverte, 1990 ; « Le paradigme du calcul », dans I. Stenger (dir.), D'une science à l'autre : des concepts nomades, Paris, Seuil, 1987, p. 88-118. Voir J.-M. Massie, « Société et nouvelles technologies de l'information et de la communication : une indétermination socio-technique », Technologies de l'information et société, vol. 5, no 3, 1993, pp. 236-273.

[17] M. Cartier, texte cité.

[18] M. Minsky, The Society of Mind, New York, Simon and Schuster, 1986.

[19] J.-M. Fontaine, « L'État-Moins : limites de l'État chez les néo-libéraux et les économistes de l'offre », Critiques de l'économie politique, octobre-décembre 1982, pp. 77-105.

[20] R. Petrella, « Les nouvelles Tables de la Loi », Le Monde diplomatique, octobre 1995, p. 28.

[21] J. Michie et J. G. Smith, dans Managing the Global Economy, Oxford University Press, 1995, cité par F. Chesnais, « Bilan des vingt glorieuses du capital », Le Monde diplomatique, octobre 1995, p. 27.

[22] M. Cartier, texte cité. Voir K. N. Llewellyn, « What price contract ? An essay in perspective », Yale Law Journal, no 40, mai 1931, pp. 704-751.

[23] P. F. Drucker, ouvr. cité.

[24] Par exemple, F. De Coninck, Travail intégré, société éclatée, Paris, PUF, 1995.

[25] Sans doute, le postulat, ici réduit à sa plus simple expression (le désir), s'est-il montré souvent plus élaboré. Voir par exemple, J. Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968 ; M. Landowsky, La société réfléchie, Paris, Seuil, 1989 ; G. Lipovetsky, L'ère du vide, Paris, Gallimard, 1983, etc. Mais, entre-temps, dans l'activité commune qu'il présuppose, « on ne passe pas des apparences à ce qu'elles cacheraient, comme le dit un auteur, on circule d'apparences en apparences » (Y. Simonis, « Retour aux pratiques : post-modernité, institutions et apparences », dans Mikhaël Elbaz, Andrée Fortin et Guy Laforest (dir.), Les frontières de l'identité, Québec et Paris, Presses de l'Université Laval et L'Harmattan, 1996, pp. 238-253).

[26] Pour situer la première : J. Aracil, Introduction à la dynamique des systèmes, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984 ; L. von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1973. La seconde rappelle surtout ici J. Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966 ; H. Lefebvre, De l'État 3. Le mode de production étatique, Paris, Union générale d'éditions, 1977 ; G.-H. Mead, L'esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963.

[27] É. Durkheim, « Préface », L'Année sociologique, vol. II, 1897-1898, p. 11. [“De la définition des phénomènes religieux” (1897-1898).]

[28] L. Bramson, ouvr. cité.

[29] E. E. Tiryakan, « L'école durkheimienne à la recherche de la société perdue : la sociologie naissante et son milieu culturel », Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXVI, janvier-juin 1979, pp. 4-114.

[30] A. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.

[31] R. Bander, Un cerveau pour changer, Paris, InterÉditions, 1990.

[32] R. K. Merton, Social Theory and Social Structure, Glencoe, The Free Press, 1957.

[33] L. von Bertalanffy, ouvr. cité.

[34] R. Fournier, « L'analyse du discours sur les identités en milieu communautaire à travers la structure mathématique du modèle ANOVEP », dans J. Hamel et J.-Y. Thériault (dir.), Les identités, Montréal, Méridien/Acsalf, 1992, p. 549-582.

[35] S. Moscovici, La psychanalyse. Son image et son public, Paris, PUF, 1961 ; C. Osgood, G. Suci et P. Tannenbaum, The Measurement of Meaning, Urbana, University of Illinois Press, 1957.

[36] S. Moscovici, ouvr. cité.

[37] M. Heidegger, Être et temps, Paris, Gallimard, 1986. [Traduction française par Emmanuel Martineau. JMT]

[38] G.-H. Mead, ouvr. cité.

[39] G.-G. Granger, Essai d'une philosophie du style, Paris, Colin, 1968.

[40] Par exemple, F. De Coninck, ouvr. cité.

[41] R. Worms, Organisme et société, Paris, Giard et Brière, 1896.

[42] J. Lacan, ouvr. cité ; C. Lévi-Strauss, « Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss », dans Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1960.

[43] Exemples de tels travaux : J. Aracil, ouvr. cité ; M. Kempenneers (dir.) et coll., « Nouvelle morphologie sociale », Sociologie et sociétés, vol. XXVII, no 2, automne 1995 ; G. Teeple, Globalization and the Decline of Social Reform, Toronto, Garamond Press, et New Jersey, Humanities Press, 1995.

[44] Ainsi M. Halbwachs (La mémoire collective, Paris, PUF, 1950) soutenait que la mémoire individuelle a besoin de repères mnémoniques sociaux, comme ceux que retrouve, par exemple, la topographie des espaces physiques.

[45] P. Lazarsfeld, Philosophie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1970.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 8 juillet 2020 6:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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