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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de Gérald Fortin, “Une ville américaine moyenne, unique en son genre”. Recherches sociographiques, vol XXII, no 2, mais-août 1981, pp. 187-203. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Andrée Fortin, fille aînée de M. Gérald Fortin, sociologue à l'Université Laval, le 6 janvier 2004, de diffuser la totalité de l'oeuvre de son père. Nous lui exprimons notre profonde gratitude de nous permettre de rendre accessible l'oeuvre de ce pionnier de la sociologie au Québec qui fait partie intégrante de notre patrimoine intellectuel].

[187]

Gérald Fortin (1981)

Une ville américaine moyenne,
unique en son genre
.”

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 22, no 2, mai-août 1981, pp. 187-203.

A) Une forme ambiguë [187]
B) Une histoire particulière [189]
C) Des décisions pesantes [191]
D) Les nouveaux espaces résidentiels [194]

Tableau 1. Mises en chantier selon le type de bâtiment, agglomération de Québec, 1965-1978. [197]
Tableau 2. Mise en chantier, selon le type de bâtiments, par municipalité, agglomération de Québec, 1971-1976. [198-199]
Tableau 3. Répartition professionnelle des chefs de ménages habitant les N.E.R., Montréal et Québec, 1978. (en pourcentage) [202]
Tableau 4Revenu moyen des ménages habitant les N.E.R., Montréal et Québec, 1978. (en dollars) [202]


Parmi les facteurs qui ont pesé sur l'évolution passée de l'agglomération québécoise, on doit signaler plus particulièrement sa situation géographique, la croissance démographique et résidentielle de ses quartiers et de ses banlieues, la constitution de ses principaux réseaux de communication et de distribution des biens et services, le poids de certaines décisions gouvernementales. Et l'étude du développement plus récent des espaces résidentiels nous permet de mieux évaluer l'importance du phénomène de la densification des banlieues immédiates. Une comparaison avec Montréal fait ressortir une qualité supérieure des sites, un aménagement plus agréable et une recherche architecturale plus grande dans l'agglomération québécoise.


La ville de Québec, capitale du fait français et de la culture française en Amérique, est, à bien des égards, la plus américaine des villes du Québec. L'architecture des gratte‑ciel de la Colline parlementaire lui imprime ce caractère, mais c'est surtout dans sa forme urbaine générale que Québec ressemble le plus à une ville nord-américaine de taille moyenne.

A) Une forme ambiguë

Relevons d'abord deux traits. La présence du Vieux-Québec à proximité du centre d'affaires et administratif de la Colline parlementaire est un fait pratiquement unique. Car, contrairement à celui des villes américaines, le centre-ville [1] de Québec n'est pas complètement entouré par une zone de transition en détérioration avancée, mais plutôt par un quartier qu'on cherche à conserver pour son attrait folklorique et touristique, et qui demeure en même temps le centre ludique du Québec métropolitain, centre important et quasiment unique. Un peu comme les zocalos des petites villes de l'Amérique du Sud, le [188] Vieux-Québec sert de promenade publique aux jeunes et aux moins jeunes de l'ensemble de l'agglomération. Un deuxième trait : on trouve à Québec très peu de boulevards commerciaux à faible densité. Dans les villes américaines et même à Montréal, ceux-ci servent au magasinage en automobile ; à Québec, ils ont été remplacés par un commerce beaucoup plus densifié réparti dans plusieurs centres d'achats.

En étudiant cependant certaines autres fonctions urbaines, on réalise que Québec est une ville plus américaine que latine.

Québec est un ensemble urbain polycentrique et relativement dispersé. Non seulement existe-t-il, au sein même de la ville centrale, une concurrence entre deux centres, l'un situé à la haute-ville, l'autre à la basse-ville, mais il règne également une concurrence entre ces derniers et celui de Sainte‑Foy. On trouve aussi des centres secondaires relativement importants, en particulier du côté de Saint-Pascal-Baylon, à la frontière de la ville de Beauport.

C'est dans l'agglomération de Québec qu'on a observé pour la première fois le phénomène des centres d'achats de banlieue. Pendant plusieurs années, la ville de Sainte-Foy pouvait se vanter de posséder le plus grand centre d'achats en Amérique du Nord. Et les centres d'achats ne se retrouvent pas qu'à Sainte-Foy ; il en existe aussi bien à l'est qu'au nord de la ville. Ce transfert du commerce de détail vers la banlieue n'a pas été sans nuire considérablement au commerce du centre de la ville. À un certain moment, les centres périphériques de la banlieue avaient pratiquement fait disparaître de la ville de Québec tout centre urbain. Depuis quelques années, des efforts concertés pour redonner à celui de Québec une plus grande vigueur ont produit quelques résultats, mais la bataille est loin d'être gagnée.

Les autoroutes, non seulement encerclent la ville, mais pénètrent jusqu'au cœur même du Vieux-Québec. On a ainsi détruit une bonne partie des quartiers périphériques, surtout à la basse-ville. Certains quartiers autrefois très vivants ne présentent plus que des bâtiments isolés dans une sorte de désert de béton. Par ailleurs, les autoroutes permettent aux travailleurs d'avoir accès sans difficulté au centre-ville de Québec, et de se retirer très facilement dans leur banlieue une fois la journée de travail terminée. Il en résulte une sorte de vide humain, à la fois dans l'ancien centre de Saint-Roch et dans le nouveau centre de la Colline parlementaire.

Les autoroutes favorisent la densification de la banlieue de Québec, qui s'est effectuée bien avant celle de Montréal et même de certaines villes américaines. Elle a pris place surtout à Sainte-Foy, où il ne se construit plus de maisons unifamiliales et qui perd ainsi son caractère de banlieue pour devenir pratiquement une nouvelle ville concurrente de la vieille ville. Nouvelle ville bien étrange cependant, en ce sens qu'elle n'a pas de place publique si ce n'est le stationnement des centres d'achats.

[189]

Notons enfin une autre caractéristique de l'agglomération de Québec qui la rapproche des villes américaines : une structure de transport en commun relativement faible et peu utilisée. On peut y poursuivre une grève de plus de six mois, et seuls les vieillards et les étudiants semblent en souffrir un peu.

Comment cette ville polycentrique, sauf au point de vue ludique, axée sur les banlieues et sur les autoroutes, a-t-elle pu apparaître au sein d'une culture qui cherche à se définir sinon par opposition à la culture américaine, du moins par ses différences ? Nous n'avons pas l'intention de répondre à une question si complexe. Nous aimerions toutefois faire valoir que la situation géographique de Québec, alliée à certains facteurs sociaux et économiques, a pu influencer en grande partie ses grands axes de développement. Par ailleurs, pour la période la plus contemporaine, il faut relever un certain nombre de décisions, privées ou gouvernementales, qui ont pu contribuer à accélérer l'actualisation de la forme présente sur le canevas d'axes déjà définis historiquement.

B) Une histoire particulière

L'histoire urbaine étant à peu près inexistante au Québec, il est difficile de décrire de façon systématique le développement de la ville de Québec. Tout au plus voulons-nous relever quelques évidences historico-géographiques dont on trouve encore les traces, à la fois dans le bâtiment et dans la distribution des fonctions. On doit noter en premier lieu que le centre de la ville est acculé au fleuve et à la falaise. De plus, la rivière Saint-Charles, sans constituer un obstacle majeur au développement urbain, a retardé la croissance vers le nord et vers l'est. C'est donc vers l'ouest que Québec s'est d'abord développée.

Dès le départ, Québec est une ville à deux étages. La première habitation de Champlain était dans la basse-ville, au pied du cap ; mais très tôt les fonctions nobles, église, administration, éducation, se sont établies sur le cap. Les exigences militaires rendaient nécessaire la présence d'une forteresse dominant le fleuve. La basse-ville, par ailleurs, a conservé un rôle important au point de vue du commerce et du transport fluvial. Sans doute une partie du commerce de détail s'est-elle établie dans la ville haute, mais les affaires se faisaient surtout dans la ville basse. On peut ainsi dire que la ville de Québec n'a jamais eu de centre unique. Dès sa fondation, pratiquement, elle s'est retrouvée avec deux centres, l'un économique, l'autre politico-religieux.

Lorsque, par suite de la croissance démographique, on a dû déborder hors des murs, deux faubourgs distincts se sont formés. Le faubourg Saint-Jean-Baptiste, à la haute-ville, a surtout eu une vocation résidentielle, même si certains commerces de détail s'y sont installés, en particulier le long de la rue Saint‑Jean. À la basse‑ville, Saint-Roch a laissé le commerce de gros et les établissements de finance à la vieille basse‑ville, mais a intégré l'industrie naissante et le commerce de détail général. La poussée démographique se [190] maintenant, les premiers faubourgs ont eux-mêmes été remplis et la construction a continué vers l'ouest, aussi bien à la basse‑ville qu'à la haute‑ville. C'est ainsi que, vers la fin des années 1930, on s'est retrouvé avec un paysage urbain que l'on peut rapidement caractériser de la façon suivante.

1. La haute-ville. La haute-ville, qui s'étend jusqu'à la paroisse Saint-Sacrement et qui reçoit dans sa partie est les maisons d'éducation secondaire et universitaire, l'administration publique et le commerce de détail de luxe ou de semi-luxe, est habitée par la bourgeoisie locale et la classe moyenne. La bourgeoisie a surtout tendance à occuper la partie sud, alors que la partie nord est plutôt réservée à la classe moyenne. La bourgeoisie, par ailleurs, a fui la Grande-Allée pour se réfugier sur l'avenue des Braves dans la paroisse des Saints-Martyrs, secteur strictement résidentiel. En outre, à Saint-Dominique, tout près du pare des Plaines d'Abraham, apparaissent les premières tours d'habitation pour ménages à revenu élevé.
C'est également à la haute-ville qu'on retrouve la première banlieue de Québec : Sillery. Cette ville, qui est en discontinuité avec le tissu urbain de Québec mais y est reliée par une ligne de tramway, verra apparaître les premières maisons unifamiliales de style cottage ou bungalow. Si l'on fait exception de quelques maisons unifamiliales très cossues sises en bordure de la Grande-Allée et quelques maisons unifamiliales en rangée ou jumelées construites au sud des paroisses Saints-Martyrs ou Saint-Dominique, le développement de la haute-ville s'était fait jusque-là par la construction de duplex et surtout de triplex. C'est à Sillery que la maison unifamiliale détachée moderne a d'abord surgi pour ensuite apparaître dans la partie sud de la paroisse Saint-Sacrement. Il va sans dire que, par la suite, ce modèle d'habitation se répandra très facilement à Sainte‑Foy.

2. La basse-ville. Comme nous l'avons déjà signalé, la partie est de la basse-ville, située sous le cap, continue de loger les marchands de gros et les institutions financières. L'industrie, florissante au début du XXe siècle dans la paroisse Saint-Roch, commence à péricliter, mais le commerce de détail s'est grandement développé et on trouve sur la rue Saint‑Joseph les trois grands magasins à rayons de Québec ; plus à l'ouest s'implantent quelques industries nouvelles, la gare de triage des tramways, l'usine de fabrication de gaz, etc. Bien sûr, les commerçants et les financiers n'habitent pas la basse-ville. Même les notables, notaires, médecins, avocats, qui s'étaient établis autour de l'église Saint-Roch, commencent à regarder du côté de la haute-ville. Saint-Roch et ses prolongements, Saint‑Sauveur et Saint-Malo, forment donc un milieu habité surtout par la classe ouvrière employée dans les industries proches. Si on trouve à Saint‑Roch des habitations à deux ou trois étages, on a construit dans une large portion de Saint‑Sauveur et de l'ancien Saint-Malo, un habitat moins dense, comprenant beaucoup de maisons unifamiliales en rangée ou même parfois isolées. Ces maisons qui datent souvent de la fin du XIXe siècle [191] semblent avoir été construites par les ouvriers eux‑mêmes. Le style est d'ailleurs très caractéristique et rappelle clairement le genre de maisons des villages québécois. Plus tard, à Saint‑Malo, on reviendra au triplex typique de Québec.

3. Limoilou. À mesure que l'industrie traditionnelle de Québec, la chaussure et le vêtement, déclinait à Saint-Roch, des industries nouvelles plus salissantes et plus polluantes s'établissaient du côté nord de la rivière Saint-Charles, et particulièrement près du port. Tout autour sera érigé un nouveau quartier résidentiel, celui de Limoilou, qui abritera les ouvriers de ces nouvelles usines, de même qu'une partie d'une classe moyenne inférieure composée de petits fonctionnaires. Ce quartier ne contiendra pratiquement que des triplex, sauf dans sa partie nord, où apparaîtront vers 1950 quelques maisons unifamiliales détachées de type moderne.


C) Des décisions pesantes

Sur cette ville relativement dense, déjà bicéphale mais assez fortement structurée et bien desservie par un système de transport en commun, va apparaître l'automobile, sont aussi prises des décisions privées ou publiques plus ou moins cohérentes.

Sans connaître la même croissance que dans les années 1960 et surtout 1970, la Fonction publique des années 1940 est en expansion. Les édifices gouvernementaux construits dans les années 1930 ne suffisent plus et il faut caser les nouveaux fonctionnaires. Le quartier Saint-Roch, qui voit disparaître ses industries mais qui s'est donné une structure de commerce de détail relativement solide, va chercher à tirer profit de ce besoin d'édifices à bureaux. Le gouvernement renonce à construire ses propres édifices autour des immeubles gouvernementaux existants pour louer plutôt des espaces de l'entreprise privée. C'est à Saint-Roch que les entrepreneurs concentrent leurs efforts pour la construction de ces édifices à bureaux dont l'administration a besoin, encouragés à la fois par les commerçants du quartier, par le bas prix des terrains et par le fait qu'ils y ont moins de démolition à faire. La fonction administrative, jusque-là réservée à la haute-ville, s'étend donc à la basse-ville, qui réussit aussi à attirer quelques établissements financiers de l'ancienne rue Saint-Pierre.

Le bicentrisme de Québec, qui reposait précédemment sur une division claire des fonctions, devient plus ambigu. Certains envisagent même que Saint-Roch devienne le centre véritable de la ville, où se rencontreraient à la fois le commerce, la finance, et la plus grande partie de l'administration publique. La haute-ville pourrait même perdre l'université car on discute dans certains milieux de déménager celle-ci à Charlesbourg.

Cette vocation nouvelle du centre‑ville de la basse-ville s'appuie aussi sur l'expansion de la banlieue. Même si Sainte-Foy prend la relève de Sillery comme banlieue de classes moyennes, en effectuant une série de développements [192] de bungalows en saute‑mouton, les banlieues se développent aussi à la basseville. Les ouvriers s'y regroupent en coopératives et vont construire leurs bungalows à Ville les Saules ; d'autres encore se dirigent vers Loretteville. Par ailleurs, Limoilou continue de grandir ; on y retrouve quelques maisons unifamiliales, mais son expansion se fait à la fois vers l'est et vers le nord, gagnant Beauport et Giffard le long de la côte, ainsi que Charlesbourg et Orsainville. La vie de banlieue n'est plus le privilège des habitants de la haute-ville, elle devient un phénomène plus populaire et accessible à une partie de la classe moyenne et même de la classe ouvrière.

La situation, cependant, ne va pas être aussi simple. Les décisions se précipitent, favorisant d'abord Sainte-Foy puis permettant au phénomène de la banlieue de se répandre aux quatre vents. Un homme d'affaires de Saint-Roch, frustré dans ses projets, décide de créer un centre d'achats à Sainte‑Foy. Ce centre, qui au début loge surtout des boutiques de luxe, vole une partie de la clientèle de la rue Saint‑Jean et de la côte de la Fabrique. L'idée fait boule de neige et un deuxième centre d'achats s'installe à côté du premier, qui ne se contente plus de boutiques de luxe, mais intègre des magasins à rayons, d'abord étrangers, puis locaux. Saint-Roch, qui détenait le monopole des magasins à rayons, est ainsi en perte de vitesse ; pour conserver une partie de leur clientèle, certains de ces magasins a rayons doivent ouvrir des succursales dans le centre d'achats de Sainte-Foy. Cette ville-banlieue qui, rappelons-le, se vantait au début des années 1970 de posséder le plus grand centre d'achats en Amérique du Nord, devient ainsi le véritable centre de commerce de détail de l'agglomération de Québec.

La décentralisation des édifices gouvernementaux se poursuit. Dans une sorte de recherche de « justice géographique », le gouvernement accepte de louer des bureaux, non seulement à Saint-Roch, mais aussi à Sainte-Foy, à Limoilou et dans le prolongement du boulevard Dorchester vers l'ouest. [2] Même si cette décentralisation administrative est relativement dispersée, c'est Sainte-Foy qui en tire le plus de profit et Saint-Roch qui y perd le plus.

Une autre décision a influencé grandement l'avenir de Sainte-Foy. L'Université Laval, renonçant à Charlesbourg comme emplacement du futur campus, s'est installée à Sainte-Foy. Non seulement faut-il loger les professeurs, du moins une partie d'entre eux, mais il faut aussi et surtout loger les étudiants. Certains de ceux-ci désirent garder leur résidence dans le Vieux-Québec mais la plupart, étant donné les difficultés que posent les transports en commun, décident plutôt de se loger près de l'université. Pour cette raison, un nouveau type de bâtiment va apparaître à Sainte-Foy, l'immeuble à appartements. Situés d'abord près de l'université, ces immeubles à logements multiples de moins de [193] quatre étages et sans ascenseur vont se répandre partout dans la ville de Sainte-Foy et y devenir, dans les années 1970, le mode de construction presque exclusif.

En effet, devant la croissance très rapide de Sainte‑Foy, stimulée notamment par les centres d'achats, la décentralisation administrative, l'université, et la construction des seuls hôtels neufs de la région, certains entrepreneurs en viennent à penser que l'unifamilial n'est pas le seul mode d'habitation susceptible d'intéresser les employés travaillant à Sainte-Foy. Ainsi, ayant construit, à titre expérimental, des appartements-jardins, un entrepreneur fait face à une demande très forte. En même temps, ou à peu près, la loi des dividendes limités permet à certains entrepreneurs de construire des immeubles à appartements groupés, qui deviennent ainsi disponibles pour les étudiants, les professeurs et toute une couche nouvelle de population qui afflue dans la Fonction publique.

La croissance de Sainte‑Foy n'est pas sans inquiéter le gouvernement municipal de Québec, et même le gouvernement provincial. Cette croissance menace non seulement le centre de la basse-ville, Saint-Roch, mais aussi celui de la haute-ville, qui a déjà perdu une partie de son commerce de détail de luxe et l'université. La ville de Québec risque de perdre ses centres et de ne conserver que la fonction publique. Le gouvernement provincial, en collaboration avec la municipalité, décide donc de renverser sa politique de décentralisation administrative et de créer une Colline parlementaire où seront regroupés tous les services gouvernementaux. De plus, on cherche à y attirer des hôtels prestigieux et un nouveau commerce de luxe ; on crée un centre des congrès et on érige des immeubles résidentiels, tant de luxe qu'à coût modique. La Colline parlementaire pourrait ainsi devenir le nouveau centre de l'agglomération et donner à la ville de Québec une nouvelle vie qu'elle est en train de perdre au profit de Sainte-Foy et des autres banlieues.

Ce projet a été en partie réalisé. On a construit de nouveaux édifices gouvernementaux et un centre des congrès, on a attiré des hôtels, on a ouvert des boutiques souterraines, quelques édifices à bureaux privés sont aussi apparus. Mais on n'a pas fait un centre-ville. Trois principales raisons pourraient être données pour expliquer cet échec partiel.

Tout d'abord, la décision de recentraliser les services gouvernementaux n'a été ni finale, ni totale. Nombre de ministères et de services gouvernementaux sont encore logés à Sainte-Foy, à Saint‑Sacrement, à Saints-Martyrs, à Saint-Roch ou sur le boulevard Dorchester. La croissance de la Fonction publique a été si rapide que les nouveaux édifices semblent l'avoir à peine absorbée, de sorte que le gros des services doit encore se loger ailleurs. Et le coût du terrain est tel sur la Colline parlementaire qu'il devient prohibitif, ce qui compromet la construction de nouveaux édifices sur cet emplacement.

[194]

La décision de créer la Colline parlementaire s'accompagnait d'une autre décision visant le réseau routier. Les rues de la ville de Québec étant assez étroites, on s'est dit que, si on recentralisait le gros des activités sur la Colline parlementaire, il fallait rendre celle-ci accessible aux automobilistes. Une seule solution paraissait possible : créer des autoroutes débouchant sur la Colline parlementaire. Et comme on constatait déjà que la population avait tendance à se répandre dans les banlieues, aussi bien de la haute-ville que de la basse-ville, de l'ouest ou du nord, il fallait en outre relier l'autoroute qui desservirait le centre à un système d'autoroutes capable de drainer facilement les habitants des banlieues. On supposait que l'autoroute, en plus de donner accès aux lieux de travail durant le jour, permettrait à la population de venir le soir dans le nouveau centre-ville pour se divertir, magasiner, etc. En pratique, l'autoroute, qui devait favoriser la réintégration du centre‑ville, l'a plutôt ralentie. On avait sans doute oublié que l'autoroute qui mène au centre-ville permet aussi de le quitter ; qui plus est, avec le réseau global d'autoroutes qui avait été créé, il était aussi facile de se rendre à Sainte‑Foy que sur la Colline parlementaire.

Par ailleurs, le sol libéré pour la construction de la Colline parlementaire n'ayant pas été étatisé, son prix a grimpé de façon telle qu'il est devenu pratiquement impossible d'y construire, non seulement du logement à prix modique, mais même du logement luxueux et des tours à bureaux. La construction de logements à prix modique s'est donc déplacée rapidement à Sainte-Foy, où, comme nous l'avons signalé, se sont imposés de façon presque totale les immeubles à logements multiples. De même, les nouvelles tours, soit à bureaux, soit à logements luxueux, se sont établies à la limite de la Colline parlementaire et se sont ensuite répandues en saute-mouton jusqu'à la partie ouest de la ville et même jusqu'à Sainte-Foy. Le caractère polyfonctionnel du nouveau centre‑ville est donc un objectif qui n'a pas été atteint.

Parallèlement, à cause de sa forte croissance, Sainte‑Foy perd plus ou moins son statut de banlieue pour devenir une ville jumelle de Québec. Sainte-Foy est une ville dans le sens qu'elle est maintenant très densifiée, et la densification continue. La demande pour le logement unifamilial doit donc se reporter ailleurs. C'est dans ce contexte de deux villes jumelles qui n'ont plus, ou qui n'ont jamais eu, de centre, qu'il faut considérer la construction récente dans l'agglomération de Québec.

D) Les nouveaux espaces résidentiels

À l'occasion d'un programme de recherche de l'I.N.R.S.-Urbanisation sur les nouveaux espaces résidentiels, nous avons pu étudier de façon un peu plus précise les nouvelles constructions effectuées dans l'agglomération de Québec au cours des années 1971 à 1976. De façon opératoire, nous avons défini les nouveaux espaces résidentiels comme tout ensemble spatialement [195] continu d'au moins deux cent cinquante unités d'habitation construites entre 1971 et 1976. Nous en avons répertorié vingt-quatre nouveaux. [3] De ce nombre, nous avons tiré un échantillon comprenant douze nouveaux espaces résidentiels, que nous avons analysés de façon plus poussée.

Avant de jeter un coup d'œil plus détaillé sur les nouveaux espaces résidentiels, il serait opportun de les situer dans l'ensemble de la construction de l'agglomération. Si on examine le tableau 1, qui représente le nombre de mises en chantier par année et selon les types de construction, deux faits importants ressortent clairement. Tout d'abord, on remarque une grande fluctuation du nombre de mises en chantier selon les années ; on constate en particulier les creux de 1967 et de 1974 et les sommets de 1972 et de 1978. Par ailleurs, ces fluctuations des mises en chantier, et par conséquent du marché du logement, n'affectent pas de la même façon les maisons unifamiliales et les appartements locatifs. En 1967, et même en 1968-1969, ce sont surtout les maisons unifamiliales isolées qui diminuent. En même temps, le nombre de logements locatifs augmente à vive allure et, dès 1968, il atteint presque le triple de celui des maisons unifamiliales. Il conservera une nette supériorité jusqu'en 1972 ; en 1973 la tendance s'inverse et ne changera plus jusqu'en 1978. En effet, le creux de 1974 est surtout dû à la diminution radicale du nombre de logements locatifs mis en chantier, le nombre de maisons unifamiliales n'ayant presque pas diminue par rapport à 1972 ou à 1973. La reprise des années 1975 à 1978 se fera aussi sentir plus fortement du côté des maisons unifamiliales que du côté des logements locatifs.

Ainsi, les années 1968-1972 marquent la suprématie du logement locatif : c'est la période où l'on construit des tours à Québec et des immeubles de quatre étages et moins à Sainte-Foy. Par contre, de 1973 à 1978, les mises en chantier de maisons unifamiliales sont supérieures en nombre et l'on voit apparaître des projets résidentiels de plus en plus éloignés des deux centres-villes.

Si on examine maintenant le tableau 2, où l'on retrouve, par municipalité, le nombre de logements mis en chantier dans l'agglomération entre 1971 et 1976, on constate que les mises en chantier d'unifamiliales ou de logements locatifs ne se font pas au hasard. Les logements locatifs se situent surtout à Québec et à Sainte-Foy, avec des concentrations moindres à Lévis, à Giffard, à Beauport, à Charlesbourg-Est, à Loretteville, à Orsainville et à Vanier. Ce genre de construction se situe donc géographiquement, soit dans les deux villes centrales, soit dans les municipalités limitrophes qui depuis assez longtemps déjà servaient de banlieue à Québec.

Plus on s'éloigne des villes centrales, plus le nombre d'édifices à logements diminue jusqu'à disparaître complètement, et plus le nombre d'unifamiliales [197] devient important. Il faut faire exception pour la ville de Québec elle-même, où l'on trouve le plus grand nombre de mises en chantier de maisons unifamiliales isolées durant la période 1971-1976. Ce nombre important s'explique par le fait que la ville a annexé des municipalités relativement éloignées telles que Les Saules et Neufchâtel. De même, la plupart des maisons unifamiliales mises en chantier à Sainte-Foy sont situées dans des territoires annexés, au nord de l'Ancienne-Lorette. [4]

[196]


[197]

TABLEAU 1
Mises en chantier selon le type de bâtiment,
agglomération de Québec, 1965-1978.

ANNÉE

TYPE DE BÂTIMENT

TOTAL

isolé

jumelé

en rangée

à logements

1965

2 232

220

6

1 770

4 228

1966

2 178

98

29

1 068

3 373

1967

1 519

104

1 218

2 841

1968

1 197

276

3 430

4 903

1969

1 124

170

172

4 538

6 104

1970

2 158

200

272

3 791

6 421

1971

2 696

174

300

5 104

8 274

1972

3 240

280

9

4 891

8 420

1973

2 428

210

2 010

4 648

1974

2 425

98

686

3 209

1975

3 298

122

43

1 421

4 884

1976

3 401

116

52

1 858

5 427

1977

4 880

512

41

3 023

8 456

1978

3 854

730

70

2 350

7 004

SOURCE :   Société centrale d'hypothèque et de logement (S.C.H.L.), Statistiques du logement au Canada, diverses années.


Ainsi, l'agglomération de Québec présente un modèle de développement urbain qui, tout en étant basé sur le modèle nord-américain général, possède une caractéristique particulière : la densification des banlieues immédiates. Dans la plupart des villes nord‑américaines, la construction ou la reconstruction d'un nouveau centre d'affaires au centre-ville, alliée à l'établissement d'un système autoroutier menant à ce nouveau centre-ville, a pour effet d'éparpiller encore plus les banlieues de maisons unifamiliales sans qu'il y ait densification

[198]

TABLEAU 2
Mise en chantier, selon le type de bâtiments, par municipalité,
agglomération de Québec, 1971-1976.
 [5]

MUNICIPALITÉ

ISOLÉ

TOTAL

JUMELÉ OU DUPLEX

 

1971

1972

1973

1974

1975

1976

1971

1972

1973

1974

1975

1976

TOTAL

Québec

576

544

303

256

292

415

2 386

42

24

46

12

4

22

150

Beauport

124

112

130

148

292

361

1 167

2

10

6

6

24

Cap-Rouge (Saint-Félix)

133

166

146

110

188

158

901

6

6

20

10

2

6

50

Charlesbourg

288

237

196

126

188

154

1 189

22

36

16

6

8

6

94

Charlesbourg-Est

10

14

37

42

104

154

361

2

4

6

4

4

20

Charlesbourg-Ouest [6]

20

24

44

2

14

16

Charny

45

37

40

38

79

48

287

20

14

24

2

16

8

84

Courville

41

42

40

34

23

37

217

10

2

2

14

Giffard

26

79

56

75

78

91

405

8

10

8

8

10

44

L'Ancienne-Lorette

222

363

184

136

177

90

1 172

2

6

4

2

14

Lauzon

75

95

87

58

53

62

430

4

Io

8

4

2

8

36

Lévis

68

42

37

25

34

116

322

6

6

4

4

20

Loretteville

220

253

128

68

95

88

852

18

12

6

6

4

4

50

Montmorency

-

-

2

1

2

-

5

-

-

-

-

-

-

-

Orsainville

419

189

137

88

136

108

1 077

6

2

-

2

-

10

Réserve indienne

5

16

7

10

20

8

66

-

-

Saint-Augustin

33

37

71

121

123

385

6

4

2

12

Saint-David-de-l'Auberivière

12

15

14

10

65

76

192

2

2

2

6

Saint-Émile village

30

60

54

141

147

92

524

2

2

2

6

Sainte-Foy

75

122

172

223

174

121

887

26

24

38

22

24

24

158

Saint-Michel-Archange

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Saint-Nicolas

91

132

76

132

107

113

651

4

2

6

Saint-Romuald

61

82

51

49

28

27

298

10

2

2

8

4

26

Sainte-Thérèse-de-Lisieux

52

48

56

33

57

100

346

2

10

6

6

24

Sillery

28

21

27

13

39

21

149

2

2

4

Vanier

49

30

16

20

15

15

145

2

50

4

2

58

Villeneuve

26

28

22

37

36

30

179

4

6

2

12

Lac-Delage

-

-

3

-

1

1

5

-

-

-

-

-

-

-

Lac-Saint-Charles

-

60

33

18

54

84

249

-

2

2

-

4

L'Ange-Gardien

-

12

11

9

12

23

67

-

-

-

-

-

-

-

N.-D.-des-Laurentides

-

70

94

134

144

155

597

8

6

4

6

4

28

Saint-Dunstan-du-lac-Beauport

27

24

73

70

71

265

Saint-Gabriel-de-Valcartier

5

2

4

6

6

23

2

2

Saint-Jean-de-Boischâtel

39

28

35

83

59

244

Shannon

6

5

7

6

7

31

Val-Bélair [7]

236

173

201

372

387

1 369

-

6

8

8

6

28

TOTAL

2 696

3 239

2 428

2 425

3 298

3 401

17 487

174

280

210

98

122

116

1 000

[199]

MUNICIPALITÉ

EN RANGÉE

TOTAL

À LOGEMENTS OU AUTRES

TOTAL

TOTAL

1971

1972

1973

1974

1975

1976

1971

1972

1973

1974

1975

1976

Québec

-

-

-

-

-

-

-

1 577

1 661

1 022

259

233

516

5 268

7 804

Beauport

-

-

-

-

-

-

-

270

141

221

30

3

665

1 856

Cap-Rouge (Saint-Félix)

-

-

-

-

13

7

20

10

76

-

-

-

-

86

1 057

Charlesbourg

200

9

-

-

-

-

209

402

338

72

129

130

1 071

2 563

Charlesbourg-Est

-

-

-

-

-

-

-

-

9

7

16

397

Charlesbourg-Ouest [8]

-

-

-

-

-

-

-

8

21

29

89

Charny

20

-

-

-

-

-

20

70

86

39

15

57

114

381

772

Courville

-

-

-

-

-

-

-

52

68

16

136

367

Giffard

-

-

-

-

-

-

-

153

285

30

240

708

1 157

L'Ancienne-Lorette

-

-

-

-

-

-

-

10

15

15

60

60

160

1 346

Lauzon

-

-

-

-

-

-

-

110

6

10

7

70

203

669

Lévis

-

-

-

-

-

-

-

237

213

129

55

217

124

975

1 317

Loretteville

-

-

-

-

-

-

-

249

193

208

69

719

1 621

Montmorency

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

5

Orsainville

-

-

-

-

-

-

-

189

140

-

-

-

-

329

1 416

Réserve indienne

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

66

Saint-Augustin

-

-

-

-

-

-

-

-

3

-

-

-

3

6

403

Saint-David-de-l'Auberivière

-

-

-

-

-

-

-

33

6

4

4

47

245

Saint-Émile village

-

-

-

-

-

-

-

4

4

534

Sainte-Foy

80

-

-

-

30

45

155

1 041

1 184

171

244

452

691

3 783

4 983

Saint-Michel-Archange

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Saint-Nicolas

-

-

-

-

-

-

-

36

3

6

45

702

Saint-Romuald

-

-

-

-

-

-

-

48

26

30

112

216

540

Sainte-Thérèse-de-Lisieux

-

-

-

-

-

-

-

4

3

3

10

380

Sillery

-

-

-

-

-

-

-

248

248

401

Vanier

-

-

-

-

-

-

-

503

155

3

20

681

884

Villeneuve

-

-

-

-

-

-

-

98

16

24

4

3

145

336

Lac-Delage

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

5

Lac-Saint-Charles

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

253

L'Ange-Gardien

-

-

-

-

-

-

-

-

4

-

-

6

8

18

85

N.-D.-des-Laurentides

-

-

-

-

-

-

-

+

+

+

5

-

-

5

630

Saint-Dunstan-du-lac-Beauport

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

265

Saint-Gabriel-de-Valcartier

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

25

Saint-Jean-de-Boischâtel

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

244

Shannon

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

-

31

Val-Bélair [9]

-

-

-

-

-

-

-

-

-

4

4

-

8

16

1 413

TOTAL

300

9

-

43

52

404

5 104

4 891

2 010

686

1421

1 858

15 970

34 861


[200]

importante des plus vieilles banlieues. Dans le cas de Québec, il y a eu effectivement éparpillement des banlieues de maisons unifamiliales, mais aussi densification des anciennes banlieues, [10] et densification assez forte pour créer, à toutes fins utiles, une ville jumelle, et pour ceinturer l'ancienne ville.

La densification ne se fait cependant pas de façon continue, mais plutôt par creux et par sommets, à partir du centre de l'urbanisation ancienne. Cette densification par vagues existait d'ailleurs déjà depuis longtemps : on sait que Saint-Malo est plus dense que le quartier Saint-Sauveur. Mais le phénomène se répand maintenant dans toutes les directions. À partir de la vieille ville, faite surtout de triplex, se succèdent des parties de la ville de Québec et des banlieues plus anciennes où l'on retrouve surtout des maisons unifamiliales, puis réapparaissent par grappes des îlots relativement plus denses, suivis à nouveau de maisons unifamiliales. [11] Si la croissance démographique continue, sans doute verrons-nous apparaître une deuxième frange de constructions en hauteur ; Pointe-Sainte-Foy en est peut‑être la première manifestation. [12]

Comme nous possédons peu de données qui nous permettraient de comparer les constructions effectuées entre 1971 et 1976 dans l'agglomération de Québec à celle des années antérieures, nous devons donc prendre comme point de comparaison la construction réalisée dans l'agglomération de Montréal au cours de la même période. De façon générale, il nous est apparu que, dans les nouveaux ensembles résidentiels de Québec, la construction était de qualité supérieure.

Les sites d'abord sont de meilleure qualité à Québec ; ils sont plus souvent boisés et s'harmonisent mieux avec les caractéristiques naturelles de la région. En outre, on les a mieux aménagés ; le plus souvent, on a réussi à mettre les attraits naturels en valeur et à les intégrer à l'aménagement général de l'espace.

Une plus grande recherche dans les caractéristiques architecturales est également notable. Cela est d'ailleurs vrai pour tous les types de bâtiments et non seulement pour un type en particulier. Pour la maison unifamiliale, on trouve surtout des habitations de style québécois ou de style moderne relativement sobre. Contrairement à ce qu'on voit à Montréal, il n'y a pratiquement pas de toits mansardés plaqués de style exotique ni surtout de mélanges de [201] styles. Par exemple, le faux colonial, l'espagnol, le bavarois sont à toutes fins utiles absents. On trouve la même recherche architecturale pour les immeubles à logements locatifs de quatre étages ou moins. Elle est surtout caractéristique dans le cas de Sainte-Foy, mais on la remarque aussi dans les espaces résidentiels situés dans d'autres municipalités. Si, à Montréal, certains de ces immeubles de quatre étages ont un ascenseur (élément « luxueux » absent à Québec), la plupart y sont de construction plutôt pauvre, ce qui est rarement le cas à Québec. Enfin, même si les tours de la région de Québec sont assez classiques, elles bénéficient quand même véritablement, dans certains cas, à la fois d'une recherche architecturale et d'une intégration aux attraits naturels avoisinants. Cette remarque s'applique notamment aux Jardins Mérici et au Village de l'Anse.

Enfin, il faut noter que les nouveaux espaces résidentiels ont, à Québec, un caractère relativement intégré. Par exemple, lorsqu'un espace est composé d'immeubles à logements de quatre étages et moins, ces immeubles sont souvent groupés afin de former des cours intérieures, soit pour le jeu des enfants, soit pour les adultes. Les aménagements de ces espaces intérieurs ne sont pas toujours parfaits mais, au moins, a-t-on cherché à éviter d'aligner les bâtisses en bordure des rues. Par ailleurs, lorsque dans un espace résidentiel on trouve plusieurs types de bâtiments, par exemple des unifamiliales et des immeubles locatifs, il y a à la fois moins d'hétérogénéité dans le style même des bâtiments et une harmonisation plus grande dans la répartition spatiale des différents types d'immeubles.

Si les nouveaux espaces résidentiels de l'agglomération de Québec semblent être de qualité supérieure au point de vue du site et de l'architecture, la qualité des services y fait parfois défaut. La gamme des services disponibles dans l'environnement immédiat des nouveaux espaces est beaucoup moins étendue à Québec qu'à Montréal. Ceci, bien sûr, est surtout vrai pour les nouveaux espaces résidentiels composés de maisons unifamiliales. Nous avons déjà vu que ces nouveaux espaces se situent relativement loin des zones urbanisées depuis longtemps. Cette carence de services peut s'expliquer par la concentration du commerce de détail caractéristique de l'agglomération de Québec, et par l'importance relative du réseau routier qui donne un accès rapide aux points d'achat centraux. Il faut aussi remarquer que les distances ne sont jamais très grandes à Québec, si on les compare à celles de l'agglomération de Montréal.

Comment expliquer la supériorité des nouveaux espaces résidentiels de l'agglomération de Québec, tant au point de vue de l'aménagement que sur le plan de la qualité de la construction ? Une première explication : le coût de l'habitation. En moyenne, les maisons construites dans les nouveaux espaces résidentiels de Québec coûtent $2 000 de plus qu'à Montréal. De même, il en coûte $40 de plus par mois pour habiter dans un immeuble de moins de quatre étages à Québec.

[202]

Est-ce à dire que la population de ces nouveaux espaces résidentiels est plus riche que celle de Montréal ou disposée à fournir un effort plus grand pour se loger ? Proportionnellement, dans les nouveaux espaces résidentiels de Québec, on trouve plus de cadres supérieurs, de membres des professions libérales et de petits cols blancs. Inversement, les catégories personnel de service, ouvriers qualifiés et ouvriers spécialisés sont moins présentes. Cet état de choses reflète sans doute la structure particulière de Québec, ville administrative et universitaire. Mais, s'il existe entre les deux agglomérations des différences au point de vue professionnel, on n'y trouve aucune différence au point de vue du revenu. Ce dernier fait indiquerait donc qu'à Québec, on est prêt à consentir un effort plus grand lorsqu'il s'agit de se loger ; on serait ainsi en mesure d'exiger une qualité supérieure.

TABLEAU 3
Répartition professionnelle des chefs de ménages habitant les N.E.R.,
Montréal et Québec, 1978. (en %)

PROFESSION

MONTRÉAL

QUÉBEC

Cadres supérieurs et professions libérales

12,0

15,1

Cadres moyens et techniciens

37,2

35,6

Petits cols blancs

16,6

26,6

Artisans et petits commerçants

2,8

2,6

Personnel de service

13,1

10,6

Ouvriers qualifiés et contremaîtres

11,6

6,1

Ouvriers spécialisés et manoeuvres

6,7

3,4


TABLEAU 4
Revenu moyen des ménages habitant les N.E.R.,
Montréal et Québec, 1978. (en dollars)

PROPRIÉTAIRES

LOCATAIRES

Québec

24228

19 408 a

Montréal

24455

20 748 b

a. À l'exclusion des étudiants.
b. À l'exclusion des vieillards.

[203]

La plus grande qualité de l'habitation, à Québec, est recherchée soit dans des styles particuliers, soit dans une meilleure intégration à la nature. Cette définition de la qualité est sans doute basée sur un certain nombre de traits de la population de l'agglomération de Québec : éducation plus poussée, plus grande homogénéité ethnique, sensibilité plus accentuée à l'habitat traditionnel québécois étant donné certaines options politiques, ménages davantage centrés sur la maison et la famille. Tous ces éléments peuvent inciter à la recherche d'un habitat plus agréable. Et sans pouvoir déterminer quels sont les facteurs qui contribuent le plus à cette recherche de qualité, nous pouvons toutefois soupçonner qu'outre les caractéristiques de la population elle-même, certains facteurs plus structuraux peuvent l'influencer.

Gérald FORTIN

INRS-urbanisation Montréal,
Université du Québec.



[1] Centre-ville correspond, aux États-Unis, au C.B.D. : Central Business District.

[2] La dernière réalisation de cette décentralisation est sans doute le Complexe scientifique.

[3] On trouvera leur localisation ainsi que le type de bâtiment qui y prédomine sur la carte en annexe.

[4] On trouvera le détail de la localisation de la construction résidentielle effectuée entre 1971 et 1976 dans : F. DANSEREAU et G. FORTIN, Les N.E.R. de Montréal et de Québec : traits généraux de l'univers et de l'échantillon, Montréal, I.N.R.S.-Urbanisation, 1979, 80 p. + 53 cartes. (« Études et documents », 15.)

[5] L'astérisque signifie : information non disponible ou incluse ailleurs (cm de fusion). Ces années ne sont pas comprises dans les totaux. Le tiret signifie zéro.

[6] À partir de 1973, Charlesbourg Ouest est inclus dans Québec.

[7] Val-Bélair comprend Bélair et Val-Saint-Michel.

[8] À partir de 1973, Charlesbourg Ouest est inclus dans Québec.

[9] Val-Bélair comprend Bélair et Val-Saint-Michel.

[10] Ce même phénomène se retrouve, à un moindre degré, dans la région métropolitaine de Montréal. S'agit-il là d'une forme urbaine propre au Québec, où les logements locatifs demeurent et demeureront toujours relativement importants par rapport à la maison unifamiliale ?

[11] S'agit-il d'une nouvelle forme de ceinture verte, la frange de constructions unifamiliales comportant une quantité assez importante de verdure ?

[12] La construction de tours d'habitation près des sorties d'autoroutes à Toronto participe peut‑être de la même idée de densification des banlieues, mais est fondée sur un autre mode d'habitation. À Québec, la densification repose sur l'immeuble de moins de quatre étages, qui demande quand même plus de sol que la tour que l'on trouve à Toronto.



Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le samedi 25 octobre 2014 9:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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