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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Andrée Fortin, “Les organismes et groupes communautaires”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Vincent Lemieux, Pierre Bergeron, Clermont Bégin et Gérard Bélanger, Le système de santé au Québec. Organisations, acteurs et enjeux. Chapitre 8, pp. 201-226. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2003, 507 pp.
Andrée Fortin (2003)

Les organismes et groupes communautaires”. * 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Vincent Lemieux, Pierre Bergeron, Clermont Bégin et Gérard Bélanger, Le système de santé au Québec. Organisations, acteurs et enjeux. Chapitre 8, pp. 201-226. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 2003, 507 pp.

Introduction
 
Les associations et leurs champs d’activité : perspective historique
 
Clubs sociaux et de bienfaisance
Associations politiques et mouvements sociaux
Associations d'entraide
 
Objectifs et modes de participation
 
Membership et participation
 
Rapport à l'institution médicale
Rapport au réseau de la santé et des services sociaux
Perspectives
 
 
Tableau 1. Typologie des groupes et associations
Tableau 2. Éventail des relations entre un CLCS et les organismes communautaires

 

Introduction

 

Les groupes communautaires sont nombreux à s'occuper de santé, physique ou mentale. Ce n'est pas nouveau, mais le phénomène s'est accentué durant les vingt dernières années. Au début des années 1980 on parlait d'un mouvement d'« auto-santé » (Dumais et Lévesque, 1986) ; dès les années 1990, l'expression n'est à peu près plus employée mais l'implication des groupes communautaires dans le domaine de la santé, au sens large, peut être qualifiée de massive. Dire que c'est l'activité centrale de la majorité d'entre eux serait exagéré, mais c'est sûrement central dans l'ensemble de la mouvance associative. 

L'objectif du présent chapitre est double : montrer l'étendue du phénomène, sa montée, sa structuration, et aussi sa signification, sa centralité non seulement dans le mouvement associatif, mais encore dans le domaine de la santé dont il constitue un volet méconnu, ou à tout le moins sous-estimé. Même si l'expression désigne habituellement les groupes qui ont explicitement une visée de prise en charge de la communauté par elle-même et d'autonomie [1], sous le vocable d'« organisme ou groupe communautaire », j'inclurai tout organisme sans but lucratif ; cela me permettra de baliser large, sans préjuger du rapport que ces groupes entretiennent avec le réseau de la santé et des services sociaux ou même avec les questions de santé. 

Je poserai d'abord quelques repères historiques. Dans un deuxième temps, je distinguerai les groupes selon leurs objectifs et leur membership, puis je traiterai de leur rapport à l'institution médicale. Tout cela m'amènera finalement à discuter du rapport à l'État. Ce qui caractérise le mieux ces groupes et associations, en effet, ce n'est pas qu'ils s'occupent de santé physique ou mentale, de soins curatifs ou préventifs, catégories qui, on le verra, rendent mal compte de leur action, mais leur rapport à l'institution biomédicale avec laquelle ils peuvent collaborer, à laquelle ils peuvent s'opposer en préconisant des médecines douces ou parallèles ou des rapports différents entre soignant et soigné (l'entraide), et surtout leur rapport au réseau de la santé et des services sociaux, qui peut être de partenariat, de complémentarité, de concurrence ou d'indifférence, et enfin leur rapport au savoir biomédical. 

Je parlerai dans ce texte d'un mouvement aux composantes très diverses ; les groupes qui s'impliquent dans la santé sont apparus dans la foulée tant du féminisme que de l'écologie, de l'action catholique que de la gauche, d'où la diversité des rapports qu'ils entretiennent avec l'institution médicale et les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux. 

 

Les associations et leurs champs d’activité :
perspective historique

 

Généralement, quand on évoque le monde communautaire et associatif, c'est surtout à des groupes à caractère politique (des comités de citoyens aux groupes communautaires autonomes en passant par les groupes populaires) ou aux groupes d'entraide que l'on pense [2], ce sont eux dont parlent les histoires du mouvement populaire de McGraw (1979) et Favreau (1989), mais ils ne représentent qu'une partie d'un univers plus vaste (dont le tableau 1 esquisse une typologie). Bélanger et Desrosiers (1995) évoquent, sur l'ensemble du territoire québécois, plus de 2 000 groupes communautaires dont l'activité principale est liée à la santé et aux services sociaux. Mais bien d'autres groupes abordent la santé de façon indirecte. Il faut donc faire l'exercice de considérer l'ensemble du monde associatif, ce que je ferai selon l'ordre d'apparition des divers types d'association, et d'examiner leur implication dans le secteur de la santé.
 

Tableau 1
Typologie des groupes et associations

 

Groupe

« de loisir » ou général

« politique » et « mouvements sociaux »

« d'entraide »

Solidarité

Mécanique

Organique

Moléculaire

Sociabilité

Essentielle

Accessoire

Optionnelle

Identité collective

Commune, partagée

Complémentaire, d'opposition

Coexistant avec d'autres

Principe d'adhésion

Communautaire

Structurel

Accidentel

Fins poursuivies par les acteurs

« Ludiques »

Altruistes

Individualistes

Objectifs du groupe

Sociabilité

Changement social

« Réseautage » et autonomie

Type de société de référence

Traditionnelle

Moderne

Postmoderne

Note : Cette typologie des groupes, basée sur leurs activités principales, les classe aussi selon leur ordre d'apparition. 

 

Le nombre d'associations a considérablement augmenté dans les années 1970 et 1980 ; de 6103 en 1973 elles sont passées à24512 en 1989 (Langlois et al., 1990 : 108-109 ; les chiffres ne sont pas disponibles pour les années ultérieures, malheureusement). Dans plusieurs cas, leur champ d'activité semble a priori bien éloigné du domaine de la santé ; néanmoins, à côté des activités officielles ou principales, il en existe souvent d'autres, plus ou moins importantes ; prenons deux exemples : les Chevaliers de Colomb, qui organisent des levées de fonds, et un club canin (c'est-à-dire une association de propriétaires de chiens), qui en plus d'expositions canines et de concours de dressage se consacre à la zoothérapie auprès de personnes âgées. Si la discussion qui suit porte essentiellement sur les groupes œuvrant directement dans le domaine de la santé, il ne faut pas oublier la contribution des autres. 

L'implication du monde communautaire dans le domaine de la santé n'est pas nouvelle, mais elle a pris de l'ampleur à partir des années 1980. Ainsi, une enquête, menée en 1988-1989 et portant sur les groupes communautaires dont l'activité principale est liée à la santé, révèle que les deux tiers de ceux-ci ont été créés depuis 1980 (Dumais, 1991). Bélanger et Desrosiers (1995) ont recensé, en 1993, 2 374 organismes communautaires (sans but lucratif) qui étaient admissibles aux subventions du ministère de la Santé et des Services sociaux ; ces organismes comptaient plus de 10 107 employés réguliers, plus de 14 871 employés occasionnels et 339 537 bénévoles, lesquels effectuent en moyenne 60 heures de bénévolat par année ! Selon ces auteurs, 7% de la population adulte du Québec était alors engagée à un titre ou l'autre dans l'ensemble de ces organismes communautaires. En 1996-1997, 2 348 organismes communautaires ont reçu en moyenne 62 101$ du MSSS (Bélanger, 1999), le nombre de groupes admissibles étant vraisemblablement plus élevé. 

Cette multiplication de groupes, il est important de le noter, ne s'est pas effectuée de façon totalement spontanée ; elle est liée aux programmes de financement de l'État (programmes de création d'emploi, en particulier), ce qui crée des problèmes aux associations qui en sont dépendantes. J'y reviendrai lorsque je discuterai des relations entre le monde associatif et le réseau gouvernemental de la santé et des services sociaux. Mais cela n'est pas non plus complètement étranger à la dynamique interne du monde associatif Sans en refaire ici l'histoire (McGraw, 1979 ; Favreau, 1989 ; White, 2001), on peut mentionner qu'avant 1960 ce monde associatif était composé surtout d'associations de loisirs et de bienfaisance (Hugues, 1945) ; dans les années 1960, des groupes revendicatifs, qu'on appelle globalement des « comités de citoyens », apparaissent (il y aura même un ministre fédéral délégué aux comités de citoyens au tournant des années 1960-1970). Ceux-ci se radicaliseront dans les années 1970 selon deux voies, le marxisme-léninisme et la contre-culture, pour, dans les années 1980, se retrouver dans ce qu'on appelle la mouvance communautaire, moins portée à revendiquer qu'à se donner des services (Fortin, 1991). Des comités de citoyens ou des organisations de masse, on passa alors aux collectifs ou collectives (Anadon et al., 1990), des coopératives de consommation aux coopératives de travail (Fortin, 1985), des groupes de conscientisation aux groupes de services (Ouellette, 1990). Au début des années 1990, les groupes sont entraînés dans une dynamique de partenariat avec le réseau de la santé et des services sociaux, notamment avec les régies régionales, ce qui renforce leur prestation de services et leur intégration à ce réseau, malgré leur nouvelle appellation de groupes « autonomes ». Reprenons.

 

Clubs sociaux et de bienfaisance

 

Groupes habituellement non associés à la mouvance communautaire, et qui existent depuis plusieurs décennies dans certains cas, la plupart des clubs sociaux (Richelieu, Lions, Optimistes, etc.) s'impliquent dans le domaine de la santé grâce à des collectes de fonds en faveur tant de fondations promouvant la recherche sur des maladies particulières, que des personnes atteintes. Selon un dépliant de recrutement des Chevaliers de Colomb (distribué en 1990), ceux-ci ont recueilli en 1985, au Québec seulement, 3 856 696 dollars ; en plus de cette contribution financière, ils rendent visite aux malades et organisent des collectes de sang. Les Élans (section francophone des Elks, bien implantée au Saguenay) ont comme cause prioritaire l'aide aux enfants malades et démunis, et en particulier à ceux qui ont des défauts d'audition ; les Optimistes, eux, viennent en aide aux personnes atteintes de troubles de la vision. Ces associations fournissent avant tout une aide financière à d'autres associations, mais parfois directement àdes personnes qui leur sont recommandées en leur payant des prothèses, des lunettes, etc. L'ensemble de ces activités, de façon un peu péjorative, est souvent qualifié de « bonnes oeuvres ». 

Dans les années 1990, la levée de fonds s'est professionnalisée et son fonctionnement est de plus en plus calqué sur celui du marketing : on vend des causes comme on vend des produits. Pineault (1997) s'est penché sur ces dons et « le marché du don ». En 1995, il y avait au Québec 13 000 organismes charitables recueillant des dons pour lesquels elles pouvaient émettre des reçus de charité, dont la majorité ont été créés après 1980 ; d'après Statistique Canada, en 2000, les Québécois leur auraient donné au total 515,7 millions de dollars. Si certaines fondations recourent au marketing, ce n'est pas le seul mode de sollicitation existant. Pour trouver de l'argent, les associations sont amenées à mobiliser les réseaux de leurs membres, et indirectement l'ensemble de la communauté, ainsi qu'à adhérer à des réseaux d'associations, à l'échelle régionale et sectorielle. Le don est un acte dont il ne faut pas sous-estimer le sens symbolique, soit l'affirmation d'une solidarité, de l'appartenance à une communauté (Godbout, 2000). Cette action, qui passe souvent inaperçue, peut être considérée comme une forme de prise en charge communautaire de certains problèmes sociaux et de santé en dehors du réseau de la santé et des services sociaux (Fortin, 1994).

 

Associations politiques et mouvements sociaux

 

Dans les années 1960 apparaissent de nouveaux groupes, les comités de citoyens, à caractère plus politique et revendicateur, et qui s'attaquent aux problèmes sociaux dans leur dimension sociale ; ils promeuvent la participation des citoyens à la résolution de divers problèmes sociaux. Dans les années 1970, plusieurs de ces groupes se radicalisent ; de nouveaux sont mis sur pied dans la mouvance de l'extrême-gauche. Ces associations politiques et revendicatives, pour qui la santé n'est pas un objectif central ou prioritaire, se sont également impliquées dans ce secteur. 

Le dossier de la santé et de la sécurité au travail, revendication « traditionnelle » du mouvement ouvrier, a été promu par les syndicats. Depuis quelques années, le mouvement syndical s'oriente davantage vers un rapport de partenariat et non plus d'affrontement avec le monde patronal ; cette nouvelle approche des relations de travail a incité les syndicats, et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) en particulier, à mettre sur pied des programmes d'aide à leurs membres aux prises avec des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie, d'après le modèle des groupes d'entraide. Les PAE, programmes d'aide aux employés, sont désormais répandus dans l'ensemble des entreprises. 

En ce qui concerne l'implication des groupes politiques dans la santé, le cas le plus intéressant est certainement celui de la Clinique Saint-Jacques (1968-1986), née du combat du comité de citoyens du même nom, étroitement associé au FRAP (Front d'action populaire, parti politique municipal d'opposition au maire Drapeau), puis à En Lutte. Boivin (1988) en raconte l'histoire en détail, laquelle peut se résumer ainsi : « Un comité de citoyens se donne lui-même les services qu'il revendique »(Boivin, 1988 : 43)... jusqu'à ce que l'État prenne le relais, satisfaisant les demandes initiales du comité de citoyens, près de vingt ans plus tard. Cette clinique a eu le premier médecin salarié au Québec, dès 1970, et impliqua à divers titres la population du quartier, aussi bien en formant sur le tas du personnel paramédical, qu'en donnant le pouvoir aux usagers dans les diverses instances décisionnelles, surtout les premières années. Le projet de cette clinique était en effet autant, sinon plus selon les époques, politique que médical. La Clinique de Pointe Saint-Charles, née dans un contexte analogue à celui de la Clinique Saint-Jacques, a su s'intégrer au réseau des centres locaux de services communautaires (CLSC) sans en devenir un, en gardant son autonomie (Godbout et al., 1987). La fondation des cliniques populaires fut grandement inspirée de l'exemple américain des free clinics (Boivin, 1988). Il a aussi existé différentes pharmacies communautaires et divers groupes de réflexion sur la santé liés au mouvement socialiste (Dumais et Lévesque, 1986). 

Si, dans les années 1970, la gauche s'est radicalisée, elle s'est aussi rapidement épuisée, et dans cette décennie sont apparus ce qu'on a appelé les nouveaux mouvements sociaux, dont les plus importants, le féminisme et l'écologisme, sont directement associés à la santé, ce que confirme leur évolution dans les années 1980 et 1990. 

Pour le mouvement des femmes, le corps, et donc la santé, est un enjeu central. L'histoire de ce mouvement se joue depuis trente ans autour de deux dossiers, le travail et la santé, le second ayant pris beaucoup d'ampleur à la faveur de la multiplication des groupes de services dans les années 1980, ce qui a entraîné la transformation du féminisme, abondamment décrite et analysée (Ouellette, 1990 ; Lamoureux, 1990). Les deux tiers des groupes de services féministes existant au milieu des années 1980 ont été créés dans cette même décennie (Ouellette, 1990 : 81) [3]. La santé intéresse les femmes à plus d'un titre. Reprenant la typologie de De Koninck et Savard (1992), on peut parler de trois dossiers principaux : santé physique, santé reproductive et santé mentale, étant entendu que les trois sont étroitement reliées. En ce qui concerne la santé physique, il faut souligner l'implication du mouvement féministe auprès de femmes victimes de violence conjugale ou de viol, et la mise sur pied d'un réseau de maisons d'hébergement pour les femmes et leurs enfants victimes de violence conjugale. Un autre volet de l'intervention féministe en santé physique a été le dossier de l'« obsession minceur ». 

Dans le domaine de la santé reproductive, ce qui a mobilisé les féministes, ce sont principalement la contraception, l'avortement libre et gratuit, l'humanisation de la naissance et la reconnaissance de la profession de sage-femme, et, plus récemment, l'aide liée à la ménopause, au syndrome prémenstruel et au sida. 

La santé mentale a aussi été investie par les femmes qui ont décelé, dans la définition de la folie selon l'institution médicale, celle de la féminité : « ce qui pouvait être perçu, analysé et identifié comme de la folie chez une femme pouvait être soit un comportement féminin conditionné et exacerbé (une exagération des traits habituellement considérés comme féminins), soit un comportement féminin rejeté, dévié contre lequel on proteste (De Koninck et al., 1981 : 159) [4]. « Au départ, on a parlé de "thérapie féministe", conformément à la terminologie utilisée aux États-Unis. Puis on a privilégié l'expression "intervention" puisque "thérapie" semblait un corollaire de "pathologie" » (De Koninck et Savard, 1992 : 32). Les dossiers plus précis sur lesquels les féministes ont travaillé sont la dépression, le suicide, l'alcoolisme et les toxicomanies. Mais, à la limite, tous les groupes de conscientisation, de discussion, où les femmes réfléchissent sur leur identité peuvent être vus comme des groupes d'auto-santé mentale. 

Selon Saillant (1985 : 749), sept principes sont à la base d'une approche féministe de la santé : « 1) démédicalisation ; 2) réappropriation du corps ; 3) mise en circulation de l'information ; 4) multiplication des ressources autres que médicales et augmentation des possibilités de choix dans les thérapies ; 5) développement des mécanismes d'intervention des usagères dans les lieux de décisions ; 6) obtention des services non existants quand il y a lieu ; 7) développement de mécanismes autonomes d'intervention par les femmes ». Plus généralement, ce qui caractérise l'intervention féministe, c'est une approche de groupe (et non individuelle), et le fait de relier les problèmes de santé des femmes à leur place dans la société. Il faut noter que cette approche n'est pas propre au mouvement communautaire ; des praticiennes privées ou travaillant dans le réseau gouvernemental s'en réclament (De Koninck et Savard, 1992). 

Dans le cadre du mouvement écologiste, et du nouvel âge qui s'est développé plus ou moins dans son prolongement au cours des années 1980 et 1990, sont nées différentes critiques de l'institution médicale, à qui plusieurs reproches sont adressés : trop de médicaments, médicaments trop chimiques, tendance à découper le corps en symptômes, ou vision biomédicale, par opposition au holisme qui considère l'organisme dans sa totalité et ne dissocie pas le corps et l'esprit dans le traitement de la maladie. Plusieurs associations s'inscrivent dans cette mouvance, en tout premier lieu les associations de thérapeutes alternatifs qui tentent de se faire reconnaître légalement (Martel, 1990) et de se légitimer auprès de leur clientèle potentielle (Fortin, 1990). Leur action est autant une action d'éducation, c'est-à-dire faire connaître et promouvoir une autre médecine, que celle d'un groupe de pression auprès de l'Office des professions (Association d'acupuncture du Québec et Syndicat professionnel des homéopathes du Québec, par exemple). Ces associations rejettent le modèle biomédical et le monopole de la Corporation des médecins du Québec, mais proposent un modèle quasi corporatif, dans la mesure où elles fixent des critères d'adhésion en matière de formation, d'expérience et de déontologie. Aussi longtemps qu'elles n'auront pas obtenu une reconnaissance légale, elles appartiendront au monde communautaire et associatif (ainsi des sagesfemmes qui, entre la première et la seconde éditions de cet ouvrage, sont passées hors du communautaire). On remarque ici une influence orientale, souvent médiatisée par les États-Unis, notamment en Californie. Ce mouvement existe aussi en Europe, mais il y prend des contours quelque peu différents, car ce qui est reconnu légalement dans un pays ne l'est pas nécessairement dans d'autres. 

Le mouvement écologiste dans son ensemble s'intéresse à la santé publique et communautaire, dans la mesure où il dénonce diverses formes de pollution de l'air, de l'eau et des sols, etc., ainsi que leurs effets néfastes sur la santé des populations (maladie de Minamata ; cancers liés aux déchets toxiques, etc.). C'est ainsi qu'il préconise des mesures préventives, pour éviter les catastrophes environnementales, et curatives... c'est-à-dire de dépollution et de décontamination. Son action en est une aussi de sensibilisation ; par exemple, dans les années 1980, la Société pour vaincre la pollution (SVP) a publié des cartes de la pollution du Saint-Laurent et des sites (connus !) d'enfouissement de déchets toxiques. Ce mouvement se transforme aussi régulièrement en groupe de pression par sa participation aux audiences publiques comme celles du Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE). 

C'est encore dans cette mouvance qu'on peut situer les groupes d'« antipsychiatrie » qui dénoncent la chimiothérapie, les électrochocs et le traitement conventionnel de la maladie mentale. Cependant, ceux-ci s'inscrivent dans une longue tradition, celle de la psychanalyse freudienne ou lacanienne, sans oublier celle des Britanniques Laing et Cooper, pour qui la maladie mentale d'un individu est le symptôme des problèmes d'un réseau social [5], le plus souvent d'une dynamique familiale pathogène, dont une personne, sorte de bouc émissaire, porte le fardeau (Laing, 1970 ; Cooper, 1970). Au Québec, dès le début des années 1960, s'élevaient des voix pour dénoncer l'organisation des hôpitaux psychiatriques et le traitement - ou le non-traitement - qu'ils dispensaient (Pagé, 1961). C'est ainsi que la Maison Saint-Jacques fut fondée en 1972 comme solution de rechange au traitement conventionnel ; à cette communauté thérapeutique, on peut associer toutes les maisons spécialisées en désintoxication (Maison d'entraide L'Arc-en-ciel), dont plusieurs offrent des services d'hébergement, quoiqu'elles s'inscrivent souvent dans une perspective davantage chrétienne qu'alternative.

 

Associations d'entraide

 

D'autres associations qu'on peut qualifier globalement « d'entraide » se sont multipliées dans les années 1980 et surtout 1990, même si certaines existent depuis longtemps, comme les Alcooliques anonymes (AA), fondés en 1935 (Godbout, 1992). On a vu naître dans ces décennies les Narcomanes anonymes, les joueurs anonymes, les Outremangeurs anonymes, etc., et surtout des associations liées à pratiquement toutes les maladies ou problèmes chroniques. Ces associations participent au monde de la santé à divers titres et font à la fois de la prévention et de l'aide après coup, comme les AA ou les associations de personnes prenant soin de proches, où se brouillent les frontières entre le curatif et le préventif, entre l'aide aux personnes malades et celle à leurs proches (Société Alzheimer de Québec, Association québécoise des parents d'enfants handicapés visuels, Association des personnes intéressées à l'aphasie). C'est ici encore qu'il faut situer des associations comme l'Association des parents de jumeaux et plus, sortes de groupe d'entraide en santé mentale, ainsi que les associations qui font de l'écoute téléphonique comme les centres de prévention du suicide. 

Ces groupes d'entraide sont à la fois les héritiers du mouvement féministe et de celui d'auto-santé : « Un des concepts de base soutenus par le mouvement alternatif en santé [est que] la capacité du soignant est reliée à sa propre expérience de soigné » (Dumais et Lévesque, 1986 : 84). En effet, d'une certaine façon, y est récusée l'expertise « extérieure », et n'est reconnue que celle liée au fait d'avoir soi-même vécu un problème. 

Quel type d'(entr)aide apportent ces groupes ? Le rôle de la parole est central ; il ne s'agit pas seulement de formation et de partage de connaissances ou de trucs, mais d'échanges sur les problèmes relationnels et le vécu. Souvent en effet, ce dont souffrent les personnes atteintes et leurs proches, c'est de problèmes de communication, d'une pathologie du lien social plus que du corps en tant que tel (Gagnon, 1999 ; Paquet, 2001). 

En fait, si certains groupes et associations entrent bien dans la typologie proposée plus haut (tableau 1), certains domaines en révèlent mieux le caractère idéal-typique. L'aide alimentaire, comme celle apportée par Moisson Québec, se situe autant dans une mouvance politique et de lutte à la pauvreté que dans celle des organismes de bienfaisance, et les personnes qui y ont recours ont des problèmes de santé importants (Côté et al., 1995) ; par ailleurs, comme solution aux problèmes alimentaires on préconise l'entraide (cuisines collectives qui aident également à briser l'isolement de plusieurs personnes démunies) et les jardins communautaires, où on privilégie souvent l'agriculture biologique. Les liens entre la pauvreté et la santé, mis en évidence par ailleurs dans diverses enquêtes épidémiologiques, expliquent à la fois l'implication de groupes populaires dans le domaine de la santé et celle de groupes dont la vocation est étroitement liée à la santé dans la politique, jusqu'à se transformer en groupes de pression.

 

Objectifs et modes de participation

 

Les oppositions classiques dans le domaine de la santé (curatif/préventif, santé physique/santé mentale) se révèlent insuffisantes pour rendre compte de l'activité des groupes et associations dans le domaine de la santé, même si dans un premier temps elles peuvent en caractériser certains qui s'occupent surtout de santé physique (Diabétiques de Québec [6]) ou mentale (Relais La Chaumine), préventive (Centre de prévention du suicide) ou curative (Viol Secours), traditionnelle (Société canadienne du cancer) ou alternative (Association de santé holistique du Québec), individuelle (Alcooliques anonymes) ou communautaire (Villes et villages en santé), de façon parallèle (Auto-Psy) ou complémentaire au système gouvernemental (maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale). Dans certains cas, les personnes se prennent elles-mêmes en charge, c'est le cas des groupes d'entraide (Narcotiques anonymes) ; dans d'autres cas, on soutient ceux et surtout celles [7] qui ont charge d'une personne malade (Association québécoise des parents d'enfants handicapés visuels) ; d'autres groupes, qui ne sont pas liés explicitement au monde de la santé, soutiennent ceux susmentionnés grâce à des campagnes de financement, c'est le cas de clubs sociaux comme les Optimistes et les Lions. Enfin, il ne faut pas oublier les associations faisant la promotion de thérapies ou de formes de soins non reconnues par le système officiel (Les Accompagnantes), et celles qui défendent des droits et se transforment à l'occasion en groupes de pression (Association des paraplégiques du Québec). Toutes ces associations se regroupent le plus souvent en tables de concertation sectorielles ou régionales (Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec, Table régionale des organismes communautaires et bénévoles de la Montérégie, Table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles). Il s'agit d'une forme de participation des citoyens aux services de santé, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est multiforme. 

Quand on scrute en détail les activités de tous ces groupes, il apparaît qu'il vaut mieux parler d'axes que d'oppositions tranchées. Un premier axe permet de départager à un pôle les associations qui s'intéressent à la santé physique (Association pulmonaire du Québec) et à un autre, celles qui s'intéressent à la santé mentale (Centre femmes d'aujourd'hui, qui soutient les femmes dépressives). Cette distinction n'est toutefois pas toujours pertinente. Ainsi, les médecines douces prônent une approche holiste, qui par définition considère simultanément la santé du corps et celle de l'esprit. Et de toute façon, l'institution médicale ne peut ignorer les liens entre le corps et l'esprit. Plusieurs associations non explicitement holistes travaillent dans cette perspective, comme les Relevailles, qui aide les nouvelles mères à traverser la dépression post-partum. Pour que cet axe soit utile, il faut le concevoir comme un axe véritable, avec deux pôles bien distincts, santé physique et santé mentale, et un troisième terme entre les deux : santé globale ou holiste. 

Un second axe, mettant en relief la distinction entre le préventif et le curatif, est lui aussi loin d'être suffisant pour rendre compte de l'action des groupes. Si, dans certains cas, la distinction est pertinente (Centre de prévention du suicide, d'une part, Organisation québécoise des personnes atteintes de cancer, d'autre part), dans le cas des groupes d'entraide elle ne l'est pas nécessairement, pas plus que dans celui des médecines douces qui débouchent souvent sur une prise en charge de soi-même (Quéniart et al., 1990). En fait, pour plus de précision, il faudrait compléter cet axe classique en y ajoutant « l'auto-santé » et l'entraide, cette dernière survenant après le problème, mais permettant non seulement de le prendre en charge mais d'éviter qu'il se reproduise ou s'aggrave. 

Un troisième axe est celui de la formation, de l'information et des pressions. En effet, certaines associations ne se consacrent pas directement aux soins préventifs ou curatifs, ni à l'entraide, et situent leur action dans le domaine du savoir. La réflexion et la sensibilisation sont un objectif central de l'Association pour la santé publique du Québec, par exemple, alors que d'autres sont plutôt des groupes de pression, comme l'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec ou le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. Certains groupes se vouent à la diffusion d'information comme le Réseau québécois pour l'enseignement sur l'asthme. Mais cette action relative au savoir et aux idées n'est pas seulement destinée à la population en général ou aux décideurs, et n'est pas l'apanage des réseaux et regroupements. Certains groupes fournissent une formation aux usagers ; c'était notamment le cas des Centres de santé des femmes dans les années 1970 et 1980 ; c'est aussi le cas de plusieurs groupes d'entraide. D'autres forment plutôt des bénévoles (Centre de prévention du suicide), voire des intervenants (Fédération des ressources d'hébergement pour femmes violentées ou en difficulté du Québec). 

Les groupes œuvrant dans le domaine du sida sont exemplaires dans leur mise à mal de ces oppositions ainsi que, pour anticiper sur les prochaines sections, en ce qui concerne leur rapport à l'institution et au réseau. La lutte au sida a été menée essentiellement par le mouvement communautaire. Les associations du milieu homosexuel ont été très actives dans la prévention et l'information (Mouvement d'information et d'entraide dans la lutte contre le sida, Miels-Québec) et dans la prise en charge, par exemple l'ouverture à Québec de la maison Marc-Simon (maison d'hébergement pour sidéens en phase terminale), dès les années 1980. Mais le mouvement gay a été aussi très actif dans la production de discours scientifiques et de contre-discours sur le sida, discutant tant la conception des protocoles de recherche (Bélisle et Bellavance, 1999, dénonçant l'utilisation erronée des tests d'hypothèse dans la comparaison de divers traitements) que la non-représentativité des échantillons dans plusieurs études (Bélisle et Dumez, 1998) ou leur mise en place effective (Murbach, 1991 [8]), forçant ainsi l'institution médicale à revoir ses protocoles d'expérimentation des médicaments. Le mouvement associatif a aussi servi de groupe de pression pour réclamer l'indemnisation de malades (Société canadienne d'hémophilie) et pour dénoncer les profits indus des compagnies pharmaceutiques. Ce mouvement a aussi exercé de nombreuses pressions pour orienter les politiques et contrer toute mesure à caractère discriminatoire ou coercitif dans le traitement et la prévention du sida.

 

Membership et participation

 

Les organismes œuvrant dans le domaine de la santé sont centrés sur différents groupes ou acteurs, tout dépendant de leurs objectifs. Il y a les associations qui viennent en aide aux malades (Centre Jean-Lapointe, Fondation MIRA), les associations de malades (Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec), les associations d'entraide (Relais La Chaumine), centrées sur les malades. D'autres sont plutôt organisées autour d'un personnel permanent ou de professionnels ; ce sont les groupes de pression (Société canadienne de l'hémophilie), les regroupements d'organismes (Regroupement des ressources non institutionnelles en santé mentale de Québec), les groupes de sensibilisation (Villes et villages en santé). Quant aux associations qui collectent des fonds, dans certains cas elles sont centrées sur des bénévoles (Chevaliers de Colomb) et dans d'autres sur des professionnels de la levée de fonds. Enfin, il ne faut pas oublier le regroupement de praticiens (Corporation des intervenants en médecine alternative). 

Reprenons. Centrés sur les « malades » et leurs proches, ou plus généralement sur les usagers, il y a d'abord les groupes d'entraide (Godbout, 1992), pour qui la santé tout autant que la participation sont des objectifs centraux. Il faut leur associer tous les groupes liés à une maladie particulière ; en fait, toutes les maladies chroniques ou héréditaires, tous les syndromes et toutes les affections ont désormais leur association, comme une rapide recherche sur Internet permet de le constater. 

En ce qui concerne les bénévoles, ils sont très nombreux dans le domaine de la santé et des services sociaux ; plus de 300000 selon Bélanger et Desrosiers (1995) ; selon l'enquête de Statistique Canada de 2000, au Québec, 1 135 000 personnes auraient fait du bénévolat, soit 19% de la population du Québec ; quelque 10% de leurs activités étaient directement liées à la santé et 25% au « service social » (voir Robichaud, 1998, et Gagnon et Sévigny, 2000, pour une discussion approfondie des enjeux actuels du bénévolat dans le secteur de la santé et des services sociaux). 

D'autres associations sont plutôt le fait de professionnels. Les groupes de services sont souvent des collectifs de praticiens ou praticiennes qui rendent des services aux usagers (Les Accompagnantes). Il s'agit d'une transformation profonde du monde communautaire soulignée par plusieurs analystes (par exemple Couillard et Côté, 1994), qui autant modifie l'exercice de la démocratie et du pouvoir dans ces groupes qu'elle rend difficile l'évaluation du nombre de leurs membres. Déjà au colloque de Victoriaville en 1986, intitulé « États généraux du monde communautaire », n'étaient présents que des permanents ou Peu s'en faut (Corporation de développement communautaire des Bois-Francs, 1987). 

Dans le cas des groupes de défense, ce sont des permanents ou des administrateurs qui s'expriment au nom de l'association ; pensons à la Société canadienne de l'hémophilie et à ses efforts en vue d'obtenir des compensations financières pour ses membres atteints du sida. Ce peuvent être aussi des contre-experts (particulièrement nombreux dans les secteurs de l'écologie et du sida). Enfin, élément important du monde communautaire, il existe des regroupements d'organismes, des tables de concertation. Les premières de ces tables sont issues du mouvement, comme les tables de concertation sur la violence conjugale, qui mettent en présence les intervenants tant communautaires que gouvernementaux et d'autres qui ne recrutent que dans le monde communautaire, comme l'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec qui compte quelque 100 membres. Plus récemment, d'autres tables sont apparues sous la pression du gouvernement dans la foulée de la loi 120 (Caillouette, 1999). 

Mais au-delà des distinctions que je viens d'évoquer, une caractéristique globale du monde communautaire est qu'il s'agit d'un univers très féminin, et en partie seulement à cause de l'importance numérique des groupes de femmes ou qui interviennent auprès des femmes. Cela est certainement à mettre en liaison avec le fait que le monde des soins, du care par opposition au cure, est essentiellement féminin (Saillant, 1999).

 

Rapport à l'institution médicale

 

Il existe dans le monde associatif une ambivalence face au savoir médical, et ce, parfois au sein d'une même association qui à la fois revendique au nom de malades et s'en prend au système biomédical. En fait, le savoir médical est la cible de critiques qui concernent non seulement le savoir en tant que tel, mais toute l'institution, et en particulier le rapport soignant-soigné. 

Les groupes qui s'impliquent dans les médecines alternatives, douces ou parallèles, pour les promouvoir ou les mettre en pratique, s'opposent de front à la médecine « traditionnelle occidentale », au savoir médical. Les patients y arrivent souvent, du moins pour le premier recours, à la suite d'un échec des thérapies traditionnelles (Quéniart et al., 1990), mais dans un second temps, c'est une nouvelle façon de concevoir la santé qui entre enjeu, une vision préventive et de prise en charge de soi-même, « l'expression d'une quête de bien-être » (Quéniart et al., 1990 : 48). Il est intéressant de noter que plusieurs thérapeutes « alternatifs » ont une formation médicale ou paramédicale (environ le tiers des répondants à l'enquête de Rousseau, Saillant et Desjardins, 1989), qu'ils font valoir, le cas échéant, comme mode de légitimation (Fortin, 1990) [9]. 

Les médecines douces partagent avec le mouvement de santé des femmes une conception globale de la santé :

 

Plusieurs militantes du mouvement de santé (entre autres les sages-femmes) défendent une philosophie qui s'inspire des principes mis de l'avant par le mouvement des médecines douces : vision holiste (globale et unitaire) du corps, contestation de la technique-réponse à tous les maux, démédicalisation et non-intervention. Proches du mouvement écologique, ces féministes impliquées dans le développement de ressources alternatives et spécifiques aux femmes partagent avec ce dernier une vision globale de l'individu (Corbeil, 1991 : 54).

 

Dans l'enquête de Dumais sur les groupes communautaires en santé, « près de 60% des répondants s'inscrivent tout à fait dans le moule de la critique que le mouvement alternatif a exercée sur les services officiels de santé » (Dumais, 1991 : 70). Cette remise en question s'effectue même à l'intérieur du monde médical car il existe une Association de médecine dentaire holistique du Québec ; en 1984 a été fondée l'Association de médecine holistique du Québec basée en Estrie, regroupant des médecins (plus d'une centaine au début des années 1990), des dentistes et des pharmaciens (Salvet, 1992 : 10) ; en 1996 cette association devient l'Association pour la santé holistique du Québec, qui ne recrute plus seulement des praticiens, mais tous ceux intéressés par le sujet. 

Dans les groupes d'entraide, où se fait autant de prévention que d'intervention après coup, la division entre les spécialistes et les clients est remise en question. Tous peuvent s'aider à titre de personnes ayant vécu le problème ; de là vient la légitimité de leur intervention, et non de leurs diplômes. Cela est vrai aussi bien des associations de familles monoparentales que des AA (Godbout, 1992), et de tout ce qu'on peut regrouper sous le vocable d'intervention féministe :

 

L'intervention féministe est une intervention d'entraide et ne peut se concrétiser dans un rapport hiérarchique ou de dépendance. L'intervenante doit se percevoir elle-même comme membre de la catégorie sociale « femmes » et orienter sa pratique en conséquence : mise à profit de son expérience personnelle, partage, etc. (De Koninck et Savard, 1992). 

La contestation des savoirs médicaux s'exprime encore d'autres façons ; parfois, en fait, ce ne sont pas tant ces savoirs que l'on critique que leur partage social. Le mouvement féministe, par exemple, a pour objectif non seulement d'offrir des services aux femmes, mais de répandre des savoirs en particulier sur le système reproducteur, de mettre en question le pouvoir médical, etc. Dans d'autres cas, c'est aux privilèges liés au savoir que l'on s'en prend, d'où les expériences radicales de partage des tâches non médicales dans les premières années de la Clinique Saint-Jacques, alors que les médecins effectuaient une part du travail de secrétariat (Boivin, 1988). On dénonce aussi la collusion de l'institution médicale avec les intérêts des compagnies pharmaceutiques, dans le cas du sida, notamment. 

Évidemment, quand une association entreprend une collecte de fonds, pour la Fondation des maladies du cœur du Québec par exemple, elle entretient un rapport de confiance avec le système biomédical. Tous les types de rapport au savoir biomédical sont donc possibles : opposition, fonctionnement en parallèle, complémentaire ou de confiance, tout comme avec les intervenants du réseau gouvernemental. 

 

Rapport au réseau de la santé
et des services sociaux

 

Après avoir décrit la diversité des approches et des activités de la mouvance associative dans le domaine de la santé, se pose immédiatement la question des relations de ces divers groupes avec les institutions du réseau de la santé (régies régionales, CLSC, hôpitaux, etc.) ainsi qu'avec les professionnels de la santé (physique et mentale). Ces rapports sont souvent difficiles et sont autre chose que le rapport à l'institution médicale, comme l'illustreront les propos qui suivent. 

Il faut traiter à part les groupes qui se donnent comme mandat officiel la remise en question des institutions, comme les sages-femmes dans les années 1980 ou les groupes « anti-psychiatriques » comme Auto-psy. Dans certains cas, ils se transforment en groupes de pression, en particulier dans le domaine de la santé mentale (Lamoureux, 1994) ou du sida. 

Mais même lorsque l'objectif est la prestation de services non offerts autrement, c'est-à-dire non offerts par le réseau gouvernemental (Centre d'hébergement pour victimes de violence conjugale, par exemple), les relations entre le réseau et les groupes sont difficiles ; cela va de la non-reconnaissance des intervenants communautaires et de leur travail à un partenariat institutionnel qui transforme parfois les organismes communautaires en cheap labour de garde en dehors des heures « normales », c'est-à-dire en dehors du lundi au vendredi, de 9 à 5, ou les met aux prises avec des clientèles particulières, « lourdes » (Regroupement des organismes communautaires de la région 03, 1997). 

Dans les années 1990, avec les restrictions budgétaires, il n'est plus question pour l'État de prendre en charge de nouveaux services. L'heure est au partenariat [10]. À la suite du rapport de la commission Rochon en 1987 est adoptée la loi 120 (1991) ; celle-ci consacre la reconnaissance de la contribution des organismes communautaires à la mission de l'État en matière de santé et de services sociaux. C'est ainsi que ces organismes ont été invités à participer à l'élaboration des PROS (plans régionaux d'organisation de services) et les groupes sont financés en regard de leur participation à ces PROS. Alors même qu'on reconnaît la contribution des groupes communautaires, on fixe des conditions supplémentaires à leur financement ; ces derniers sont ainsi entraînés dans une démarche évaluative, car l'État veut savoir ce qu'il advient de son argent. Or, la mise en place d'un « cadre d'évaluation respectueux » des organismes communautaires ne va pas de soi, comme l'a souligné le Vérificateur du Québec (Rodriguez, 2001) ! Tout cela se passe dans un contexte de décentralisation, une partie des décisions relevant désormais des régies régionales. Ce faisant, l'État change de statut : d'État-providence, il devient État-partenaire (Midy, 2001) [11]. En 1995 est mis en place le Secrétariat à l'action communautaire autonome ; en 2000 ce secrétariat propose une « politique de reconnaissance » des groupes communautaires autonomes, que ceux-ci rejettent (White, 2001). En ce qui concerne ces groupes, œuvrant directement dans le domaine de la santé et des services sociaux, on peut désormais affirmer :

 

Reconnu, par entente formelle, comme un partenaire légitime essentiel de l'État dans la production et l'évaluation des services sociaux, le communautaire peut désormais être décrit comme un coproducteur et un coévaluateur institutionnel de biens publics (Midy, 2001 : 56-57).

 

Règle générale, les liens entre les organismes communautaires et le réseau de la santé et des services sociaux sont complexes et tiennent autant à des effets de structure qu'à la bonne - ou mauvaise - volonté des personnes. Godbout et son équipe (1989) ont proposé une typologie des liens entre un CLSC et les organismes communautaires sur son territoire (tableau 2). Il est facile d'extrapoler ces relations à l'ensemble des liens entre le réseau (et en particulier les régies régionales, qui sont devenues leur principal interlocuteur) et les organismes. 

Les liens peuvent se nouer entre organisations à titre officiel, mais aussi entre les personnes à titre plus officieux, et il peut s'agir aussi bien de services, de références que de collaborations à des projets communs. Si tout est possible, le tableau 2 illustre que la façon dont cela est vécu varie beaucoup. 

Le fonctionnement peut être parallèle, autonome, entraîner des collaborations ou être perçu comme une concurrence et même entraîner une domination ; cela est lié à l'histoire des groupes, car certains ont été mis sur pied par le réseau non seulement pour aider la population à répondre à certains besoins (comme les centres d'assistance et d'accompagnement aux plaintes, ou CAAP), mais parfois afin d'aller chercher pour certaines activités un financement auquel ils n'auraient pas eu accès autrement. 

La reconnaissance accordée aux organismes communautaires par la loi 120 n'est pas sans ambiguïté, comme de nombreux observateurs l'ont noté (Caillouette, 1991, et Couillard, 1999, par exemple, ou Lamoureux, 1994, qui parle à ce propos de « coopération conflictuelle »). Ces organismes se regroupent en tables régionales ou en regroupements régionaux, en grande partie sous la pression de l'État (et des régies régionales). Cela en fait-il pour autant des créations de l'État ou de la régie régionale ? Une partie de leur autonomie disparaît-elle dans l'entreprise ? Comme le fait valoir Caillouette (1999), la réponse est complexe ; la régie a forcé la main aux organismes dans cette entreprise de regroupement qui exige beaucoup de temps de concertation, mais c'est aussi une occasion de renforcer les solidarités et de structurer le mouvement communautaire. Le mouvement a été forcé de se définir. Si la loi 120 propose une définition de ce qu'est un organisme communautaire et si le Secrétariat à l'action communautaire autonome a aussi sa définition, des tensions existent quant à ces définitions, révélant des enjeux politiques et sociaux (White, 2001). 

Le problème de savoir dans quelle mesure certains organismes sont des créations de l'État se pose avec plus d'acuité dans quelques cas. Par exemple, les centres d'assistance et d'accompagnement aux plaintes (CAAP) ont été créés dans la foulée de la loi 120 pour aider les usagers à formuler et à acheminer leurs plaintes. Ces organismes sont définis dans la loi comme des « organismes communautaires » ; dans certaines régions administratives, des organismes déjà existants ont accepté de jouer ce rôle (c'est le cas dans la région de Québec où le Centre d'action bénévole a accepté ce nouveau mandat) ; dans quatre régions, cependant, des CAAP ont été créés de toutes pièces. Dans un tel cas, les groupes communautaires déjà existants ne leur reconnaissent pas automatiquement ce statut ; l'enjeu n'est pas que théorique et de définition ; c'en est aussi un de financement puisque, décentralisation oblige, ce sont désormais les régies qui financent les organismes de leur région ; la question est de savoir qui est admissible à ce financement [12].

 

Tableau 2
Éventail des relations entre un CLCS
et les organismes communautaires

 

SELON LA FRÉQUENCE DES CONTACTS

Fonctionnement parallèle

Le CLCS et l'organisme communautaire n'ont aucun contact, soit parce que l'organisme communautaire n'a aucun besoin de l'aide que pourrait lui offrir le CLSC, soit parce que les valeurs sont tellement différentes qu'elles sont incompatibles. C'est souvent le cas des groupes d'entraide.

Fonctionnement autonome

Lorsque les contacts sont peu fréquents, les organismes communautaires fonctionnent de façon autonome et échangent des services de façon ponctuelle ; les prêts de locaux et l'accès à la photocopie sont alors habituels.

Sous-traitance

L'une des modalités d'un fonctionnement relativement autonome.

LORSQUE LES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES ONT ÉTÉ CRÉÉS PAR LE CLSC

Contrôle

Le CLSC exerce un leadership de style autocratique sur l'organisme.

Incubation

Le CLSC se retire aussitôt que l'organisme se montre autosuffisant. Le prêt de personnes est propre à ce type de relations.

LORSQUE LES ORGANISMES N'ONT PAS ÉTÉ CRÉÉS PAR LE CLSC : MODE NÉGATIF

Concurrence

Les organismes communautaires et le CLSC s'adressent à la même clientèle et sont en conflit ouvert quant aux façons d'intervenir, aux sources de financement, etc.

Récupération

Le CLSC impose à l'organisme communautaire ses valeurs, ses modes d'intervention, ses critères de sélection des usagers, etc.

Complémentarité par rapport au réseau des services sociaux et de santé

Les organismes communautaires sont perçus comme devant combler les insuffisances et les absences du CLSC en ce qui concerne le type de clients, le moment où les services sont rendus (soirs et fins de semaine) et les modes d'intervention (c'est ce que les organismes appellent le « dumping »). Les références unidirectionnelles du CLSC vers l'organisme communautaire, surtout la fin de semaine, en sont un exemple.

Collaboration vigilante

L'organisme communautaire doit faire des efforts constants pour ne pas devenir complémentaire, en refusant d'accepter certaines références par exemple.

LORSQUE LES ORGANISMES N'ONT PAS ÉTÉ CRÉÉS PAR LE CLSC : MODE POSITIF

Collaboration respectueuse

Le CLSC respecte la valeur de la contribution apportée par l'organisme et lui accorde beaucoup de crédibilité. La complémentarité est alors définie à la fois par l'organisme communautaire et par le CLSC. Les références bidirectionnelles et les discussions de cas en sont des exemples. La participation à des tables de concertation peut aussi être interprétée de cette façon.

Partenariat

L’organisme communautaire et le CLSC collaborent à parts égales à une même entreprise. La discussion de cas communs et la mise sur pied de projets conjoints en sont des exemples. Il s'agit ici du type le plus fort de collaboration.

Source : Godbout, Guay et ai., 1989 : 48.

 

Un autre type de problème entre les organismes et le réseau tient aux différences des deux cultures organisationnelles (Guberman et al, 1994). Ces différences concernent tant la structure décisionnelle (par exemple, il n'est pas toujours facile de trouver l'interlocuteur compétent dans un organisme ; parfois celui-ci est bloqué car il doit attendre l'aval de son conseil d'administration), que le personnel (on a affaire dans certains cas à des bénévoles ou à des collectifs de permanents), la motivation du personnel (l'attachement à la cause des membres d'un groupe par opposition à l'attachement à l'institution dans le réseau gouvernemental), le mode de gestion (dans certains groupes, absence de comptabilité ou flou de celle-ci), sans parler de la formation universitaire et du jargon technocratique de certains intervenants qui, s'ils peuvent créer des problèmes entre ceux-ci et les usagers (Paquet, 1989), peuvent aussi en susciter avec les organismes [13]. Évidemment, tout cela joue à des degrés divers selon les cas, et certaines personnes des deux côtés sont plus habituées à faire face à l'autre, mais il faut retenir que ces différences peuvent créer des problèmes en dépit de la bonne volonté des personnes en présence. Depuis l'adoption de la loi 120, diverses études de cas ont montré les difficultés qui pouvaient résulter de ces différences de culture organisationnelle ; par exemple, Clément et al (1999) montrent que la compréhension du partenariat n'est pas la même. Couillard (1999) donne pour sa part des exemples où les mots ne veulent pas dire la même chose !

 

[...] « les femmes » construites par les données statistiques et « la femme » du discours féministe ne renvoient pas au même sujet. [...] Celles qui se désignent comme « militantes » [...] butent cependant contre une logique pragmatique et instrumentale s'inspirant des sciences de l'organisation et de l'entrepreneurship, véhiculée par certains professionnels ou certains administrateurs qui voient le féminisme comme une technique spécialisée d'intervention sur des problèmes spécifiquement féminins et aucunement comme projet politique (Couillard, 1999 : 68 et 76).

 

Les relations entre les organismes du réseau et le monde communautaire sont donc diverses. Cependant, dans la majorité des cas positifs, aussi bien selon Dumais que d'après l'équipe de Godbout, il s'agit plutôt de relations ponctuelles qui sont, de plus, liées à des individus précis dans l'organisme communautaire et dans l'institution. De façon générale, « pour franchir le stade de la collaboration ponctuelle et amener les relations réseau/milieu sous le signe de la continuité et d'une relative permanence, il faut (1) dépasser les connivences individuelles et (2) éviter la dépendance institutionnelle »(Collin, 1987 : 114). L'examen détaillé de six cas où des relations harmonieuses se sont établies amène cet auteur à la conclusion que les réussites « se font dans les interstices des règles établies » (p. 113) ; de plus, l'autonomie financière serait très importante dans l'établissement de ces relations égalitaires. À cet égard, plus ils sont directement liés à la santé, plus les groupes communautaires dépendent de sources de financement gouvernementales. Dumais (1991), pour sa part, constate que l'ouverture des coordonnateurs de CLSC au monde communautaire est modulée par leur sexe et leur formation : les femmes y sont plus ouvertes que leurs collègues masculins et, dans l'ensemble, les personnes ayant une formation en sciences sociales le sont davantage que celles formées en gestion, celles formées en santé occupant une position intermédiaire. 

Pour résumer, le réseau de la santé et des services sociaux peut donc aussi bien contribuer à la mise sur pied d'organismes que leur couper l'herbe sous le pied. Une partie de l'ambiguïté des relations entre le monde communautaire et le monde institutionnel a trait à l'absorption éventuelle du premier par le second et des modalités de celle-ci. En effet, certains organismes ont été créés par les institutions, ou celles-ci leur ont fourni un soutien lors de leur démarrage, ce qui crée des liens complexes. Mais il y a surtout le fait déjà évoqué plus haut que certains groupes ont l'impression d'effectuer, bien malgré eux, de la sous-traitance ou d'être les bouche-trous du réseau, et ce malgré leur « autonomie ». Un cas intéressant, montrant bien les ambiguïtés des rapports au réseau, est celui des centres d'hébergement pour victimes de violence conjugale : leur action est reconnue par le gouvernement dont ils dépendent par ailleurs en grande partie pour le financement (ou leur sous-financement chronique). 

En définitive, il apparaît que l'ambiguïté des relations relève tant du réseau que du monde communautaire. Le réseau exerce un certain contrôle par le financement (direct ou indirect) et les conditions d'admissibilité qui y sont liées (en particulier l'évaluation), de même que par l'histoire des groupes : le fait que certains aient été mis sur pied par les CLSC ou les régies régionales, ou s'oient affiliés à des organisations régionales, nationales ou internationales. Mais les difficultés tiennent aussi à la dynamique du mouvement ; souvent les permanents, malgré des discours en nette rupture avec l'institution médicale et le réseau gouvernemental, ne demanderaient pas mieux que de jouir des avantages sociaux et des salaires de la fonction publique. Peut-on parler de désir d'intégration ? de porte ouverte à la cooptation et même à la récupération ? Les groupes organisés autour de permanents (ce qui bien sûr n'est pas le cas des groupes d'entraide) sont-ils voués à être absorbés par le système s'ils connaissent le succès (ce qui n'est pas sans créer des tensions entre les groupes qui ont des salariés et ceux qui reposent surtout sur des bénévoles)  ? Le roulement de personnel, tant salarié que bénévole, lié aux conditions de travail parfois très exigeantes et au peu de ressources dont disposent les groupes communautaires, renforce aussi, dans une certaine mesure, leur dépendance par rapport au réseau. 

Une large part des problèmes des groupes et associations qui s'occupent de santé ne leur est pas propre. Comme l'ensemble du monde communautaire, ils sont à la fois en rupture et en demande d'État. L'État se désengage, ce qui lui permet d'atteindre ses propres objectifs en faisant des économies, et en même temps de satisfaire le désir des groupes de se prendre en mains, de désinstitutionnaliser, de déprofessionnaliser. De plus, la création d'emploi - à rabais - qui en résulte a pour effet de contrer le chômage et le mécontentement de diplômés qui autrement pourraient contester. Cela dit, les groupes et associations qui reçoivent des fonds de l'État sont souvent aux prises avec des problèmes aigus de financement, car ce dernier est fluctuant, plus ou moins aléatoire, ce qui entraîne des problèmes de planification. Les permanents passent une grande partie de leur temps (et de leur salaire) à chercher du financement pour l'année suivante. En ce qui concerne les groupes de services dans le mouvement des femmes, Lamoureux (1990) se demande si, au fil de la professionnalisation, le moyen n'est pas devenu une fin, question qui se pose non seulement pour les groupes de femmes, mais pour l'ensemble des groupes communautaires. 

Mais les associations impliquées dans le secteur de la santé ne dépendent pas toutes de l'État, certaines existent tout à fait en dehors de lui. Par définition, c'est le cas des groupes d'entraide et des clubs sociaux qui organisent des collectes de fonds. Ces derniers doivent parfois impliquer la population dans la prise en charge, financière ou par le bénévolat, des problèmes de santé, effectuant ainsi un travail de sensibilisation de la communauté en dehors du monde communautaire tel qu'il est habituellement défini.

 

Perspectives

 

Avec la remise en question actuelle de l'universalité de certains services et de la gratuité d'autres, les groupes communautaires sont appelés à une plus grande concertation avec les autres intervenants du monde de la santé, et surtout ils sont appelés à y intervenir de plus en plus. Le démantèlement -relatif - de l'État-providence, la volonté affirmée par les différents paliers de gouvernement de vivre de plus en plus « selon nos moyens », en décourageant l'implication des intervenants du réseau dans de nouveaux secteurs d'activité, laissent toute la place au monde communautaire, qui participe d'une certaine façon, et bien malgré lui, à la privatisation des services. Cela dit, le bénévolat et le travail des groupes communautaires ont leurs limites. 

Le bilan de l'activité des groupes communautaires depuis plusieurs années est complexe. S'il est sûr que dans plusieurs cas ils servent de sous-traitants, ils ne font pas non plus que subir passivement une situation ; ils ont largement contribué à la définir et à indiquer les voies de solution. Les CLSC seraient-ils nés sans les premières cliniques populaires ? Les sages-femmes auraient-elles été reconnues sans le mouvement des femmes ? La prise en charge de leur santé par les citoyens amène ainsi des changements institutionnels (voir White, 2001). 

La mise en place des régies régionales a suscité la formation de tables de concertation régionales des organismes communautaires dans toutes les régions administratives et d'une table des regroupements provinciaux d'organismes communautaires et bénévoles. Plusieurs des participants se sont vus entraînés dans ce qu'ils ont qualifié de « concertation forcée », de « complémentarité obligée », par opposition à un partenariat librement consenti, et craignent de s'épuiser à participer à de telles instances au détriment de leur vocation première qui est de venir en aide à la population. 

L'action des groupes communautaires (laquelle, on l'a vu, déborde des groupes œuvrant directement dans le secteur de la santé et des services sociaux) dans le domaine de la santé est immense, et même si la loi 120 les reconnaît comme partie prenante du réseau, on les oublie trop souvent quand on parle des services de santé, réduits dans les représentations aux services qu'on obtient avec sa carte d'assurance maladie, et donc au curatif.


*    Merci à Éric Gagnon et à Vincent Lemieux pour leurs commentaires sur une version préliminaire de ce texte.

[1]    Dumais et Lévesque définissent ainsi les groupes d'auto-santé : « une association volontaire qui vise à donner à ses membres une prise en charge progressive de leur santé en offrant soit des services thérapeutiques, soit des structures de support et d'entraide et qui entend généralement assumer son autonomie de fonctionnement autant dans le choix de ses programmes d'intervention que dans l'aménagement de ses ressources » (Dumais et Lévesque, 1986 : 16).

[2]    Netpop, le carrefour Internet des groupes communautaires (www.netpop.cam.org), utilise la typologie suivante : Communautés culturelles ; Consommation ; Culture et loisirs ; Éducation-Formation ; Emploi ; Enfance-Famille ; Environnement ; Femmes ; Groupes sociaux ; Informatique ; jeunesse ; Logement ; Médias communautaires ; Répertoires régionaux ; Santé-Services sociaux. Communautique (www.communautique.qc.ca), pour sa part, organise ainsi les rubriques : Action bénévole ; Aîné-e-s ; Consommation ; Défense des droits ; Développement local et régional ; Éducation et alphabétisation ; Emploi ; Environnement ; Femmes ; Famille ; Immigration ; Interculturel ; International ; justice ; jeunes ; Logement ; Loisirs ; Médias communautaires ; Référence ; Réseaux communautaires ; Santé et services sociaux.

[3]    Ce qu'il faut mettre en parallèle avec l'enquête de Dumais (1991) : les deux tiers des groupes de l'échantillon ont été fondés dans les années 1980.

[4]    Elles évoquent encore la « célèbre étude de Mme Broverman (1970) sur les stéréotypes chez les soignants, où la définition idéale d'un homme sain correspondrait, selon certains critères, à la définition même d'un adulte sain. Par contre, la femme saine diffère de l'adulte sain et est soumise à un double standard de santé mentale, devant être à la fois une « femme normale » (soumise, dépendante, affectueuse...) et un « adulte normal » (actif, autonome, ambitieux...). « N'est-ce pas proposer aux femmes la schizophrénie ? ! » (De Koninck et al., 1981 : 181).

[5]    D'où le développement des thérapies de réseau ou des thérapies familiales, et plus généralement de l'intervention de réseau (Brodeur et Rousseau, 1984).

[6]    La plupart des groupes cités ont actuellement - 2001 - pignon sur rue à Québec ou à Montréal ; si ce n'est le cas, l'endroit sera précisé.

[7]    En effet, ce sont surtout des femmes, comme l'ont montré plusieurs études, en particulier celle de Saillant (1999).

[8]    « Devant le peu d'options, les patients se procurent des médicaments expérimentaux sur le marché noir, cachent des informations qui risquent de mettre en cause leur éligibilité à un protocole de recherche et, lorsqu'il y a groupe placebo, partagent entre eux le médicament pour que chacun puisse profiter d'un peu de substance active » (Murbach, 1991 : 79).

[9]    L'analyse des publicités des praticiens des médecines douces a fait ressortir que tous les types de rapport au monde biomédical sont possibles : parallélisme, complémentarité, opposition, emprunts (Fortin, 1990). Ces positions sont celles des praticiens, mais pas nécessairement celles de leurs associations.

[10]   En 1994, Nouvelles Pratiques sociales consacre un numéro spécial à « L'arrimage entre le communautaire et le secteur public » (vol. 7, no 1).

[11]   Cela va de pair avec la structuration du secteur de l'économie sociale et des organismes d'insertion (Jetté et al., 2000), sujet que l'espace m'empêche de traiter ici. L'économie sociale qui paraît a priori relever du secteur de l'emploi est de facto très liée à celui de la santé car plusieurs entreprises d'économie sociale contribuent au maintien à domicile de populations en perte d'autonomie (Gagnon, Saillant et al., 2000).

[12]   D'autres organismes ont aussi un mandat de l'État, mais le problème de semble pas aussi aigu : les CAVAC, qui existaient avant de recevoir leur mandat du ministère de la Justice (et non de la Santé et des Services sociaux) et les Carrefours jeunesse.

[13]   Selon Guberman et al., (1994), ces différences concernent la structure et le mode de gestion, le rapport aux membres, le rapport au travail salarié, le rapport à la vie privée et le rapport à l'État ; voir aussi le tableau sur les « Caractéristiques des organismes communautaires et des organismes publics »(Cobdout, Guay et al., 1989 : 52).


Retour au texte de l'auteure: Mme Andrée Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 mai 2008 19:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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