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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de M. Gérald Fortin, “Sociologie et/ou politique”. Un article publié dans L'intervention sociale. Actes du Colloque annuel de l'ACSALF, colloque 1981. Textes publiés sous la direction de Micheline Meyer-Renaud et Alberte Le Doyen, pp. 23-25. Montréal : Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1982, 384 pp. [Autorisation accordée par Mme Andrée Fortin, fille aînée de M. Gérald Fortin, sociologue à l'Université Laval, le 6 janvier 2004, de diffuser la totalité de l'oeuvre de son père. Nous lui exprimons notre profonde gratitude de nous permettre de rendre accessible l'oeuvre de ce pionnier de la sociologie au Québec qui fait partie intégrante de notre patrimoine intellectuel].

Gérald Fortin (1981) 

Sociologie et/ou politique 

Un article publié dans L'intervention sociale. Actes du Colloque annuel de l'ACSALF, colloque 1981. Textes publiés sous la direction de Micheline Meyer-Renaud et Alberte Le Doyen, pp. 23-25. Montréal : Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1982, 384 pp.

 

Le simple fait de se demander si la sociologie a un rôle à jouer dans l'intervention sociale illustre bien combien la sociologie québécoise de 1981, malgré ses centaines de sociologues intervenants, est loin de l'intervention, ou est loin de la sociologie. 

À mon avis, la sociologie est, en théorie, politique et intervention et devrait, en pratique aussi, être politique et intervention. C'est cette idée que je voudrais développer très brièvement. 

Tout d'abord, dans la mesure où la sociologie est une science, elle est au minimum intention d'intervention. Le but premier des sciences est sans doute la connaissance. Cette connaissance n'est toutefois pas gratuite. Si l'on veut connaître la nature, c'est pour pouvoir mieux la contrôler ou la transformer. Certains philosophes des sciences affirment même que les mathématiques ne sont pas une science puis que le projet d'intervention en est absent. 

Si l'on veut connaître la société, c'est, dans le fond, pour pouvoir agir sur cette société. En cela, la sociologie ne serait pas différente des autres sciences. Ce projet d'action est cependant plus fort en sociologie que dans la plupart des autres sciences. Cela vient, sans doute, du fait que les sociologues sont à la fois observateurs et acteurs de leur objet d'étude. Ils ne peuvent rester neutres et bien qu'ils tendent à l'objectivité, leurs analyses restent biaisées par leurs propres objectifs sociétaux. En pratique, la seule façon de se rapprocher de l'objectivité consiste à expliciter au maximum ses biais et ses projets d'intervention. 

Cela est vrai non seulement de la sociologie théorique mais aussi de la sociologie empirique et de la sociographie. C'est parce que je croyais à un Québec industriel que j'ai pu faire de la sociologie rurale et découvrir dans le monde rural des associations de faits que les sociologues ruraux américains n'avaient pas vues parce qu'ils croyaient au monde rural. C'est parce que je croyais que le système coopératif est une fille du socialisme que j'ai pu objectiver certains faits et certaines contradictions dans le mouvement Desjardins. 

En ce sens, la sociographie et l'empirisme deviennent action et intervention. En permettant un retour réflexif sur les faits et les conduites pris pour acquit, la sociographie ouvre un débat public qui ne peut être que politique. C'est peut-être le plus grand rôle politique que la sociologie des années cinquante et soixante a joué : détruire les évidences à partir d'autres projets. 

Si tous les sociologues sont biaisés, ils ne le sont pas tous de la même façon. Certains se contentent de vouloir corriger les défauts d'une société globalement acceptable, d'autres rejettent la société dans son ensemble et veulent créer une nouvelle société. Les premiers se spécialisent dans un problème basé sur des théories particulières. Les seconds cherchent des théories générales et s'opposent à la balkanisation de la sociologie. Les premiers veulent intervenir mais souvent le font très peu car ils se laissent enfermer dans des problématiques étroites et des faits vite circonscrits et détachés de l'ensemble des relations sociales. Les seconds se font souvent utopistes ou idéologues, mais ont aussi un rôle politique important. Ce rôle est cependant dépendant de leur degré de connaissance empirique de leur société et de leur insertion dans les groupes de cette société. 

Dans les années cinquante et soixante, les sociologues du Québec ont été en général du second type. Pour inventer un Québec nouveau et ce qu'on appelait déjà un socialisme d'ici, ils ont cherché à connaître le Québec ancien et le Québec contemporain et à soumettre cette connaissance à une critique réflexive. Directement ou indirectement, ils se sont engagés dans la politique, l'administration publique, les syndicats, les mouvements sociaux, le développement régional, etc. Ils avaient à construire. La sociologie doit à cette période ses plus belles pages théoriques et empiriques. 

Durant les années soixante-dix, trois courants ont divisé la sociologie. Les sociologues utopistes se sont épuisés ou sont carrément passés à l'action ; d'autres ont eu peur des semi-monstres qu'ils avaient aidé à engendrer. Des plus jeunes sont devenus plus idéologiques qu'utopistes. Ils sont restés critiques plutôt qu'engagés et ont souvent manqué de connaissance empirique du milieu. Plusieurs sortent de cette expérience un peu désabusés. Enfin la sociologie, maintenant acceptée s'est institutionnalisée et bureaucratisée. Chaque ministère, chaque problème social a voulu avoir ses sociologues. Pour répondre à cette demande des sociologies spéciales ont été développées. On a appris à des jeunes sociologues à creuser des problèmes pour les régler, mais à les régler en dehors de leurs contextes. 

Paradoxalement, c'est au moment où il y a le plus de sociologues qu'il y a le moins de sociologie. C'est au moment où il y a le plus de sociologues intervenants qu'il y a le moins d'intervention sociologique. 

Gérald Fortin
Institut national de la recherche scientifique-Urbanisation



Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 mai 2008 7:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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