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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'exposition du public à l'art ” » (1997)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de Mme Andrée Fortin, [sociologue, professeure au département de sociologie, Université Laval], “ L’exposition du public à l’art ”. Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, vol. 28, 1997, pp. 89-105. [Autorisation accordée par l'auteure le 5 janvier 2004].

Introduction

Feu la société globale ! Dans le monde de l'art, on a envie de dire qu'il y a longtemps que la société globale s'est dissoute. Cela dit, par opposition aux pratiques et aux discours «de rupture» qui caractérisaient les avant-gardes, s'imposent actuellement un discours et des pratiques qu'on pourrait qualifier de «non-rupture». Voilà une autre occasion de constater, d'une part, que nous sortons - ou sommes sortis - de la modernité et, d'autre part, que même si on doute souvent de l'existence d'une culture commune dans la société postmoderne, l'art peut être l'occasion de la création d'une nouvelle culture commune, ou du moins un des éléments y contribuant.

Comment caractériser rapidement l'attitude en rupture des avant-gardes, sinon par leur tension vers le futur ? Leur succession les situait dans une perspective évolutionniste : chaque avant-garde à la fois assimilait et dépassait les acquis de la précédente. Cela contribuait à une autonomie croissante du monde artistique, entraîné par une logique formelle (et ce aussi bien en arts visuels qu'en musique dite contemporaine), devenant une réciprocité dont les pairs étaient les seuls en mesure d'apprécier les innovations. En fait, l'art se mettait au diapason de la science, adoptant le fonctionnement d'un marché de biens symboliques pour parler comme Bourdieu (1). Ce fonctionnement autonome, axé sur les innovations formelles et ayant les pairs comme public principal, consacre une rupture entre un art pour spécialistes et le grand public (qui se révèle dans le surgissement de controverses, par exemple celle qui a entouré Voice of Fire de Barnett Newman). Se développe parallèlement l'image romantique de l'artiste incompris, solitaire, travaillant dans sa mansarde ou dans une île lointaine (dont les figures emblématiques sont bien sûr Van Gogh, Beethoven et Gauguin).

Cette autonomisation croissante de l'art est exemplaire du processus de différenciation à l'œuvre dans la société moderne puis postmoderne. Le politique, l'économie et la culture ne sont plus en phase mais
«désimbriqués» (disimbedded), tout comme l'espace et le temps (2). On pourrait résumer en parlant de fragmentation, de perte de l'unité a priori de la société (3), ce qui entraîne la multiplication des pôles identitaires (4), et de repli sur la sphère privée (5). Ce processus est souvent interprété comme une réaction à la globalisation, réaction qui, paradoxalement, s'appuie sur cette globalisation (6). Ce mouvement à la fois d'élargissement (géographique) et de rétrécissement (montée des particularismes) des espaces identitaires entraîne la disparition de la place publique et rend problématique l'action politique au sens de discussion sur l'orientation normative de la société, ou de son auto-institution explicite (7). Pour que le débat politique ait lieu, il faut avoir non seulement un vocabulaire commun et une confiance en la parole de l'autre (8), mais aussi matière à débattre, il faut s'entendre sur ce dont il faut discuter (en anglais, on dirait agree to disagree (9)). La discussion sur la place publique porte sur un enjeu propre à une collectivité qui se pense comme telle. Ce que je veux illustrer ici, c'est l'existence de processus tendant à la construction de cette nouvelle culture commune.

Plus concrètement, je vais essayer de montrer comment un nouvel espace artistique se met en place et tend à créer des lieux communs entre les artistes et le public et à réinsérer l'art dans le social. En fait, il s'agit de la concrétisation d'un projet apparu dans les années soixante, avec ce qu'on appelait déjà le Nouvel Âge (10).



Notes:

1. Pierre Bourdieu, «
Le marché des biens symboliques», L'Année sociologique, 1971, pp. 49-126.
2. A. Giddens,
Modernity and Self-Identity. Self and Society in the Late Modern Age, Stanford (Calif.), Stanford University Press, 1991.
3. Michel Freitag, «
L'identité, l'altérité et le politique. Essai exploratoire de reconstruction conceptuelle-historique », Société, no 9, 1992, pp. 1-55.

4. Voir M. Elbaz, Andrée Fortin et G. Laforest (dir.),
Les frontières de l'identité, Québec, Presses de l'Université Laval, 1996, et M. Walzer, «Individus et communautés: les deux pluralismes», Esprit, juin 1995, pp. 103-113.

5. Ce que prévoyait Alexis de Tocqueville, déjà, dans
De la démocratie en Amérique, Tome I, Tome 2. Paris, Gallimard, 1986 (1re éd. en 1835 et 1840).

6. B. R. Barber, Djihad versus McWorld.
Mondialisation et intégrisme contre démocratie, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.
7. C. Castoriadis,
L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975.

8. Ce qui renvoie aux conditions de possibilité de la communication, sur lesquelles Habermas a abondamment écrit ; voir J. Habermas,
Communication and the Evolution of Society, Boston, Beacon Press, 1979.

9. Il faut un terrain commun (common ground) ; voir M. Feher, «
Identités en évolution : individu, famille, communauté aux États-Unis », Esprit, juin 1995, pp. 114-131.

10. Cet article est le « sous-produit » d'une recherche sur les événements culturels et artistiques en régions, financée par le CRSH.

Retour au texte de l'auteure: Andrée Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 22 décembre 2006 11:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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