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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'Alternative: jeu ou enjeu des avant-gardes ? (1982)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Andrée Fortin, [sociologue, professeure au département de sociologie, Université Laval], L'Alternative: jeu ou enjeu des avant-gardes ?”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Serge Proulx et Pierre Vallière, Changer de société. Déclin du nationalisme, crise culturelle et alternatives sociales au Québec. Chapitre 9, pp. 209-225. Montréal: Éditions Québec-Amérique, 1982, 298 pp. [Autorisation accordée par l’auteure le 15 mars 2004]

Introduction

C'est la crise. Crise politique, économique, crise des valeurs et montée de la société cybernétique et informatisée, ère de rationalisations de toute espèce. Face à l'impuissance de la logique et de la science à fournir une solution, une sortie à la crise, on peut être tenté de se tourner vers une autre façon d'appréhender la réalité, plus intuitive, plus sensuelle. Ainsi, l'art pourrait apparaître comme la solution de rechange à la logique, un refuge et une compensation par rapport à la société cybernétique. Mais alors, il risque de ne pas être une alternative à cette société, mais sa légitimation, le lieu où pourrait s'exprimer tout ce qui est ailleurs refoulé, sans questionner nécessairement cet ailleurs. Si l'art n'est pas en soi porteur de différence, que serait donc un art différent, alternatif ? Et au Québec ? 

Reprenons autrement. L'art se veut le lieu de la création, du nouveau, du Refus global  [1]. D'autre part, si on examine de près les pratiques artistiques et pas seulement les discours sur l'art, on observe, depuis la fin du XIXe siècle en Europe et depuis les années '40 environ au Québec, toute une succession de courants artistiques et d'avant-garde, tous plus nouveaux les uns que les- autres. Tout cela s'accompagne de beaux discours rationalisateurs et explicatifs, car souvent, en dehors de cette légitimation verbale, l'art d'avant-garde reste incompréhensible, même pour le spécialiste. Mais malgré tout, on ne peut souvent s'empêcher de croire qu'il s'agit là d'une recherche systématique du nouveau, le nouveau pour le nouveau. Comment laisser une place à la création artistique sans se complaire dans la recherche du nouveau en soi et pour soi ? 

Quelques précisions avant tout: l'alternative en art ne vient pas nécessairement des lieux et des galeries dites « parallèles ». On peut en effet se demander parallèles à quoi [2] quand on sait que ce terme a été inventé par le Conseil des arts du Canada. Il s'agissait de rendre admissibles à de nouveaux programmes de subvention des lieux qui ne l'auraient pas été autrement et d'encourager une forme d'art plus liée à l'avant-garde « officielle » et internationale, celui que véhicule une revue comme Parachute (revue d'art contemporain bilingue, produite à Montréal et diffusée pour la moitié en Europe et aux USA). En fait, ces galeries sont parallèles à cause de la forme d'art « contemporain », « actuel » qu'elles encouragent, par opposition à ce que présentent le Musée du Québec, le Musée des beaux-arts de Montréal et même le Musée d'art contemporain de la Cité du Havre (caricature du ghetto artistique d'avant-garde à cause de sa situation géographique) qui présente les valeurs sûres de l'art contemporain. Ces galeries fonctionnent souvent sous forme de coopératives et/ou de regroupements multidisciplinaires, c'est ce qui leur confère un certain dynamisme. Mais souvent aussi elles ont simplement servi de tremplin à de jeunes artistes (même Bill Vazan a débuté à Véhicule) ou à l'institutionnalisation de nouvelles tendances artistiques, comme les performances. Elles n'ont pas été le lieu d'une recherche pour un art différent, produit ailleurs que dans le système de l'art officiel, et surtout produit autrement. En effet, le système artistique constitue souvent un piège pour l'artiste: il risque de s'y transformer en « créateur de service », lui-même objet de consommation en tant que producteur d'autres objets de consommation; mais d'autre part, il ne peut exister en tant qu'artiste en dehors du réseau des galeries, des musées, de la critique, de ce qu'on peut appeler le système artistique généralisé, comme le montre bien l'exemple de l'art militant des années '70 au Québec. On a cherché à se situer carrément hors de ce système et de ce circuit, mais on a été placé dans la situation inconfortable de ne pas être pris au sérieux. C'est ce qui est arrivé à des collectifs d'artistes militants comme le Groupe du 1er mai, le Groupe du 19 septembre ou le Groupe Actes dont les oeuvres avaient été vues seulement par les militants des organisations auxquelles ils appartenaient (En lutte, PCO) et/ou dans des lieux associés étroitement à ce type de production (comme la Galerie media de Montréal); ces oeuvres, ces artistes n'existaient pas dans la sphère artistique proprement dite jusqu'à leur exposition récente au Musée du Québec; et en tant que militants ils n'étaient pas nécessairement pris au sérieux par le reste de leur parti ou de leur organisation. 

Il ne faudrait donc pas chercher l'alternative du côté des galeries parallèles qui sont intégrées à leur façon au système artistique généralisé en tant que tremplin ou lieu d'institutionnalisation pour de nouvelles pratiques artistiques et qui, à leur façon, sont peut-être encore plus élitistes et coupées du monde que le réseau « ordinaire » des musées et des galeries commerciales. D'autre part, vouloir se poser en rupture totale par rapport au système artistique généralisé conduit à un cul-de-sac, à un suicide artistique. Que reste-t-il ? 

Une alternative dans l'art québécois serait une alternative à quoi ? Aux avant-gardes internationales de Paris, New York ou Berlin dont nous subissons les modes quelque dix ans plus tard ? (Dans Le Soleil du 21 nov. 1981, on trouvait un dossier sur, ou plutôt contre l'exposition au Musée du Québec du sculpteur de tendance « minimaliste » David Naylor, professeur à l'Université Laval; ses sculptures, énormes poutres de bois, pour les journalistes du Soleil, semblaient sortir tout droit du Castor Bricoleur. En fait, elles n'étaient pas très osées à côté d’œuvres présentées dans les capitales artistiques, aux USA en particulier, depuis dix ou quinze ans). 

S'il ne s'agit clairement pas pour l'art québécois d'être à la remorque des avant-gardes des internationales patentées, surtout s'il se veut québécois et éventuellement alternatif, il n'en reste pas moins que s'affirmer culturellement en dehors des métropoles, c'est en soi subversif! En effet, ça dérange à la fois les avant-gardes métropolitaines en leur mettant sous le nez qu'elles ne détiennent pas le monopole de la vérité et de la production artistique, et les élites locales bien pensantes avec leur conception colonisée de l'activité artistique. Et quand on parle de s'affirmer culturellement en dehors des métropoles, il ne s'agit pas seulement de s'affirmer à Montréal, loin de Paris ou de New York, mais aussi et surtout de s'affirmer dans chacune des régions du Québec! Désormais les producteurs culturels (peintres, sculpteurs, graveurs, écrivains, musiciens, comédiens, etc.) renoncent de plus en plus à chercher gloire et fortune en ville. À la crise économique - et culturelle - que nous vivons actuellement, s'ajoute la crise des métropoles: les artistes prétendent produire en région! Cela prend vite des couleurs très politiques; cela dérange en soi, comme l'a réalisé, un peu à ses dépens, l'équipe de la revue Focus de Jonquière. Cette revue se voulait au départ essentiellement culturelle et parler de ce qui se passe au Saguenay. Déjà après 4 numéros, il était clair que parler d'art en région, de l'art qui se fait en région ou de l'art qui se fait ailleurs, mais du point de vue de la région, c'est très, très politique. C'est ainsi que 4 ans et plus de 40 numéros plus tard, Focus est devenu une revue communautaire axée sur la culture. 

Est-il donc impossible de faire de l'art « d'avant-garde » en région ? Avec la circulation des informations et des individus qui est devenue si facile, il est possible de demeurer à Alma ou en Acadie et d'aller à New York, Paris ou Montréal une ou deux fois par année, d'être abonné à toutes les « bonnes » revues d'art, d'inviter des artistes internationaux chez soi (Colette de New York s'est déjà rendue à Alma) et donc de ne pas être trop en retard sur les métropoles. Ceci dit, est-ce seulement le caractère périphérique qui nous fait croire que le travail du groupe Langage + d'Alma avec son exposition « Un gallon de Xérographie » ou son projet de la « Saint-Jean '81 », « Une rue Art-faire » où on avait placardé dans les vitrines de la rue principale d'Alma des photocopies grandeur nature des citoyens de cette ville, est plus alternatif, plus novateur que l'exposition « Copy Art » tenue à Véhicule Art l'automne suivant ? Qu'est-ce qui fait que plusieurs personnes aiment les dessins très formalistes de l'Acadien Herménégilde Chiasson, alors qu'elles considèrent le Montréalais Guido Molinari comme le plasticien « straight » par excellence ? Le contexte semble donc donner des sens très différents à des oeuvres qui autrement se ressembleraient beaucoup. 

La question de ce que serait une alternative en art revient donc avec insistance! Mais qui pourrait prétendre la définir une fois pour toutes, trancher entre ce qui en est et ce qui n'en est pas ? Et en ce sens, l'alternative est plus un enjeu, plutôt ce à quoi des artistes peuvent tendre que quelque chose qu'on pourrait décrire précisément et/ou sur lequel on pourrait pontifier avec certitude(s). On peut cependant tenter de poser quelques repères sur ce que serait - ou ne serait pas - cette alternative.


[1]     D'après le titre du célèbre manifeste de Paul-Émile Borduas.

[2]     Voir René VIAU: « Montréal: des galeries "parallèles" à  quoi ? » dans Intervention, 8, Québec, 1980.


Retour au texte de l'auteure: Mme Andrée Fortin, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 22 décembre 2006 11:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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