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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LA POLICE SECRÈTE AU QUÉBEC. La tyrannie occulte de la police. (1978)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Louis Fournier, LA POLICE SECRÈTE AU QUÉBEC. La tyrannie occulte de la police. Montréal: Éditions Québec/Amérique, 1978, 229 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 30 novembre 2006 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales, l'éditeur n'ayant plus aucun droit sur l'oeuvre.]

[9]

Préface

La tyrannie occulte de la police

Par Jean-Claude Leclerc


Nos voisins du sud, les Américains, ont donné au monde un exemple sans précédent dans l'histoire politique. Par le seul recours aux institutions des États-Unis, sans avoir à faire une révolution ni à verser une seule goutte de sang, ils ont démis de ses pouvoirs devenus dictatoriaux l'un des Présidents les plus puissants de leur histoire et dévoilé sur la place publique nombre de turpitudes pratiquées par les forces de sécurité prétendant agir, chez eux et à l'étranger, au nom de la démocratie et de leurs libertés.

Devant ces grands scandales, qui n'ont pas fini du reste de s'étaler, plusieurs se demandaient si, dans le pays voisin, la tranquille fédération canadienne, où rien de tel ne survenait, il fallait voir un miracle d'intégrité policière et politique : comme si enfin, sur la planète, nous avions trouvé le paradis perdu des droits de l'homme et des libertés civiles. Depuis, il a fallu déchanter, les scandales se multipliant chez nous aussi. Non seulement n'étions-nous pas à l'abri des menées antidémocratiques de nos polices secrètes, mais surtout nos moyens d'y faire face, quand ils n'étaient point inexistants, se révélaient extrêmement fragiles.

Alors qu'aux États-Unis stupeur et colère ont accueilli les révélations que l'on sait, et que les Américains refusaient de laisser proliférer chez eux un tel appareil dictatorial, au Canada, le contraire prévalait. Nombreux sont ceux qui, même dans les milieux politiques, sont prêts à donner plus de latitude encore à la police et à lui permettre d'accomplir « légalement » des crimes qui sont présentement interdits. L'opinion publique répond ainsi à un conditionnement fort habile de la part des milieux policiers. Au lieu de rendre des comptes et d'expliquer leur faible taux de succès contre [10] la criminalité, les forces de l'ordre en tirent parti pour réclamer plus de pouvoirs et plus de ressources.

À ces mœurs complaisantes et à ces campagnes policières correspondent, on le voit mieux maintenant, des institutions politiques généralement peu propices à la conscience démocratique et très vulnérable aux poussées tyranniques des forces de sécurité. Au Canada, l'équilibre des pouvoirs a été rompu en faveur du pouvoir central ; le parlement, peu à peu, a cédé devant l'administration ; et le gouvernement lui-même, au milieu de tant de turpitudes, en est rendu à inventer une théorie de l'abdication et de l'irresponsabilité ministérielles en matière de sécurité.

Contrairement à la croyance, voulant que les libertés fondamentales soient mieux protégées chez nous grâce à notre régime fédéral, la police fédérale domine le pays dans huit des dix provinces ; et dans les deux autres, elle détient, par ses ex-officiers ou ses agents secrets, des postes vitaux au sein des forces policières et des « agences privées », de sorte qu'imperceptiblement la police secrète s'est installée partout et contrôle tout sans être elle-même contrôlée par personne.

Aussi est-ce par une conjoncture rare et comme par le seul fait du hasard, que les crimes et les pratiques subversives de la police au Canada ont commencé d'être connus et exposés au grand jour. Sans l'explosion malencontreuse d'une bombe entre les mains d'un agent secret, sans sa vantardise tout aussi inattendue, sans l'élection surprenante et imprévue d'un nouveau gouvernement au Québec, sans enfin une lutte d'écoles ou de pouvoir à l'intérieur même des forces de sécurité, jamais les grandes enquêtes sur la police n'auraient vu le jour au Canada, ainsi que le confirme le peu d'écho reçu à ce jour par l'enquête menée en Alberta.

Cela est tellement vrai qu'à l'occasion de ces scandales les impliquant lourdement, loin de perdre leur prestige et de rentrer dans leurs casernes, les services de sécurité ont entrepris de tourner ces révélations à leur avantage et d'arracher d'autres pouvoirs exorbitants aux autorités politiques. Le ver est bien vigoureux dans la pomme canadienne. À la pensée que les services chargés de leur sécurité puissent laisser savoir au public certains incidents douteux de leur vie privée, c'est avec crainte et tremblement que les hommes [11] politiques, jusqu'au sommet, se contentent de surnager dans le tourbillon des événements policiers.

Cette arrogance de la police devant les juges, les parlementaires et la population confirme, sil en était besoin, la différence qui caractérise la situation au Canada par rapport à celle qui évolue aux États-Unis. Chez nos voisins du sud, par exemple, d'où est venu l'essentiel des critiques sur les méthodes d'action et sur la philosophie arbitraire des services secrets ? Principalement de l'intérieur de ces services, d'agents et de fonctionnaires intelligents, courageux et intègres, qui ont pu voir à l'expérience même ce qu'en réalité cachaient les mythes de la sécurité nationale et de l'action clandestine.

Ces forces de l'ordre sont largement des forces de désordre, réussissant de moins à moins à cacher leurs objectifs ou leurs effets véritables : mépris pour les populations opprimées ; connivence avec les régimes et les politiciens corrompus ; incompétence dans le travail officiel de protection et de sécurité ; gaspillages et enflures bureaucratiques. Au lieu de s'en rendre compte et d'imiter à leur tour les agents américains qui ont commencé de dénoncer ces impostures, nos agents canadiens en sont encore à se moquer des juges et des autres instances démocratiques.

Aussi la lutte contre la tyrannie secrète des services de sécurité s'annonce-t-elle chez nous particulièrement difficile et compliquée. La recherche et la réflexion en ce domaine sont encore dans l'enfance. Les mesures de prévention et de protection sont loin de faire partie des traditions dans nos organismes démocratiques. Il importe donc de garder grand ouverts les dossiers d'enquête, les hypothèses d'explication et les stratégies de « riposte ».

Dès maintenant, toutefois, peuvent se dessiner quelques-uns des grands objectifs à poursuivre dans la défense et la promotion des libertés démocratiques contre la tyrannie occulte des services de renseignement et de sécurité. Ces objectifs sont dictés par les principales caractéristiques de cette tyrannie policière :


• son caractère secret et clandestin ;

• la garantie d'impunité qu'elle donne à ses agents contre toute sanction judiciaire ;

[12]
l'utilisation systématique qu'elle fait des informateurs et de la corruption.


En premier lieu, que les enquêtes déjà ouvertes se poursuivent avec succès ou pas, les recherches doivent continuer sur les cas et les méthodes de subversion sociale et politique utilisées par la police. Le pire n'est probablement pas encore sorti de l'ombre. À la tyrannie qui repose sur le secret, l'antidote naturel reste le caractère public des informations gouvernementales et des dossiers de police. Les résistances en ce domaine sont fortes et vont le rester ; il faut y voir un signe que ce terrain d'action est essentiel et qu'il vaut la peine d'y redoubler d'efforts. Le progrès démocratique et le contrôle de l'arbitraire étatique continuent de passer par la pleine lumière du jour et par la grande place de l'opinion publique.

Un deuxième front de riposte est ouvert au parlement même, où les forces policières tentent de légaliser leurs crimes et leurs pratiques tyranniques. La subversion des lois et des institutions est toujours en marche au Canada. Elle continue de provenir non pas du « communisme » extérieur ou du « séparatisme » intérieur, mais des formes policières qui brandissent ces épouvantails pour gagner du terrain sur tous les fronts.

Alors que partout aujourd'hui les droits de l'homme et les libertés civiles doivent être garantis d'abord et avant tout contre l'État, la police s'efforce, le plus souvent avec succès, de se faire exempter de ces obligations et des mécanismes judiciaires aptes à les sanctionner. La population continue de se faire berner par une police qui réclame plus de pouvoirs au nom d'une « criminalité » qu'elle est incapable d'enrayer. Au lieu de rendre des comptes, la police ne recule même pas devant l'intimidation des parlementaires et des médias d'information. Il faut faire échec à la légalisation de l'arbitraire.

Troisièmement, un phénomène moins visible mais tout aussi important devrait faire l'objet de plus grandes préoccupations. La police fédérale a développé et elle finance un vaste réseau de mercenaires plus ou moins tarés, dont les crimes sont tus en contrepartie de divers services, et qui ainsi peuvent en prendre encore plus large avec les lois. Leur présence clandestine dans les bureaux gouvernementaux [13] et dans les institutions et les entreprises d'importance au Canada permet à la police d'y exercer une influence et au besoin, une subversion permanentes.

Les tribunaux et maints spécialistes tiennent les « informateurs de police », et la corruption qui les débauche et les alimente, comme un mal nécessaire à l'administration de la justice. Le temps est venu de se demander, au contraire, si ce n'est pas là un mal aussi inutile à la justice véritable que dangereux dans toute société prétendant reposer sur l'intégrité des mœurs et des institutions. Le cancer social des « informateurs » tend à se généraliser avec la systématisation qu'en font les services de sécurité. De plus, chaque année, des millions de dollars sont ainsi investis dans l'achat de renseignements et de « sources » sans qu'aucun contrôle de leur usage réel et de leur efficacité véritable soit dûment exercé.

Mais de toutes les méthodes d'action policière clandestine et illégale, les plus récentes et les plus sophistiquées ne sont peut-être pas venues à jour dans les révélations colligées et analysées dans les média et dans des « manuels » de culture politique de base comme celui que publie la Ligue des droits de l'homme sous le titre de « La police secrète au Québec ». Par exemple, l'infiltration d'agents secrets dans les syndicats ouvriers et dans des partis politiques comme le Parti Québécois et le Nouveau Parti Démocratique, va propulser naturellement vers le sommet, avec les années, des adversaires clandestins idéologiquement formés et très expérimentés, capables de piloter n'importe quels sabotages institutionnels.

Toute opposition véritable dérange. La différence entre une société libre et démocratique et un régime tyrannique, c'est que la première permet aux forces d'opposition de se développer, alors que le deuxième ne peut les tolérer. Les Américains ont dit où ils voulaient se loger chez eux. Les Canadiens hésitent et leur hésitation pourrait leur être fatale, autant qu'aux Québécois sans qui la police politique fût restée méconnue chez nous.

Nous n'avons pourtant pas le choix. La lutte pour la liberté et l'avenir démocratique se confond depuis toujours avec le combat contre l'arbitraire étatique, la police secrète [14] et les bandes de mercenaires à la solde des puissances d'argent.

Jean-Claude LECLERC



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 13 août 2011 9:39
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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