Éric Forgues (sociologue, Université de Moncton), “Vers un tournant symbolique poststructuraliste en sciences sociales”. Un article publié dans RELIGIOLOGIQUES, 22, automne 2000, pp. 189-215.

“Vers un tournant symbolique poststructuraliste en sciences sociales” (1999)
Introduction

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Éric Forgues (sociologue, Université de Moncton), “Vers un tournant symbolique poststructuraliste en sciences sociales”. Un article publié dans RELIGIOLOGIQUES, 22, automne 2000, pp. 189-215. [Autorisation accordée par l'auteur le 30 août 2005]

Introduction

L'objectif de cet article [1] consiste à dégager une perspective qui aborde la dimension symbolique de l'activité humaine selon la fonction spécifique qu'assument les symboles dans la structuration de la conscience. Nous sommes parfaitement conscients de la visée programmatique d'un tel article qui ne prétend pas présenter une réflexion achevée ni parvenue à maturité, mais à lancer plutôt un projet de construction épistémologique, méthodologique et théorique qui soit en mesure de considérer la dimension symbolique selon l'irréductibilité des exigences que pose la structuration de la conscience. Dans ce projet de construction, il importe d'affranchir notre approche de la dimension symbolique du paradigme communicationnel, qui participe du tournant linguistique qu'ont pris la pensée philosophique et celle des sciences sociales au cours du vingtième siècle. Il sera alors possible de considérer la structuration de la conscience non seulement comme un fait psychologique, mais comme un fait qui rend compte des civilisations qui s'érigent sur la base des ressources symboliques léguées par la tradition. En ce sens, l'héritage religieux, considéré ici comme réservoir non seulement de ressources normatives, mais également de ressources symboliques, assume une fonction centrale dans la structuration de la conscience.

Au terme de notre réflexion, l'épistémologie des sciences sociales se verra enrichie d'un nouveau cadre lui permettant d'aborder les transformations sociales selon trois axes infrastructurels l'axe technique (paradigme productiviste), l'axe moral et linguistique (paradigme communicationnel) et l'axe symbolique. Aux deux premiers axes sont associés notamment les noms de Marx et de Habermas, dont il importe de reconnaître les avancées. Le dernier axe peut être associé aux noms de Gilbert Durand, Mircea Eliade et Carl G. Jung, mais il reste à l'intégrer, en respectant sa spécificité, auprès des deux autres axes dans l'étude des sociétés.

Le présent article commence donc par présenter brièvement les acquis sur lesquels prend appui notre projet, qui renvoient principalement aux travaux de Habermas, pour ensuite dégager une nouvelle perspective qui vise à élargir le cadre épistémologique de sa théorie de l'agir communicationnel jugé trop étroit pour aborder la structuration de la conscience.

En effet, chez Habermas, la structuration de la conscience s'effectue dans le cadre de l'activité communicationnelle selon les exigences que posent l'intercompréhension et la définition de normes d'action. Le tournant linguistique pris de façon générale par la philosophie et plus particulièrement par Habermas, fait découler la formation de soi de l'agir communicationnel impliqué dans les processus de socialisation. Si bien qu'après que Habermas ait critiqué l'idéologie de la science et de la technique, nous soutenons qu'il devient nécessaire de souligner et dépasser les limites de la théorie de l'agir communicationnel afin de pouvoir penser la formation de soi selon ses exigences spécifiques. Notre tâche consiste donc à présenter une perspective qui puisse jeter un éclairage sur ce qui demeure le point aveugle de la théorie de l'agir communicationnel, soit la structuration de la conscience, pour ainsi poser l'irréductibilité des exigences qui lui sont associées.

[1] J'aimerais exprimer ma reconnaissance à Denise Lamontagne dont la rencontre a motivé et inspiré la rédaction finale de cet article qui dormait depuis des années dans mes tiroirs. Je souhaite également remercier les évaluateurs anonymes de la revue Religiologiques de leurs précieux commentaires.