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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'Europe ou les Europes ? (février 2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de M. Robert Fossaert, économiste, L'Europe ou les Europes ?. (2005). Paris: 2005. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 5 mars 2005, de diffuser cette oeuvre sur ce site] Texte disponible sur le site web de M. Fossaert.

Introduction

Après avoir étudié le Monde sinisé, les Indes, le Proche et Moyen-Orient et l'Amérique latine, j'entreprends l'examen de l'Europe comme sous-ensemble du système mondial actuel, c'est-à-dire comme région surdéterminée par une structure mondiale qui l'enveloppe totalement, quelles que soient les marges d'autonomie qu'elle ait pu conserver ou reconstituer. En effet, les principales puissances d'Europe donnèrent jadis forme à un monde colonial et marchand au sein duquel les deux premiers systèmes mondiaux proprement capitalistes mûrirent du 18è au début du 20è siècle et s'étendirent jusqu'à absorber la planète entière. Ces mêmes puissances impériales et impérialistes se sont déchirées durant la première moitié du 20è siècle à tel point que l'Europe s'est retrouvée en position subordonnée dans les deux systèmes mondiaux qui se sont ensuite formés avant la fin de ce même 20è siècle.

 Le repérage spatio-temporel des structures mondiales auxquelles je viens de faire allusion est justifié par divers textes consultables sur le présent site [1] mais pour bien discerner la région dite Europe dans le système mondial actuel, il convient d'en répéter quelques arguments. En effet, les critères qui ont déjà permis de singulariser chacune des grandes régions du monde actuel valent également dans son cas.

 À vrai dire, le premier de ces critères, celui des barrières géographiques qui empêchent l'interaction illimitée des sociétés qu'elles séparent, n'a ici qu'une valeur réduite. L'Atlantique sépare bien les peuples européens de leurs contemporains américains, mais la Méditerranée est une limite beaucoup plus poreuse, puisqu'au fil de l'histoire maints empires se sont durablement installés sur ses deux rivages. Ici, la géographie ne vaut que par le renfort d'Etats efficaces, contrôlant les flux humains qui peuvent traverser cette "mer du milieu des terres". De fait, la limite sud de l'Europe coïncide présentement avec la Méditerranée, mais à l'avenir elle pourrait fluctuer autant qu'elle le fit en maints siècles passés. Il en va de même pour sa limite orientale, car l'immense extraversion asiatique de la Russie rend illusoire la ligne imaginaire souvent tracée de l'Oural (montagne et fleuve) à la Caspienne et au Caucase (ou aux plateaux irano-turcs). Bref, la délimitation spatiale de l'Europe est mal inscrite sur le terrain. Aujourd'hui comme hier, elle se joue principalement du fait des sociétés tenues pour bordurières par les puissances européennes prédominantes.

 Par contre, les quatre critères suivants ont une valeur discriminante plus affirmée. L'un concerne le climat démographique qui résulte ici - comme en Amérique du nord - d'une croissance très ralentie, si bien que contrairement au reste du monde où les populations continuent de s'enfler rapidement et, donc, de rajeunir leur âge moyen, le vieillissement est de règle en Europe. Un autre critère spécifie le climat économique pour une région où la richesse et la vitesse acquises masquent encore les effets durables d'une production désormais ralentie. Autrement dit, l'Europe qui fut naguère grande exportatrice d'hommes devient de plus en plus petite démographiquement et, sans bien s'en rendre compte, elle est déjà engagée économiquement sur une même pente.

 Faut-il imputer à ces pertes d'élan l'assagissement politique de l'Europe ou faut-il inscrire cet apaisement au crédit des puissances externes et locales qui ont transformé ce quartier du monde depuis un bon demi-siècle ? Ce point devra être débattu fort attentivement, mais il n'est pas douteux que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'Europe a joui d'un climat politique pacifié qui se prolonge, nonobstant les spasmes guerriers de l'ex-Yougoslavie, ce qui contraste fort heureusement avec les troubles dont souffrent maintes autres régions. Dans ce contexte, les richesses, savoirs et savoir-faire accumulés par les peuples d'Europe sont, certes, d'une grande variété, mais ils n'en ont pas moins déposé, comme sédiment commun, une civilisation qui les apparente durablement, d'autant que la facilité des contacts et communications offre, dans le monde présent, maintes occasions d'en ressentir la singularité. Ainsi l'Europe jouit d'un climat idéologique (ou culturel : c'est pour moi la même chose) qui lui est tout à fait propre, nonobstant ses parentés avec les climats qui règnent chez les "enfants de l"Europe" transplantés aux temps de la colonisation [2].

 Au total, donc, l'Europe d'aujourd'hui est cet ensemble de sociétés qui baignent - à quelques variantes près - dans un même climat démographique, économique, politique et culturel bien distinct de celui des autres régions du monde. La délimitation spatiale de cette région attractive se joue pour l'essentiel dans la reconnaissance politique de cette communauté "climatique". Qu'ils soient marocains, turcs ou ukrainiens, les peuples chez lesquels se manifestent des envies de "rejoindre l'Europe" doivent se soumettre, à ce titre, au jugement des Etats européens et de l'Union où ceux-ci ont commencé de se rassembler.

 Il faudra aussi périodiser correctement l'histoire du sous-ensemble européen, puisqu'aussi bien le système mondial actuel inclut et mondialise une Europe qui put se croire, naguère encore, la maîtresse du monde. L'illusion d'optique à éviter date des siècles impérialistes où l'Europe découvrait un "Nouveau Monde", s'entichait de la Chine ou de l'Inde, puis découpait en colonies, protectorats et zones d'influence la planète entière ou peu s'en faut. Alors, l'Europe avait quelques raisons de se croire au centre du monde et d'en scander l'histoire selon les effets des guerres et des révolutions dont elle était la matrice, mais cette époque est dépassée, irrémédiablement morte. Si bien que les temporalités propres à l'actuel système mondial s'imposent en toutes régions, y compris dans une Europe qui devient "semi-périphérique". Cette position est acquise depuis qu'à l'issue de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis et l'URSS ont rapidement polarisé le monde entier, ce qui a donné forme au troisième système mondial capitaliste, celui de la "guerre froide". Ensuite, elle a été déplacée, mais confirmée, après que l'implosion de l'URSS et la dispersion de ses dépendances politico-culturelles eût permis aux Etats-Unis d'acquérir une prépondérance incontestable (sinon incontestée) dans le quatrième système mondial capitaliste, encore en vigueur aujourd'hui.

 Or il se trouve que durant la première de ces deux périodes, celle qui a duré des années 1945-50 aux années 1988-90, la région européenne a été l'un des terrains d'élection de la guerre froide. Non le seul, mais celui où la transformation des structures régionales a été le plus profondément marquée par cette "guerre" d'un genre nouveau. Il faudra donc revenir sur cette période pour bien comprendre ce qu'est l'Europe actuelle et pour juger des transformations qui continuent de s'y opérer sur les lancées déjà prises ou du fait d'inflexions nouvelles à bien identifier. Ainsi donc, ma recherche sur l'Europe en tant que sous-ensemble du système mondial va se partager entre le temps de la guerre froide et celui de l'après-guerre froide, non sans prêter attention au devenir de l'espace européen de l'une à l'autre de ces périodes.


[2] On peut encore lire avec profit Les enfants de l'Europe de Louis Hartz, ed. française, Paris, 1968.


Retour au texte de l'auteur: Robert Fossaert, économiste Dernière mise à jour de cette page le Samedi 19 mars 2005 14:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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