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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Andrée Ferretti, “Maurice Séguin et le mouvement indépendantiste.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Robert Comeau et Josiane Lavallée, L'historien Maurice Séguiin. Théoricien de l'indépendance et penseur de la modernité québécoise, pp. 154-159. Montréal: Les Éditions Septentrion, 1999, 187 pp.

[154]

Maurice Séguin
et le mouvement indépendantiste
.”

Andrée Ferretti
Écrivaine et militante indépendantiste




SUR L’HISTOIRE QUI s'écrit, l'influence de Maurice Séguin est sans doute considérable. J'imagine qu'autrement, on ne tiendrait pas un colloque pour en discuter, que ce soit pour la démontrer ou pour la contester. En tout cas, à ma connaissance de profane, il apparaît qu’on peut la mesurer assez facilement à l'aune des nombreuses œuvres et autres travaux auxquels sa science et sa pensée ont donné lieu, non seulement en histoire, mais dans d'autres domaines des sciences sociales, particulièrement en sciences politiques et en sociologie.

Qu'en est-il, en revanche, de l'influence de Maurice Séguin sur l'histoire qui se fait ? Je crois qu'on peut également la dire importante, si l'on considère que parmi toutes les forces politiques à l'œuvre au Canada, le mouvement indépendantiste contemporain, né à la fin des années 1950, est la force principale, celle qui détermine depuis ce temps toute la dynamique politique tant fédérale que québécoise. Comme il est indéniable, que la pensée et l'action indépendantiste ont profondément transformé la société québécoise, principalement dans la redéfinition de notre identité nationale, amenée par la rupture avec le nationalisme de survivance qui prévalait depuis l’Union.

Pourtant, parce qu'elle s'est transmise, pendant longtemps, uniquement par la parole, il est difficile d'évaluer précisément l'étendue et la profondeur du rôle qu’a joué la vision historique de Maurice Séguin, dans l'émergence de la nouvelle conscience nationale, qui a donné naissance au mouvement indépendantiste et à son développement, plus ou moins heureux, sous diverses formes, jusqu'à nos jours.

Par exemple, quand Séguin donne, en 1962, ses cours télévisés intitulés Genèse et historique de l'idée séparatiste au Canada français sur les ondes de la Société Radio-Canada, le Rassemblement pour l'Indépendance [155] nationale (RIN) existait depuis déjà deux ans, et avait été précédé par la fondation de £Alliance laurentienne, en 1958 et par celle de l'Action socialiste pour l'Indépendance du Québec, en 1959. Et quand paraît, en 1968, la transcription de ses cours, sous le titre L’idée d'indépendance au Québec : genèse et historique, le mouvement indépendantiste avait déjà donné naissance à la création de plusieurs partis, mouvements, revues et journaux. Dans la seule année 1963, on assiste à la fondation du Parti républicain du Québec (PRQ) et à celle du Front de Libération du Québec (FLQ), de même qu’à la création des journaux La Cognée et Québec Libre, et de la revue Parti Pris. Pour sa part, 1965 voit naître le Ralliement National (RN) et la revue Révolution québécoise. Enfin, au printemps 1966, le RIN et le RN qui présentent des candidats aux élections générales québécoises recueillent ensemble 11 % du vote.

Or, et je peux l'affirmer avec certitude, ayant dépouillé scrupuleusement, pour la réalisation avec Gaston Miron du premier volume des Grands textes indépendantistes, tous les écrits publiés, et parfois même inédits, de l'époque, aucun des fondateurs, chefs et autres dirigeants de ces mouvements et partis, aucun des fondateurs et rédacteurs de ces journaux et revues ne font référence à Maurice Séguin, d'aucune manière. On ne trouve son nom dans aucun de leurs discours que les journaux reproduisent ou commentent alors, ou qui furent publiés plus tard dans divers recueils. Les grands inspirateurs des premiers écrits de nos penseurs indépendantistes sont les théoriciens de la décolonisation africaine et de la révolution cubaine. En plus des Albert Memmi, Frantz Fanon, Che Guevara et autre Sekou Touré, cités par Marcel Chaput dans Pourquoi je suis séparatiste, les références à Bettlehem, à Luckas et à Marx sont au moins aussi nombreuses que celles à Lionel Groulx et Mason Wade. Seul, André d'Allemagne dans Le colonialisme au Québec cite une fois Michel Brunet et deux fois, Guy Frégault dont la vision de l'histoire du Québec s'apparente fondamentalement à celle de Seguin.

Bien sûr, les Barbeau, d'Allemagne, Chaput, Bourgault, Vallières, Godin et autres Partipristes ne pouvaient se référer dans leurs textes et leurs livres aux ouvrages de Maurice Séguin qui n'avaient pas encore été publiés, mais ils ne mentionnent même pas son nom, ne disent pas s'ils le connaissent, s'ils ont suivi ses cours, ne seraient-ce que ceux donnés à la télévision. Je ne sais quelles archives il faudrait consulter, mais il ma semblé qu'il serait intéressant de connaître les noms des étudiants inscrits à ses cours, dans les années 1950 et 1960. Malheureusement, l'idée m'en a été suggérée trop tard, pour que j'aie le temps d'effectuer cette recherche en vue de cette présentation.

[156]

J'en suis donc réduite à relater ma propre expérience et à communiquer ma propre analyse des rapports certains qui existent entre la vision historique de Maurice Séguin et l'histoire du mouvement indépendantiste contemporain, dans ses années d'émergence.


Rumeurs contagieuses

En 1956, je travaillais comme secrétaire-vendeuse à la Librairie Beauchemin, située près d'ici, à l'angle des rues Vitré et Sainte-Êlizabeth. Beauchemin était aussi une importante maison d'édition dont le directeur, Guy Boulizon, avait ses bureaux à l'étage de la librairie, dirigée par Gaston Miron qui était mon patron. Les écrivains, intellectuels et clients qui fréquentaient la maison, s'appelaient, entre autres, Pierre Perrault, Gatien Lapointe, Hubert Aquin, André Belleau, Marcelle Ferron, Michel Brunet, François-Albert Angers pour ne nommer que ceux et celle dont je me souviens avec certitude de les y avoir rencontrés, mais il est facile d'imaginer que Miron et Boulizon attiraient dans les lieux de nombreux autres jeunes intellectuels et artistes. Je me souviens de certains après-midi où la librairie devenait un véritable lieu de débats.

Des luttes se menaient, à ce moment, partout dans le monde pour la décolonisation et la libération des peuples et des nations soumis à la domination et à l'exploitation capitalistes de puissances étrangères. Ici, commençait également à renaître de ses cendres, où elle était enfouie depuis l'échec des Rébellions de 1837-1838, l'idée que la nation canadienne-française n’avait pas à tolérer le colonialisme du Canada anglais, avec la domination politique et l'exploitation économique qu'il entraînait. Toutefois, l'idée d'une indépendance possible du Québec était à peine soulevée. Pourtant, c'est dans la Librairie Beauchemin que j'en ai entendu parler pour la première fois, en référence à des cours donnés à l'Université de Montréal par un professeur d'histoire du Canada, un certain Maurice Séguin, qui, disait-on, la présentait à ses étudiants comme la véritable solution constitutionnelle et politique à l'aliénation de la nation canadienne-française, à sa privation des pouvoirs d'un État national qui lui assurerait la maîtrise de son destin. Ardente nationaliste, formée par la lecture autodidacte de plusieurs ouvrages de Lionel Groulx, j'ai tout de suite désiré assister au cours de Séguin. Malheureusement, avec mon unique diplôme de septième année du cours primaire, je ne pouvais m'y inscrire, mais comme j'ai la chance d'être audacieuse, je me faufilai, à l'automne 1956, parmi les nombreux étudiants et auditeurs du samedi matin. J'ai ainsi suivi quelques six à huit cours pendant une seule session, mais cela a suffi pour faire de moi une indépendantiste irréductible.

[157]

Je l'écoutais exposer, sans apparente passion, la démonstration rigoureuse de tout ce que je soupçonnais, depuis toujours, me semblait-il, à savoir les effets structurels pervers de la Conquête anglaise sur le développement économique, social et culturel du Québec. Je l'écoutais, éblouie, conclure qu’à moins d'accepter de disparaître ou de continuer à végéter, les Canadiens français n'avaient d'autre choix pour vivre et s'épanouir pleinement en tant que nation, que celui d'accéder à l'indépendance. Et même si sa démonstration de l'absolue nécessité de l'indépendance était suivie d'un exposé pessimiste au sujet des innombrables obstacles qui la rendaient quasi impossible, je n’étais pas ébranlée. Au contraire, je trouvais lumineuse l'idée d'indépendance comme aboutissement logique de notre longue histoire de luttes. Et je crois, en me rappelant les questions, commentaires, et discussions enthousiastes, exprimés par plusieurs étudiants, que nous étions nombreux à penser que rien ne nous empêchait d'entreprendre ici, comme d'autres peuples le faisaient ailleurs, la lutte qui nous y conduirait. Nous avions 20 ans. Et j'ose affirmer que, comme moi, plusieurs pensaient que le pessimisme de notre professeur était attribuable à sa vieillesse. Pensez donc, il avait un peu plus de trente ans.

Ce qui ne m'empêcha nullement, quelques années plus tard, en 1965, de l'inviter à participer en tant qu'historien aux cours de formation que j'organisais pour les militants du RIN de la région de Montréal. Il accepta mon invitation avec empressement, heureux, je crois, de l'existence de ce mouvement indépendantiste qui lui donnait de l'espoir.


L’importance de l'enjeu

Il n'y a de pensée que radicale. Et la pensée est rare. C'est ma conviction profonde. Comme c'est ma conviction que le propos de Maurice Séguin a été reconnu comme vrai et reçu comme nécessaire par la très grande majorité des membres du RIN inscrits à ses cours, parce qu’il relevait de la véritable pensée qui seule, je crois, est accessible à la compréhension spontanée des personnes qui cherchent à connaître et à comprendre tout phénomène pour changer l'ordre des choses. C'est sans doute pour cette raison, que de tous les professeurs invités à ces cours donnés sur une période de quelques mois, Maurice Séguin a été celui qui a suscité le plus d'attention et d'enthousiasme, faisant grimper d'une fois à l'autre les demandes d'inscription. Nous appréciions qu’il démontre la nécessité de l'indépendance, en l'appuyant sur le sens des faits majeurs de notre histoire nationale, plutôt que sur les seules analyses, principalement étrangères et à caractère souvent psychologique des causes et des conséquences [158] destructrices du colonialisme. Malheureusement, pour des raisons que j'ai oubliées, nous n’avons pu renouveler l'expérience.

Maurice Séguin ne se contentait pas de parler, ni de donner à connaître les faits et à les expliquer. Maurice Séguin mettait toute son intelligence et sa science à formuler les problèmes de notre histoire en termes de nécessaire révolution des rapports de force qui l'avait jusque-là constituée. C'est parce qu'il pensait autrement, qu’il posait un regard radical sur notre passé, notre présent et notre avenir, qu’il a fait comprendre la constante actualité de la question nationale. Il faisait comprendre que la Conquête anglaise fut un événement qui devait être situé, non dans tel contexte, ni dans tel temps, mais par rapport à un sens. Et c'est cette nécessité du sens de notre histoire qui faisait voir que son unique enjeu a été, est et sera, jusqu'à sa réalisation, l'indépendance nationale. D'où l'importance de l'existence d'un mouvement indépendantiste. C'est cette mise en rapport de la pensée connaissante et de l'aventure historique qui donnait un nouveau relief à la compréhension que nous avions de la nécessité de notre combat. C'est dans cette perspective orientée et savamment soutenue que nos intuitions se précisaient, que tous les aspects à changer dans l'organisation de la vie de la nation se superposaient, que s'entremêlaient dans notre compréhension le nombre et l'ampleur des objectifs à poursuivre et que s'ouvrait à nos yeux l'immensité de la tâche à accomplir.

Nous comprenions, sans le partager, puisque nous étions engagés dans l'action, que le pessimisme de Maurice Séguin n'était pas du défaitisme, mais qu'il était l'expression de sa conscience aiguë, fondée sur sa connaissance exhaustive des rapports de force en présence, de la férocité et de la puissance des forces adverses et de l'ancrage profond dans la conscience canadienne-française du sentiment d'impuissance à assumer pleinement son destin. Ce sont de ses cours que sont issus ceux et celles que la niaiserie généralisée des journalistes et autres analystes nomment les « purs et durs ». Pour ma part, je n'ai jamais perdu de vue cette leçon et je n’ai jamais cessé de la transmettre. Elle est le ferment de ma détermination, de mon refus des reculs et des compromissions.

Sauf si je me considère comme un critère d'évaluation, je ne saurais dire précisément, après avoir tenté sérieusement de cerner la question, le degré d'influence exercée par Maurice Séguin sur l'action des premiers militants indépendantistes, encore moins sur ceux d'aujourd'hui, si ce n’est pour penser qu’elle n’est pas très forte.

Ce que je crois pouvoir affirmer, cependant, c'est qu'il y avait dans les années 1960-1970, particulièrement au milieu de la décennie, des débats nombreux qui, parce qu’ils prenaient vite un caractère de constellations, [159] ont sans doute été la condition de leur fécondité. Les cours de Maurice Séguin, qu’il les donnait à l'université, à la télévision, dans une classe de militants, s'inscrivaient dans ce contexte effervescent et contribuaient au changement de perspective que de nombreux Québécois et Québécoises, particulièrement les indépendantistes, avaient déjà de l'avenir national du Québec, en les confortant dans leurs intuitions. C'est la densité ouverte du contexte de lutte, qui donnait sens aux idées nombreuses, nouvelles et polémiques, qui a permis qu’une pensée aussi originale et créatrice que celle de Maurice Séguin soit reçue comme l'expression d'une évidence.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 15 avril 2012 11:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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