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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La société. Tome 4: Les classes (1980)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Robert Fossaert, sociologue,  La société. Tome 4: Les classes. (1980). Paris: Les Éditions du Seuil, 1977, 493 pages. [Autorisation de l'auteur accordée le 20 juillet 2003 de diffuser sur ce site]. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'enseignement à l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.
Présentation

par Robert Fossaert

Jusqu'ici, les hommes qui donnent vie et forme à toute société sont demeurés à l'arrière-plan de ma recherche. Au tome 2, l'exploration des structures économiques a permis de les apercevoir, comme propriétaires ou comme travailleurs. Au tome 3, l'inventaire des appareils étatiques et idéologiques a fait entrevoir les rôles, déjà plus divers, que l'organisation sociale assigne à ceux qui s'activent hors la production : prêtres ou percepteurs, soldats ou artistes, enseignants ou juges, etc. Aussi bien, l'objectif n'était-il pas de rendre intelligibles, par priorité, les actes et les pensées des hommes saisis dans toute leur complexité. Il était, à l'inverse, d'éclairer progressivement l'immense réseau des relations sociales établies entre les hommes. Au centre de la recherche figuraient non point les hommes-en-société, mais bien la société-reliant-les-hommes.

L'optique va-t-elle changer, maintenant que les classes sociales viennent à l'ordre du jour? Les classes et leurs luttes projetterontelles au premier plan les hommes qui, par ces luttes, font l'histoire?

Si l'on pouvait, dès à présent, prendre une vue complète des luttes de classes qui entraînent tous les hommes dans leur incessante pulsation, l'optique changerait assurément. On concevrait, alors, l'activité sociale comme un entrelacs d'actions individuelles et collectives, tandis que les hommes et les groupes concrets où ils sont assemblés apparaîtraient, à bon droit, comme les acteurs de l'aventure sociale. Mais une telle vue d'ensemble ne pourra pas être prise de sitôt. Les rapports de production, déjà analysés au tome 2, sont aussi des rapports d'exploitation et, en poussant plus avant leur analyse, on peut discerner les classes sociales qu'ils déterminent et les luttes de classes qu'ils sous-tendent. Les rapports de classes qui s'établissent, d'autre manière, dans la population des appareils étatiques et idéologiques peuvent être examinés de même. Ainsi, le présent volume pourra mettre en lumière toutes les déterminations des classes sociales qui sont enracinées dans l'infrastructure matérielle de l'économie, du pouvoir et de l'idéologie. Mais il ne pourra rien dire encore des nombreuses déterminations additionnelles que les classes sociales reçoivent des structures politiques et idéologiques où elles se manifestent en toute société.

Un bref exemple suffit à illustrer cette distinction essentielle. L'analyse du MP (1) capitaliste permet de repérer notamment une classe ouvrière, dotée de propriétés bien définies, de par les rapports de production où elle est inscrite. Mais les ouvriers, ainsi définis, sont-ils syndiqués? Sont-ils organisés dans - ou représentés par - un ou plusieurs partis politiques? Forment-ils, dans une société donnée, un ensemble cliniquement et culturellement homogène? Plus généralement encore: ont-ils, de leur commune appartenance à la classe ouvrière, une « conscience » commune et claire? Et sinon, comment se représentent-ils leur position sociale? Rien ne garantit que leur situation essentiellement identique, au sein du MP capitaliste, se manifeste par des positions identiques en termes de syndicalisation, de politisation, de nationalité ou de « conscience de classe ». Pour en juger, il faut se livrer à un examen détaillé de la structure politique qui s'établit, dans une société donnée, sur la base d'une structure économique où le MP capitaliste occupe une position prépondérante. Il faut se livrer également à une analyse détaillée des structures idéologiques au sein desquelles les hommes s'identifient collectivement comme membres de nations, de classes et de bien d'autres collectivités, réelles ou imaginaires, communes à toute la population d'une société donnée ou différenciant celle-ci en éléments inégalement valorisés. Or de telles recherches - auxquelles seront consacrés les prochains volumes - ne pourront être entreprises avec fruit qu'à partir du moment où nous aurons déjà acquis une première idée de ce que sont les classes sociales et les luttes de classes. En effet, comment concevoir les divers types de domination politique qui peuvent s'établir en société, sans les rapporter aux luttes de classes qui les rendent indispensables? Et comment pénétrer dans l'univers fluide des représentations idéologiques sans disposer déjà de repères solides quant à l'agencement économique et politique de la société?

Ainsi, le présent volume a une ambition limitée mais essentielle. Il n'entend pas produire une théorie complète des classes sociales, mais il vise à construire, en toute rigueur, une représentation première des classes et de leurs luttes. Il va traiter des classes sociales comme le tome 2 a traité des rapports de production, en ignorant provisoirement les déterminations encore inaccessibles. Les besoins à satisfaire, qui orientent toute production, ont été ignorés (tome 2, no 29), sans que cette omission provisoire entrave la recherche. Les « consciences » ou identités différentielles, en quoi se résume l'ensemble des déterminations politiques et idéologiques des classes sociales et qui sont inaccessibles à partir de la seule infrastructure sociale, seront ignorées de même. Ce faisant, le présent volume n'en marquera pas moins une étape capitale de la recherche. Il prépare l'étude ultérieure des États et des structures idéologiques, grâce à laquelle la théorie des classes, développée ici de façon unilatérale, pourra s'enrichir jusqu'à saisir, dans toute leur complexité, les manifestations effectives des luttes de classes. La présente recherche est unilatérale, précisément parce qu'elle réduit les classes sociales à leurs déterminations infrastructurelles, sans pouvoir prêter attention aux déterminations politiques et idéologiques qui enrichissent, déforment et transforment ces dimensions premières. En d'autres termes, le présent volume va étudier un nouvel aspect des relations sociales objectives reliant entre eux les hommes-en-société. Il va montrer comment ces hommes sont nécessairement répartis en classes distinctes et affrontées, de par la situation qu'ils occupent dans l'infrastructure matérielle de la société. Comment ces hommes sont ainsi classés, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non.

L'infrastructure matérielle de la société est la matrice des classes sociales. Elle assigne une position à tous les hommes-en-société, elle dit de quelles classes chaque société est porteuse. Mais elle ne nous apprend rien sur la façon dont les hommes, ainsi classés, vivent leur condition; rien sur les formes et les résultats des actions qu'ils mènent, sinon sur leurs enjeux objectifs, rien sur les idées qu'ils se font de leurs actions et de leur condition. Or, ces idées et ces actions ne sont pas des phénomènes inessentiels ou subsidiaires et ce ne sont pas, non plus, des phénomènes prédéterminés, en tous leurs aspects, par l'infrastructure existante. Prises dans leur réalité dialectique, les classes sociales expriment l'unité, toujours contradictoire, des lourdes déterminations inscrites dans l'infrastructure sociale, et d'autres déterminations inscrites dans les structures politiques et idéologiques: celles qui conditionnent les actions et les conceptions dans lesquelles et par lesquelles les hommes vivent. Le présent volume ne suffira pas à maîtriser toute cette dialectique. Il s'en tiendra exclusivement à l'étude des Potentiels de classes, déterminés par les divers types d'infrastructure sociale. Ou, pour le dire en d'autres termes, il s'en tiendra à la dimension inhumaine des classes sociales.

Une telle coupure est possible parce que les classes sociales préexistent à l'idée que les hommes s'en font et aux actions qu'ils accomplissent. Un tout prochain chapitre établira ce point. Il montrera que le système des classes sociales, déterminé, en chaque société, par l'infrastructure existante, n'est pas un système virtuel - dont la réalisation dépendrait finalement des actions et des conceptions, politiques et idéologiques, des hommes -, mais qu'il est, au contraire, un système réel, effectivement opérant, quelles que soient les actions et les conceptions des hommes ainsi classés. Quand je dis que l'infrastructure matérielle d'une société détermine le potentiel de classes dont cette société est porteuse, il ne faut pas entendre ce potentiel comme synonyme d'une possibilité ou d'une virtualité; il faut l'entendre à la façon des électriciens qui désignent, par ce mot, la charge d'énergie dont un réseau est porteur. Le potentiel de classes sociales est effectivement un système sous tension, un champ de luttes permanentes. En délaissant provisoirement les actions et les conceptions des hommes, pris dans ce champ, on se prive de la possibilité de comprendre comment les tensions sociales - les luttes de classes - se manifestent concrètement, comment l'énergie du système des classes est utilisée, amplifiée ou diluée concentrée ou déviée, etc. Mais on se réserve, du même coup, a possibilité d'analyser, à sa source, J'énergie dont la société est chargée.

Deux périls guettent ceux qui étudient les classes sociales. Le premier peut être dit de droite, parce qu'il gomme l'affrontement primaire des classes. Il tient à l'extrême variété des caractéristiques apparentes des classes sociales dans les sociétés modernes. Tout repérage des classes qui est construit à partir d'une quelconque collection de traits empiriquement constatés - profession, statut juridique ou hiérarchique, forme et niveau du revenu, niveau d'instruction, niveau ou genre de vie, opinions et affiliations religieuses, politiques, syndicales, etc. - conduit inévitablement à des résultats incertains et aléatoires parce qu'il prend pour une cause première ce qui n'est qu'une gamme, plus ou moins complète, d'effets indirects, Les classifications descriptives diluent arbitrairement la réalité des classes sociales. On se prémunira contre ce premier péril en repérant, dans le présent volume, les racines mêmes des classes sociales. Leurs racines, autrement dit les positions que l'infrastructure sociale leur impose d'occuper, faute de quoi cette infrastructure disparaîtrait - en même temps que la société qu'elle porte. Ayant repéré ces racines et ayant ensuite mis en lumière les effets de domination et d'hégémonie que les classes, ainsi enracinées, produisent nécessairement, on se trouvera bien armé, dans les prochains volumes, pour concevoir, à l'endroit, les caractéristiques apparentes des classes sociales. A l'endroit, c'est-à-dire en reconnaissant, dans ces caractéristiques apparentes, des phénomènes secondaires, des effets indirects qui se rattachent - par une chaîne de médiations bien repérables - à l'affrontement primaire des classes enracinées dans le sous-sol de la société.

Le second péril peut être dit de gauche. Il se manifeste par l'usage de schémas dangereusement simplistes : la réduction de toute société à deux classes, de toute politique à « deux lignes », de toute identification de classe à deux figures (la « conscience de classe » et l'aliénation), de tout État moderne à deux archétypes (dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat), etc. Ces schémas viendront en discussion dans les prochains volumes, sauf à ruiner ici même le premier d'entre eux, en prêtant la plus grande attention au « réseau des rapports sociaux et des degrés transitoires d'une classe à l'autre » dont Lénine souligne « combien il est compliqué » (219, 18) (2). Il nous faudra également prendre garde, dans les prochains volumes, à desserrer correctement les liens souvent trop rigides que Marx établit entre les déterminations économiques des classes sociales et les phénomènes qu'il range sous la rubrique de la « conscience de classe ». A les desserrer, afin de faire aux structures politiques et idéologiques toute la place qu'elles requièrent et que Marx leur a trop chichement mesurée.

Telles sont les orientations directrices du présent volume : refuser toute vision kaléidoscopique des classes qui ensevelirait leurs ressorts essentiels sous une poussière de détails secondaires; refuser toute vision schématique des classes qui réduirait leurs ressorts complexes à l'affrontement de deux classes métaphysiques; repérer les racines mêmes des classes dans l'infrastructure sociale (économique ou non); concevoir, pour chaque type de société, le système des classes, ainsi enracinées, comme un potentiel de luttes intarissables.

En visant à spécifier cette recherche, pour chaque type de société, on demeurera tributaire des axiomes par lesquels il nous a fallu, jusqu'à présent, définir l'objet même de notre recherche, à savoir:

-
LA société désigne les relations de toute sorte qui existent entre les hommes, partout où il y a des hommes;

-
UNE société désigne l'ensemble des relations sociales observables dans le domaine régi par un État donné.

Toutefois le second de ces axiomes a pris une certaine consistance dans les volumes précédents. Nous ne savons pas encore dire ce qu'est un État, ni définir le domaine qu'il régit, ni, par conséquent, justifier le privilège qui ferait de chaque « domaine étatique » le siège d'une société, à singulariser comme telle. Mais le tome 2 nous a appris à reconnaître, en chaque société, l'existence d'une structure économique dite FE, et le tome 3 nous a permis d'identifier le système des appareils étatiques et idéologiques qui se forme en chaque société. Mieux, le tome 3 a défini les ensembles FE

Appareil, formés d'éléments compatibles entre eux. Dès lors, le second axiome peut être enrichi et il commence à prendre valeur de théorème :

- UNE société désigne l'ensemble des relations sociales observables dans le domaine régi par un État donné; elle comprend nécessairement une infrastructure économique, politique et idéologique, constituée par un système FE + Appareil d'un type donné.

L'objet du présent volume se résume finalement en ceci: expliciter le système des classes sociales qui correspond à chacun des systèmes FE + Appareil déjà définis. Il sera atteint en trois temps.

Il s'agit d'abord de présenter et de résoudre la problématique des classes sociales, ce qui reviendra à justifier plusieurs des affirmations qui viennent d'être avancées et à préciser les méthodes d'analyse des classes. Il sera possible, ensuite, d'analyser, un par un, les dix-sept système FE + Appareil définis au tome 3 (no 51). Il restera, enfin, à ressaisir et à vérifier les résultats ainsi obtenus, notamment en testant leur pertinence, sur l'exemple de la société française contemporaine.


Notes:

1. Les sigles - comme MP - qui ont été définis par les volumes précédents sont explicités pages 487-488. et leur signification est rappelée sur les rabats de couverture.
2. Les références données entre parenthèses, dans le texte, ont des significations diverses qui sont explicitées par l'annexe bibliographique, p. 481 sq.

Retour au texte de l'auteur: Robert Fossaert Dernière mise à jour de cette page le Mardi 05 juillet 2005 14:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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