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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Andrée Fortin, “Sociabilité, identités et vie associative (1992)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Andrée Fortin, “Sociabilité, identités et vie associative”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jacques Hamel et Joseph-Yvon Thériault, Les identités. Actes du colloque de l'ACSALF, 1992, pp. 259-286. Montréal: Les Éditions du Méridien, 1994, 585 pp. [Autorisation accordée par l’auteure le 3 janvier 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales]

Introduction

La question du passage d'une société « traditionnelle » à une société « moderne » est non seulement une question classique en sociologie, c'en est le point de départ. Les sociologues disposent essentiellement de deux paradigmes pour en traiter [1]. Max Weber a posé la modernité comme rationalisation, entraînant le désenchantement du monde. Émile Durkheim la caractérise par la division du travail, ce qui amène la différenciation des identités et l'apparition de nouvelles solidarités, basées non plus sur la famille mais sur le travail. C'est dans cette seconde vole que nous nous situons. À partir d'une recherche sur la vie associative dans une région du Québec, le Saguenay, ce qui est questionné, c'est la communauté, ainsi que la logique des solidarités, traditionnelle, moderne, voire post-moderne qui y est à l'oeuvre. 

Si la division du travail caractérisant le monde industriel a suscité des solidarités spécifiques, liées au travail, on peut s'interroger sur ce qu'il advient de celles-ci dans le monde post-industriel où l'emploi se tertiarise et se dualise. Selon plusieurs analystes (par exemple Touraine, 1978) les identités se sont détachées du monde du travail, et conséquemment les mouvements sociaux combattent désormais non plus sur le terrain de la production matérielle mais de la production symbolique, pour le respect des différences, des identités. Ceci dit depuis quelques années les mouvements sociaux, tant « période de reflux, de latence souvent mise sur le compte du narcissisme, de l'individualisme... Illusion d'optique ? Car foisonnent, plus que jamais, les associations en tous genres. Cette sociabilité reflèterait-elle un individualisme de groupe ? Selon Simmel (1949), c'est entre semblables que la sociabilité est à son meilleur ; c'est entre eux aussi que s'exprime la sociabilité [2]. Ainsi se pose la question de savoir quel principe préside à la formation de ces associations, quelles identités s'y expriment, quelles solidarités y sont à l'oeuvre. La multiplication des associations va-t-elle de pair avec la multiplication des identités sous-jacentes ? 

Le Saguenay, région souvent qualifiée de marginale (Bouchard, 1988), nous a semblé propice à l'étude des solidarités et de leurs transformations. Ouvert à la colonisation au milieu du XIXe siècle, ce n'est qu'une centaine d'années plus tard qu'une bonne route relie le Saguenay au reste du Québec. Les terres n'y manquent pas pour qui souhaite s'établir dans l'agriculture ; cependant les villes s'y industrialisent rapidement (pâtes et papier, alumineries). Bouchard, dans une synthèse des travaux sur cette région (1986) caractérise ainsi la dynamique communautaire en milieu rural au 19e siècle et au début du 20e : 1- les solidarités n'y sont pas une dysfonction mais un effet de la marginalité ; 2- on vit en symbiose avec l'économie dominante ; 3- on répond à des impératifs sociaux plus qu'à la recherche de profits ; 4- les solidarités sont non seulement micro-locales, mais aussi nationales et internationales ; 5- donc les solidarités ne sont pas synonymes, au contraire, d'enracinement ; 6- ce n'est pas tant une culture du refus du présent qu'une culture de la solidarité. 

Nous disposons également d'études empiriques sur les solidarités familiales en ville à la même époque (mais pas pour la région du Saguenay : Bradbury, 1983 ; Hareven, 1982). Comme le résume Bouchard, « pour un temps, les formes les plus modernes de la production tendent à consolider les solidarités communautaires et non à les détruire » (1986 : 65). Pour un temps, mais jusqu'à quand ? Si les solidarités et les identités traditionnelles ont su résister au passage à une société industrielle, que leur advient-il alors que se précise le passage à monde post-industriel ? Une étude effectuée dans la région de Québec et portant sur les réseaux de sociabilité (Fortin et al., 1987) a montré que les solidarités traditionnelles sont encore présentes en ville, en particulier dans les milieux populaires. Elles n'y sont toutefois pas omniprésentes et apparaissent en grande partie comme des survivances, en sursis à la faveur des hasards de la géographie urbaine, de l'existence de quartiers anciens épargnés tant par la gentrification que la taudification (Fortin, 198 8). Cela soulève deux questions : premièrement à quel point ces solidarités et les identités traditionnelles sont-elles menacées, dans les pratiques bien sûr, mais aussi dans les représentations ; en effet, en ce qui concerne les réseaux de sociabilité, on a remarqué l'émergence de réseaux non basés sur la parenté mais fonctionnant de façon analogue. D'où la seconde question : quelles sont les nouvelles solidarités et identités dans notre société, comment se différencient-elles du modèle traditionnel ; cette différenciation peut s'analyser tant du point de vue morphologique que comme processus. 

Nous avons choisi de passer par la vie associative pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'au sein des associations est mise en oeuvre une sociabilité à la jonction du privé et du collectif, ce qui permet de cerner les identités personnelles et de groupe d'une part et la dynamique communautaire d'autre part. Au Québec, 24.512 associations étaient actives en 1989 contre 6.103 en 1973 (Langlois et al., 1990, p. 108-109) ; leur multiplication depuis 20 ou 30 ans est possiblement le signe d'un changement. Selon certains, la vie associative remplacerait la sociabilité traditionnelle (Levasseur, 1990). Pour notre part, nous posons l'hypothèse de la survie des solidarités traditionnelles et de leur réactualisation dans un nouveau contexte, qui modifie toutefois les identités sous-jacentes.


[1] Ce qui ne les empêché pas d'emprunter parfois à l'anthropologie et au paradigme folk-urban ou à celui des étapes de l'industrialisation, économique, dans sa version libérale ou marxiste.

[2] Sociabilité, solidarité et identité sont indissociablement liées ; ce sont trois facettes d'un même prisme ; dans la discussion, autant que possible nous essayerons de les distinguer, tout en gardant à l'esprit leur étroite association.


Retour au texte de l'auteure: Mme Andrée Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 30 décembre 2007 20:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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