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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Pierre Fournier, Yves Bélanger et Claude Painchaud, “Le capital québécois: perspectives de développement.” in ouvrage publié sous la direction de Pierre Fournier, Capitalisme et politique au Québec. Un bilan critique du Parti québécois au pouvoir, chapitre 1, pp. 21-52. Montréal: Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1981, 292 pp. [MM. Fournier et Bélanger nous ont accordé respectivement le 10 mai 2006 et le 22 mai 2005 leur autorisation de diffuser en libre accès libre à tous l’ensemble de leurs publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[21]

Pierre Fournier, Yves Bélanger
et Claude Painchaud


Le capital québécois :
perspectives de développement
.”

in ouvrage publié sous la direction de Pierre Fournier, Capitalisme et politique au Québec. Un bilan critique du Parti québécois au pouvoir., chapitre 1, pp. 21-52. Montréal : Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1981, 292 pp.

Introduction [21]
1. La structure de l'économie québécoise et le capital [21]
a) Le capital américain [22]
b) Le capital canadien [24]
c) Le capital québécois [25]
d) Les effets du développement capitaliste au Québec [26]
2. Les bases du capital québécois [33]
a) Éléments de définition [33]
b) Sphères d'activités et développement [34]
3. Le capital québécois : perspectives de croissance [42]

a) Le rôle de l'État québécois [42]
b) Une pluralité d'intérêts [46]
Notes

Introduction

Nous examinerons tout d'abord cette classe qui n'a cessé de s'affirmer depuis la révolution tranquille et dont le poids économique et politique se fait de plus en plus sentir : la bourgeoisie québécoise. Nous traiterons respectivement : 1) de l'économie québécoise et des bourgeoisies en place, 2) des assises du capital régional québécois et 3) des perspectives de croissance et de développement de celui-ci. Par l'intermédiaire de cette analyse, nous allons démontrer que le capital québécois s'est non seulement appuyé sur l'État québécois, mais qu'il s'est bâti dans et autour de cet État. Cette caractéristique sera d'ailleurs essentielle pour bien saisir les principaux volets de son expansion : l'accroissement de son emprise sur le marché québécois et son ouverture aux marchés extérieurs. Cette bourgeoisie ne forme ni un bloc monolithique, ni un ensemble homogène. En effet, plusieurs intérêts contradictoires la traversent et nous interdisent de l'associer intégralement à un projet économique donné.

1. La structure de l'économie québécoise
et le capital


Cette première section sera consacrée à l'étude de l'espace économique occupe par les principaux intérêts capitalistes évoluant au Québec. Nous examinerons la place respective du capital américain, canadien et québécois. Nous porterons une attention particulière à [22] la relation Canada-Québec et aux effets qu'a eus le développement du capitalisme au Canada sur le Québec, et conséquemment sur la bourgeoisie qui s'y est formée.

a) Le capital américain

Brosser un tableau de la structure industrielle du Québec, c'est mettre en relief l'étroite jonction, pour ne pas dire la dépendance qui existe avec les capitaux canadiens et américains. Déjà en 71, le rapport Gray démontrait l'importance de cette réalité économique. En effet, 60,3% du secteur manufacturier, 40,3% du domaine minier et 44 % de la sphère transport, entreposage, communications et services publics étaient dans la seconde moitié des années 60 sous domination étrangère. Pour le Canada, les seuls capitaux américains contrôlaient en 1967, 45% du secteur de la fabrication, 60% de la branche pétrole et gaz et 56% des mines [1].

Or, ces investissements étrangers sont d'abord américains et plus accessoirement britanniques. En 1976, les sociétés américaines totalisaient respectivement 44,7% et 32,19% du revenu imposable dans les domaines de la fabrication et des services. Au total des industries non financières, du 37,5% des revenus imposables présentés par les entreprises étrangères, pas moins de 79,4% provenaient des firmes sous contrôle américain [2].

Ces chiffres mettent en évidence l'importance de l'axe nord-sud, pour l'économie québécoise. Selon une analyse de l'institut C. D. Howe [3], le Québec s'est spécialisé dans l'exportation des produits semi-ouvrés (bois et pâtes de bois (47%), papier et carton (16%), métaux non-ferreux (12%, etc.). Les exportations de matières brutes ont totalisé 24,7% alors que celles d'animaux et d'aliments se sont chiffrées à 5,6%. Seulement 27,4% du total des exportations québécoises étaient constituées de produits finis, se situant à ce niveau nettement en deçà de l'Ontario.

Or, l'essentiel de ces expéditions est destiné aux États-Unis. En termes de marché, l'interdépendance est donc étroite. Mais l'influence américaine domine largement notre économie. Que nous parlions des branches pétrole et houille (100% des établissements sous contrôle étranger), des produits chimiques (78%), des produits du tabac (100%), de la métallurgie (54,5%), des produits minéraux non métalliques (73,1%), du caoutchouc (63,9%), du matériel de transport (55,5%), ou de la machinerie (83,7%), force nous est de constater cette présence étrangère surtout américaine [4]. Celle-ci se manifeste d'abord par l'exploitation des richesses naturelles et les branches énergétiques (hydro-électricité exceptée). Si, à certains moments, et par certaines politiques, (SOQUEM, SIDBEC, SOQUIP), l'État québécois a tenté de la réduire, ses efforts se sont surtout [23] orientés vers un resserrement des liens avec le capital étranger. Rappelons les propos du rapport Tetley :

La mutation des structures industrielles du Québec tient, dans une large mesure, à une politique à double volet : d'une part, elle suppose l'intégration à l'économie québécoise des entreprises étrangères qui canaliseraient alors, au sein de celle-ci, leurs effets d'instrument et rendraient disponibles au milieu l'ensemble des connaissances, techniques de gestion, de marché et centres qu'implique leur activité [5].

Le tableau I livre d'ailleurs un bon portrait de la présence étrangère en sol québécois. Comme nous l'avons déjà souligné, celle-ci est concentrée dans l'extraction des matières premières et dans certaines industries lourdes.

TABLEAU I
Répartition de la production manufacturière au Québec
(1974)

Québécois
francophones

Canadiens

Étrangers

Total

Aliments et boissons

34,5

31,4

34,1

100

Tabac

13,9

86,1

100

Caoutchouc

15,2

27,7

57,1

100

Cuir

31,9

40,4

27,7

100

Textile

7,3

56,1

36,6

100

Bonneterie

12,3

70,1

17,6

100

Vêtement

13

80,1

6,9

100

Bois

72,4

25

2,6

100

Meuble

45,5

44,6

9,9

100

Pâtes et papiers

6,2

60,6

33,2

100

Imprimerie-édition

46,2

49,7

4,1

100

Métaux primaires

25,6

57,1

17,3

100

Produits métalliques

24,8

57,8

17,4

100

Machinerie

13,6

9,8

76,6

100

Matériel de transport

34,2

5,6

60,2

100

Appareils électriques

3

49,6

47,4

100

Produits minéraux non métalliques

29,2

32,6

38,2

100

Pétrole et houille

0,2

99,8

100

Produits chimiques

6,1

5,7

88,2

100

Divers

21,9

31,4

46,7

100

TOTAL

21,5

38,9

39,6

100

D'après : Caractères ethniques de l'investissement au Québec, 1973-1974. MIC, Direction des politiques industrielles, février 1978.

[24]

Mais ce capital étranger, principalement américain, n'est pas isolé. Historiquement, il s'est articulé aux capitalistes anglo-canadiens. Du point de vue ethnique, il est presque « majoritairement composé d'anglo-saxons [6] ». Les retombées économiques qu'il produit ont aussi tendance à profiter d'abord aux capitalistes canadiens. L'enjeu qu'est le capital étranger a donc, de ce point de vue, un contenu canadien.

b) Le capital canadien

Au Québec, le capital canadien s'est essentiellement concentré dans. les industries de l'imprimerie et de l'édition (54,2% des établissements), des pâtes et papiers (49,6%), du meuble (55,9%), du bois (56,2%), du textile (31,9%), de la métallurgie (30,3%) et des aliments et boissons (25,6%). Il s'est également développé dans la branche financière, sphère où il est très bien implanté [7]. L'espace occupé au Québec est donc majeur. Mais pour bien saisir l'importance du Québec pour le capital canadien, il faut replacer ce dernier dans le contexte du Canada tout entier. Concentré en Ontario et notamment dans le sud de la province, il a été largement favorisé par nombre de mesures adoptées par le gouvernement central. En fait, d'autres l'ont déjà démontré, l'intérêt national canadien et, notamment, sa politique de maximisation de la croissance nationale, passent par la centralisation économique [8]. Tirant ses racines de la « National Policy », la « doctrine » du développement canadien a amené diverses mesures, dont des politiques fédérales de stabilisation et des mécanismes de gestion de crise qui sont axés vers les besoins des régions industriellement plus actives. Les politiques à long terme, dont la canalisation du Saint-Laurent, la politique nationale du pétrole, le pacte de l'automobile ou diverses politiques tarifaires ont été très largement profitables à l'Ontario et à l'Ouest canadien.

Ceci nous amène d'ailleurs à tenter une identification des intérêts de cette bourgeoisie canadienne pour laquelle le contrôle sur les régions et les régionalismes est crucial. Parce qu'il lui est indispensable de préserver l'intégrité de son marché, et parce qu'il lui faut maîtriser les outils économiques susceptibles de lui assurer « sa » gestion économique, la bourgeoisie a tout intérêt au maintien d'un Canada fort et centralisé. Le seul contrôle sur la représentation internationale et les organismes internationaux importants confirme cet intérêt.

En effet, grâce à cette centralisation, la bourgeoisie canadienne est en mesure d'assurer la priorité à ses ambitions dans la constante redéfinition de sa place sur la scène mondiale. Par exemple, grâce à la représentation de l'ambassadeur Jack Warren, coordonnateur [25] canadien aux négociations commerciales du GATT, accord paraphé à Genève le 11 juillet 1979, la bourgeoisie canadienne a obtenu une réduction de 40% des tarifs douaniers fixés par les États-Unis sur les exportations canadiennes.

Le plus récent projet de législation bancaire met en relief une autre intervention de cette nature. En effet, la dernière révision de cette loi (1979-80) répond essentiellement aux objectifs d'expansion internationale du capital canadien. La clause de réciprocité visant à favoriser l'accès des pays auxquels le Canada ouvre son marché financier confirme un tel intérêt. La centralisation et l'entier contrôle de la politique monétaire ou encore la haute main sur diverses activités économiques (défense, télécommunications etc.) la favorisent également. Elle doit disposer d'un État central fort pour préserver son marché et épauler son développement et ceci est tout particulièrement vrai pour les entrepreneurs opérant en Ontario. Le Premier ministre canadien P. E. Trudeau déclarait d'ailleurs au cours de la dernière campagne électorale fédérale :

Le gouvernement fédéral doit avoir des politiques sensées pour l'Ontario, parce que c'est de la vitalité de l'Ontario dont dépend la force économique du pays [9].


c) Le capital québécois

Parallèlement aux deux bourgeoisies identifiées (américaine et canadienne) s'est développée une bourgeoisie régionale québécoise dont l'essentiel des opérations est concentré sur la scène provinciale. La part des établissements contrôlés par les intérêts canadiens français (voir tableau 1) donne une idée, bien que fort imparfaite, des avoirs de cette bourgeoisie régionale. Ce point de vue est imparfait, car, nous le verrons ultérieurement, il tend à réduire la bourgeoisie régionale aux seuls intérêts francophones. Or, d'autres capitaux, qu'ils soient anglophones ou allophones, sont basés au Québec et partagent l'ensemble des caractéristiques du capital régional.

Ceci dit, il appert donc (selon le tableau 1) que cette importante fraction du capital régional que représentent les capitalistes québécois francophones, contrôle 40% des établissements de la branche aliments et boissons, 30,4% de celle de l'imprimerie et de l'édition, 44,5% du matériel de transport, 38,7% des produits métalliques, 22,1% du meuble, 36% du bois, 27,7% des tanneries etc. Au chapitre des expéditions manufacturières, la part de ces Québécois francophones se chiffrait, en 1974, à 34,5% dans les aliments et boissons, à 31,9% dans le cuir, à 72,4% dans le bois, à 45,5% dans le meuble, à 46,2% dans l'imprimerie et l'édition, à 34,2% dans le matériel de transport, à 29,2% dans les produits minéraux [10]. Dans les branches aliments et boissons, imprimeries et éditions, matériel [26] de transport, produits métalliques, bois et tannerie, ils employaient respectivement, en 1971, 40%, 30,4%, 44,5%, 38,7%, 36% et 27,7% des travailleurs.

Dans l'ensemble, cette bourgeoisie québécoise s'est donc développée dans les mêmes branches que le capital canadien. Elle est en concurrence directe avec ce dernier et son émancipation se heurte en tout premier lieu aux intérêts canadiens précisément parce que ceux-ci lui sont immédiatement opposés.

Rappelons, par exemple, que c'est le capital canadien et notamment la Shawinigan Water and Power (Power Corp.) qui ont cédé leurs champs d'accumulation à une société d'État québécoise, Hydro-Québec, entreprise qui a axé par la suite ses activités économiques (contrats de construction, d'ingénierie, activités internationales) vers le capital québécois. De même la création de Sidbec a visé explicitement à casser une structure de prix de l'acier déterminée par les trois grands monopoles ontariens soit Stelco, Algoma et Dofasco.

Que dire maintenant des interventions qui ont marqué le secteur financier ? Que nous parlions du cas du Crédit foncier ou de l'intervention de l'État provincial en vue de permettre au Mouvement Desjardins d'échapper à la législation bancaire fédérale, de l'adoption récente d'une mesure législative visant à permettre au même Mouvement Desjardins de se doter d'une caisse centrale, ou encore de la création de la Caisse de dépôt et de son rôle dans le circuit financier québécois, il appert que les interventions visant à épauler le capital québécois se sont faites aux dépens du capital canadien. Mais ce qu'il faut souligner, c'est le fait que cette bourgeoisie québécoise est à l'image de l'économie du Québec. Elle est en effet, 1) concentrée dans les industries légères et porte ainsi le poids du développement inégal du capitalisme au Canada ; 2) une part importante de ses exportations est écoulée sur le marché canadien, ce qui la lie à ce même marché. Ce sont d'ailleurs ces deux caractéristiques très importantes, qui nous permettront, un peu plus loin, de comprendre la diversité de ses projets d'expansion.

d) Les effets du développement capitaliste
au Québec


Au Canada, le capitalisme s'est développé inégalement et un des effets de ce développement inégal fut de concentrer l'industrie lourde en Ontario alors que le Québec hérita de l'industrie légère. Ce phénomène est la conséquence d'une plus rapide industrialisation ontarienne, de l'impact de l'axe économique du développement américain (axe qui s'est déplacé, surtout au XXe siècle, vers les Grands Lacs) et de l'adoption de diverses mesures, dont la canalisation du Saint-Laurent.

[27]

Ce développement inégal est directement responsable de la déficience et du débalancement de la structure industrielle au Québec. Alors que la province de l'Ontario, elle, présente une économie dépendante à 37,8% des industries productrices de biens non-durables, le Québec, pour sa part, en dépend à 58,7%. Inversement, le Québec ne totalise que 41,3% de l'industrie de biens durables contre 60,2% en Ontario. Indice d'une économie anémique, 60% de la population active, en 72, œuvrait dans le tertiaire. La structure occupationnelle des industries non agricoles montre que, même dans le tertiaire, c'est l'Ontario qui canalise l'essentiel des activités économiques, présentant une structure d'emploi moins axée vers les services et l'administration publique. Dans la sphère manufacturière, près de 50% des emplois au Canada sont concentrés en Ontario et ceux-ci comptent pour 26,9% des emplois totaux des industries non agricoles de la province, ces parts se chiffrant respectivement à 28,6% et 24,6% pour le Québec [11].

La comparaison des plus importantes industries de fabrication ontariennes et québécoises met en relief une très nette concentration des activités industrielles lourdes en Ontario. En effet, c'est dans cette province que se situe l'essentiel des industries de fabrication d'autos et d'accessoires d'auto, de sidérurgie, de fabrication de machines et d'équipements, d'emboutissage et de matricage des métaux.

Les seules sphères où le Québec présente une production comparable à celle de l'Ontario sont le raffinage du pétrole, les pâtes et papiers, l'industrie laitière, la fonte et l'affinage des métaux, la production des produits pharmaceutiques, l'industrie du meuble et la fabrication d'aliments pour animaux, Le Québec, outre ces domaines, se concentre surtout dans le vêtement et les industries liées au bois.

Cette structure manufacturière pose un problème aigu pour le capital québécois dans la mesure où les secteurs les plus profitables et les plus générateurs de retombées économiques sont concentrés dans l'industrie lourde. Les effets de cette structure se font sentir au niveau des conditions de vie des travailleurs. En effet, une des manifestations les plus importantes de l'oppression nationale pour les travailleurs québécois est la différence de salaire entre le Québec et l'Ontario. Cet écart se situait à environ 30$ par semaine en 1977. À l'analyse on se rend compte que ce différentiel salarial s'explique principalement par le biais de la structure industrielle. En effet, même si dans certains secteurs la parité n'a pas encore été obtenue, et ce malgré la combativité supérieure de la classe ouvrière québécoise, les salaires québécois sont assez proches de la moyenne nationale dans la plupart des secteurs. Le problème est que l'industrie [28] légère paie des salaires très inférieurs à ceux qui prévalent dans l'industrie lourde.

En 1978, par exemple, le salaire hebdomadaire moyen dans le vêtement au Québec se situait à 179,11 $, soit un salaire légèrement supérieur à la moyenne canadienne. Par ailleurs, les industries métalliques, chimiques et mécaniques entre autres, payaient des salaires supérieurs à 300 $ par semaine, les écarts entre la moyenne canadienne et le Québec étant réels mais relativement faibles. Il est donc évident que le fait que l'Ontario se soit concentré dans les secteurs plus rentables de l'industrie lourde explique en grande partie les écarts salariaux importants qui persistent entre les deux provinces.

L'inégal développement entre le Québec et l'Ontario s'est reproduit et maintenu au travers des politiques de l'État canadien. Par exemple, la canalisation du Saint-Laurent a amené un transfert de l'activité économique vers les grands centres ontariens, activités économiques jadis concentrées à Montréal. Au seul chapitre du trafic portuaire, de 38,2% qu'elle était en 1961, la part de Montréal chutera à 16,2% en 1973. De même, la ligne Borden qui partage le pays en deux zones d'approvisionnement pétrolier (étranger au Québec et à l'est, et canadien à l'ouest de l'Outaouais) a favorisé l'expansion de la pétrochimie en Ontario et la décentralisation du raffinage dans la zone est, deux mouvements qui ont désavantagé le Québec. Que dire maintenant du pacte de l'automobile qui, signé il y a quinze ans, a permis une centralisation des activités liées à cette industrie, toujours en Ontario. D'autres grandes politiques nationales vont d'ailleurs dans le même sens. Ce sera le cas de la politique agricole fédérale et même de là politique de développement régional. À ce dernier chapitre, l'O.P.D.Q. précise que des 411 000 emplois créés au Canada depuis 1961, le Québec en a accueilli 58 000 alors que l'Ontario a reçu la part du lion, soit 244 000 [12].

La récente synthèse des travaux du groupe Bonin [13] a fort bien souligné l'orientation générale des principales politiques économiques. Cette étude révèle en effet que tant les politiques structurelles, la politique commerciale, que les accords internationaux, pour ne mentionner que quelques-uns des nombreux cas soulevés, ont été axés prioritairement vers le pôle industriel canadien-ontarien, ce qui n'a certes pas épaulé le développement québécois. Les auteurs du rapport concluent :

Mais si on reste convaincu que l'intensité des efforts consentis aurait dû donner des résultats encore meilleurs quant à l'atténuation des disparités régionales, force est alors de reconnaître que, malgré la variété et l'ampleur des interventions du gouvernement central, le coup de pouce qui aurait été nécessaire pour y parvenir ne semble pas être venu de là [14].

[29]

La suprématie économique de l'Ontario n'est donc pas le fruit du hasard. La « National Policy » et la construction des chemins de fer ont grandement contribué à doter l'Ontario d'une solide infrastructure industrielle. C'est en bonne partie en marge de la construction ferroviaire que la sidérurgie canadienne s'est installée au sud de l'Ontario, et « il en va de même pour les industries lourdes et de biens durables, à haute technologie et aux emplois bien rémunérés [15] ».

Il serait facile de démontrer également que la concentration des pouvoirs économiques à Ottawa, et spécifiquement le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, a fortement avantagé l'Ontario. Ainsi, par exemple, « de 1961 à 1977, la part des dépenses du gouvernement fédéral directement créatrices d'emplois (salaires, biens et services, subventions et investissements) faites au Québec n'a été que de 20,6% contre 40% en Ontario [16] ». De même, si on examine les subventions du M.E.E.R. au Québec, on constate que, dans l'ensemble, on évite de favoriser le développement d'entreprises dans le secteur des biens durables [17]. On préfère concentrer les investissements dans les travaux infrastructurels et les secteurs qui n'entreront pas en concurrence avec des entreprises ontariennes existantes.

Ce type de développement capitaliste et les déséquilibres ainsi provoqués ont entraîné l'interdépendance des deux principales régions canadiennes. C'est ce que souligne le tableau 2. En effet, 75% des exportations québécoises destinées aux autres provinces sont absorbées par l'Ontario. Selon d'autres sources, il appert que ce sont essentiellement les aliments et boissons, le vêtement et le papier et ses produits connexes qui sont exportés vers ce marché, alors que le Québec, lui, importe de l'Ontario du matériel de transport, du caoutchouc, du fer, de l'acier, de la machinerie et du matériel divers ; dans chacune de ces branches, la demande du Québec totalise respectivement 30%, 36%, 62% et 52% des exportations ontariennes vers les autres provinces [18]. Il faut d'abord souligner que l'échange est surtout profitable à l'Ontario. En 1967, le Québec enregistrait un déficit commercial de 1/2 milliard $ avec cette province. L'Ontario représente un débouché pour 19,3% de la production des industriels québécois, le Québec, lui, n'absorbe que 11,2% de la production ontarienne [19], et ce même si les livraisons québécoises sur le marché ontarien se chiffraient en 1974 à 4,3 milliards $ alors que celles de l'Ontario vers le Québec étaient évaluées à 4,7 milliards $. Il appert d'ailleurs que ce sont les aliments et boissons (481 millions $), les textiles (308 millions $), les vêtements (314 millions $), le papier (452 millions $) et les métaux primaires (440 millions $) qui dépendent le plus du marché ontarien. Alors que le flux inverse pour les industries ontariennes est concentré dans les aliments et boissons (612,6 millions $), les produits chimiques (443 [30] millions $), les produits en métal (339 millions $), l'équipement de transport (445 millions $) et les produits électriques (449 millions $). Plus encore, coincé dans cet engrenage, l'écart entre les deux provinces n'a cessé de s'accroître.

TABLEAU 2
Destination des livraisons manufacturières du Québec

1974

Valeur en milliers
de dollars

%

% relatif

Québec

12 162 127

53,8

66,8

Ontario

4 515 605

20

24,8

Autres provinces

1 525 250

6,7

8,4

Total Canada

18 202 982

80,4

100

U.S.A.

3 308 035

14,6

94,1

Total autres pays

3 512 332

15,5

100

GRAND TOTAL

22 627 011

100


Étant acheteur de biens de consommation courante et de matières premières, l'Ontario entraîne les entreprises québécoises dans une voie réduite et contribue à reproduire les carences structurelles du Québec. Comme le tableau 2 l'indique, les textiles, les aliments et boissons, les vêtements et les papiers totalisent à eux seuls quelque 37% du total des expéditions vers les provinces canadiennes [20].

Autre dimension mise en relief par le tableau 3, les industries québécoises du tabac, du caoutchouc et plastiques, du vêtement, du meuble, des produits électriques et des produits chimiques écoulent plus de 40% de leur production sur le marché canadien hors Québec. Or, une seule industrie ontarienne, en occurrence la bonneterie, est dans une situation identique. Au total, 29,8% de la production québécoise de biens manufacturés est destinée aux autres provinces canadiennes alors que cette part est de 23,1% pour l'Ontario.

Cette situation globale mènera l'État québécois à divers affrontements avec l'État canadien. Ce fut le cas, récemment, lors de la querelle sur la taxe de vente. En refusant les mesures préconisées par l'État central (réduction générale de 2%), Jacques Parizeau a privé l'Ontario d'importantes retombées économiques et a aboli entièrement cette taxe dans les secteurs mous, maximisant ainsi les retombées locales de cette mesure. Récemment, une position ana-

[31]

Les 10 plus importantes industries manufacturières
et la destination de leurs livraisons, 1974

Destination

Vers les autres
provinces canadiennes

Vers les autres pays

Livraisons totales
vers l'extérieur

Livraisons totales

Valeur en milliers de dollars

%

Valeur en milliers de dollars

%

Valeur en milliers de dollars

%

Valeur en milliers de dollars

%

Aliments et boissons

882 207

12,7

217 232

6,2

1 099439

10,5

3 953 876

17,5

Papiers et produits connexes

566 731

8,1

1 037 048

29,5

1 063 779

15,3

2490 290

11

Industrie métal. primaire

507 540

7,3

537 950

15,3

1 045 490

10

1 742 784

7,7

Produits pétrole et charbon

390 486

5,6

61 424

1,7

451 910

4,3

1 694 958

7,5

Vêtement

630 725

9,1

55 791

1,6

686516

6,6

1 405 093

6,2

Produits métalliques

417 343

6

142 746

4,1

560 089

5,4

1 376 133

6,1

Matériel de transport

299 006

4,3

707 793

20,2

1 006 799

9,6

1 369 719

6,1

Textile

498969

7,2

57846

1,6

556815

5,3

1 289493

5,7

Ind. chimique et pr. connexes

553 442

8

105 516

3

658 958

6,3

1 230 543

5,4

Appareils et matériel électriques

543 592

7,8

116519

3,3

660 111

6,3

1 070418

4,7

Total (incluant les autres industries)

6952 552

100

3 512 332

100

10 464 884

100

22 627 011

100

Source : Québec (prov.), ministère de l'Industrie, Commerce et Tourisme, La Situation économique au Québec, 1978, Québec, 1979, page 65.

[32]

logue fut défendue par le ministre Duhaime au sujet de l'abolition de la taxe de vente sur les voitures de 1979. Aux dires du journal La Presse, le ministre s'est opposé au projet en déclarant qu'il profiterait d'abord à l'industrie ontarienne [21].

TABLEAU 3
Destination des biens manufacturés au Québec et en Ontario, en 1974
(en pourcentage)

Québec

Ontario

Québec

Autres provinces

Étranger

Total

Ontario

Autres provinces

Étranger

Aliments et boissons

74,5

21

4,5

100

72,8

22,1

5,1

Tabac

34,4

65,1

0,5

100

29,2

53,1

17,7

Caoutchoucs et plastiques

51,8

41

7,2

100

52,3

35,6

12,1

Cuir

48,2

47,8

4

100

38

6,2

38

Textile

57,8

38,6

3,6

100

45

38

18

Bonneterie

59,5

38,4

1,1

100

52,5

47,3

0,2

Vêtement

54,6

41,7

3,7

1(0

61

37,8

1,2

Bois

56,4

26,1

17,5

100

75,4

9,7

14,9

Meubles et articles d'ameublement

56,4

40,2

3,4

100

70,6

25,6

3,8

Papier et industries connexes

39,4

24,7

35,9

100

53,3

19,4

27,3

Imprimerie et édition

67,4

29,2

3,4

100

85,6

12,9

1,5

Transformation primaire des métaux

38,4

34,2

27,4

100

69,2

18,4

12,4

Fabrication de produits en métal

61,2

29,8

9

100

66,5

24,3

9,2

Machinerie

45,7

30,5

23,8

100

40,1

30,6

29,3

Matériel de transport

34,1

20,5

45,4

100

26,5

15,3

53,2

Produits électriques

41,7

46,9

11,4

IN

52

36,4

11,6

Produits minéraux non-métalliques

78,2

15

6,8

100

72,3

15,1

12,6

Pétrole et charbon

75,4

20,4

4,2

100

94

2,5

3,5

Industrie et produits chimiques

48

43,9

8,1

100

57

34,1

8,9

Divers

48,8

42,9

8,3

100

57,6

34,1

8,3

TOTAL

56,5

29,8

13,7

100

56,6

23,1

20,3


Source : Gouvernement du Canada, « Les réalités commerciales au Canada et la question de la souveraineté-association » dans Pour comprendre le Canada, Ottawa, M. de S., 1978, p. 20.

Cette situation (développement inégal et rapport économique déséquilibré) a aussi d'importantes incidences pour cette bourgeoisie que nous avons précédemment qualifiée de québécoise. Nous le verrons, coincée entre ses rapports économiques avec [33] l'Ontario et ses projets d'expansion propres, cette bourgeoisie développera une pluralité d'intérêts. En fait, son articulation économique à la bourgeoisie canadienne est un des lieux où se manifestera l'oppression nationale. Mais, avant de nous engager dans cette discussion, tentons de définir plus précisément le capital québécois.

2. Les bases du capital québécois

Dans cette seconde section, nous identifierons les principaux paramètres de la bourgeoisie nationale. Notre recherche ne se limitera pas à sa définition, nous brosserons également un tableau sommaire de ses diverses composantes.

a) Éléments de définition

Ce que le terme bourgeoisie régionale entend saisir, c'est fondamentalement l'association à une réalité économique : la région du Québec. La bourgeoisie régionale regroupe ces bourgeois qui se sont développés au Québec et dont les intérêts sont principalement autochtones. Il ne s'agit donc pas d'une bourgeoisie ethnique [22]. Et ce même si, comme toute classe sociale au Québec, la bourgeoisie québécoise est traversée par la question nationale. Les bourgeois francophones québécois constituent le noyau central de cette bourgeoisie, mais ils n'en représentent qu'une fraction. Ce sont entre autres : 1) la concentration dans l'espace économique québécois, 2) une très nette orientation vers le marché québécois, 3) l'intégration à un réseau financier autochtone [23], et 4) un contrôle régional de l'entreprise, qui définissent le caractère régional. Ainsi cernée, la bourgeoisie québécoise rallie les entreprises principalement, voire essentiellement, vissées à l'économie régionale québécoise.

Renvoyant à divers niveaux de concentration et d'intégration de ses activités, cette bourgeoisie ne forme cependant pas un tout homogène. Elle est composée, d'une part d'entreprises de grandes tailles à caractère monopoliste, et d'autre part d'une masse importante de P.M.E. Les premières présentent l'image de firmes régionalement intégrées et ouvertes aux marchés extérieurs. Dans ce sens, elles ressemblent aux grandes entreprises canadiennes bien connues (Bell Telephone, Canadien Pacifique, etc.). Elles gardent néanmoins leur caractère spécifique et, nous aurons l'occasion de le vérifier, s'appuient essentiellement sur leur essence régionale. Les secondes, les P.M.E. sont beaucoup plus rivées à l'espace québécois, voire aux régions québécoises. Leurs. rapports aux plus grandes firmes, et l'espace économique où elles évoluent, appellent d'ailleurs une analyse spécifique.

[34]

Mais ces indications sommaires ne donnent qu'une image fort imprécise de ce capital. Accordons-nous donc quelques pages qui permettront d'en mieux cerner la réalité.

b) Sphères d'activités et développement

Les transformations économiques des vingt dernières années ont amené certains éléments bourgeois, évoluant dans les branches où la bourgeoisie québécoise est solidement implantée, à s'engager très tôt dans une croissance qui les a incités à se démarquer de la masse des P.M.E. locales. Ce phénomène est sensible dans le matériel de transport, les transports, les finances, l'agro-alimentaire, le bois et la construction.

C'est aussi ce qu'ont vécu diverses composantes financières dont la Banque nationale et certaines autres grandes firmes comme Bombardier, Culinar, Provigo, S.N.C., A.B.B.D.L., Desourdy, Saint-Hubert B.B.Q. et Québécor. Certaines données [24] nous permettent de saisir plus adéquatement l'espace économique occupé par ce type d'entreprises. Ainsi en 1975, les entreprises manufacturières disposant de plus de 200 ouvriers totalisaient respectivement 43,2% des entreprises du secteur des biens d'équipement, 64,7% de celles engagées dans la production de biens intermédiaires et 34,4% de celles évoluant dans le secteur des biens de consommation. De ce nombre, les entreprises canadiennes françaises ne totalisaient que 1,4% des firmes du secteur des biens d'équipement, 4,5% de celles des biens intermédiaires et 5,8% de celles engagées dans la production de biens de consommation.

Ces chiffres donnent une idée du poids relatif de ces éléments. Il appert d'ailleurs que 10 des 25 plus importantes entreprises canadiennes françaises évoluent dans l'agro-alimentaire, et que la majorité des autres grandes firmes œuvrant dans la production de biens d'équipement ou de biens intermédiaires sont contrôlées par l'État québécois. L'espace occupé dans la sphère bancaire est beaucoup plus substantiel. Contrôlant quelque 40% des actifs bancaires (26 milliards $), 100% de ceux des caisses d'épargne et de crédit (9 milliards 30% de ceux des compagnies d'assurance-vie (6,4 milliards et quelque 10% des actifs locaux des caisses de retraite (7,2 milliards $), le réseau financier québécois a atteint des proportions fort respectables qui lui ont permis d'engager une expansion hors Québec de toute première importance. Fortement concentré, ce capital bancaire s'est rapproché du capital industriel et tourné vers l'internationalisation [25]. Ce dernier mouvement caractérise d'ailleurs une autre sphère où le capital autochtone occupe un espace de choix : l'ingénierie, A.B.B.D.L., S.N.C., Lavalin, pour ne nommer que les plus connues, démontrent une tendance à l'internationalisation [35] (surtout dans les sphères énergétiques, et tout particulièrement dans l'hydro-électricité) qui a favorisé un élargissement considérable de leurs activités.

Dans d'autres branches, et notamment dans la construction, certaines entreprises de création relativement récente ont connu une croissance rapide qui leur a permis de se tailler une place importante dans divers champs de l'industrie. C'est le cas de Désourdy Construction ou encore celui de Duranceau, deux firmes qui ont ravi nombre de contrats d'envergure (dont la construction du stade olympique et des contrats à la Baie James) aux entreprises canadiennes et étrangères dominantes.

Ces grandes entreprises se caractérisent toutefois par une situation économique de loin inférieure à celle du capital canadien ou étranger. Provigo, par exemple, née le 10 juillet 1970, érigée sur les assises de Couvrette Provost et bien que 3e chaîne en importance au Canada, n'occupe qu'un espace relativement restreint du marché de l'alimentation local. Cette part s'est établie à 5% en 1976 alors qu'elle était de 23% pour Steinberg et de 11% pour Dominion. Or, aucune autre entreprise capitaliste, qu'elle soit bâtie sur la petite entreprise indépendante à l'instar de Métro-Richelieu ou qu'elle soit associée au secteur coopératif comme Cooprix, n'a atteint ni la taille ni l'ampleur de Provigo. Par contre, les firmes engagées dans la production et la transformation ont su mieux s'imposer. C'est plus précisément le cas de Agropur et de Unilait dans le domaine des produits laitiers, et celui de Culinar dans la confection de pâtisseries.

Même les grandes sociétés bancaires supportent mal la comparaison au géant canadien. La nouvelle Banque nationale du Canada, par exemple, ne totalise toujours que 50% des actifs de la plus petite composante du « big-five » canadien, soit la Banque Toronto-Dominion. Sur la scène bancaire, nous le soulignions précédemment, le haut du pavé est occupé par les institutions canadiennes [26]. Dans la construction, pour citer un autre exemple connu, les grands entrepreneurs québécois ne se comparent aucunement à Canada Ciment Lafarge, aux Ciments du Saint-Laurent ou à Genstar, trois géants étrangers opérant dans toutes les sphères de cette industrie [27].

Le tableau 4 nous livre une liste sommaire des grandes entreprises québécoises. Bien que partielle, cette liste donne une excellente idée des ramifications de la bourgeoisie autochtone. Trois grands types d'appropriation (privé, État, coopératif) forment le capital québécois. Au chapitre du capital privé, bien que nous en ayons déjà identifié les principales unités, nous tenons à rappeler que les éléments les plus importants de cette bourgeoisie présentent, dans leurs sphères d'opération respective, une relative cohérence. C'est certainement le cas de la Banque d'épargne, de la Banque [36] nationale, du Trust général du Canada, du Crédit foncier francophone, du groupe Bélair, de Prenor, du groupe Commerce, du groupe Prêts et revenus, de la Laurentienne ou de Sodarcan dans le secteur financier. On y note une étroite interdétention d'actions que viennent compléter à un autre niveau les relations de conseils d'administration [28].

TABLEAU 4
Quelques grandes firmes québécoises

NOM/SECTEUR

Actifs
(en milliers de dollars)

FINANCE

Banque nationale du Canada

15 534 000

Caisses populaires Desjardins

10 500 000

Assurance-vie Desjardins

385000

Caisse de dépôt et de placement du Québec

10 000 000

Trust général

4 000 000

Banque d'épargne

3 400 000

Fiducie du Québec

3 300 000

Crédit foncier

2 000 000

Groupe La Laurentienne (incluant assurance-vie)

1 820 000

Groupe Prenor

1 500 000

Caisses d'entraide économiques

1 400 000

Groupe Prêts et revenus

1 180 000

L'Industrielle

880 000

Fédération de Montréal des caisses Desjardins

700 000

Groupe Commerce

390 000

L'Alliance

375 000

La Laurentienne

260 000

Les Artisans

350 000

Mutuelle vie du Québec

29 000

La Sauvegarde

250 000

L'Économie, mutuelle-vie

63 000

Sodarcan

195 000

La Solidarité

62 000

SID

190 000

Aeterna-vie

48 200

SDI

132 000

L'Unique

35 000

[37]

Les Prévoyants (Prenor)

130 000

La Survivance

35 000

Lévesque-Beaubien

Société générale de financement (Holding)

500 000

AGRO-ALIMENTAIRE

Provigo

370 000

Agropur

235 000

Rôtisseries Saint-Hubert

105 000

Métro-Richelieu

68 500

Coopérative fédérée

68 000

Soquia

Culinar

53 000

Coopérative agricole du bas Saint-Laurent

41 000

Viandes Lépine lnc.

40 500

Coopérative agricole du sud-est du Québec

40 000

Chaîne coop du Saguenay

34 000

Delisle Ltée

16 000

Nutribec Ltée

14 500

Cooprix

14 400

Lassonde et fils

9 000

Steinberg

759 000

Unilait

SAQ

200 000

Lallemand Inc.

Durivage

50 000

Boulangerie Samson et filiales

50 000

Coopérative agricole de la Côte sud

26 000

Pêcheurs unis du Québec

55 000

Épiciers unis

125 000

BOIS, PRODUITS DU BOIS

Donohue

324 000

Rexfor

88 000

Normick Perron

82 000

Tembec

74 500

Rolland Inc.

76 000

Groupe Cascades

60 000

Donohue-Saint-Félicien (S.G.F.)

Groupe Saucier

Donohue-Normick Perron

Entreprises Barette Ltée

[38]

TRANSPORT ET MATÉRIEL DE TRANSPORT

Bombardier Ltée

280 000

Marine Industries (S.G.F.)

140 000

La Vérendrye (holding)

112 000

Groupe Expéditex (Hamel)

30 000

Lamothe transport

48 000

Provost transport

50 000

Fednav

311 000

Gilbault d'Anjou

25 000

Entreprises Bussières

60 000

Québécair (Expéditex)

60 000

Davie Shipbuilding

55 000

INGÉNIERIE ET CONSTRUCTION

S.N.C.

87 000

Beaver Group

Monenco

61 000

Sintra

61 000

Lavalin

50 000

A.B.B.D.L.

9 500

Charles Duranceau

Désourdy

Latendresse

B-G Checo (S.G.F.)

Warren-Rousseau et associés

Société d'ingénierie Shawinigan

28 000

Télé métropole

76 000

Unimedia

75 000

Québécor

68 000

Vidéotron

58 000

Télémédia

24 000

Télé-capitale (La Vérendrye)

Corporation Civitas

21 000

HYDRO-ÉLECTRICITÉ ET MATÉRIEL ÉLECTRIQUE

Hydro-Québec

17 000 000

York Lambton (holding)

147 000

Cegelec (S.G.F.)

DIVERS

Sidbec

1 000 000

Ivaco Ltée

482 000

Drummond McCall Ltée

122 000

United Asbestos

113 000

Delta/Auberge des Gouverneurs

77 000

Haricana Métal

8  500

Welfab

15 000

Forano (S.G.F.)

15 000

Phentex

18 000

Groupe Sullivan

22 000

Forex

23 000

Sico

32 000

Soquem

35 000

Alfred Lambert (F.I.C.)

35 000

Howard Bienvenue

36 000

Chromasco

43 000

Wabasso Ltée

65 000

U.A.P.

66 000

Tapis Peerless

65 200

Groupe Marquis-Metivier

40 000

Logistec (holding)

41 000

Norca Management (Vilas)

33 000

Société Nadeau (Casavant)

25 000

Raymond Boisvert Sportwear

25 000

Rona Inc.

37 000

Continental Manufacturers (Cassidy)

75 000

Groupe Paquet

50 000

B.C.P. Publicité

43 000

Canam Manac

94 000


Ce tableau s'inspire, pour une bonne part de la liste des « 100 plus grandes entreprises à contrôle québécois » de Finance du 27/10/80. Nous n'avons pas reproduit la liste intégralement pour deux raisons principales. Premièrement la définition même du contrôle québécois du journal Finance nous apparaît discutable dans la mesure où elle semble se réduire à une dimension économique régionale. Pour nous le fait d'être géographiquement situé au Québec, d'y effectuer l'essentiel de ses affaires tout comme celui d'avoir son siège social dans la province est important mais insuffisant. Nous considérons que d'autres critères, plus difficilement comptabilisables, comme l'intégration à un réseau financier québécois et une pratique régionale, doivent également être considérés. Deuxièmement, cette liste constitue un premier essai et demeure imparfaite. L'auteur de la liste de Finance a d'ailleurs reconnu l'imperfection de son travail et a invité les lecteurs de son journal à une certaine circonspection. Nous avons donc complété, d'une certaine façon, le travail fait par Finance en nous appuyant sur nos propres recherches.

[40]

De nombreuses autres entreprises industrielles se greffent d'ailleurs sur ce noyau. C'est notamment le cas de Sico, de Canam-Manac, de la Corporation de gestion La Vérendrye, de Normick-Perron, de Cablevision national-vidéotron, de Télé-capitale, de Stuart, de Québécair et de Bombardier MLW. Le récent intérêt qu'a manifesté le capital bancaire pour le capital industriel est à la mesure du mouvement de symbiose qui les a caractérisés au cours de la dernière décennie. Ainsi, à la marge du capital industriel jusqu'à la fin des années 60, les sociétés bancaires et para-bancaires québécoises ont amorcé une opération de réorganisation de leurs placements qui s'est réalisée par l'ouverture de crédits industriels et l'accroissement des avoirs en actions.

Pour sa part, le mouvement coopératif, particulièrement ses unités les plus importantes, est devenu de plus en plus capitaliste et ce, même s'il offre toujours une façade juridique distincte [29]. Il ressort d'ailleurs que les coopératives ont tendance à la centralisation décisionnelle. Ainsi en est-il de la Fédérée du Québec dont les filiales sont Legrade Inc., les Abattoirs de l'est, les Élévateurs Fédérés, les Produits Mont-Joli, les Semences du Québec, Québec Poultry, Abbotsford Poultry Foam inc., Edmond Sylvain Ltée, Flamengo, Centre avicole inc., Turcotte et Turmel inc., les Engrais Laprairie ; la Ferme Joliette et P. A. Gouin Ltée échappent à la gestion locale des coopérateurs. Or les filiales et fédérations, à elles seules, ne cumulent pas moins de 41,7% du chiffre d'affaires générées par les coopératives non financières. Une récente étude du gouvernement Lévesque plaçait la Fédérée (2 milliards $ de ventes) dans le seul cadre où elle puisse être comparée. « La coopérative Fédérée de Québec avec un chiffre d'affaires de 728 millions $ se situerait au 35e rang de toutes les entreprises manufacturières du Canada, soit entre Molson (747 millions $) et Imasco Ltd. (719 millions $) [30]. » Cette part croissante des filiales est associée à une très nette tendance centralisatrice où les organismes de la base ont perdu beaucoup de leur pouvoir décisionnel [31].

Le capital coopératif s'est construit dans les interstices du capital privé et s'est surtout enraciné dans les sphères liées à la consommation, à la finance et à la production agricole. Il s'est engagé, dès la révolution tranquille, dans un fort mouvement d'expansion et de concentration. Quelques grands ensembles se sont imposés et intégrés au réseau en place. La Fédération des caisses d'entraide économique, par exemple, s'est départie de son caractère marginal et a connu une foudroyante expansion au cours de la décennie 70. Dès lors, les objectifs se transforment et l'institution concurrence les autres entreprises financières. Aujourd'hui les C.E.E. totalisent des actifs de plus de 1 milliard $ et se sont assuré le leadership de la Conférence des caisses d'épargne et de crédit.

[41]

D'autres coopératives dont le Mouvement Desjardins, la Fédérée et Agropur ont interpénétré, dans leurs sphères respectives, le capital privé. Rappelons les nombreux placements de la Société d'investissement Desjardins dans les entreprises québécoises ou encore l'achat de Québec Poultry par la Fédérée. Répondant aux mêmes critères de mise en valeur et à la même dynamique d'expansion que les grandes entreprises, ces composantes du mouvement coopératif en partagent les visées.

En ce qui concerne le capital d'État, son immixtion dans les sphères de production et le type d'exploitation des travailleurs pratiquée (en de nombreux points identiques à ceux des autres entreprises) nous incitent à l'intégrer à la bourgeoisie québécoise. Étroitement associées au développement de la bourgeoisie régionale, les sociétés d'État ont été appelées à élargir les perspectives et à en épauler le développement. Dans cette perspective, la jonction capital québécois-capital d'État fut le fondement dynamique de la concentration et de l'expansion du capital autochtone. Rappelons l'importance de la S.G.F. dans la création de Bombardier-MLW, celle de SOQUIA pour Culinar, celle de la Caisse de dépôt dans le dossier de Cablevision nationale ou dans la jonction des divers intérêts bancaires québécois, et enfin celle d'Hydro-Québec pour les diverses sociétés d'ingénierie et de construction autochtones.

Ce survol ne saurait être complet sans que nous nous attardions, même sommairement, à cette autre catégorie d'entreprises que saisit le terme de P.M.E. Essentiellement concentré dans les services, la production de biens de consommation et les secteurs traditionnels, ce type de capital se démarque à de nombreux chapitres des grandes entreprises ci-haut identifiées. On dénombrait, en 1973, pas moins de 6556 P.M.E. [32] (soit 66% des entreprises) employant quelque 47,9% des travailleurs et accaparant quelque 40% de la valeur ajoutée. On retrouve surtout ces P.M.E. dans l'agro-alimentaire (887 entreprises), le vêtement (1606 firmes) et l'industrie du bois et des articles en bois (838 firmes).

Elles sont également nombreuses dans certaines autres branches (industrie du vêtement, emboutissage, matricage des métaux et imprimerie). Mais il demeure que le lieu de prédilection des P.M.E. sera le commerce et les services, champs où elles emploient 66% des salariés. Ces entreprises, auxquelles se rattachent toutes les unités économiques en voie d'intégration régionale et même certaines institutions financières, nous réfèrent à un type de capital régional qui rallie la grande masse des entreprises québécoises.

Ainsi présentée, la bourgeoisie québécoise apparaît donc comme un ensemble composé d'éléments répondant à des intérêts économiques divers. Dans ce sens, elle ne se présente pas comme un tout homogène mais comme le lieu de jonction d'intérêts divers. Tournons-nous maintenant vers l'analyse des perspectives de croissance [42] de cette bourgeoisie. Ce dernier volet nous permettra de saisir sa dynamique tout comme il mettra en relief la diversité des projets qui l'animent.

3. Le capital québécois :
perspectives de croissance


a) Le rôle de l'État québécois

Cantonnée dans les branches traditionnelles, la bourgeoisie québécoise s'est réorganisée à la faveur du régime Duplessis. Le capital régional s'est développé en étroite conjonction avec ce régime dans les branches liées à l'agriculture et dans les industries directement intégrées à l'expansion du système routier. Dans les autres domaines, que ce soit dans l'exploitation ou la transformation de richesses naturelles ou dans les sphères plus traditionnelles telles le textile, le capital québécois fut tributaire des retombées des circuits surtout américains dans le premier cas et canadiens dans le second [33]. Mais ce qu'il importe de souligner c'est que ce mouvement fut associé à la réorganisation d'un champ industriel canadien de plus en plus plaqué à la dynamique du géant américain, tout comme le fruit d'une politique « canadienne » qui a d'abord profité à l'Ontario.

Pendant la « révolution tranquille », la bourgeoisie québécoise fut au diapason de cette période de bouillonnement social. Ses objectifs furent, dès le début des années 60, repris par le Conseil d'orientation économique du Québec (COEQ), organisme qui a préconisé une intervention étatique accrue : appui et ultérieurement, noyau dur, de cette potentielle grande bourgeoisie locale dont nous avons esquissé les contours. Le capital d'État s'est substitué aux capitaux étrangers dans l'hydro-électricité dans le but évident d'achever l'expansion des réseaux et de stimuler le développement économique local. Il s'est doté d'une société mixte, la S.G.F. dont l'objectif (de 62 à 72) fut de renflouer les entreprises industrielles en perdition. Il s'est immiscé dans les rouages de l'industrie sidérurgique grâce à SIDBEC, dans l'espoir avoué d'accroître les retombées économiques locales et de réduire le contrôle ontarien de l'acier, etc.

Il faut insister aussi sur le fait que l'État québécois a permis au capital autochtone de se concentrer et d'accroître son espace économique. Par exemple, c'est la S.G.F. et la Caisse de dépôt qui ont rendu possible, en 1975, l'achat de M.L.W. par Bombardier ; c'est aussi la Caisse de dépôt qui a épaulé Provigo dans son expansion et favorisé, notamment, l'acquisition de M. Loeb ; c'est également elle qui a secondé le capital bancaire et para-bancaire local, temporisant les minorités internes et consolidant ses liens de réseau. C'est enfin [43] elle qui a favorisé la prise de contrôle local de Cablevision nationale et a été à l'origine du récent achat de cette dernière par Vidéotron.

Dans un autre domaine, soit celui de l'hydro-électricité, les importantes retombées économiques de la nationalisation de 63-64 ont profité à nombre d'entrepreneurs locaux. Rappelons, par exemple, que c'est essentiellement grâce à Hydro que les sociétés d'ingénierie S.N.C., Warren-Rousseau, A.B.B.D.L. et Lavalin ont pu percer dans le domaine de l'ingénierie et de la gestion de projets hydro-électriques. La dernière initiative d'Hydro, Hydro-International (décembre 78) constitue d'ailleurs une importante rampe d'expansion pour ces sociétés privées et le « know-how » québécois. La nouvelle filiale d'Hydro, compte tenu de la politique « d'achat chez nous » que pratique la société d'État, permettra non seulement aux sociétés d'ingénierie d'étendre leurs ramifications et d'accroître leurs opérations à l'étranger, mais élargira le processus aux plus importants constructeurs tout en accroissant les retombées économiques locales.

Dans le même ordre d'intervention, la Société québécoise d'initiative agro-alimentaire SOQUIA a veillé au maintien du contrôle de Culinar lorsque le Mouvement Desjardins a annoncé, en 1977, son intention de se départir d'une part de ses avoirs dans l'entreprise. Ces quelques exemples reflètent un mouvement global qui met en évidence le fait que la bourgeoisie québécoise s'est construite dans, et à la périphérie de l'État québécois. [34]

Il nous apparaît fort significatif de constater que toutes les grandes entreprises identifiées précédemment ont, au moins une fois dans leur histoire, été associées à l'une ou l'autre des sociétés d'État. De même, la formation relativement récente de cette bourgeoisie confirme l'importance qu'a pu avoir, pour elle, ce nouvel État de la révolution tranquille.

Il importe de souligner que ces entreprises se sont essentiellement construites dans les champs de juridiction de l'État provincial. Ainsi en est-il des industries œuvrant dans les richesses naturelles et à la périphérie de celles-ci. C'est certainement le cas d'Hydro-Québec et des firmes qui, dans d'autres sphères, s'y lieront ; c'est aussi celui de SOQUEM, de SOQUIP et, d'ici peu, celui de la Société nationale de l'amiante. Par sa législation dans le domaine, l'État québécois a pu manœuvrer en fonction de la maximisation des retombées économiques et stimuler l'intégration aux circuits en place. [35]

Ce point est une constante de l'analyse des perspectives d'expansion du capital autochtone. Dans le rapport Tetley, on précise :

L'efficacité d'une telle politique de mutation structurelle tient en quelque sorte à une simultanéité d'interventions visant, d'une part, les activités qu'on est susceptible de faire naître dans le sillage des [44] entreprises étrangères et, d'autre part, les orientations qu'on doit signaler aux entreprises autochtones, principalement de petites et moyennes tailles, et les assistances qu'on doit leur accorder pour rendre l'innovation possible chez elles, rationaliser leur production, améliorer la qualité de leur gestion et assurer leur pénétration dans les marchés en fonction, entre autres, des possibilités ouvertes par le secteur étranger [36].

Ainsi, par exemple, on obligera la multinationale I.T.T., lors de l'allocation des vastes territoires de la Côte Nord, à Rayonnier Québec, à favoriser les fournisseurs québécois. C'est également une tendance qui se vérifiera dans le secteur para-bancaire, autre champ de juridiction provinciale. Dans ce domaine, l'État québécois, par caisse de dépôt interposée, se liera directement à la bourgeoisie locale et en assurera, en partie, la cohésion.

On s'est aussi servi du pouvoir législatif pour permettre au Mouvement Desjardins d'étendre ses opérations et de s'affranchir des institutions bancaires. C'est en lui accordant les moyens de se doter d'une caisse centrale qui pourra, entre autres avantages, lui permettre de recevoir les dépôts gouvernementaux et de mettre un terme à sa dépendance bancaire, qu'on a atteint cet objectif. Pour sa part, le récent épisode du Crédit foncier met en relief un autre type d'intervention. Convoité par le Central and Eastern Trust, le contrôle québécois de la maison-mère francophone du Crédit foncier fut préservé par l'adoption d'une loi spéciale interdisant la vente de cette importante société de prêts hypothécaires à des intérêts non-québécois. Forte de cette intervention, c'est la Banque d'épargne qui a pris le contrôle du Crédit foncier. Enfin, l'appui accordé au Mouvement Desjardins et aux sociétés de fiducie (tous deux de juridiction provinciale) dans leur lutte périodique pour échapper aux divers contrôles de la loi bancaire fédérale, et dont le dernier épisode a eu lieu en 1979, vient confirmer cette volonté d'épauler le capital local dans les sphères où cet État québécois est habilité à le faire.

Même la dynamique d'expansion de ce capital s'articule à cet État régional. Sur la scène québécoise, de nombreux exemples déjà énoncés confirment le fait que la réorganisation et la consolidation des assises autochtones passent par lui. Il suffit de rappeler les diverses interventions dans l'agro-alimentaire (Provigo, Culinar, etc.), dans la cablodistribution (Cablevision nationale-Vidéotron) ou dans le domaine pharmaceutique (Omnimédic) [37] pour mettre en relief la justesse de ces propos. Que dire maintenant des projets conjoints (Normick Perron-Donohue, Donohue-Saint-Félicien) [38] et des nombreux appuis financiers qu'ont accordés une SDI ou une Caisse de dépôt et de placement, ou de l'appui technique d'un organisme comme le CRIQ ? Même l'avenir des P.M.E. locales est étroitement associé à cet État.

[45]

Outre les nombreux programmes de la SDI, c'est la fonction de réorganisation et d'ouverture des marchés extérieurs qu'il importe de souligner. Épaulant les P.M.E. engagées dans la production et la transformation, l'État québécois s'est assigné la tâche d'ouvrir le champ d'investigation des entrepreneurs régionaux. Il s'agit, dans une large mesure, de mettre un terme au cloisonnement des secteurs traditionnels (industrie du vêtement, de la chaussure, etc.). Il s'agit également, d'une part de stimuler l'immixtion des entreprises autochtones dans les circuits des grands monopoles, et ainsi d'accroître les retombées économiques profitables au capitalisme québécois et, d'autre part, d'encourager l'éclosion de nouveaux grands ensembles industriels.

Le premier volet sera clairement énoncé dans le rapport Tetley, puis repris dans Bâtir le Québec. Entre autres points, on y déclarera :

Le gouvernement envisage sérieusement avec l'accord des intéressés l'implantation dans la région de Montréal d'une bourse de sous-traitance, c'est-à-dire d'un intermédiaire pouvant mettre en relation les entreprises « passeurs d'ordre » et des P.M.E. québécoises [39].

En ce qui concerne l'appui à la création de nouvelles grandes firmes, force nous est de rappeler l'histoire d'un Canam-Manac ou d'un Provigo. De même, la volonté de seconder le développement du commerce, domaine où se situe la majorité des P.M.E. démontre la ferme intention d'assister les commerçants locaux et d'en favoriser la réorganisation [40].

Que dire maintenant de la déclaration, formulée au sommet économique de Montebello, préconisant le maintien d'une politique étatique d'achat chez nous ; ou encore de la création des SODEQ, ces banques d'affaires régionales destinées à stimuler le financement des P.M.E. Enfin, Bernard Landry n'annonçait-il pas dans Bâtir le Québec la création d'une banque de sous-traitance qui permettrait de raffermir les liens entre les P.M.E. locales et les grandes firmes non québécoises ? La multiplicité des interventions de cette nature confirme nos énoncés de départ. Il appert, en effet, que la prise en charge du marché local et l'expansion interne du champ économique de la bourgeoisie autochtone passent par l'État québécois.

De même, la promotion des exportations et de l'expansion extra-régionale des P.M.E. qu'entend stimuler le gouvernement, dévoile son désir de permettre à ce type de capital d'étendre son marché et si possible de l'accroître en le fixant sur la scène continentale. Cet intérêt pour les marchés extérieurs est d'ailleurs partagé par les plus grands noms de cette bourgeoisie. Toutefois, le mouvement prend la forme d'une exportation de capitaux et dénote une très nette volonté de s'implanter sur la scène continentale. C'est cette dynamique d'internationalisation qui a amené les projets d'expansion de la bourgeoisie bancaire et ceux de nombreuses entre [46] prises industrielles telles Culinar, Provigo, A.B.B.D.L., S.N.C., Comterm, Bombardier, Les maisons mobiles Prévost ou Saint-Hubert B.B.Q., pour ne citer que quelques-unes des nombreuses firmes qui se sont inscrites dans cette vague depuis 1975. [41]

L'acquisition de Loeb par Provigo, l'ouverture des rôtisseries Saint-Hubert dans le sud américain, l'achat de Orchard Hill Farms (une entreprise de surgelés américains) et de Stuart (très présente en Ontario) par Culinar et les projets d'expansion américaine de Bombardier ou de S.N.C. traduisent ce mouvement. Or, qu'il s'agisse d'appui financier, de mise en place de structures favorisant ce type d'expansion ou de l'exportation du « know-how » québécois, il ressort que l'État provincial occupe un espace central pour cette bourgeoisie locale.

Dans cette perspective, nous ne pouvons que souligner l'importance de tout accroissement des pouvoirs de cet État local. L'arrêt des dédoublements de programmes (touchant surtout les P.M.E.) d'aide à l'entreprise en fonction de deux ordres de priorités (l'un québécois et l'autre canadien), et la concentration des fonds au seul niveau provincial, permettraient certes une planification plus axée vers les champs jugés prioritaires.

Dans le même ordre d'idée, toute reconnaissance d'un droit de regard du Québec sur, par exemple, la politique monétaire, permettrait aux bourgeoisies industrielles et financières québécoises, pour la première fois de leur histoire, de disposer d'un véritable pouvoir de représentation auprès de la Banque centrale. Que dire maintenant de l'impact potentiel de l'accroissement du pouvoir d'achat d'un État québécois qui serait seul habilité à lever des impôts et dont les pouvoirs seraient élargis ? La tendance précédemment mise en relief est à cet égard fort éloquente. Ainsi un Québec, maître de son budget de la défense, disposerait de nouveaux moyens aptes à stimuler le développement d'industries autochtones dans la production d'armements ou à la marge de ce domaine (technologie, matériel électrique, matériel de transport, produits métalliques, chimie, etc.).

Ce sont quelques-unes des tendances dont on ne peut dissocier la bourgeoisie. Il ne faut cependant pas croire qu'il s'agit là d'objectifs fidèles aux aspirations de tous les bourgeois québécois. En fait, c'est ce que nous allons maintenant voir, cette bourgeoisie est composée d'une multiplicité d'intérêts, souvent contradictoires.

b) Une pluralité d'intérêts

Comme nous l'avons vu, plusieurs firmes importantes tendent de plus en plus à se localiser dans une dynamique continentale ou mondiale et, à cet égard, appellent des besoins particuliers. C'est [47] certainement le cas des grandes sociétés d'ingénierie et d'ingénieurs conseils, comme c'est celui de Bombardier ou Provigo. C'est aussi celui de la bourgeoisie financière. Pour ce capital financier, cette expansion s'est, compte tenu de certaines contraintes du marché américain, essentiellement effectuée sur le marché canadien.

Certains autres capitaux, dans le matériel de transport et dans la fabrication du papier, se sont également développés en étroite conjonction avec le marché américain. Il appert d'ailleurs que les quelques entreprises engagées dans la fabrication de produits chimiques rejoignent ce groupe. Pour tous ces éléments, il s'agira, bien qu'à divers niveaux, de consolider leurs assises locales, mais aussi de stimuler et de protéger leur expansion continentale ou mondiale. Ainsi, les institutions bancaires et para-bancaires, tout comme Bombardier, concentrent actuellement leurs énergies dans cette dernière direction, alors que d'autres, comme Normick-Perron ou Culinar, appelleront plutôt ce type de développement dans les années à venir. En ce qui touche à ces grands ensembles, nous tenons à préciser que nombre d'entre eux, prenant conscience de la réalité capitaliste mondiale, s'associeront au mouvement de désengagement de l'État des multiples programmes qui ont caractérisé son expansion dans les vingt dernières années, aux divers projets de coupures de ses dépenses et seront favorables au passage à une nouvelle gestion capitaliste.

D'autres entreprises, par contre, beaucoup plus orientées vers le marché local, et en expansion sur ce marché où souvent elles sont en concurrence directe avec le capital canadien, ont développé des intérêts spécifiques. Ce sera le cas de la majorité des firmes engagées dans le commerce de gros et de détail, dans les aliments et boissons, dans le bois et sa transformation, dans la fabrication de produits en métal, dans les produits minéraux non métalliques et dans l'imprimerie et l'édition. En effet, ces sphères sont le siège d'entreprises qui, hormis les monopoles déjà identifiés, sont d'abord concentrées sur le marché québécois. Si certaines des entreprises engagées dans ces sphères connaîtront, dans les années à venir, un développement analogue aux firmes précédemment identifiées, il semble que plutôt enracinées dans les régions québécoises, elles ont actuellement des attentes moins internationalistes. C'est le cas de nombreuses coopératives engagées dans l'agro-alimentaire, telles la Coop agricole du Bas Saint-Laurent (89,9 millions $ d'actifs), la Coop Laiterie du sud de Québec (78,6 millions $), la Chaîne coopérative du Saguenay (62,1 millions $) et la Coop agricole de la Côte Sud (30 millions $).

Il faut d'ailleurs préciser que, dans l'ensemble et ce, bien que certaines d'entre elles lorgnent de plus en plus vers les marchés extérieurs, le capital coopératif se situe généralement dans ce groupe. Il faut également souligner que les grandes coopératives ou fédérations [48] de coopératives s'associeront beaucoup plus étroitement à l'État québécois et tendront à s'appuyer sur cet État.

D'autres entreprises engagées par exemple dans la bonneterie ou le meuble, malgré leur caractère massivement régional, partagent toutefois (parce que dépendantes du marché canadien) des intérêts différents. Leur situation économique les incitera certainement à s'assurer certaines garanties, dont la protection de leur marché. Enfin, que dire des sociétés d'État, de cette bourgeoisie d'État qui s'est formée dans les deux dernières décennies, sinon qu'elle s'est, au cours des ans, dotée de sa propre cohérence [42], de ses propres intérêts assujettis aux lois de la mise en valeur et de la rentabilité capitaliste. Appui du capital local, cette bourgeoisie en est aussi une constituante dont les intérêts s'articulent également à son rôle par rapport aux entreprises autochtones, aux divers objectifs que le législateur lui a fixés en matière de retombées économiques locales. Même ici, il serait hasardeux d'ignorer les contradictions internes associées, entre autres, à la diversité des mandats, des sphères, et des types d'opérations.

Il apparaît, suivant ce rapide survol, qu'un bon nombre d'éléments du capital québécois a développé des intérêts liés à l'État régional, et que son expansion passe en bonne partie par l'accroissement des pouvoirs de cet État. Ces intérêts sont également susceptibles de bénéficier d'une diversification et d'une réorganisation de l'économie qui pourraient leur permettre, entre autres, de faire des percées au niveau de l'industrie lourde.

Or, de telles visées doivent nécessairement prendre corps au sein de cet État québécois, auquel la bourgeoisie québécoise est intimement liée. C'est donc vers l'étude de l'État, et plus spécifiquement vers celle du pouvoir politique que nous allons maintenant nous tourner.


[1] Gouvernement du Canada, Investissements étrangers directs au Canada, Ottawa, Information Canada, 1972, p. 24.

[2] Statistique Canada, no cat. 61-210.

[3] Nappi, Carmène, La Structure des exportations au Québec, Montréal, Accent-Québec, 1978.

[4] Sales, Arnaud, La Bourgeoisie industrielle au Québec, Montréal, PUM, 1974.

[5] Comité interministériel sur les investissements étrangers, Le Cadre et les moyens d'une politique québécoise concernant les investissements étrangers, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1974, p. 48.

[6] Sales, Arnaud, op. cit., p. 131.

[7] Voir Bélanger, Yves « Capital bancaire et fractions de classe au Québec », dans Le Capitalisme au Québec, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1978.

[8] Voir à ce chapitre O.P.D.Q., Politiques fédérales et économie du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979.

[9] « La vitalité du Canada dépend de l'Ontario », La Presse, 2 février 1980.

[10] Voir Statistique Canada, no cat. 72-008.

[11] Voir Statistique Canada, no cat. 72-008.

[12] Voir O.P.D.Q., Politiques fédérales et économie du Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979.

[13] Bonin, Bernard et Polèse, Mario, À propos de l'association économique Canada-Québec, Québec, ENAP, 1980.

[14] Ibid., p. 276.

[15] Gouvernement du Québec, La Nouvelle Entente Québec-Canada, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1980, p. 28.

[16] Ibid., pp. 28-29.

[17] La plupart des exceptions touchent des projets contrôlés par l'État québécois comme l'expansion de Sidbec ou la construction d'une usine de pâtes et papier à Saint-Félicien, et qui auraient été mis en route de toute manière.

[18] Proulx, P. P. et al, Études des relations commerciales Québec-USA, Québec-Canada, options et impacts, contraintes et potentiels, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978.

[19] « L'industrie québécoise dépend plus de l'Ontario que l'inverse », La Presse, 21 août 1978.

[20] Doyan, A., op. cit.

[21] « Les marchands d'auto demandent au Québec d'imiter l'Ontario », La Presse, 2 février 1980.

[22] André Raynauld est un des auteurs qui se sont servis essentiellement du critère ethnique, une telle approche a l'inconvénient de rassembler des unités économiques qui répondent à une dynamique tout à fait différente. Voir Raynald, André, La Propriété des entreprises au Québec des années 60, Montréal, PUM, 1974.

[23] Pierre Fournier, dans « Les nouveaux paramètres de la bourgeoisie québécoise », Le Capitalisme au Québec, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1978, p. 141, a défini ces critères : « Plus spécifiquement, dans le cas du réseau financier québécois, nous formulons les hypothèses suivantes. Premièrement, la base d'accumulation et le marché principal et prioritaire des principaux éléments de la bourgeoisie québécoise, notamment la Banque canadienne nationale, Hydro-Québec et le Mouvement Desjardins, demeurent le Québec. Deuxièmement, les entreprises du réseau québécois peuvent être partiellement définies à partir de leurs rapports superstructurels, et notamment des appuis qu'elles reçoivent de l'État québécois (subsides, contrats, financement, support législatif, etc.). Troisièmement, les compagnies québécoises peuvent être cernées à partir des rapports conflictuels qu'elles nouent avec la bourgeoisie canadienne. Dans les sections qui suivent nous allons d'ailleurs mettre l'accent sur l'éclatement des nombreuses contradictions qui marquèrent les deux fractions de la bourgeoisie depuis les débuts de la révolution tranquille. Quatrièmement, la composition des conseils d'administration, bien qu'elle n'éclaire souvent que très partiellement la réalité du pouvoir économique, donne souvent des indices sur la cohérence d'un réseau et sur les liens qui unissent les entreprises entre elles. Dans le cas du Québec, les conseils d'administration permettent souvent d'identifier les relations parfois complexes qui existent entre les trois composantes de la bourgeoisie autochtone. Cinquièmement, la propriété et le contrôle réels, y compris le pouvoir de décision et de planification, des entreprises ou encore au sein du réseau. Sixièmement, la plupart des entreprises québécoises se financent à l'intérieur du réseau. Septièmement, les compagnies du réseau québécois ont une forte tendance à acheter leurs services, y compris les maisons de courtage, les avocats, les assureurs, les actuaires, les agents de transfert et les vérificateurs, à des firmes québécoises.

[24] Voir Sales, Arnaud, La Bourgeoisie industrielle au Québec, Montréal, PUM, 1979, p. 132 et ss.

[25] Voir à ce chapitre la série d'articles qu'ont signés Laurier Cloutier et Alain Dubuc, dans La Presse, entre le 8 et le 13 décembre 1979.

[26] Ibid.

[27] Bélanger, Yves, « L'industrie de la construction et la bourgeoisie au Québec », dans Le Capitalisme au Québec, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1978, ou Bélanger, Yves, Bourgeoisie et fractions de classe dans l'industrie québécoise de la construction, mémoire présenté à l'Université du Québec à Montréal, département de Science politique, mai 1979.

[28] Le circuit financier québécois.

[29] [Voir le texte de la note 23 de l’édition numérique de ce texte. JMT.]

[30] O.P.D.Q. et al., Profil du mouvement coopératif au Québec, Éditeur officiel du Québec, 1980, p. 114.

[31] Le secteur coopératif n'est pas un ensemble homogène intégré au circuit capitaliste privé, forme particulière de capital. Certains éléments, par exemple, les coopératives de consommation qui, à l'instar des comptoirs alimentaires, s'inscrivent à la marge des impératifs capitalistes dominants, s'inspirent d'une volonté de s'opposer aux rapports capitalistes. Il appert toutefois que d'autres coopératives (Mouvement Desjardins, Caisses d'entraide économique, Cooprix, etc.), d'abord pour s'étendre ou pour survivre puis pour s'accaparer une part de plus en plus importante de leur marché respectif, ont fait leur « la loi du profit » capitaliste. Concrètement, au sein de ces coopératives, ce mouvement se traduit par des changements qualitatifs importants : abandon d'un discours critique face au capitalisme, perte du contrôle de l'organisme par les actionnaires, et forme d'aménagement du capitalisme (né au siècle dernier), ce type d'accumulation tendra à s'y intégrer. Aujourd'hui, il serait vain de tenter de différencier la gestion et les objectifs du Mouvement Desjardins ou des Caisses d'entraide économique de ceux de la Banque nationale.

[32] Cette importance des filiales se fera sentir également dans le domaine financier avec la Société nationale de fiducie (Caisses d'entraide économiques) ou les nombreuses entreprises liées au Mouvement Desjardins. Pour ceux qui évaluent l'importance des institutions à leurs actifs, nous tenons à rappeler que les caisses d'épargne et de crédit, au nombre de 1564 en 1978, totalisaient 10,6 milliards $ d'actifs. Les coopératives, pour leur part, au nombre de 683, totalisaient 596 millions $ d'actifs.

Le rapport Blais (portant sur la centralisation des décisions du Mouvement Desjardins) mettra bien en relief cette tendance centralisatrice au Mouvement Desjardins. Jadis autonomes, les caisses disposent maintenant de nombreux organismes communs centralistes qui ont grugé une part importante du pouvoir décisionnel.

Bien sûr, de nombreuses autres fédérations ou coopératives seront beaucoup moins importantes et partageront plus les destinées des P.M.E. Ce sera le cas de la Coopérative laitière du Sud de Québec (78,6 millions $ d'actifs), de la Chaîne coopérative du Saguenay (62,1 millions $), des Pêcheurs-unis du Québec (33,8 millions $) ou de la Ligue des caisses d'économie dans le domaine financier.

[33] Rappelons que, par P.M.E., on entend saisir une réalité, soit celle des entreprises possédant entre 5 et 199 employés et disposant d'actifs de plus de 200 000 $, mais moins de 6 000 000 $ dans les diverses branches de la fabrication. Dans la sphère commerciale et des services, le titre de P.M.E. s'adresse plutôt aux firmes employant entre 4 et 30 salariés et dont les ventes se chiffrent entre 200 000 $ et 5 000 000 $.

[34] Voir Bourque, Gilles, « Petite-bourgeoisie envahissante et bourgeoisie ténébreuse » dans Les Cahiers du socialisme, no 3, printemps 79.

[35] Voir Brunelle, Dorval, La Désillusion tranquille, Montréal, HMH, 1978.

[36] Québec (Prov.), op. cit., p. 55.

[37] Omnimédic, regroupement d'industries pharmaceutiques auquel sera lié le laboratoire Octo, sera le fruit d'une intervention de la Caisse de dépôt. Ce mouvement de capital visera certes à lancer dans le champ québécois une institution capable, du moins localement, de concurrencer les grands monopoles du secteur.

[38] Une nouvelle compagnie, Donohue Normick Inc. a été créée en septembre 1979 ; elle devrait, sous peu, construire au coût de 140 millions $ une usine de papier journal.

[39] Québec (prov.), ministère d'État au développement économique, Bâtir le Québec, énoncé de politique économique, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1979, p. 100.

[40] Certains cas (Métro-Richelieu, les pharmacies Uniprix, Rona-BMR) annoncent déjà une très nette tendance au regroupement et à la concentration dans ce domaine.

[41] Pierre Beaulne l'a déjà indiqué, le continentalisme, dynamique de la bourgeoisie nord-américaine, est le produit de la crise et de la volonté d'expansion du capital canadien. Cet auteur précise : « Il faut voir dans ce domaine la conjonction de deux mouvements : 1) le repli du capital américain vers son centre logistique à mesure que la crise se déploie, 2) la voie suivie par le capital canadien pour sortir de la crise en s'internationalisant ». Cité par Beaulne, Pierre, Le Capital québécois dans la crise canadienne, Montréal, CEQ, 1979, p. 11.

[42] À cet égard, est-il utile de rappeler les nombreuses interrelations qui les unissent. De plus en plus, Pierre Fournier (op. cit.) l'a déjà souligné, elles raffermissent leurs liens d'abord entre elles, puis avec les autres constituantes de la bourgeoisie québécoise. Nouveler, cette société des énergies nouvelles récemment créée par le gouvernement Lévesque est à la mesure de ce mouvement. En effet, conjointement détenue par SOQUIP, la S.G.F. et Hydro, cette société reflète fort bien cette tendance à laquelle nous nous référons.



Retour au texte de l'auteur: Pierre Fournier, ex-prof, science politique UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 février 2020 19:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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