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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La fin d'un règne (1971)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de M. Gérald Fortin, [sociologue, Université Laval], La fin d'un règne. Montréal: Éditions Hurtubise HMH, Ltée, 1971, 397 pp. Collection: Sciences de l'homme et humanisme, no 3. [Autorisation accordée par Mme Andrée Fortin, fille aînée de M. Gérald Fortin, sociologue à l'Université Laval, le 6 janvier 2004, de diffuser la totalité de l'oeuvre de son père. Nous lui exprimons notre profonde gratitude de nous permettre de rendre accessible l'oeuvre de ce pionnier de la sociologie au Québec qui fait partie intégrante de notre patrimoine intellectuel].

Introduction de l'auteur

La sociologie contemporaine a de plus en plus la prétention de vouloir changer la société; c'est aussi une de ses constatations principales que la société fait sa sociologie. C'est un peu cette dialectique entre société et sociologie que cette collection d'articles veut illustrer, le médiateur de cette dialectique étant le sociologue.

J'avais d'abord songé à reprendre ces articles et à les organiser de façon systématique en une oeuvre unique. Après quelques mois de travail, cet effort m'est apparu artificiel, une sorte de planification après coup. Ce qui était gagné en rigueur, faisait disparaître les hésitations de la pensée mais surtout la relation vitale entre une pensée qui cherchait à s'élaborer et l'action qui la soutenait. Entre une pensée qui cherchait à comprendre et une société qui orientait cette pensée en imposant à l'intention du chercheur tel aspect d'elle-même plutôt que tel autre.

Il m'est apparu que ce qui était perdu était plus important que ce qui était gagné. J'ai donc choisi de présenter ces articles à leur état brut; le seul ordre étant l'ordre chronologique de première publication. Ainsi, en plus de leur valeur relative d'explication d'un milieu, ils constituent, malgré ou à cause d'un certain nombre de répétitions et de vides, un document illustrant la façon dont un sociologue se fait avec sa société, non seulement dans le déroulement de ses recherches, mais aussi dans l'évolution de ses engagements, de ses prises de position et de son action.

L'ensemble de ces articles illustrent aussi la fin d'un règne ou la fin de plusieurs règnes interdépendants. Ayant été conduit par le hasard à appliquer mes connaissances sociologiques au milieu rural, j'ai pu être le témoin de la fin du règne rural au Québec. Disparition du rural non seulement dans les faits mais aussi dans les esprits. Encore nous a-t-il fallu, pour enregistrer la fin de ce règne, nous libérer de certains préjugés venus des idéologies nationales et des querelles sociologiques empruntées de l'école de Chicago et de la sociologie américaine en général.

La fin du règne rural fut aussi la fin du règne du nationalisme qui avait marqué tous les esprits depuis près de cinquante ans. Nationalisme replié sur soi-même et sur un passé idéalisé dépourvu de toute réalité. J'ai commencé ma carrière, au moment même où ce nationalisme faisait place à une prise de conscience des problèmes de classe et à un certain internationalisme. Il y avait là un nouvel éclairage de la réalité.

Enfin, côté métier, fin du règne de la sociologie aseptique, ou pseudo-scientifique, que favorisait la sociologie américaine depuis quarante ans. Fin du règne de la sociologie qui ne veut qu'expliquer, qui refuse de contribuer au devenir de la société, et qui ainsi finit par ne plus rien expliquer car elle s'est coupée de la vie sociale elle-même.

La fin d'un règne ne peut être que le début d'un autre règne qui ne se laisse deviner que lentement. Ces articles témoignent aussi de ce règne nouveau; celui du Québec comme société urbaine et postindustrielle; celui d'un nouveau nationalisme plus ouvert et orienté vers l'avenir, (même s'il n'a pas résolu le problème de classes); celui de sociologues engagés dans la construction de ce nouveau Québec et qui découvrent dans cet engagement un renouvellement de leur pensée.

Il fallait sans doute venir du milieu rural, pour pouvoir mieux résister à l'idéologie ruraliste si prépondérante durant ma jeunesse. En contact avec la réalité grise et parfois même sinistre du milieu rural, il était difficile de croire aux beaux discours des universitaires montréalais sur la beauté du milieu rural. Fils du milieu rural, je n'ai jamais pu croire à l'idéal rural et agricole du Québec, pas plus d'ailleurs que la majorité des ruraux.

Mes ondes, mes cousins, mes confrères étaient des bûcherons, des entrepreneurs, des marchands, des colons préoccupés de vendre le bois de leur lot, des amateurs de chasse et de pêche. Pour eux, la forêt signifiait quelque chose, l'agriculture non. Pour eux, la ruralité était l'aventure du coureur de bois et non la sédentarité de l'agriculture.

A six ans, j'ai laissé en partie le milieu rural pour suivre mon père, instituteur rural qui avait cru à l'Union nationale naissante, et qui venait s'installer à Québec comme petit fonctionnaire. J'ai toutefois passé toutes mes vacances d'été, jusqu'à 17 ans, dans mon village natal. Tout en devenant lentement urbain, je restais imprégné de ce rural qui n'avait rien du rural dont on commençait à me parler au collège classique. Le seul rural qui avait un sens pour moi était celui d'une conquête brutale sur la nature, celui de la ruse pour vaincre la forêt, celui d'un enrichissement rapide qui faciliterait la migration à la ville (rêve de tous mes parents).

Cependant des courants profonds secouaient la société québécoise. L'Action catholique avait remplacé l'A.C.J.C. Une action sociale selon les lignes de classe remplaçait une action sociale généralisée orientée vers le salut du peuple canadien-français. La grève de l'amiante fut une sorte de catalyseur des mouvements imprécis et des orientations de pensée encore floues. La C.T.C.C. devenait une force vive du milieu, la classe ouvrière devenait la classe dont il fallait s'occuper, celle qui changerait le Québec.

Cette conversion à l'ouvriérisme n'était pas toutefois d'inspiration marxiste: (il faudrait encore dix ans pour que Marx soit un peu connu); sa source profonde était la pensée sociale de l'Eglise et les mouvements d'Action Catholique. Cité libre essayait d'organiser cette nouvelle pensée sociale et devenait pour nous ce que l'Action nationale avait été pour nos pères.

C'est dans ce contexte que je terminai mon cours classique et commençai mes études à la faculté des sciences sociales de Laval. Ayant jean Marchand comme modèle, nous y venions pour trouver des moyens de lutter pour la classe ouvrière et pour consolider une idéologie encore trop fragmentaire. Nous étions anti-nationalistes parce que le nationalisme était ruraliste et anti-ouvrier. Aussi parce que la lutte ouvrière semblait déborder les frontières de notre petit groupe ethnique. Mieux valait, selon une phrase d'André Laurendeau, s'unir aux Anglais pour combattre un patron canadien-français que de vivre un rêve utopique avec ce même patron.

La faculté des Sciences sociales de Laval nous décevait en partie. De normative qu'elle était, elle se transformait en une institution positive par suite de l'arrivée de jeunes professeurs; Falardeau, Tremblay, Faucher, Lamontagne, Dion, Bergeron. Le seul courant normatif qui y demeurait était l'anti-duplessisme et le fédéralisme centralisateur. Le courant ouvriériste n'y avait pénétré que faiblement et les professeurs y mettaient l'accent sur la recherche positive susceptible de nous faire connaître le milieu. Cette orientation nouvelle (pour nous) présentait un certain attrait mais laissait notre soif d'engagement et d'idéologie presque totalement inassouvie. Nous nous cotisions alors pour inviter Pelletier et Trudeau, les idéologues à la mode du temps. Ils nous transportaient alors dans la fin des nationalismes, dans la faillite du ruralisme et du pouvoir du clergé, dans le pouvoir ouvrier, dans le renouveau de l’Église.

Ayant terminé ma maîtrise à Laval, je m'orientai vers les États-Unis pour me spécialiser en sociologie industrielle. Là, plus question d'engagement et d'idéologie, j'étais dans la sociologie positive. Marx lui-même devenait un aseptique homme de science. Malgré les frustrations, j'y ai appris à travailler rigoureusement. Cet apprentissage devait être précieux pour la phase scientifique de démystification qui correspond aux premiers articles de ce recueil.

Cependant ce séjour aux États-Unis devait avoir un effet à rebours sur ma pensée vis-à-vis le nationalisme. J'avais choisi pour ma thèse de doctorat l'analyse de l'Action française et de l’Action nationale. À vivre plongé plus d'un an dans ce contexte du nationalisme, des distinctions s'imposaient. Une fois, mises de côté les contingences comme le ruralisme et la vision idéalisée du passé, il demeurait une grandeur dans ce désir d'autodétermination du nationalisme. Sans redevenir nationaliste un doute s'était inscrit dans ma problématique, doute antithétique à la pensée ouvriériste, mais doute qui devait persister comme un fantôme familier dont on ne réussit pas à se défaire.

Revenu à Laval, comme chercheur, mon désir le plus profond était d'entreprendre des recherches en usine. Le hasard des possibilités de financement a voulu que le premier groupe d'ouvriers que j'aie à étudier fut le seul que je connaisse vraiment : celui des bûcherons. Une association de compagnies forestières voulait savoir pourquoi les bûcherons avaient une si grande mobilité de travail.

Cette recherche devait me mettre de nouveau en contact avec le milieu rural de mon enfance. Même en appliquant les règles les plus fixes pour définir le chantier comme une usine, nous ne pouvions échapper à situer cette usine et ses employés dans son contexte naturel. Le milieu rural que nous découvrions cependant n'était pas celui du vieux nationalisme ni même celui des sociologues de l'école de Redfield et du continuum folk-urbain. Nos observations un peu positives démentaient la vision officielle des penseurs québécois.

Intrigué, je décidai de poursuivre cette étude par une monographie d'une communauté rurale. N'étant pas sociologue rural, j'abordai cette étude du point de vue de la sociologie du travail et des occupations. Ce point de départ inusuel devait faire apparaître plus clairement la discontinuité entre l'image officielle du Québec rural et sa réalité quotidienne. De plus, la nécessité de stratifier le milieu rural en vue de connaître la représentativité du cas étudié et en vue d'une autre étude sur les conditions de vie des familles salariées, faisait apparaître la diversité de ce milieu que depuis 1930 (ré-édition de Gérin et étude de Miner) on considérait homogène. C'est de cette diversité et de la futilité de la querelle folk society que j'ai essayé de rendre compte au premier colloque de la revue Recherche sociographique.

Mais si la recherche empirique permettait une certaine démystification, le contact avec les problèmes du milieu rural en voie de destructuration faisait revivre le désir d'action. En particulier, l'idée de planifier le devenir de ce milieu s'imposait de plus en plus. Une première occasion de travailler en ce sens me fut donnée lors de la conférence sur les ressources et l'avenir. Amené à visiter les provinces anglaises, j'y ai retrouvé un ruralisme fondamentaliste aussi fort sinon plus fort que celui du Québec. J'y ai trouvé aussi une même indifférence à penser dans son ensemble au futur du milieu rural et de l'agriculture. Une exception importante cependant, le cas de la Saskatchewan où déjà on commençait, un peu par la force des choses, à structurer le rural autour des pôles urbains.

Assez inoffensif, le texte de ma communication à cette conférence devait soulever des remous assez considérables du côté canadien-anglais, en même temps que de me consacrer malgré moi sociologue rural.

Fort de mes intuitions sur le Québec et de mes observations en Saskatchewan, j'essayai par la suite, lors des réunions préalables à la formulation de la loi Arda, de faire accepter qu'on ne pouvait parler de planification rurale sans parler de planification régionale et de planification urbaine. C'était, à cette époque, prêcher dans le désert, bien que la loi permit la possibilité d'études pilotes en ce sens.

L'aventure du B.A.E.Q. devait finir par donner une réalité à cet espoir d'une planification plus globale. Mon rôle de conseiller et de directeur à temps partiel de la recherche sociologique m'a empêché de conduire personnellement des recherches pendant cette période exaltante du B.A.E.Q. Ce rôle plus englobant m'a permis cependant de prendre un certain recul vis-à-vis mes propres recherches et mes propres engagements. De cette période, datent ma redécouverte de la liaison entre idéologie et sociologie, de la nécessité de l'engagement du sociologue pour renouveler la sociologie elle-même, ma conviction que la sociologie né pourra devenir scientifique que lorsque plusieurs sociologies engagées auront creusé chacune à sa façon le dédale complexe de la société (texte 9).

De cette période aussi, des textes (11 et 14) où il m'apparaît clairement que le milieu rural n'a plus de signification en soi. Le Québec est devenu une seule ville dont le réseau est plus ou moins serré et dont l'organisation suppose une restructuration complète, aussi bien aux points de vue culturel, politique, qu'administratif.

De cette période aussi un dada que je n'ai pas encore délaissé: celui de la participation. Cet idéal de la participation, nous en avons discuté pendant des heures et des jours, entre sociologues plus ou moins engagés, économistes, travailleurs sociaux, ingénieurs. Nous avons cherché à l'instaurer dans certaines formules d'animation et dans des propositions d'organisation politique et administrative. je l'ai découvert plus concrètement dans la vie des conseils régionaux et surtout dans l'espoir qu'ils contenaient (textes 10-16-17). Plusieurs textes ultérieurs qui ne sont pas publiés ici cherchent à préciser à la fois cette notion et cette utopie.

Cependant un des obstacles majeurs à la participation était notre tentation de technocratisme. Plusieurs d'entre nous y ont succombé. Nous voulions (texte 9) que la sociologie puisse définir les buts du développement. Malgré notre «foi» en la population, nous hésitions à lui laisser la décision : nous avions une vue tellement plus globale. Dans le fond, nous réclamions la participation pour nous (contre le monopole du pouvoir des avocats et des ingénieurs) plutôt que pour la population. Cette ambiguïté fut longue à dissiper, (si elle l'est complètement). C'est dans des études sur d'autres contextes que celui du monde rural que j'ai par la suite poursuivi ce genre d'interrogations. Il n'en est rendu compte ici que de façon indirecte.

C'est aussi durant cette période que j'ai redécouvert positivement le nationalisme. A force de se frotter avec les fonctionnaires anglo-saxons d'Ottawa, nous découvrions que nous n'avions aucune raison d'avoir quelques complexes vis-à-vis eux. Nous nous découvrions adultes, capables de contrôler nous-mêmes notre propre destin. Destin qui ressemblait de moins en moins à celui de nos collègues anglos-saxons. Nous voulions dès maintenant construire une société postindustrielle de participation alors qu'eux restaient fixés sur la société industrielle de consommation. C'était à la fois exaltant et dangereux. Ce nouveau nationalisme était un nationalisme de technocrates. C'est donc, de façon interne comme de façon externe, que l'ambiguïté participation-technocratie était inscrite. Il était facile de prêter à l'ensemble des classes du Québec, nos frustrations de techniciens à la recherche du pouvoir. Encore là, l'ambiguïté n'est pas complètement disparue.

Si ce nouveau nationalisme a remplacé en partie l'ouvriérisme de nos premières armes, cet ouvriérisme s'est aussi transformé en participationisme qu'il s'agit d'instaurer dans une nouvelle ville que nous devons inventer. L'antithèse nationalisme-classe ouvrière s'est élargie mais demeure la même. L'indépendance ne peut être une fin en soi, elle n'est qu'une étape, qui apparaît de plus en plus nécessaire, dans une oeuvre plus vaste qui est la création de notre société.

Ces dernières réflexions s'imposent encore plus après un an dans le Tiers-Monde, ou ce qui serait plus juste l'Autre Monde. Dans cet autre monde, les problèmes du Québec et surtout nos querelles internes apparaissent dans leur vraie dimension, c'est-à-dire infimes. Nous jouons aux échecs pendant que la maison brûle. Par ailleurs, nos problèmes sont aussi les problèmes de l'autre monde. Le problème du développement est de moins en moins un problème économique, mais un problème politique. Lui aussi, l'autre monde cherche à accéder à son indépendance pour se construire lui-même à sa propre image. Là aussi, on cherche à devenir adulte par l'autodétermination.

Nous avons à faire notre indépendance, mais surtout nous avons à faire notre vraie révolution. Nous devons nous donner les structures d'un pays développé capable de régler ses propres problèmes de participation, de style de vie, d'aménagement urbain et économique. Nous devons le faire au plus tôt, mais non tellement pour nous-mêmes, mais plutôt pour être en mesure de travailler efficacement avec l'autre monde. Il ne suffit pas de hâbler ni même d'envoyer quelques témoins de la solidarité humaine. Il faut par nos actions devenir non pas un modèle, mais un défi. Plus que Cuba lui--même, le Québec ré-inventé deviendrait le vrai défi de l'autre monde.

Retour au texte de l'auteur: Gérald Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 22 décembre 2006 10:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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