RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'avenir du socialisme (1996)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Robert Fossaert, sociologue économiste, L'avenir du socialisme. (1996). Paris: Éditions Stock, 1996, 451 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 16 octobre 2003, de diffuser cette oeuvre sur ce site]

Introduction
L'avenir du socialisme (1996)

Encore le socialisme?

 Cimetière des espérances; tombeau des illusions; sanctuaire des générosités; label électoral de politiques incertaines; vague idéogramme encore calligraphié sur des drapeaux rouges; objectif de révolutionnaires aussi rivaux qu'impuissants; idéologie du 19e siècle, morte au 20e siècle. Et ainsi de suite: les épitaphes du socialisme se multiplient chez les essayistes qui pleurent son décès, comme chez ceux, plus nombreux, qui aimeraient danser sur sa tombe.

 De fait, le socialisme étatique s'est effondré en URSS et dans la sphère d'influence de celle-ci, tandis qu'en Chine, il survit comme armature politique d'une immense société où un capitalisme fougueux frappe d'inanité le discours communiste de l'État. De fait, également, les bastions européens du socialisme démocratique sont minés par l'électoralisme, l'affairisme et l'anti-welfare. De fait, encore, le socialisme -jamais enraciné aux États-Unis - produit en Amérique latine plus de floraisons exubérantes que de syndicats et de partis massifs et durables, cependant qu'en Asie, ses pousses sont occasionnelles et diverses, du Japon à Singapour et en Inde. De fait, enfin, le socialisme rhétorique de l'Afrique et du Proche-Orient fraîchement décolonisés est relayé par de tout autres discours, tandis que les sociétés y poursuivent leurs tristes trajectoires.

 En faut-il plus pour juger que le socialisme est mort en tant que modèle d'organisation économique? Qu'il est moribond en tant qu'idéologie visant à mobiliser les classes ouvrières, les masses populaires ou les peuples avides de libération nationale? Qu'il survit uniquement sous deux faux-semblants: celui, bénin, de l'affiche électorale étalant des promesses et celui, grimaçant, de l'État-parti régnant sans aucun contre-pouvoir?

 Beaucoup de bons esprits estiment, en effet, que le socialisme est rabougri au point qu'aucune pousse nouvelle n'en pourra rejaillir. D'aucuns, hostiles depuis toujours aux espoirs que le socialisme a fait lever et aux menaces qu'il a fait peser sur le bon ordre des choses terrestres, ont vécu les années 1980, heureux comme un pape polonais ou un politicien texan. Mais d'autres, beaucoup d'autres à qui va tout mon respect, ont traversé ces mêmes années comme une retraite fourbue après d'épiques révoltes ou comme un échec démentant leurs décennies de militantisme. Les blessures sont profondes dans la douzaine d'États que la guerre froide a fait imploser, dans les Amériques qui appauvrissent leurs pauvres, dans l'Afrique presque partout miséreuse et dans celles des Asies où les dragons capitalistes sommeillent encore. Même la riche Europe est comme stupéfiée: ni la longue crise économique assortie de millions de chômeurs, ni le retour des guerres balkaniques, ni la résurgence d'activismes fascistes, ni même la corrosion insidieuse de son welfare ne viennent à bout de son désarroi. Le socialisme semble mort ou moribond.

 Mort ou mourant, le socialisme?

 Je n'en crois rien. Plus exactement, j'entends montrer que les ressorts qui ont donné vigueur aux divers courants socialistes depuis deux siècles sont plus tendus que jamais et qu'ils le resteront tout au long du 21e siècle. Montrer également que les forces associatives, syndicales et partisanes demeurent vivaces en Scandinavie, cherchent à se rénover en Allemagne et en Grande-Bretagne et peuvent être réveillées ailleurs, même dans la triste France de 1996. Montrer surtout qu'en Europe et dans tous les autres quartiers du monde, ces forces doivent s'adapter au monde tel qu'il devient, quitte à couper les branches vieillies ou pourries du mouvement socialiste et à favoriser le surgissement de branches nouvelles qui se diront socialistes ou non, selon le degré d'avilissement local de cette épithète.

 Autrement dit, j'entends montrer que les syncopes du socialisme sont l'effet d'erreurs stratégiques - dont la plus grave fut celle de l'URSS improvisant un socialisme étatique - et de routines tactiques enlisant syndicats et partis dans l'ordinaire d'un capitalisme adouci, mais non domestiqué. A cette fin, mon projet est de reprendre, à frais nouveaux, la réflexion théorique sur la transformation socialiste des sociétés existantes et du système mondial qui les entremêle et la réflexion politique sur le choix et la hiérarchie des objectifs à poursuivre à cette fin.

 Je travaille à cette reprise depuis près de vingt ans, en m'aidant des savoirs établis par les sciences sociales pour critiquer, déconstruire et ré-assembler les conceptions macrosociologiques les plus fécondes, afin de fonder en raison une représentation explicite des objets sociaux les plus vastes. Sept livres ont détaillé ces recherches: de 1977 à 1983, les six tomes de La Société ont exploré les structures économiques, politiques et idéologiques des formations sociales existantes, non sans leur donner la profondeur de champ historique que des typologies dûment spécifiées peuvent fournir; en 1991, un volume sur Le Monde au 21e siècle a prolongé ces analyses par un examen d'ensemble du système mondial, dans son état présent comme dans ses tendances d'ores et déjà supputables.

 Le présent ouvrage complète ces recherches en les tournant vers les questions qui sont ou devraient être centrales pour tout socialiste: comment une société se transforme-t-elle? comment infléchir sa transformation à des fins socialistes? comment s'assigner de telles fins sans rêver à l'impossible ou au prématuré? Tel est L'avenir du socialisme: une confrontation du possible, méthodiquement évalué, et du nécessaire, tiré des besoins objectifs des peuples aujourd'hui entremêlés et des classes qui s'affrontent en leur sein.

 Encore faut-il se garder d'ériger en «besoins objectifs» des propensions purement subjectives, des inclinations par trop liées aux particularités françaises ou même des orientations dont la seule justification serait d'appartenir, de longue date, au catalogue des aspirations socialistes. L'objectivité des besoins à confronter aux possibilités ouvertes par le développement social ne peut tenir qu'à deux conditions dont il faut vérifier l'existence: d'une part, ils s'expriment en revendications portées par des mouvements sociaux déjà repérables ou dont la cristallisation peut être supputée à échéance rapprochée; d'autre part, la satisfaction desdites revendications a des chances sérieuses - c'est-à-dire évaluables en leurs effets positifs et négatifs - de modifier les structures économiques, politiques ou idéologiques des sociétés d'une façon utile aux classes et aux peuples concernés.

 L'avenir du socialisme - non le présent livre, mais le mouvement politique lui-même - demeure à tout jamais une expérimentation tâtonnante qu'aucune proposition théorique ne viendra éclairer de science sûre, car, en société, il n'est de science que de l'advenu, non de l'à venir. Mais une chose est de tâtonner à l'aveuglette dans les brumes de l'utopie ou les paris de l'aventure; autre chose est de s'embarquer vers l'inconnu en emportant toutes les boussoles et tous les portulans que les sciences de la navigation sociale peuvent déjà offrir. D'autant que l'ambition socialiste se distingue de la navigation hauturière en ceci qu'elle ne sillonne pas des océans vides, mais doit se déployer sur une terre peuplée de six milliards d'hommes, où l'erreur de «navigation» se mesure aux millions de morts de l'épisode stalinien et où le refus de «naviguer» contribue aux millions de victimes annuelles des crises, des guerres, de l'exubérance démographique immaîtrisée et des autres catastrophes que le capitalisme inflige à l'humanité tout entière.


Retour au texte de l'auteur: Robert Fossaert, économiste-sociologue Dernière mise à jour de cette page le Mardi 29 mars 2005 07:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref