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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Richard FOURNIER, “L’ÉVOLUTION SOCIALE ET CULTURELLE DE CANTONVILLE.” Intervention au “Colloque sur l’évolution de Drummondville”, cinquante ans après l’étude célèbre d’Everett C. Hughes, Rencontre de deux mondes, au Cégep de Drummondville, le 22 février 1989. [Autorisation accordée par l'auteur le 10 août 2011 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Richard FOURNIER

L’ÉVOLUTION SOCIALE
ET CULTURELLE DE CANTONVILLE
.”

Intervention au “Colloque sur l’évolution de Drummondville”, cinquante ans après l’étude célèbre d’Everett C. Hughes, Rencontre de deux mondes, au Cégep de Drummondville, le 22 février 1989.

Résumé
Introduction
Parenthèse

I –  LE MODÈLE DE THORSTEIN VEBLEN : LA VILLE RURALE

II –  CANTONVILLE : TRAITS CARACTÉRISTIQUES (HUGUES)

A. Les traits ruraux de Cantonville
B. Les traits nouveaux de Cantonville

III –  CANTONVILLE AUJOURD’HUI


Un grand merci à l’auteur pour avoir accepté avec enthousiasme de réviser le texte numérique de cet article avant diffusion dans Les Classiques des sciences sociales.

Merci beaucoup.

Jean-Marie.
Samedi, le 4 juillet 2015.



RÉSUMÉ

Dans un colloque tenu au Cegep de Drummondville en 1989, l’auteur commente l’évolution sociale et culturelle de cette ville à la lumière de l’ouvrage du sociologue américain Everett C. Hugues paru en 1943, French Canada in Transition.

Le texte illustre en quoi le modèle de la Country Town, de l’économiste américain Thorstein Veblen, existait déjà sur le terrain en manière de repoussoir aux observations de Hugues élaborant un modèle de l’industrialisation du Québec devenu un classique de la sociologie.

La juxtaposition de deux modèles permet de risquer une réponse sur ce qu’il en serait d’un portrait de l’évolution actuelle.



Que nous soyons ici rassemblés autour de l’ouvrage de Everett Hugues sur Drummondville, French Canada in Transition, n’appartient pas seulement, il me semble évident, qu’à notre mémoire ou  nos liens variés avec cette ville.

J’aime pour ma part voir cette rencontre enracinée dans ce qui m’apparait être, cinquante ans plus tard, une actualité certaine de l’ouvrage. Et c’est avec la conviction de cette actualité que je remercie les organisateurs de l’événement de m’avoir invité à en faire partie.

J’ai accepté d’emblée cet engagement pour deux raisons. Raison professionnelle d’abord : pour un sociologue nord-américain, l’ouvrage de Hugues est un classique, qui plus est, une sorte de pierre blanche de la sociologie québécoise. D’autant, et c’est ma seconde raison : l’ouvrage de Hugues ou, du moins, son influence intellectuelle, s’est trouvé à trois reprises à côtoyer, si vous permettez, mon choix du métier de sociologue.

La première fois je n’y ai rien vu. J’avais quatorze ans, un camarade en classe de Syntaxe (secondaire 2) me l’avait prêté de gré à gré. L’ouvrage se présentait, par les soins de sa propre famille, annoté de part en part dans la marge, tel un roman à clef. Une histoire de l’époque de mes parents, on en conviendra, ne m’intéressa guère très longtemps, fut-il à clef.

La fois suivante, dix-sept ans, je me trouve, avec le journal du collège, à un congrès de la presse étudiante (Corporation des Escholiers Griffonneurs). Deux conférenciers invités s’attardent à Hugues (Yvon Thériault, journaliste; Claude Ryan, secrétaire de l’Action catholique canadienne). Chacun se fait fort de puiser, dans l’analyse par Hugues de l’industrialisation du Québec, la base intellectuelle de tout engagement responsable. Février 1955.

Troisième contact, automne 58, dernière année de collège (dite « De Finissant »). Je mets finalement la main sur deux ouvrages de sciences sociales. Au local du journal, une étude de l’UNESCO fait l’analyse de contenu de la presse internationale; la bibliothèque de Drummondville, par ailleurs, me fournit l’original en anglais de l’ouvrage de Hugues.

Coïncidence : mon travail de sociologue depuis quelques années porte sur l’analyse de contenu, et me voici engagé à vous entretenir de Hugues. Mais non sans certains préalables.

Introduction

Se pencher sur l’œuvre de Hugues, préciserai-je en guise d’introduction, m’apparaît donc d’une actualité évidente voire percutante, pour deux raisons objectives.

Tout d’abord, parce que – je citerai maintenant les propres termes de Hugues – nous voici devant « le cas classique, dit-il, d’un fait minoritaire. » Hugues écrit :

« L’équilibre du nombre et du pouvoir politique entre les deux éléments de la population canadienne est bien plus fragile et instable. En fait, le Canada représente le cas classique d’un fait minoritaire sur le continent, et l’un des plus frappants et des plus révélateurs du monde. »

Il ajoute :

« (…) On ne pourrait trouver meilleure situation pour étudier non seulement une minorité, mais l’interaction entre une minorité et ce que l’opinion courante reconnait avec raison comme son opposé immédiat, un peuple dominant. » [1]

Alors, on se demande : irait-on chicaner notre observateur là-dessus, cinquante ans plus tard ?

En second lieu, je peux trouver une autre raison à l’actualité de Hugues : l’importance qu’accordent, sauf erreur, les méthodes des sciences sociales au rôle de la culture.

Pour Hugues étudiant la société québécoise, une considération est claire en effet: la différence de nationalités (ou de culture, car c’est bien ce qu’il entend sous le terme, il parle de « valeurs et de mode de vie »), est le facteur de base à observer. Par là en effet se cristallisent à ses yeux les conflits reliés à l’instauration et au déploiement de deux processus sociaux classiques soit l’industrialisation et l’urbanisation.

« Par ailleurs, la différence de nationalité, écrit-il, entre industrialisants (sic) et industrialisés a une incidence profonde sur l’ampleur et le tempo des changements sociaux de tous ordres que provoque l’industrialisation. Elle cristallise et souvent accentue des conflits spécifiques. » [2]

Comme en chimie où la cristallisation rend visible, la culture est, aux yeux de Hugues observant ici les relations ethniques, le laboratoire qui permet d’observer la réalité de ce qui se passe. [3]

Retenant ces deux remarques, on pourrait donc, à parler de l’actualité de Hugues, trouver deux arguments en faveur de revisiter son ouvrage sur Drummondville.

Le premier est de raison politique: la permanence du fait minoritaire québécois sur le continent.

Le deuxième, affaire de méthode : la prise en considération de la culture.

Mais il y a lieu néanmoins, comme l’ont fait valoir les organisateurs de notre rencontre, de poser la question : qu’en serait-il du contenu actuel de l’ouvrage de Hugues en 1989 ? Je répondrai, pour ma part, que n’importe laquelle de ces deux raisons, aussi bien que les deux ensemble, signalent, à mon avis, cette actualité de l’ouvrage de Hugues, précisément sous l’angle où je me propose de l’aborder maintenant selon le titre annoncé de mon exposé : Évolution sociale et culturelle de Cantonville.

Parenthèse

J’ouvre aussitôt une parenthèse, question de vocabulaire. Rencontre de deux mondes, la version française de l’ouvrage, porte en sous-titre : La crise de l’industrialisation. De nos jours, on n’utiliserait pas nécessairement le même langage. Par exemple, on substitue plus facilement au terme d’industrialisation le terme de développement, à parler des régions du Québec ou des pays du Tiers-monde. Cependant, on doit retenir que pour Hugues, il s’agit véritablement d’un état de crise quand une société s’industrialise.

Pourquoi ? Parce que, dans cette conception, on assume généralement que, depuis l’avènement de la société marchande en Occident [4], deux processus sociaux auront principalement marqué de façon continue la transformation ou la création des sociétés : le processus d’industrialisation et le processus d’urbanisation.

À ce sujet, aux côtés de Hugues là-dessus, l’École de Chicago, autour de Park et Burgess et de Louis Wirth, s’illustrera en écologie urbaine et en écologie sociale. Par ailleurs, au Québec, dans le sillage de Hugues, la sociologie naissante des Essais sur le Québec contemporain (1953) se calque fortement sur ces deux directions. Jusques et y compris à se vouloir une sociologie réglée sur la pratique américaine de l’organisation communautaire (community organisation), à ce moment précis où, début des années 60, se met en place la pratique de l’animation sociale. Témoin, si vous me permettez une fois encore un rappel personnel, l’expérience de développement du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (1963).

Sans doute a-t-on vu depuis évoluer ces conceptions. Par exemple, autour des deux premiers processus de l’industrialisation et de l’urbanisation est venue s’allier, à l’étude du changement, celle du phénomène de la socialisation. On l’entend alors soit comme processus de formation des symboles (à travers les représentations sociales) soit comme processus d’intégration à la vie en société (à travers la famille, l’école, les media. Etc.)

Mais l’essentiel, lorsque Hugues nous renvoie aux deux processus sociaux de l’industrialisation et de l’urbanisation, est d’observer avec lui une société typique.

Par exemple, Falardeau, dans sa préface de 1973, indique que « l’on peut affirmer que French Canada in Transition est l’ouvrage qui, dans les années quarante et cinquante, a le plus fait connaître le Québec en Amérique du Nord. » Or, à ce titre d’observer une société typique, Cantonville représente une image idéale de Drummondville, dont on sait bien que, dans le quotidien, les choses ne fonctionnent pas toujours tout à fait ainsi.

Je ne dresserai donc pas en quinze minutes un tableau de l’évolution sociale et culturelle de Drummondville, de 1937 à nos jours. La compétence pour ce faire, au reste, me fait défaut.

Je me propose plutôt d’extraire de cette image idéale de Cantonville léguée par Hugues un certain nombre des traits signalés par celui-ci. Mon intention sera d’essayer de comprendre ces derniers traits par juxtaposition à partir de certains modèles existants de la ville, et ce, sans nécessairement m’occuper, en un premier temps ici, de Hugues.

Nous verrons donc pour commencer à faire connaissance avec un modèle de la ville nord-américaine d’une généralité parente avec celle du modèle de Hugues. Il s’agit du modèle de la Country Town, de l’économiste américain quelque peu contemporain de Hugues, Thorstein Veblen. En essayant d’examiner le modèle de Veblen comme il faut, on pourrait ici, me semble-t-il, le découvrir s’appliquer en filigrane de celui de Hugues.

Lorsque en effet Hugues arrive ici pour chercher à établir son modèle de l’industrialisation du Québec, modèle au sens scientifique d’un ensemble de variables interreliées, il existe déjà sur place, à Drummondville et ce, bien avant 1930 quand s’installeront les usines, peut-on penser, un modèle de la ville. C’est celui de la Country Town nord-américaine ou Ville Rurale en contexte capitaliste, fixé en 1923 dans les travaux de Thorstein Veblen [5] – économiste aux travaux restés célèbres, entre autres, pour leur non-conformisme intellectuel et leur esprit critique à l’endroit du capitalisme d’affaires. [6] Qui plus est, il s’agit d’un modèle déjà connu et discuté dans les milieux intellectuels et chez les sociologues, les économistes, les anthropologues américains.

Or, Hugues va rencontrer à Drummondville des informateurs canadiens-français – commerçants, rentiers, professionnels – tous sans grande possibilité d’être au fait, sans doute, des travaux de Veblen. Cependant ces informateurs vont néanmoins lui parler d’un « Âge d’or » (c’est dans Hugues) : celui d’avant la venue, à partir de 1921, de l’industrie. Et cet âge d’or local, si on le regarde rétrospectivement - d’après ce qu’en disent les informateurs dans l’ouvrage de Hugues - on s’aperçoit en effet qu’il se profile en grande partie selon les traits du modèle de la Country Town.

L’intéressant de ce rappel, pour nous, c’est que les témoins n’ont pas tout à fait tort. Il faut remarquer en effet, qu’au moment où ils parlent de ce Drummondville de l’âge d’or dont ils sont avertis, la ville a réellement dépassé, par rapport à ses voisins, le stade de village.

Par exemple, prenons le village de l’Avenir. En 1884, l’évaluation foncière du village de l’Avenir, incluant la campagne, devance par plus de la moitié (.63) celle du village de Drummondville : 226 875$ vs 138 925$ [7]. Pourtant, lorsqu’au début de l’industrialisation, peu après la guerre de 1914-1918, soit à peu près deux générations plus tard, viennent s’établir les usines de textiles, Drummondville a déjà renversé le rapport avec les campagnes environnantes, dont celle de l’Avenir. On peut dire que Drummondville possède déjà, à ce moment-là, une structure économique et sociale, de même que le statut territorial, qui rapprochent l’ancien village d’une ville rurale s’étant développé en contexte d’une économie capitaliste selon le modèle de la Country Town.

Voici donc ces caractéristiques idéales de la ville rurale (Country Town) selon Veblen.

I – LE MODÈLE DE THORSTEIN VEBLEN :
LA VILLE RURALE


Dans les données recueillies par Hugues à Drummondville, on ne sait pas textuellement, c’est-à-dire d’après les rapports d’entrevues, quelles représentations les gens des villages périphériques se faisaient de la ville.

Mais on connait celles qu’entretenaient les gens de la place : marchands, commerçants, rentiers et professionnels de la Basse et de la Haute ville (langage de Hugues). C’est la représentation d’un modèle de ville disparu depuis peu présent toujours à leur esprit, auquel ils se réfèrent encore quelquefois lorsqu’ils pensent à leurs taxes, entre autres, comme à un âge d’or.

Ce Drummondville de l’âge d’or se ramène à quelques dimensions simples. La ville est greffée sur la campagne, son activité principale est de commercer avec celle-ci. Pour ce faire, elle est  tributaire des ressources, de la main-d’œuvre et du savoir-faire (savoirs et équipements) locaux. Elle est en outre consciente de son importance territoriale et de la qualité de ses habitants, dont la richesse est basée sur la propriété foncière et son usage spéculatif.

L’une ou l’autre de ces dimensions à travers les observations de Hugues se trouvent plusieurs fois réparties tout au long de l’ouvrage. Retenons-en seulement un exemple éloquent : la déception que ressentent les gens importants de la place devant l’installation de l’industrie qu’ils ont contribué à faire venir. Le leitmotiv revient un peu partout dans l’ouvrage. Pour ces gens, rapporte Hugues, l’industrie s’est établie hors des emplacements qu’ils possédaient (donc peu d’entre eux réalisent de profit); en outre, l’excédent de population attiré à ces nouveaux endroits, population peu riche, essentiellement ouvrière, risque de coûter cher à la vieille ville en services que les nouveaux venus ne peuvent se payer d’eux-mêmes.

Or, cette image collective de la ville aperçue par Hugues, nous allons le voir à l’instant, renvoie directement au modèle américain tout juste évoqué de la Ville Rurale en contexte capitaliste (Country Town). Pour peu en effet qu’on synthétise la description de Veblen de 1923, on obtient, principalement mais non exclusivement, les caractéristiques suivantes :

1- La Ville Rurale américaine vit sur la campagne environnante ; elle est une place d’échanges entre marchands et fermiers et c’est le revenu de ces derniers, à toutes fins pratiques la récolte, qui supporte d’abord la prospérité locale par dissémination de l’économie de marché. L’activité économique a donc pour moteur principal le commerce de détail.

2- Elle est une création de la spéculation foncière. Son site est déterminé par une « collusion » (Veblen) entre des parties intéressées par la spéculation foncière (vente de terres, construction d’immeubles, valeurs des propriétés). Non seulement le site : la spéculation foncière représente aussi la force qui, à travers son histoire, est au principe de son développement. La ville grandit, se développe et est gérée, dit Veblen, comme une « proposition immobilière » à l’usage de l’acheteur, étranger ou non, dont on dit, ajoute-t-il, qu’il en vient au monde un nouveau à chaque seconde. » Ce vecteur de développement – la spéculation foncière – se reflètera sur le plan de la conscience civique, de l’administration municipale, de l’esprit de groupe de la communauté. La Country Town est une mentalité.

3- La Ville Rurale repose sur un monopole commercial et, en contrepartie, sur un équilibre de la concurrence et du profit. Le monopole est régional, doit-on remarquer, mais l’équilibre est local.

Cette configuration appelle de la part de Veblen trois remarques.

Premièrement. En économie de marché, un tel équilibre local de la concurrence et du profit, fait-il observer, se tient à la limite de l’efficacité. Parce qu’il comprend toujours, entraînés là par l’appât du gain, trop d’agents pour les profits disponibles. Les trois quarts ou les neuf dixièmes des activités commerciales, avance Veblen, sont des activités de gaspillage provoquées par la duplication des facteurs de production (le travail, la main-d’œuvre, l’équipement) ou provoquées par la circulation des biens. Or, il est à remarquer que les informateurs de Hugues accuseront ainsi les petits commerces, « magasins de famille » attirés en périphérie par la présence de l’industrie, de réduire la marge de profit pour tous en deçà du tolérable et d’appauvrir la collectivité.

Cette forme d’équilibre, à la limite de l’efficacité économique, se maintient donc, constate Veblen, grâce au consensus de tous les acteurs. Et ce, jusqu’à ce qu’en vienne à disparaître aux Etats-Unis, vers les années vingt, ce modèle de la Ville Rurale né au tournant des années 1880.

En second lieu – deuxième remarque – cet équilibre local entre concurrence et profit, à la limite de l’efficacité économique, peut être modifié, tant de l’intérieur que de l’extérieur. De l’intérieur : par la concurrence elle-même, soit la prolifération des agents économiques locaux. La concurrence intérieure en conséquence, doit être contrôlée par la communauté. En particulier aux deux extrêmes des professions : entre les épiciers, d’une part, et entre les prêteurs de l’autre.

Menacé de l’extérieur ensuite. L’équilibre local de la concurrence et du profit est susceptible d’être affecté par l’existence des villes voisines. Entre celles-ci s’établit naturellement un contrôle : la limite maximum de profit avant de perdre sa clientèle aux mains des autres. Mais l’équilibre ouvert de la limite maximum est tout autant à la merci de l’extérieur de par l’effet des maisons de vente par catalogue et celui des « magasins à chaîne » (magasins à succursales multiples).

Troisième et dernière remarque sur l’équilibre économique de la Ville Rurale. La mentalité de la Ville Rurale est par essence conservatrice, basée sur les vertus sociales de solvabilité, de circonspection et de bonnes relations. De même que sur la pratique des bonnes œuvres. Par ailleurs, une telle mentalité se retrouve, autant en apparence que réellement, fondée sur l’intérêt individuel. Mais elle ne s’en trouve pas moins, fait remarquer Veblen, à la base de la démocratie américaine, en tant que définie comme volonté et nécessité de régler continuellement la concurrence.


Ajoutons là-dessus, pour préciser cet ensemble de traits, qu’au moment (1923) où la réflexion de Veblen attire l’attention des chercheurs sur le modèle de la ville rurale, celui-ci est déjà en train de disparaître. Modèle d’un capitalisme marchand, le modèle a commencé de perdre ses propres avantages à l’avantage du capitalisme des corporations (qu’on appellera Big Business) ou du capitalisme de l’industrie. Veblen relève déjà que, sur le terrain des décisions, d’anciens acteurs économiques : le commerçant indépendant, le marchand, cèdent leur place à l’actionnaire (The Absentee Ownership) ou au propriétaire à distance. Tandis que le commerçant au détail s’efface devant la chaîne de magasins, l’agence de distribution, etc.

Cette évolution, soutient Veblen, constitue un progrès pour l’industrie et pour les marchands, lesquels réussissent généralement à s’y adapter. Mais il y a des perdants, dans la mesure où l’évolution ne fait pas disparaître la duplication, au contraire l’augmente (coûts de publicité, par exemple). Et dans la mesure aussi où la population rurale continue de faire les frais du modèle. (On a affaire ici à une exploitation solidement organisée, semble vouloir dire Veblen, mieux vaut être du bon bord).

Qu’en est-il maintenant de ces traits de Veblen dans l’image de Cantonville que nous propose Hugues ? On pourrait répondre que ces traits composent le modèle en creux, dirait-on, de l’évolution que s’apprête à comprendre le sociologue.

Que va donc observer Hugues, en effet, sur la foi de plusieurs séjours à Drummondville ? Une sorte d’envers, pourrait-on dire, des traits caractéristiques tout juste relevés.

Prenons-en cinq.

1- La population cliente change. Un mode de revenu différent de celui qu’on tirait de la terre, soit le nouveau régime du salariat, selon lequel le prix du travail est le prix qui règle le marché, désormais fait vivre les milieux d’affaires.

2- La concurrence change. Hugues voit proliférer une nouvelle unité économique, le « magasin de famille » ou la petite entreprise indépendante logée à la maison. Concurrent déloyal, dit Hugues, puisque souvent subventionnée par le salaire d’un membre de la famille.

3- L’initiative économique se déplace : elle appartient désormais à l’étranger par les sièges sociaux et les ethnies « managériales. »

4- L’échelle des activités aussi change : l’activité économique est dirigée vers les marchés extérieurs, et son impulsion, le fait de la grande industrie.

5- La perte de l’indépendance du petit entrepreneur. Le flux des revenus de la campagne vers la ville n’arrive plus directement dans sa poche. Il passe par le salariat et donc, par contagion de l’économie de marché, dépend d’autres intérêts acquis que ceux des gens de la place.

En cinq traits, voici donc qu’on découvre, juxtaposée en creux sur l’image de Cantonville, au moment où s’installe le processus de l’industrialisation que vient étudier Hugues à Drummondville, ce modèle de la Ville Rurale en contexte capitaliste de Veblen.

Cependant, comme aux États-Unis sous les yeux de Veblen, le modèle est en train de changer sous nos yeux (ou plutôt ceux de Hugues). D’abord, sans doute, pour les mêmes raisons ici que Veblen le relève là-bas : progrès des techniques, progrès des communications, progrès des transports, évolution interne du capitalisme.

Mais en outre, ici, à Drummondville, le modèle de la Ville Rurale est en train de changer pour une raison politique. Celle-ci apparemment n’existe pas avec autant de clarté dans le modèle américain dessiné par Veblen, bien qu’il s’agisse en l’occurrence d’une raison majeure : la relation dominant-dominé.

On comprend dès lors l’intérêt de Hugues à s’attacher à la spécificité ethnique de l’industrialisation à Cantonville. Il va trouver ici l’élément absent dans le modèle de transformation du capitalisme en cours chez lui, sauf à connaître les Acadiens et les Hispano-américains du Sud-Ouest [8], savoir la subordination politique.

Cet élément est ainsi décrit :

« Les industries modernes du Québec, celles qui changent le visage de la province, ne sont pas nées tout simplement de petites industries d’autrefois. Celles-ci appartenaient pour une bonne part à des industriels canadiens-français. L’arrivée des industries nouvelles représente une invasion par des agents armés du capital et des techniques des centres financiers et industriels plus anciens de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Ces gérants et techniciens ou compétents sont étrangers par la culture au milieu canadien-français. Ils le sont toujours par la langue et le tempérament, presque toujours par la religion. Par contre, la main-d’oeuvre industrielle constituant la majorité de la population des villes en question est autochtone puisqu’elle est composée de Canadiens français rattachés par le sentiment, la tradition et les liens de parenté aux campagnes avoisinantes.

« Ainsi le Canadien français devenu ouvrier et citadin, écrit Hugues, se trouve en face d’un  patron étranger. »

(…)

« Comme les révolutions industrielles, continue-t-il, sont presque toujours l’oeuvre d’étrangers, il n’est pas étonnant que leur développement provoque par ricochet une conscience plus aigüe des différences ethniques et des ressentiments minoritaires. En réalité, le complexe de minorité, chez un peuple, n’est pas tant une question de nombre que la conscience d’une infériorité dans une hiérarchie quelconque à laquelle s’ajoute le sentiment que les étrangers et leurs institutions sont en train de lui arracher la maîtrise de son destin. » [9]

On aperçoit donc ici la différence. Dans le modèle de Veblen, la tendance du capitalisme à graduellement faire disparaître la ville rurale comme forme d’organisation économique est interne à la société, homogène en somme. Pour prendre leur place dans l’évolution économique qui s’annonce, commerçants, rentiers et professionnels indépendants n’ont pas l’obstacle d’une culture à vaincre ou à assimiler.

Ceux-là s’y reconnaissent spontanément, si on se fie aux dires de Veblen; ils y retrouvent « les méthodes et principes inscrits dans leur os mêmes. » Car c’est, dit-il, « la même race de monde (stock of men) avec les mêmes principes (general plan) que ceux sur lesquels la ville rurale fut établie à l’origine. À Spoon River ou à Graphic Prairie, commente Veblen, le commerçant ou le prêteur de la ville rurale du 19e siècle peut bien se retourner dans sa tombe: « his soul goes marching on, » son esprit se perpétue. [10]

Ce n’est pas le cas à Drummondville, Qué., en 1937 : l’esprit ici est un fantôme, celui de l’étranger, du supérieur. Rappelons-le, Hugues l’a écrit en toutes lettres :

« On ne pourrait trouver meilleure situation pour étudier l’interaction entre une minorité et ce que l’opinion courante reconnaît avec raison comme son opposé immédiat, un peuple dominant. » [11]

Nous voici donc arrivés à l’essentiel de l’intérêt que Cantonville prend pour Hugues : la figure d’une simple, quoique très claire, division du travail à l’intérieur de l’univers en interaction du capitalisme, soit la relation dominant-dominé.

II – CANTONVILLE :
TRAITS CARACTÉRISTIQUES
(HUGUES)


Pour analyser maintenant le portrait de Cantonville tracé par Hugues, je laisserai de côté les expressions méthodologiques un tant soit peu rigoureuses de l’opposition société traditionnelle/société technologique ou de l’opposition société rurale/société urbaine, en usage dans la littérature spécialisée.

Je me bornerai plutôt à mettre en contraste deux familles de traits : les traits ruraux de ce portrait, selon le modèle de Veblen, ici arbitrairement ramenés à dix; après quoi j’y opposerai ce que j’appellerai, me mettant un peu dans la peau de Hugues, les traits nouveaux. Ces derniers, au nombre de treize ici, se trouveront tout aussi arbitrairement choisis par moi dans l’ouvrage, de manière à bien illustrer mon propos.

Auparavant, le fond de scène. Voici comment le dépeint Hugues :

« Cantonville, en 1911, était une ville commerciale régionale dont la population, avec celles des environs ruraux, s’élevait à 2,605 âmes. Ville et environs, intimement liés par des échanges réciproques et des liens de famille, constituaient une seule paroisse. Les marchands et professionnels de la ville vivaient de la clientèle des cultivateurs des alentours. Douze petits ateliers, élevés par le recensement à la dignité d’« industries », employaient 128 ouvriers à la fabrication de produits tirées (sic) en grande partie d’une matière première locale et pour consommation locale.

« Autour de ce noyau originel avait proliféré, vers 1927, une ville effervescente de 19,424 habitants dont environ 4,600 travaillaient dans l’industrie. » [12]

Cet arrière-plan 1911-1927 permet à Hugues de travailler l’opposition ville/campagne dans le sens d’une situation politique.  « Ce sont les formes raffinées et non les formes fondamentales du capitalisme qui désorganisent leur mode de vie traditionnel, » prend-il soin, par exemple, de noter à propos des Canadiens français de Cantonville.

Autrement dit : ce sont ces « formes raffinées » venues de l’étranger, essentiellement l’industrie et sa culture, culture technique et culture économique, qui brouillent les cartes, non pas le fait de se livrer à des activités économiques. Puisque la ville commerciale régionale le faisait déjà. Quitte, on le sait, à ce qu’un équilibre social à maintenir eût obligé le surplus de main-d’oeuvre à s’expatrier. [13]

En raison de ce choix d’un fond de scène, le portrait que Hugues propose de Cantonville, peut-on croire, se laisse ainsi envisager au croisement intellectuel de trois schémas d’observation.

Tout d’abord, le modèle de l’analyse de la société traditionnelle québécoise; Hugues en est averti par les travaux de Miner et de Léon Gérin [14]. Ensuite, le modèle de la Ville Rurale ou « Country Town », que Hugues peut aussi connaître d’après des travaux sur la société américaine. Enfin, le schéma de la propriété industrielle étrangère étudié par lui en Allemagne, savoir la propriété protestante en pays catholique, plus ou moins en relation avec ces deux formes précédentes d’équilibre social. [15]

Je relèverai donc successivement, au croisement de ces trois modèles, en quoi le portrait sociologique que rencontre Hugues en 1938 comporte des traits ruraux; à travers ceux-ci ensuite, en quoi le portrait de Cantonville qu’il en extrait révèle des traits appartenant d’emblée à une nouvelle forme de société. Donc : traits ruraux d’une part, traits nouveaux ensuite.

Une fois superposés ces deux profils, peut-être serons-nous alors à même de conclure une réflexion sur le portrait sociologique de Drummondville aujourd’hui, figure peut-être d’un Cantonville de l’an 2000.

A - Les traits ruraux de Cantonville

1- Le goût de l’association, tant intra-paroissiale qu’à l’extérieur de la paroisse. On favorise la sociabilité pour la sociabilité, indique Hugues. À l’Anse-aux-Gascons, Rioux en 1957 relèvera un trait apparenté. [16]

2- L’homogénéité des intérêts économiques, sociaux et culturels. Vingt ans plus tard, ce sera moins vrai : ne reste que la religion pour conserver une homogénéité imperturbable.

En 1955, par exemple, le compte-rendu que fit le journal du collège de la conférence aux journalistes étudiants dont je parlais au début nous montre un Claude Ryan insistant sur le rôle du catholicisme comme moyen de maintenir une vision d’homogénéité sociale, à l’heure d’une société canadienne française ébranlée par l’industrialisation et l’urbanisation.

3- La cohésion sociale basée sur le trinôme famille-paroisse-communautés religieuses, ces dernières étant là pour assurer l’équivalent de services sociaux collectifs, essentiellement l’école et l’hôpital.

4- La réalité économique est un capitalisme, mais un capitalisme commercial d’abord, bien plutôt qu’agricole. Les Canadiens français, indiquera Hugues les comparant à l’Ontario, « ne sont pas une nationalité à fonction agricole dominante ». [17]

5- L’importance de l’élément anglais ne repose pas sur son importance numérique. Ce qu’expliquent deux éléments aux yeux de Hugues : le poids de l’activité économique nouvelle, d’une part, et de l’autre le fait qu’un groupe d’Anglais, non averti des ententes tacites entre les deux groupes ethniques, s’est introduit dans la société; Hugues les nomme les « ethnies managériales. »

6- La population est proche : elle est peu faite de migrations extrarégionales.

7- Il y a peu de formation professionnelle. C’est la famille qui est sa propre école et son agence de placement, et ce, particulièrement remarquable, même à l’usine.

8- La classe scolarisée (les élites) est moins adaptable aux nouvelles réalités économiques que ne le seront les classes laborieuses. Ceci en raison même de ses modes de recrutement et de formation, observe Hugues, centrés sur l’Église et les professions libérales.

9- L’instruction des francophones est en opposition avec celle des anglophones : programme d’études, carrières, ambitions, etc.

10- La stratégie de développement économique des élites locales s’appuie sur l’aide et l’initiative de l’extérieur (compagnies d’électricité, usines de textiles, etc.)

Contre ce profil se révèle en filigrane un autre régime de traits.

B - Les traits nouveaux de Cantonville

À ces traits dits ruraux se mêlent en effet dans l’interaction de nouveaux traits, assez différents.

1- Stabilité de la main-d’oeuvre. C’est un phénomène qu’on découvre sous l’effet du régime du salariat en même temps qu’on voit apparaître des bassins de main-d’oeuvre.

2- La main-d’oeuvre féminine fait acte de présence sur le marché aux côtés de la division du travail prévalant dans l’unité économique traditionnelle, la famille.

3- La position sociale des élites tend à changer et ce, de trois façons. D’abord, cette position doit s’adapter à un nouveau groupe d’Anglais : auprès de ceux-là, on le sait, ne tiennent plus les conventions antérieures entre les deux mentalités.

Ensuite, les élites voient changer la hiérarchie des valeurs auprès des gens qu’elles encadrent.

Hugues là-dessus formule, par exemple, cette réflexion prémonitoire sur la famille en ville, donc la famille sans patrimoine : « Une famille qui se passe d’avocat est peut-être plus urbaine que celle qui en a besoin d’un, » écrit-il. [18] Peut-on voir ici l’esquisse d’un trait nouveau? Quarante ans plus tard, on verra par exemple, en milieu urbain, advenir autour du patrimoine ou des attributions familiales en milieu rural (prendre soin du père, des enfants plus jeunes), une formule d’Aide juridique compensant, dans une société de droits, l’habitude de s’être passé de la relation personnalisée avec l’homme de loi.

En troisième lieu, l’élite, pour maintenir sa position sociale, doit inventer une nouvelle stratégie de développement commercial et de développement industriel. Le but consiste à contrôler à son profit le travail de sape, dirais-je, par lequel la vie à la ville mine sa position économique traditionnelle. Par exemple, l’élite développe les Caisses populaires en tant que moyen de rassembler du capital de risque au bénéfice des « contracteurs » et des entrepreneurs [19] ; ou encore elle consolide ses institutions financières, par exemple les mutuelles d’assurance.

4- L’activité économique visible est canadienne-française, le contrôle est anglais.

5- Apparaît dans les foyers et les familles une attitude familiale relativement nouvelle, soit le fait d’en arriver à vivre d’expédients en zones défavorisées. S’agirait-il là d’un trait annonciateur de nouveauté : on peut remarquer que semblable attitude se retrouvera à l’état endémique dans certains coins du Québec trente ans plus tard. Par exemple, selon le constat que l’on pouvait faire sur le terrain par observation participante à l’époque du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec.

6- Prend naissance un électorat typique. Il est facile aujourd’hui d’y reconnaître celui de l’Union nationale, idéologie politique ayant fleuri depuis le congrès de Sherbrooke des années 30 jusqu’en 1960. Il s’agit, selon Hugues, d’une idéologie fondée sur un préjugé favorisant les industries traditionnelles, et les « gérants de l’industrie », – son expression –, en même temps qu’elle s’affirme comme adepte du « conservatisme traditionnel », replié à l’intérieur de la paroisse. [20]

7- Au milieu de celle-ci passe entretemps la césure ville/campagne. Ainsi, par exemple, d’une part les ouvriers ne font pas de bons marguillers, note Hugues. D’autre part, l’Église court-circuite l’élite traditionnelle, écrit-il encore, en favorisant l’émergence d’un encadrement et d’un leadership populaire à travers les mouvements d’Action catholique, ceux-ci s’occupant surtout de la question ouvrière. Ouverture internationale, formation du militant, etc.: on assiste aux débuts de la socialisation politique d’une nouvelle classe.

Celle-ci, on le sait maintenant, sera celle de la Révolution tranquille, du moins, à terme.

8- Sur le plan pastoral, la délégation des vicaires de paroisse, aperçue par Hugues dans ces mouvements d’action catholique, n’en annonce pas moins, quoiqu’à distance encore, la sécularisation à venir. Après la répartition des pasteurs selon des clientèles cibles (enseignement, adultes, chômeurs, jeunes ruraux, etc.) et l’avènement de la formation profane l’accompagnant, le pas suivant de cette répartition est la professionnalisation du pasteur devenu psychologue, travailleur social, etc.

9- S’expriment, à la faveur d’une culture politique vécue du rapport dominant-dominé, les deux sens du terme nationalisme ou de l’épithète nationaliste. Ces deux sens ne sont pas toujours distingués dans Hugues : nationaliste veut parfois dire patriote, pour désigner les vertus de l’identité collective et, d’autre part, successivement ou simultanément depuis ce premier sens, voudra dire social-démocrate au sens québécois des années 70 et suivantes, c’est-à-dire branché à la fois sur la croissance intensive et l’égalitarisme (Paquet et Wallot, [21]).

10- Les couches supérieures doivent sacrifier un peu de leur admiration et de leur désir d’émuler les Anglais et les façons de faire de ceux-ci, afin de se concilier le sentiment populaire des « couches exploitées ». Ça aussi, c’est dans Hugues.

11- La proportion des locataires par rapport aux propriétaires, déjà inférieure dans la ville rurale, où elle est  explicable par la distribution de la propriété foncière, s’accroît maintenant à mesure de l’arrivée en ville. La nouvelle condition de propriétaire y frôle la prolétarisation. [22]

12- Séparée de la terre et du village, la vieillesse prend déjà un statut de réalité dispendieuse.

13- Finalement, la culture locale, où Hugues discrètement fait ressortir, par exemple, les débats sur l’école, emmagasine déjà les germes de ce qui sera le produit politique le plus remarquable de la Révolution tranquille, quarante ans plus tard : une classe moyenne, habile à se constituer aux postes de commande (l’État, les syndicats, les Fonctions publiques), et y établir la situation collective à son profit d’experts du social, de l’économique, de l’administration, de la réhabilitation, etc. Autrement dit : une classe scolarisée versée dans « l’utilisation administrative des sciences sociales. » (Hubert Guidon).

À la lumière de ces traits nouveaux de Cantonville, on peut donc dire, les prenant les treize ensemble, qu’il n’y a pas seulement qu’égoïsme de classe dans la segmentation du Québec d’aujourd’hui entre les riches et les pauvres. Le terrain de la segmentation était là, dans la culture. Hugues, par exemple, concluant l’un des chapitres, énonce cette réflexion surprenante en 1937: « Les valeurs de l’habitant ont essentiellement un caractère de classe moyenne », entendre esprit d’économie, sens de la propriété et de l’accroissement matériel; goût de l’indépendance, idéal de la propriété; « alors que son statut économique dans Cantonville est celui d’un prolétaire. » [23]

C’est écrit en 1942! Les « parvenus de la Révolution tranquille », comme nous appelait le ministre Pierre Marois en 1978, ont depuis solidement pris en main la situation, merci. Nous voici, dit en effet le Rapport de la Commission des Affaires sociales daté de ce mois, février 1989, nous voici pris avec un Québec et deux sociétés. Sur la carte du Québec, en dehors de trois corridors Nord-Sud où s’agite la classe moyenne et riche, se déploie et se perd le Québec des jeunes, des itinérants et des vieux, le Québec, en somme, pour reprendre le terme de Hugues, des « prolétarisés  » de 1989.

J’arrêterai donc là-dessus la description de cette apparition de traits nouveaux à Cantonville déjà dans Hugues.  La simple nomenclature nous aide suffisamment à voir se profiler les grandes dimensions de cette opération de rattrapage dans laquelle allait s’absorber le Québec, quelque vingt-cinq ans plus tard, sous le vocable de Révolution  tranquille.

Mais le tableau suggéré est-il pour autant épuisé ? On m’a demandé de parler de l’évolution sociale et culturelle de Drummondville suivant une relecture de Hugues cinquante ans après. Nous venons d’apercevoir ce portrait de Cantonville tracé par Hugues, en y ajoutant l’éclairage de sa relation avec l’évolution subséquente du Québec. Mais cet éclairage en abolit-il à tout jamais l’effet de relief ?

Je suis plutôt d’avis que non, en ce qui concerne du moins le Québec d’aujourd’hui, et je voudrais élaborer un peu sur cette opinion en terminant.

Commençons donc d’abord par rappeler le chemin que nous avons entrepris.

Au point de départ, je vous aurai proposé de nous arrêter sur un premier modèle économique, que j’appellerais volontiers sociologique. Car ce modèle me semble jusqu’ici avoir été peu exploité quant à commenter l’ouvrage de Hugues. Il s’agit du modèle nord-américain de la Ville Rurale ou Country Town, tel que déployé au tournant du 20e siècle par l’économiste Thorstein Veblen. C’est avant l’arrivée, pour tout dire, de l’industrie.

Survient la venue de l’industrie. L’étude de Hugues à Drummondville nous dévoile alors, en deuxième partie de l’exposé, un second modèle, Cantonville, modèle de ville industrielle. Fidèle au courant de l’École de Chicago [24], ce modèle prend ici valeur d’étude pilote pour l’étude d’un véritable processus de transition.

On aura donc pris le temps, dans cette deuxième partie, de relever les éléments de cette transition, c’est-à-dire d’exposer à la fois les traits ruraux affectant Drummondville au moment où Hugues s’y installe, et les traits nouveaux qu’à travers la rencontre de ceux-là le modèle de Hugues débusque et organise en une description devenue classique de l’industrialisation  et de l’urbanisation du Québec

Nous abordons là-dessus notre troisième partie.

III– CANTONVILLE AUJOURD’HUI

Publié en 1943, le portrait de Cantonville, vient-on de constater, peut assez bien vivre jusqu’à aujourd’hui, moyennant certaines adaptations. Sur cette lancée, c’est-à-dire hors de toute considération de méthode, augurerait-il donc aussi de l’avenir ?

Assez téméraire qui saurait le dire.

Mais un ordre intéressant de données existe, le plan démographique. Sur ce plan au moins peut-on essayer de rapporter les traits du modèle de Hugues au contexte de ce qui est prévisible au Québec. Puisqu’il s’agit là d’un domaine, la démographie, où les praticiens ont assez directement pour métier de prévoir. [25]

Sur ce plan démographique, je voudrais donc, en guise de conclusion partielle sur l’avenir historique du modèle, vous convier à regarder aux deux bouts de la chaîne des générations : les enfants et les vieux.

Remarquons pour commencer le fait que Hugues dans son ouvrage ne fait pas l’histoire des vieux de Cantonville. Il se borne à noter qu’en ville la vieillesse est dispendieuse; elle survient entourée de la famille, sur laquelle elle exerce une ponction économique plus forte qu’à la campagne. C’était en 1937. Quel serait aujourd’hui l’entourage des personnes ayant atteint le seuil de la vieillesse, par exemple, d’ici la fin du siècle ?

Prenons la grandeur des familles. En 1985 au Québec, si une personne a 65 ans, elle possède encore trois chances sur quatre d’avoir au moins deux enfants en vie et plus d’une chance sur deux d’en avoir trois. Voilà pour l’entourage.

Mais regardons l’entourage des générations suivantes, les générations d’après 1985. Si une telle personne de 65 ans fait partie des générations suivantes, la situation change radicalement, ces autres générations ayant une assez bonne chance de se révéler autrement moins pourvues et avantagées sur ce dernier plan. Entretemps seront en effet intervenus des changements ayant affecté, tout à trac : les conditions économiques des familles, celles de l’emploi, de la main-d’oeuvre féminine (famille à double revenu) ou celles de l’éducation des enfants.

Rappelons en passant que sous ce dernier aspect de la grandeur des familles, Hugues ne fait pas non plus l’histoire des enfants à Cantonville. Mais il peut être intéressant de se reporter aussi à ce premier bout de la chaîne.

Ainsi, par exemple, en va-t-il de l’étalement de l’âge auquel on donne naissance. Dans le modèle d’Horace Miner par exemple (Saint-Denis. A French-Canadian Parish, 1939), tout comme aussi à Cantonville du temps de Hugues, il existe telle chose que l’étalement de l’âge auquel on donne naissance. On peut imaginer assez facilement par exemple qu’en 1937, le dernier d’une famille de onze enfants n’aura peut-être jamais vu son père autrement qu’avec des cheveux gris. Si l’on s’en réfère à la fois aux modèles de Miner et de Hugues, il aurait donc pu fréquemment arriver à Cantonville que – selon le rang de l’enfant dans la famille – aux yeux des derniers enfants le père et la mère de famille, leurs parents, ne semblent pas appartenir au même groupe d’âge adulte qu’aux yeux des plus vieux enfants. Une autre façon de le dire serait ici de relever la disparité entre l’aîné et le dernier d’un même mariage.

Cela étant, dans le Cantonville d’aujourd’hui, on chercherait longtemps avant de retrouver une telle disparité entre l’aîné et le dernier d’un même mariage, par exemple. On peut imaginer que, sur le plan d’un processus de socialisation, la perception du monde chez le nouvel enfant de Cantonville serait donc ici autrement construite.

Ce n’est pas le seul indice d’un changement. D’autre part, en effet, la probabilité pour un enfant d’être le premier enfant de sa famille a augmenté considérablement dans la famille d’aujourd’hui. Si on regarde la démographie du début des années soixante, la probabilité de grandir doté du statut d’aîné de famille était de 25 pour cent; elle s’établit aujourd’hui à presque le double (44 pour cent). Allons voir le rang contraire, celui de se retrouver derrière l’aîné de famille. La probabilité de se retrouver derrière plus vieux que soi dans sa famille devient deux fois plus rare. Prenons, par exemple, la probabilité de se retrouver derrière un aîné de dix ans ou plus que soi. Ce qui était le lot de dix pour cent des enfants en 1961 à baissé aujourd’hui à cinq pour cent.

En fait, au moment où l’on se parle, l’enfant qui a eu 10 ans au début des années 80 aura, sept fois sur dix, grandi au milieu des attentes parentales qu’on adresse habituellement soit au rôle de premier né, l’aîné de famille (34%), soit au rôle de cadet, de dernier né (39%) de la famille. Cependant que l’écart d’âge correspondant avec un frère ou une sœur – souvent l’unique frère ou sœur – sera habituellement de cinq ans en 1989.

Comparons ces données avec l’époque de Hugues à Drummondville : l’écart d’âge sur le terrain permet à Hugues de voir les enfants assister aux cérémonies rituelles (mariages, funérailles, ordinations religieuses) ayant pour sujet les plus vieux de leurs frères et sœurs.

Portons-nous aux années à venir, par exemple quant à l’enfant à naître au début des années 90. De ces enfants à naître, neuf sur dix seront vraisemblablement ou bien un aîné ou bien un benjamin (dans une famille ramenée à deux enfants) ou soit, encore, l’enfant unique. Par rapport à ce que Hugues pouvait observer en 1937, on voit que l’éventail des rôles de l’enfant dans la famille s’est replié.  Grandir, neuf fois sur dix, dans un ménage basé sur une échelle du rôle d’enfant réduit à l’un seulement de ces trois rôles (aîné, benjamin, enfant unique) modifie le point de vue que l’enfant développe sur le monde, de nous laisser présager la démographie.

Ce n’est pas tout. À l’influence de ce changement d’effectif du ménage sur la socialisation de l’enfant, il convient sans doute d’adjoindre, en ce qui nous regarde aujourd’hui, l’apparition de la monoparentalité, phénomène social nouveau voire récent. Par exemple, 45% des enfants nés entre 1975 et 1977 – soit quarante ans après l’étude de Hugues – auront connu, avant d’avoir 20 ans, la rupture d’union ou l’absence d’union de leurs parents biologiques.

D’autre part, s’ajoute aujourd’hui un autre effet sur la socialisation de l’enfant. Soit le transfert concomitant de responsabilités sociales à d’autres agents que la famille. Comparé à l’empire de la vie quotidienne de la famille sur ses membres, tel que restitué un peu partout à travers l’ouvrage de Hugues, ces nouveaux agents sociaux (garderie, médias, maternelle, par exemple) apparaitraient tout bonnement étrangers au milieu familial de Cantonville. Étrangers ? Sans doute, à l’exception, peut-être, de ce qui concernerait l’effet des salles de cinéma sur les membres de la famille, en contradiction, observe Hugues, avec celui de la chaire du dimanche.

En résumé, ces quelques observations sur la socialisation de l’enfant et, en contrepartie, sur les nouveaux modes de vie des adultes, en tiendraient donc dans l’image d’un Cantonville d’aujourd’hui pour une sorte de vide, l’angle mort du modèle de Hugues, un trou noir.

Par exemple, dans le modèle de Hugues, la succession des élites ne semblait pas faire problème. (Au reste, ceux et celles qui lisaient Hugues comme un roman à clef, m’était-il apparu à quatorze ans d’après les notes manuscrites de lecteurs inscrites dans les marges, y reconstituaient sans peine les réseaux de parenté et d’alliances). Par la succession des élites, il y avait homogénéité, pouvait-on y voir illustré, dans la transmission des valeurs d’une génération d’élites à la suivante. Ainsi du président de la Commission scolaire Napoléon Garceau au maire Garon, par exemple, toutes proportions gardées.

Et le modèle, devra-t-on noter, s’exportait à travers le temps ! On a pu voir ainsi les élites nouvelles selon Hugues, c’est-à-dire celles formées par le clergé au contact du monde ouvrier, être récupérées assez facilement par la suite à la faveur de la Révolution tranquille, cette fois, dans le giron des valeurs établies du modèle économique québécois, économie mixte et coopératisme (Paquet ; Guindon).

Cependant, ramenons un trait évoqué précédemment: l’éventail de trois statuts d’enfant (unique, premier, dernier) rendus disponibles par la démographie. On peut se demander là-dessus, à propos de la succession des élites, dans quelle mesure influe sur la transmission des valeurs entre jeunes et moins jeunes le fossé désormais créé par des expériences d’enfant aussi divergentes que celles-là. Or, voilà un problème de leadership proprement inimaginable dans le Cantonville de 1937.

Je crois donc que si l’on voulait, restant fidèle à son actualité, refaire aujourd’hui la démarche de Hugues à Drummondville, il faudrait ainsi, tout autant qu’à l’effet d’un processus social comparable à celui de l’industrialisation de Drummondville à l’époque, porter aujourd’hui de la même façon attention à « la réorganisation constante des valeurs et des modes de vies » (Hugues) induits cette fois-ci par d’autres tendances lourdes de la réalité.

Voilà pourquoi, dans cet esprit évoqué par Hugues d’une « réorganisation constante des valeurs et des modes de vie », je me permettrais de conclure mon exposé sur l’évolution sociale et culturelle de Cantonville en risquant deux suggestions sur les suites à donner à notre rencontre d’aujourd’hui. Deux idées, l’une d’une suite théorique, l’autre d’une suite pratique.

La suite théorique vient du fait que le sujet abordé dans l’ouvrage de Hugues semble sous plusieurs angles proprement inépuisable. Or, nous voici maintenant à réfléchir sur le cinquantième anniversaire de l’ouvrage et voici, la même année, les vingt ans du Cegep de Drummondville.

Je suggérerais donc, à ce propos, qu’on entreprenne, ici même à Drummondville, d’exploiter les effets intellectuels de l’ouvrage de Hugues. Une façon de le faire serait de mettre sur pied, pour marquer ce double anniversaire, un centre d’études socio-économique Everett C. Hugues. Un tel centre d’étude pourrait commencer par se donner, profitant des ressources existantes sur les lieux, un programme multidisciplinaire d’études et d’intervention en développement. La cohérence en serait motivée explicitement par le souci d’adapter l’élan intellectuel de Hugues aux conditions d’aujourd’hui.

Par exemple, un semblable programme m’apparaîtrait apte à alimenter un colloque multidisciplinaire régulier comme celui-ci. Quitte à imaginer pour plus tard une reconnaissance officielle (par l’Université de Chicago, pourquoi pas?) et un budget récurrent.

En tous cas, les thèmes pour ouvrir la réflexion sur Drummondville, sans doute, ne manquent pas : les études urbaines au Québec, la dimension internationale des petites et moyennes villes du Québec, l’intégration des immigrants et les relations interethniques hors la métropole, et j’en passe. Il s’agirait de rattraper à la volée la question importante d’une réflexion se voulant locale, c’est-à-dire : où et comment, dans l’un ou l’autre de semblables champs, se distingue comme phénomène urbain le nouveau Cantonville ?

Voilà pour une première suggestion.

Ma seconde suggestion est inspirée des modèles sociologiques que nous avons vu se juxtaposer sur l’histoire de Drummondville. Nous avons en effet avancé l’hypothèse qu’il y a dans la structure sociale fondatrice de la ville, telle que l’établit Hugues, cette double influence d’un modèle nord-américain, Veblen, et d’un modèle québécois, Hugues. Pourquoi alors ne pas se demander si nous ne serions pas ici les seuls produits de cette double influence et ne pas tenter l’expérience suivante : jumeler Drummondville avec l’une ou l’autre de ces anciennes villes rurales nord-américaines devenue à son tour ville industrielle? L’une de ces anciennes « Country Towns » comparable, bref, plus ou moins elle aussi industrialisée par les « étrangers » (Hugues) il y a cinquante ans, à l’image aujourd’hui de « Cantonville » ?

Dans l’axe Nord-Sud d’un corridor allant, par exemple, de la nouvelle Silicon Valley des environs de Boston jusqu’à Atlanta, on peut supposer sans trop de difficulté qu’un apparentement ou une complémentarité d’ordre économique, technologique ou sociologique puisse prendre place entre deux sites urbains, dont l’un serait Drummondville. Il s’agit sans doute d’une complémentarité n’attendant qu’à être découverte; en somme, qu’à être actualisée par une poignée d’esprits curieux et entreprenants – comme il en a été par exemple  de l’idée d’un Festival international de Folklore ici il y a peu.

Préparant cet exposé, en tout cas, je revoyais des extraits d’un livre de Jack Kerouac sur une adolescence dans une ville de textiles de la Nouvelle-Angleterre autour de 1938, à l’époque précisément de Hugues au Québec. J’y découvrais des transpositions saisissantes de ma propre adolescence à Drummondville.

Par exemple, le pont de la rue Hériot sur la rivière Saint-François. Voici, à Lowell, Mass., un gars le soir :

« Me voici près du pont, pour la sixième fois aujourd’hui, cent pieds au-dessus de l’eau, je regarde en bas pour voir les minuscules ruisseaux latescents du Temps gelé gargouillant dans les goulots déchiquetés des rochers, le reflet des parodies stellaires dans les profondes mares noires; le cri d’oiseaux étranges se nourrissant de brume – le claquement des arbres de Riverside tandis que j’avance en trébuchant, le nez pincé, silencieux, sur le chemin de la maison. » [26]

Je me permets de terminer sur ce texte de Kérouac, parce que la suggestion d’un jumelage de Drummondville avec une localité étatsunienne que je viens de faire n’est peut-être, en fin de compte, rien d’autre que la recréation, chez celui qui vous parle, de ce rêve ou d’un autre semblable.

Mais encore faut-il rêver.

Dans un recueil bellement intitulé Poèmes sauvés du monde, un poète originaire de Drummondville, Yves Boisvert, a écrit là-dessus cette pensée sur laquelle je voudrais maintenant vous laisser :

« (…) je rêvais
d’un autre monde d’une autre vie d’un autre rêve
je crois que je rêvais
je croyais que rêvait l’autre rive aussi  » [27]


Eh bien, voilà : l’autre rive, c’est vous autres !

Merci de votre attention.

Richard Fournier
Drummondville, 22 février 1989


[1] Avant-Propos, 1944, dans : Everett C. Hugues : Rencontre de deux mondes. Préface et traduction de Jean-Charles Falardeau, Les éditions du Boréal Express Ltée, Montréal, 1972, 390 pages : p. 4.

L’édition originale rappelée au texte est de 1943 : French Canada in Transition, The University of Chicago Press, 1943, 227 pages.

[2] Hugues : Préface de 1963, op. cit. : p. 13.

[3] « La seconde manière d’envisager les relations des deux groupes ethniques est de noter, comme c’est souvent le cas, que l’un des groupes constitue par rapport à l’autre une minorité culturelle qui a ses propres raisons de vivre associées à des tradition et à des institutions autonomes. Une telle minorité peut même constituer le groupe des premiers occupants du pays. L’histoire en fait un groupe politiquement dominé « par un peuple d’« envahisseurs » ou de « conquérants ». Mais cette minorité n’en perds pas pour autant, bien au contraire, son désir de survivre et de s’affirmer. Elle forme une enclave culturelle dans un pays à la vie duquel elle veut participer de façon originale. » Hugues, Essais sur le  Québec contemporain. Édités par Jean-C. Falardeau, Les presses universitaires Laval, 1953, 260 pages : p. 219.

De même Everett C. Hugues,  « The Industrial Revolution and the Catholic Movement in Germany, The Sociological Eye, Transaction Books, New Brunswick (USA) and London (UK), 1984.

[4] Karl Polanyi, The Great Transformation, Beacon Press, Beacon Hill, Boston, 1957.

[5] Thorstein Veblen, « The Country Town, » in: Absentee Ownership and Business Enterprise in Recent Times : the Case of America (1923), dans : Max Lerner, The Portable Veblen, The Viking Press, New York, 1960, 632 pages : pp. 407-431.

[6] Ainsi (The Leisure Class, 1899) de la notion de consommation ostentatoire.

[7] Ernestine Charland-Rajotte, Drummondville. 150 ans de vie quotidienne au cœur du Québec,  Drummondville, Éditions des Cantons, 1972, 153 pages : p. 46. La source ne précise pas si la comparaison inclut la campagne de Drummondville, mais on peut remarquer l’ordre de grandeur.

[8] Hugues, Préface de 1963, op. cit. : p. 4.

[9] Hugues, Rencontre de deux mondes, p. 20-22.

[10] Veblen, op. cit., p. 421. Notre traduction.

[11] Hugues, Avant-Propos, 1944, loc. cit. : p. 4.

[12] Hugues, Rencontre de deux mondes, p. 61.

[13] Hugues soutiendrait ici la thèse qu’un capitalisme étranger allait emporter cet équilibre social et, avec celui-ci, la société canadienne-française. Voir Hubert Guindon, The Social Evolution of Québec, in Marcel Rioux et Yves Martin, French Canadian Society, I, McLelland and Stewart, The Carleton Library no.18, 1964 : p. 149.

[14] Hugues, Avant-Propos de 1944, op. cit.

[15] Ce dernier cadre comparatif constitue « la charpente fondamentale » de son ouvrage sur le Québec, explique Hugues dans Rencontre de deux mondes, p. 5. Voir l’inspiration dans : Everett C. Hugues, The Sociological Eye, loc. cit. : 255-265.

[16] Marcel Rioux, Belle-Anse, Ministère du Nord et des ressources naturelles : Musée national du Canada. Ottawa, 1957, 125 pages.

[17] Hugues, Rencontre de deux mondes, p. 49.

[18] Hugues, op. cit. : p. 135.

[19] Voir un modèle de disposition de capital liquide actualisé par Gary Caldwell : « Révolution du pouvoir dans le Caisses populaires : technocrates et notables dans le même lit, sous la couverture de la morale coopérative, pendant que les intellectuels ferment les yeux », in : Acfas, 1979 : La transformation du pouvoir au Québec, Québec, Éditions Albert Saint-Martin, 1980.

[20] Hugues, op. cit. : pp. 162 ; 302-303.

[21] Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot, « Sur quelques discontinuités dans l’expérience socio-économique du Québec : une hypothèse », Revue d’histoire de l’Amérique française, 35, 4, mars 1982.

[22] Hugues, loc. cit. : p. 306; 319.

[23] Hugues, loc. cit. : p. 301.

[24] Hugues, loc. cit. : p. 327.

[25] Les données démographiques que j’utilise ou interprète ici proviennent des sources suivantes :

1- De « L’étalement de l’âge auquel on donne naissance de l’étude originale de Marcel Gratton » sur L’Enquête sur la famille, Statistique Canada, 1984 ;

2 - De travaux de Yves Peron et Jacques Légaré sur le vieillissement des  populations ;

3- De l’article: « Le changement familial aspects démographiques, » de Yves Peron, Évelyne Lapierre-Adamcyk et Denis Morissette : Recherches Sociographiques, XXVIII, 2-3, 1987 ;

4 – De l’article « La situation démographique du Québec en 1985 et en 1986 », de Louis Duchesne, Bureau de la statistique, Direction des statistiques sur la population et les ménages du Québec.

[26] Jack Kerouac, Maggie Cassidy, Québec/Amérique, Montréal, 1984, 243 pages : p. 97.

[27] Yves Boisvert, Poèmes sauvés du monde, Écrits des Forges, Trois-Rivières, 1985, 69 pages : p. 10.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 4 juillet 2015 18:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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