Introduction
Les groupes communautaires sont nombreux à s'occuper de santé, physique ou mentale. Cela n'est pas nouveau mais le phénomène s'est accentué dans les 10 ou 20 dernières années. Au début des années 1980 on parlait même d'un mouvement « d'auto-santé » (Dumais et Lévesque, 1986) ; dans les années 1990, l'expression n'est à peu près plus employée mais l'implication des groupes dans le domaine de la santé, au sens large, peut être qualifiée de massive. Dire que c'est l'activité centrale d'une majorité d'entre eux serait exagéré, mais c'est certainement central dans l'ensemble de la mouvance associative.
L'objectif du présent chapitre est double : montrer l'étendue du phénomène, sa montée, sa structuration, et aussi donner sa signification, sa centralité non seulement dans le mouvement associatif, mais encore dans le domaine de la santé dont il constitue un volet méconnu. J'utiliserai ici une définition très englobante d'organisme ou de groupe communautaire, c'est-à-dire : tout organisme sans but lucratif ; cela me permettra de baliser large, sans préjuger du rapport que ces groupes entretiennent avec le réseau de la santé et des services sociaux ou même avec les questions de santé.
De quelle santé s'occupent-ils ? Physique (Diabétiques de Québec [1]) et mentale (Relais la Chaumine), préventive (Centre de prévention du suicide) et curative (Viol Secours), traditionnelle (Société canadienne du cancer) et alternative (Association des sages-femmes du Québec), individuelle (Alcooliques anonymes) et communautaire (Folie-Culture), de façon parallèle (Auto-Psy) ou complémentaire au système gouvernemental (Maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale). Dans certains cas, les personnes se prennent elles-mêmes en charge, et on peut parier d'auto-santé (Centre de santé pour les femmes) ou de groupes d'entraide (Narcotiques anonymes) ; dans d'autres cas, on soutient ceux et surtout celles [2] qui ont la charge d'une personne malade (Association québécoise des parents d'enfants handicapés visuels), d'autres groupes encore soutiennent ceux susmentionnés grâce à des campagnes de financement, c'est le cas de certains clubs sociaux comme les Optimistes ou les Lions. Enfin il ne faut pas oublier les associations faisant la promotion de thérapies ou de formes de soins non reconnus par le système officiel (Les Accompagnantes), et ceux qui défendent des droits et se transforment à l'occasion en groupes de pression (Association des paraplégiques du Québec). Enfin, toutes ces associations se regroupent souvent en tables de concertation sectorielles ou régionales. Il s'agit d'une forme de participation des citoyens aux services de santé, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est multiforme.
Ce qui distingue le mieux ces groupes et associations, ce n'est pas qu'ils s'occupent de santé physique ou mentale, de soins curatifs ou préventifs, catégories qui on le verra s'appliquent mal dans leur cas, mais leur rapport au réseau de la santé et des services sociaux, qui peut être de complémentarité, de concurrence ou d'indifférence, et surtout leur rapport au savoir biomédical et plus généralement à l'institution biomédicale avec laquelle ils peuvent collaborer, en collectant des fonds pour la recherche par exemple, ou à laquelle ils peuvent s'opposer en préconisant des médecines douces ou parallèles, ou des rapports différents entre soignant et soigné (l'entraide).
Reprenant l'expression de Dumais, je parlerai dans ce texte d'un mouvement d'auto-santé au sens large, aux composantes très diverses ; les groupes qui s'impliquent dans la santé sont apparus dans la foulée tant du féminisme que de l'écologie, de l'action catholique que de la gauche, d'où la diversité des rapports qu'ils entretiennent avec l'institution médicale. Pour y voir clair, dans un premier temps j'aborderai la question dans une perspective chronologique, ou plus précisément selon l'ordre d'apparition des groupes impliqués à divers titres dans le secteur de la santé. Cette section descriptive permettra de saisir la diversité du mouvement. Dans un second temps, je proposerai des axes pour la construction d'une typologie des groupes en fonction de leurs activités, de leurs membres et du mode de participation de ceux-ci. Cela permettra de mieux comprendre, en troisième et quatrième temps, le rapport que tous ces groupes et associations entretiennent tant avec l'institution biomédicale qu'avec les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux.
[1] La plupart des groupes cités ont actuellement - 1993 - pignon sur rue à Québec ou Montréal ; dans le cas contraire, cela est précisé.
[2] En effet ce sont surtout des femmes, comme l'ont montré plusieurs études, en particulier Guberman et al., (1991), ou Lesemann et Chaume (1989).
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