RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Bernard, Marcel Fournier et Céline Saint-Pierre, “Présentation. Au-delà de la crise, un second souffle pour la sociologie”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. XXX, no 1, printemps 1998, p. 3-8. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. Numéro intitulé: Le second souffle pour la sociologie. [Autorisation accordée par l'auteur le 12 décembre 2002 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, cette oeuvre et toutes celles publiées au Québec.]

Paul Bernard, Marcel Fournier et Céline Saint-Pierre 

Présentation. Au-delà de la crise,
un second souffle pour la sociologie
”. 

Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. XXX, no 1, printemps 1998, p. 3-8. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. Numéro intitulé: Le second souffle pour la sociologie.
 

Introduction
 
Pluralisme théorique, interrogations anciennes et nouvelles orientations
Les grandes transformations sociales
Nouvelles formes sociales, nouveaux objets de la sociologie
 
 
Bibliographie

Introduction

 

Si la science économique se présente comme désenchanteresse (the dismal science), la sociologie se donne souvent à voir comme une science désenchantée. Au coeur même du tourbillon d'activités dont les Congrès mondiaux quadriennaux sont le point culminant, on sent comme une sourde inquiétude. Inquiétude intellectuelle, bien sûr : les sociologues les plus connus parlent souvent d'une crise de la discipline. Inquiétude identitaire aussi : on ne sait plus très bien ce qui tient ensemble des champs spécialisés, des approches et paradigmes, des traditions nationales ou régionales qui continuent certes à se réclamer de la sociologie, mais sans que le terrain ou la perspective qui leur demeurent communs ne s'imposent à l'évidence. De même, l'ère des grands méta-récits qui orientaient presque toutes nos entreprises, qu'il s'agisse de celui de la modernisation ou de celui de la lutte des classes, semble bien révolue ; nous logeons plutôt, en principe pour certains et en pratique pour tous, à l'enseigne de la fragmentation. 

Si le principe organisateur interne de la sociologie demeure incertain, ses frontières ne sont pas davantage assurées. Des disciplines connexes comme l'anthropologie, la science politique ou la science économique analysent les mêmes objets. De plus lointaines cousines, linguistique ou psychanalyse, par exemple, imposent leur discours jusque dans des endroits que nous considérions nôtres. Des domaines entiers de connaissance - et, il faut le noter, de pratiques professionnelles - s'autonomisent par rapport à nous, qu'il s'agisse des communications, de l'urbanisme, des études sur la santé, de la criminologie, sans parler du travail social, de l'analyse des organisations, des relations de travail ou de l'industrie du sondage d'opinion. De nouvelles perspectives intellectuelles et sociales, comme le féminisme, les cultural studies, le postmodernisme ou les études gaies et lesbiennes déplacent littéralement la sociologie sur les rayons des librairies ; les colonnes des magazines hauts de gamme font moins souvent qu'auparavant mention de notre discipline, et on peut craindre que celle-ci ne perde de son statut auprès des générations montantes. 

Et pourtant ! Et pourtant, ces détours nous sont aussi richesse. Si le mot « sociologie » ne coiffe plus si ostensiblement cette myriade d'entreprises, la chose, l'entreprise, le projet sont toujours bien vivants. Les sociologues s'inspirent certes des perspectives avoisinantes, mais ils les inspirent aussi, comme on le voit dans l'étude des rapports de sexes. Ils réclament même des territoires qu'ils avaient pour un temps abandonnés à d'autres disciplines, comme les comportements économiques. Ils empruntent des méthodes aux ethnographes ou aux linguistes, mais c'est pour mieux les explorer et les généraliser, comme on le voit dans la théorisation ancrée (grounded theory), dans l'étude de cas ou dans l'analyse du discours. 

Il ne faut donc pas craindre l'ouverture des sciences sociales, comme y appellent la commission Gulbenkian et son président, Immanuel Wallerstein. Mais encore faut-il prendre la mesure de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons être, de ce que nous pouvons apporter à ce débat. Ce numéro spécial de la revue Sociologie et sociétés veut y contribuer. Au-delà d'un certain essoufflement de notre discipline, nous voulons chercher et trouver le second souffle de la sociologie. 

Pour ce faire, nous avons fait appel à des collaborateurs d'ici et d'ailleurs, que nous avons priés de réfléchir à cette question. Nous avons choisi des sociologues chevronnés, mais aussi des plus jeunes, ceux de la relève, afin d'explorer une diversité d'avenues que pourrait emprunter notre discipline. Nous avons demandé à ces chercheurs de faire le point sur l'essentiel des connaissances acquises dans leur propre champ de travail et d'identifier les pistes qui s'y sont révélées les plus fructueuses. 

Experts en provenance des quatre coins du monde, ils nous ont parlé de pauvreté et d'exclusion, de mondialisation, de sociétés du savoir, de culture et de communications, de nouvelles formes familiales, de violence, d'urbanisation, de rapports entre l'État et la société civile, de changements globaux des institutions sociales, politiques, économiques, d'action collective. Ils ont aussi examiné les principales avancées de la théorie sociologique et les reformulations mêmes du projet scientifique de la discipline. 

Notre projet est ambitieux, voire risque. Nous avons voulu éviter deux écueils : d'une part, une collection disparate de comptes rendus des recherches dans divers champs, qui ne nous fournirait pas d'indications globales quant à l'avenir probable et souhaitable de la discipline sociologique ; d'autre part, des considérations trop générales sur la discipline, sans référence au développement de l'un ou l'autre des divers champs de recherche. C'est pourquoi nous avons proposé à chaque auteur de s'inspirer, dans son texte, d'une démarche type, en répondant aux questions suivantes : 

  • Quel sont les enjeux centraux du champ dans lequel se situent vos travaux ?

  •  Quelles sont les principales connaissances acquises a cet égard un peu partout dans le monde ?

  • Comment ces connaissances ont-elles été produites ? Quelles sont les perspectives théoriques et méthodologiques, voire épistémologiques, qui se sont révélées les plus fécondes pour produire ces connaissances ?

  •  Qu'y a-t-il de proprement sociologique dans ces perspectives ? Quels emprunts la sociologie y fait-elle à d'autres disciplines, et comment s'en distingue-t-elle ?

  •  Compte tenu de ce qui précède, quelles directions de recherche apparaissent-elles les plus prometteuses en vue d'assurer la poursuite ou la transformation de la démarche sociologique ? 

Ni description, ni prescription, c'est une réflexion « ancrée » que nos collaborateurs livrent à un large public de sociologues, et non pas aux seuls spécialistes de leur propre domaine de recherche. Ils répondent, grâce à la variété des textes proposés, à la question suivante : Quelle est et quelle devrait être la nature de la démarche sociologique en regard des grands enjeux sociaux auxquels nos sociétés sont confrontées en cette fin de siècle ? 

Les aléas liés à des échéanciers serrés et à l'évaluation des textes par les pairs nous ont privés de certaines contributions que nous souhaitions obtenir, en particulier dans le champ des relations ethniques, des rapports entre hommes et femmes, du fondamentalisme. Cela dit, nos coups de sonde dans divers champs de la sociologie nous ont fourni un précieux matériau. Il prend sens grâce à la convergence des interrogations que portent des chercheurs très différents. Chaque lecteur en tirera ses propres enseignements en explorant à sa manière la combinatoire de ces textes. Nous nous limiterons à présenter, dans les pages qui suivent, quelques rapprochements et contrastes intéressants entre ceux-ci. 

 

Pluralisme théorique, interrogations anciennes
et nouvelles orientations

 

Si, comme l'écrit L. Wittgenstein, « dans le domaine de la pensée, certains progrès importants sont comparables au déplacement des volumes d'une rangée que l'on reclasse dans d'autres rayons [d'une bibliothèque] », que se passe-t-il en sociologie ? Marx, Weber et Durkheim figurent toujours parmi les auteurs classiques. Simmel et Parsons les ont rejoints. Sans parler des autres auteurs qui ont été (re)découverts : Schultz, Elias, Dewey, Mauss, Arendt, etc. Le vieux débat fonctionnalisme/marxisme a perdu de son acuité. Avec la fin de l'hégémonie du structuro-fonctionnalisme aux États-Unis et la crise - certains parlent d'échec - du marxisme, on assiste à une sorte d'« interrègne théorique ». Est-ce la fin de la « guerre des écoles » ? Comment atteindre au pluralisme mais échapper à l'éclectisme ? 

Les débats, moins vifs, prennent d'autres formes et s'organisent autour de grandes oppositions : certes individu/société (individualisme méthodologique/holisme), rationalité/non-rationalité, volontarisme/déterminisme, subjectivisme/objectivisme, mais aussi macro/micro et, d'une manière plus générale, action (agency)/structure. Peut-on, comme le suggère Margaret S. Archer, dépasser cette pensée dualiste ? Suffit-il, comme l'a déjà proposé Jeffrey Alexander, de développer une perspective multidimensionnelle ? L'oecuménisme théorique a une vertu, celle de susciter de nombreuses discussions, parfois un peu scolaires, mais ne conduit-il pas trop souvent aux synthèses vagues ? 

Comme on peut le voir dans plusieurs textes, le deuxième souffle de la sociologie ne se limite pas seulement à l'identification de nouveaux objets ; il comporte aussi une réflexion théorique et épistémologique, qui implique une confrontation avec plusieurs auteurs contemporains : Bourdieu, Touraine et Boudon en France, Habermas et Luhman en Allemagne, Giddens et Gellner en Angleterre, Coleman et Collins aux États-Unis, Freitag et Taylor au Canada. Les directions que prend cette réflexion sont multiples et diverses : examen non-réductionniste, comme le propose Margaret S. Archer, du rapport structure/action ; retour, comme on le voit dans l'article de Jean-François Côté, au pragmatisme et à l'herméneutique, élaboration d'une perspective « communicationnelle » ; multiplication des cultural studies et émergence, comme le soulignent Jeffrey Alexander et Philip Smith, d'une sociologie culturelle ; critique de la théorie de la modernisation et attention plus grande accordée aux interactions humaines et à ce que Piotr Sztompka appelle les facteurs « mous » (codes culturels, valeurs, discours). 

La culture ne constitue pas seulement un objet d'étude à la mode. Elle représente aussi un enjeu théorique important. Pour Jeffrey Alexander et Philip Smith, le renouvellement de la sociologie a pour conditions le passage d'une sociologie de la culture à une sociologie culturelle et la mise en marche, comme on l'a fait pour l'étude de la science, d'un « programme fort » construit autour des trois axiomes suivants : textualité de la vie sociale, autonomie des forces culturelles et repérage de mécanismes culturels concrets. 

La sociologie de la science est, depuis le début des années 1970, le lieu de contributions originales et de débats animés. Karin Knorr Cetina aborde la question de la centralité de la science et de la technologie dans nos sociétés contemporaines, et tout en reprenant le concept de « société du savoir » (knowledge society), elle propose de centrer l'analyse sociologique sur les « processus épistémiques ». Ce ne sont plus les structures sociales qui déterminent les structures cognitives, mais l'inverse. Dans son étude, Knorr Cetina privilégie deux aspects ou formes de la vie sociale : les relations personnelles (la socialité centrée sur l'objet) et l'organisation de l'entreprise (analysée en termes de structures de laboratoire). 

L'un des points de départ du renouvellement de la théorie sociologique se situe maintenant, comme le note François Dosse (1995) pour la France, du côté d'une théorie de l'action : le bottom line, selon l'expression de Margaret S. Archer, c'est l'acteur. Mais de quel acteur s'agit-il ? L'acteur « rationnel », l'acteur « normatif » ou l'acteur « émotionnel » ? Cette question est au coeur des débats théoriques contemporains. Une chose apparaît certaine : l'analyse ou l'explication sociologique ne peut se cantonner dans le micro ou au niveau de l'interaction : le social est, par définition, relationnel (réseaux, etc.) ou, mieux, structurel. Toute la question est de savoir comment appréhender le social - ou le fait social, pour reprendre l'expression durkheimienne - tout en explicitant le sens qu'il prend pour le ou les acteurs 

La réponse à cette question nous amène nécessairement sur le terrain de l'épistémologie. On se demandait hier si l'objectivité était possible ; on se demande aujourd'hui si la sociologie peut élaborer un « discours universalisable ». À l'objectivisme, on oppose un relativisme (plus ou moins absolu) et la science telle qu'elle se fait est, comme le rappelle Jean Michel Berthelot, plus fragile, plus ouverte aux influences dites extérieures ou sociales qu'on ne le pensait, au point d'apparaître comme un savoir in situ. Sans parler des séductions du style postmoderniste. On est à l'ère du constructivisme : la réalité est elle-même, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Berger et Luckmann, une construction sociale. Mais le relativisme absolu, dans sa version la plus sceptique, a manifestement ses limites : il conduit à la négation du travail de la raison, à l'impossibilité de tout raisonnement sociologique, selon l'expression de Jean-Claude Passeron (1991). D'autres voies s'ouvrent, tel l'historicisme rationaliste (Bourdieu, 1997). On ne peut toutefois pas, comme Durkheim le disait de la morale, dire : à chaque époque ou à chaque société sa théorie. Ce serait abandonner toute idée de cumulativité, de progrès du savoir. 

Il faut, selon John Myles, mettre une certaine dose de modestie dans cette recherche du savoir. Les grandes prophéties, les grands méta-récits se sont révélés trompeurs. En leur lieu et place, et sans se cantonner dans la simple historiographie, la sociologie doit développer des théories générales pour déterminer le champ des possibles ; mais elle doit aussi accepter que ce qui se réalise en fait, parmi ces possibles, demeure largement imprévisible. C'est donc en rétrospective seulement que nous pouvons reconstituer les processus à l'œuvre et montrer ce que Myles appelle leur dépendance par rapport à l'origine (path dependency), c'est-à-dire leur façonnement, à chaque moment, par les circonstances de leur évolution antérieure.

 

Les grandes transformations sociales

 

Les grandes transformations sociales ont toujours été un objet privilégié de la sociologie, depuis ses origines mêmes. Les mutations récentes des sociétés à travers le monde, qu'elles soient capitalistes ou communistes, développées ou en développement, ont fait l'objet de tentatives de reproblématisation, de mise en forme, de nouvelles démarches analytiques et de propositions de nouveaux paradigmes. L'analyse de ces mutations provoque aussi la rencontre de la sociologie avec d'autres disciplines, économie politique et histoire en particulier ; elle favorise ainsi une interdisciplinarité qui émerge et devient de plus en plus féconde. 

Les analyses proposées par Enzo Mingione, sur la fragmentation et l'exclusion dans les sociétés capitalistes avancées, par Gerardo Munck et Vicento Palermo, sur les acteurs sociaux et les régimes politiques en Amérique latine, en sont des exemples. Manuel Antonio Garreton propose une nouvelle approche pour l'étude des sociétés latino-américaines qui tiendrait compte davantage des conditions historiques propres à chaque société dans la compréhension de leur développement social, ce qui le conduit à abandonner l'idée d'une sociologie latino-américaine englobante. Il faut parler plutôt des sociologies de l'Amérique latine, les paradigmes ayant présidé à la définition d'une sociologie latino-américaine n'étant plus valides. 

Piotr Stompka montre les effets des révolutions anticommunistes de la fin des années quatre-vingt sur les théories sociologiques du changement social, notamment la fin des paradigmes évolutionniste, dialectique et cyclique propre au XIXe siècle, de même que la fin de la référence à l'utopie sociale. Il propose de faire place à un paradigme alternatif qu'il désigne comme celui du devenir social (social becoming) et qui permet de redéfinir la théorie de la modernisation plutôt que de l'abandonner. Karin Knorr Cytina s'intéresse aux rapports entre connaissance et société. Elle propose d'analyser le passage des sociétés industrielles aux sociétés fondées sur le savoir sous l'angle des discontinuités ; c'est là une démarche qui donne toute sa place à une compréhension du fonctionnement des processus épistémologiques permettant de saisir comment les structures du savoir s'insèrent dans les structures sociales. Comme le montre Mingione, le phénomène de globalisation des sociétés s'accompagne, selon Karin Knorr Cetina, d'une fragmentation structurelle. 

L'analyse macrosociologique des transformations des sociétés modernes doit toujours se centrer, selon Enzo Mingione, sur une compréhension de l'action des acteurs. De là viendra, pour la sociologie, un deuxième souffle, une critique radicale du paradigme du marché qui s'autorégule et qui sert de base à la régulation de la société. Cette critique mettra en relief le potentiel des nouvelles formes d'association et la résurgence créatrice de la réciprocité pour contrer la fragmentation sociale, l'exclusion et la marginalisation d'un nombre croissant d'individus. 

Piotr Stompka voit dans l'approche culturelle-civilisationnelle, qui se distingue de l'approche institutionnelle, une avenue prometteuse pour comprendre les changements dans les sociétés post-communistes : elle permet de distinguer la société civile de la sphère publique, la structure de l'agence humaine (human agency). Alors que dans les sociétés latino-américaines, la société civile est éclatée, Manuel Antonio Garreton propose un nouveau concept pour saisir l'action sociale, celui de « matrice constitutive des acteurs sociaux ». Une étude des institutions politiques et de l'État demeure aussi au coeur de l'analyse de ces sociétés et la sociologie politique prend la place qu'occupait auparavant la sociologie du développement, selon Garreton de même que pour Munck et Palermo.

 

Nouvelles formes sociales
nouveaux objets de la sociologie

 

La sociologie trouve aussi son second souffle dans l'appréhension de nouvelles formes sociales, qui sont autant de traces de la transformation des institutions et de l'action sociale ; mais elle éprouve aussi les limites de sa capacité de rendre compte de certains problèmes sociaux, tels les nouveaux phénomènes de la criminalité (John Hagan et Bill McCarthy), l'institutionnalisation de l'action collective (Pierre Hamel, Henri Lustiger-Thaler et Louis Maheu) et la transformation de certaines institutions, comme la famille (Anne Quéniart et Roch Hurtubise). Tous ces auteurs font état de la nécessité de repenser l'analyse des liens entre l'individuel et le collectif, objet central de la sociologie générale. 

Depuis quinze ans, la sociologie de la famille est l'un des champs les plus productifs de la sociologie. Cette sociologie est marquée par la présence très forte de recherches empiriques qui visent à mieux cerner des phénomènes tels que la paternité nouvelle, le divorce et les nouvelles frontières de la famille et de la parentalité. Réussira-t-elle à conquérir de nouvelles lettres de noblesse en se constituant comme champ de problématisation pertinent pour la construction de nouveaux paradigmes de la sociologie générale ? Quéniart et Hurtubise demeurent un peu inquiets quant à son avenir ; celui-ci ne sera assuré que si la sociologie de la famille parvient à situer les transformations de la famille dans un contexte sociétal, à recourir à une approche interdisciplinaire plus rigoureuse, à reconstruire et délimiter son objet. 

Le champ de la criminologie sociologique est interpellé par de nouveaux phénomènes de criminalité analysés par John Hagan et Bill McCarthy. Tout comme Quéniart et Hurtubise, ces derniers demeurent sceptiques devant la capacité de la sociologie à en rendre compte. En même temps, celle-ci pourrait selon eux y trouver un second souffle en proposant un cadre conceptuel interdisciplinaire et un nouveau paradigme pour comprendre ces nouvelles formes de criminalité. Hagan et McCarthy empruntent à Coleman le concept de « capital social », qui leur semble tout à fait approprié pour analyser la nouvelle criminalité des jeunes qui vivent dans la rue, phénomène trop peu étudié par les criminologues. Ils se préoccupent à la fois du renouvellement de la sociologie et de la criminologie, et ils proposent de développer une criminologie de la rue (street criminology) qui mise sur la théorie de l'inégalité des chances en regard de l'accès au capital social, tout en y intégrant le rôle des institutions, notamment l'école, et du milieu environnant comme facteurs explicatifs des occasions de criminalité qui se présentent aux jeunes. 

Pierre Hamel, Henri Lustiger-Thaler et Louis Maheu font aussi appel à un renouvellement conceptuel pour mieux expliquer à la fois les phénomènes d'action collective et les mouvements sociaux, et pour sortir de l'opposition classique entre les deux approches auxquelles ces appellations renvoient. Ce renouvellement passe, selon eux, par une intégration plus poussée de la notion d'institutionnalisation dans la problématique des mouvements sociaux et de l'action collective. Cela permet de montrer comment les formes actuelles de l'exclusion renvoient à des expériences individuelles et collectives vécues dans l'anonymat de la « non-place » dans le tissu social, ce qui se traduit par une incapacité d'agir. Cette ouverture du cadre analytique permet de relier l'action individuelle et l'action collective ; il devient alors possible d'y repérer de nouvelles formes de mouvements sociaux et d'identifier des espaces de recomposition de relations sociales qui pourraient devenir objets d'institutionnalisation. 

Un second souffle pour la sociologie ? Tous ce que nos auteurs ont écrit ici nous conduit à répondre positivement, mais en toute conscience de l'effort gigantesque à fournir. Nos paradigmes exigent des transformations dont plusieurs théoriciens nous proposent les voies. De nouveaux objets sollicitent notre attention. Par ailleurs nous n'en avons de toute évidence pas terminé avec la ville, les conflits, les mouvements sociaux, les identités collectives, l'État, la culture et tant d'autres objets, Cette œuvre appelle des efforts à la fois audacieux et modestes, une volonté de construire de nouvelles perspectives d'interprétation du social, en même temps qu'une conscience des limites de toute entreprise qui cherche à comprendre le déroulement des interactions humaines dans le temps et dans l'espace.

 

Paul BERNARD et Marcel FOURNIER

Département de sociologie
Université de Montréal
C.P. 6128, Suce. Centre-ville
Montréal (Québec), Canada H3C 3J7

 

Céline SAINT-PIERRE

Département de sociologie
Université du Québec à Montréal
C.P. 8888, Suce. Centre-ville
Montréal (Québec), Canada H3C 3P8
 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BOURDIEU, Pierre (1997), Méditations pascaliennes, Paris, Seuil. 

DOSSE, François (1995), L'Empire du sens, Paris, La Découverte. 

PASSERON, Jean-Claude (1991), Le Raisonnement sociologique. L'Espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan. 


Retour au texte de l'auteur: Marcel Fournier, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 6 août 2008 8:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref