RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Civiliser les États-Unis (août 2003)
[
33] - Civiliser les États-Unis.


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Robert Fossaert, sociologue et économiste, Civiliser les États-Unis. (août 2003). [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 16 octobre 2003, de diffuser cette oeuvre sur ce site] Livre disponible sur le site seb de M. Fossaert: http://www.macrosociologie.com/macrosociologie/civiliser.htm
.

CIVILISER LES ÉTATS-UNIS
(Essai rédigé en mars-août 2003)

Quatrième partie - Civiliser les États-Unis. (Une nouvelle stratégie, pour un monde moins désordonné)

(25) - L'erreur stratégique des États-Unis.
(26) - La chance historique de l'Europe.
(27) - Assoupir l'OTAN.
(28) - Décentrer l'Organisation Mondiale du Commerce.
[29) - Reconvertir le FMI.
(30) - Accoucher l'Europe
(31) - Revaloriser les progrès du 20e siècle.
(32) - Promouvoir l'État stratège
(33) -
Civiliser les États-Unis.

Texte du chapitre 33:

[33] - Civiliser les États-Unis


"Bonaparte agissait sur la nation la plus intelligente, la plus brave, la plus brillante de la terre". Comment ne pas se souvenir de cette forfanterie de Chateaubriand, quand on est soi- même Français et qu'on se propose de conclure un essai stratégique en conseillant de civiliser les États-Unis ? Encore un Français qui prend son pays pour le parangon de la civilisation ? Encore un "vieil européen" nostalgique du temps où son petit continent croyait rénover le monde entier et déclenchait une cascade de guerres auxquelles l'intervention américaine dût mettre un terme ? Encore une poussée d'anti-américanisme, parce qu'après avoir remis de l'ordre en Europe, nous commençons à mettre de l'ordre dans le reste du monde?

Et ainsi de suite : on peut produire des tonnes de mauvaise littérature de ce genre, la presse ne s'en prive pas à l'heure où j'écris ceci, ce qui nous ramène au propos central de ce livre. Les États-Unis, blessés par les attentats de 2001, ont fait un choix stratégique qui aggrave les conséquences mondiales de leur suprématie militaire, de leur supériorité économique et de leur influence culturelle lancinante (n° 17), si bien que l'Europe qui est déjà en bonne voie de désintoxication impérialiste peut essayer de promouvoir une tout autre stratégie pour favoriser un développement économique moins inégal et contribuer à la pacification des régions du monde les plus souffrantes, stratégie dont l'exposé (évidemment hypothétique) s'achève ici par cette recommandation : il faut civiliser les États-Unis, les y aider, les y contraindre autant que de besoin, mais pacifiquement. Les civiliser, non pas pour gommer la morgue unilatéraliste de leur Administration, ni pour corriger la brutalité et le manque de tact de leurs militaires omniprésents et de certains de leurs diplomates, ni même pour adoucir les mœurs d'un peuple souvent violent. En effet, ces conséquences d'un surcroît de civilisation s'épanouiront à mesure que les États-Unis, bénéficiaires égoïstement inconscients des injustices structurelles du monde actuel, seront contraints de s'adapter à un autre système mondial. Le gain ne s'obtiendra pas à grand renfort de sermons, mais par l'effet de réformes qui dérangeront leur monde. Ils se battront bec et ongles pour maintenir un ordre mondial qui leur convient, mais de reculade en échec et de contre-offensive en compromis, ils se retrouveront dans un monde transformé dont leurs intellectuels, leurs universitaires, leurs artistes, leurs hommes d'église, leurs syndicalistes et même leurs politiciens, aujourd'hui minoritaires et inaudibles, leur feront entendre la portée bénéfique, y compris pour les États-Unis eux-mêmes.

Ainsi, ils se civiliseront au sens où Elias entend ce mot (note 1). De gré ou de force, leur État deviendra plus présentable, sans perdre de ses actuelles vertus démocratiques. Il apprendra à se soumettre aux traités qu'il a signés et aux institutions internationales qui en émanent, sans transférer aucun prisonnier "innommable" sur une quelconque base de Guantanamo ou de Bagram. Il rapatriera toutes les troupes dont les États concernés souhaiteront le repli. Il ne produira pas d'armements interdits par les traités qui le lient (même pour dresser un bouclier anti-missiles ou pour stocker, à toutes fins utiles, des armes chimiques et bactériologiques). Il s'interdira toute guerre "préventive". Il s'emploiera diplomatiquement à faire réviser les traités et institutions qui le dérangent, mais sans coup de force. En tant qu'État-stratège (n° 32), il se souciera de son propre développement économique en le rendant compatible avec celui du reste du monde, selon des modalités longuement et sagement négociées. Il tirera partie de ce développement pour généraliser son assurance-maladie et les autres branches de son welfare, pour faire respecter le droit d'avorter, pour améliorer son système éducatif, pour supprimer la peine de mort, pour alléger l'effectif de ses prisons, pour diversifier ses medias, etc. Il perfectionnera la séparation de l'État et des églises qui continueront de proliférer en son sein, l'objectif étant d'abriter la décision politique des vérités "révélées" et des révélateurs de "vérités". Tout en entretenant son système décentralisé et différencié de pouvoirs régionaux et locaux, il veillera à ce qu'aucun de ses échelons ne devienne un puits de misère, un nid de guêpes agressives ou un camp retranché réactionnaire. Bref, en tous domaines où la décision politique peut être utile, il s'emploiera au mieux-être de toute sa population en prêtant toujours une attention prioritaire aux plus démunis. Il en viendra peu à peu à comprendre que civiliser une société, c'est finalement démilitariser son État. Alors, les progrès internes de la civilisation américaine pourront se mesurer au fait que le classement des pays selon leurs Indices du Développement Humain (note 2) rangeront les États-Unis au premier rang, comme leur richesse le permettrait.

Quant aux progrès de la civilisation américaine dans l'ordre international, ils résulteraient à l'évidence de celles des orientations politiques, évoquées ci-dessus, qui tendraient à canaliser l'élan du marché mondial vers un développement durable de tous les continents, assorti d'une progression accélérée des régions aujourd'hui sous-développées; et tout autant vers une réforme du système financier international qui accroîtrait le volume du capital investissable et qui raréfierait ses emplois militaires, somptuaires ou subsidiaires. Les États-Unis qui sont capables de réorienter radicalement leurs activités gagneraient finalement au succès de telles réformes, même si leur prééminence s'atténuait peu à peu. Ils y gagneraient notamment la faculté de concourir utilement aux réformes politiques qui renforceraient l'autorité de l'ONU et de ses agences, en débarrassant cet ensemble de beaucoup des chicanes, des excroissances et des sournoiseries nées de la guerre froide, puis de l'unilatéralisme américain. À cette fin, un virage politique des plus utiles serait d'ouvrir les États-Unis aux réalités du monde contemporain, non pour élargir l'immigration et l'accueil des étrangers qui, de toute façon verront leurs lancées se prolonger, mais bien pour accroître massivement l'exportation d'étudiants, de professionnels et de touristes toujours accompagnés de guides avertis des langages et des usages des pays longuement visités. Un enseignement universitaire et scolaire intelligemment ouvert à la connaissance du monde leur serait des plus utiles. Quant aux trop nombreux élus américains qui ne possèdent même pas de passeport parce qu'ils n'ont jamais fréquenté le vaste monde et qu'ils n'ont poussé d'occasionnelles incursions en terres étrangères qu'à l'occasion de voyages officiels bardés de passe-droits diplomatiques, il serait opportun de faire preuve d'une grande imagination pour les inciter, voire les contraindre, à découvrir les réalités du vaste monde, y compris par de longs séjours et pour leur faire clairement apercevoir les tenants et aboutissants des choix politiques vers lesquels s'orientent les dirigeants politiques des pays "non-américains". Cette exportation massive de citoyens américains, sans uniformes ni missions confidentielles, pourrait s'accompagner d'une révision des mauvaises habitudes acquises par les autorités américaines depuis que la CIA est devenue le parapluie de multiples agences, riches de gadgets ultra-sophistiqués. A l'horizon de cette reconversion qui purifierait l'atmosphère internationale, devrait sans doute figurer un traité, pas moins complexe que ceux qui ont peu à peu corseté le nucléaire et les autres armes de destruction massive - et que les États-Unis s'emploient à tourner, y compris en fermant les yeux sur l'équipement nucléaire du Pakistan et d'Israël. Car il en va des écoutes omniprésentes comme des satellites-photographes en survol permanent du monde entier : ce sont, potentiellement, des armes de destruction massive - et jamais des boucliers utiles ni des gages de paix mondiale.

Au reste, les États-Unis ont un tel ressort qu'il ne leur faudra pas plusieurs décennies pour comprendre qu'un autre monde est en gestation et qu'il est de leur intérêt de s'y insérer dynamiquement. Pour concevoir qu'ils gagneraient à une application zélée du protocole de Tokyo et de ses successeurs visant à protéger l'environnement, en incitant leurs pétroliers à se ranger parmi les premiers producteurs d'énergies nouvelles et leurs usines de Detroit à fournir vite de bonnes voitures roulant sans essence, ce qui leur permettrait finalement de militer pour un plan international de protection des ressources en hydrocarbures, concrétisé par une hausse des prix pétroliers programmée sur longue durée et génératrice des capitaux investissables dans le développement des industries nouvelles et des pays les moins avancés. Que cette conception soit aujourd'hui purement utopique est bien évident, mais elle est aussi un exemple de ce que le surcroît de civilisation obstinément recherché pour les États-Unis pourrait produire comme novations industrielles de portée mondiale, sans compter les multiples innovations politiques et culturelles auxquelles ce pays pourrait apporter une contribution majeure quand ses dirigeants auront rectifié leur Weltanschauung (note 3) - ou quand de nouveaux dirigeants les auront remplacés ! Car il viendra alors un moment où l'ambition américaine de civiliser le reste du monde - qui est aujourd'hui une dramatique sottise belliqueuse - pourrait devenir une mine d'initiatives heureuses dans un monde poursuivant sa désintoxication impérialiste. Civiliser les États-Unis aiderait à civiliser le monde entier.


Notes :

(1) Norbert Elias, Liber den Prozess der Zivilisation, - Ed. française en deux volumes: La civilisation des mœurs et La dynamique de l'Occident, Ed Calinann-Lévy, 1973 et 1985.
(2) Voir annexe 6.
(3) Conception du monde


Retour au texte de l'auteur: Robert Fossaert Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 17 octobre 2003 14:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref