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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Didier FASSIN, “DÉCRIRE. Entretien et observation.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Didier Fassin et de Yannick Jaffré, Sociétés, développement et santé, pp. 87-106. Paris: Les Éditions Ellipses, 1990, 287 pp. Collection Médecine tropicale. [Autorisation accordée par l'auteur le 28 octobre 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Didier FASSIN

Anthropologue, sociologue et médecin,
Professeur à l’Université Paris 13
et Directeur d’études à l’EHESS, Directeur de l'Iris

DÉCRIRE. Entretien et observation”.

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Didier Fassin et de Yannick Jaffré, Sociétés, développement et santé, pp. 87-106. Paris : Les Éditions Ellipses, 1990, 287 pp. Collection Médecine tropicale.

Introduction

1. L'ENTRETIEN
1.1. Discours et histoires [Voir l’encadré 1.]
1.2. Structuration de l'entretien [Voir l’encadré 2.]
1.3. Identification de l'interlocuteur
1.4. Conduite de l'entretien [Voir les encadrés 3 et 4.]

2. L'OBSERVATION
2.1. Voir et interpréter [Voir l’encadré 5.]
2.2. Participation de l'observateur [Voir l’encadré 6.]
2.3. Le rôle de l'informateur [Voir l’encadré 7.]
2.4. Le déroulement de l'observation [Voir l’encadré 8.]

Bibliographie

Encadré 1.   Les interprétations en ethnographie
Encadré 2.   Biographie d'une femme diola du Sénégal
Encadré 3.   Guide d'entretien pour une étude de la consommation de boissons
Encadré 4.   Le temps de l'entretien
Encadré 5.   Qu'il faut, au moins, un sujet
Encadré 6.   Boniface ou le dernier des Alladian
Encadré 7.   Description d'un lieu de divination
Encadré 8.   Des maladies et de leur traitement

Introduction

Écouter et regarder : parmi les diverses techniques que mettent en œuvre les sciences sociales pour recueillir de l'information, l'entretien et l'observation apparaissent à la fois comme les plus triviales (par leur apparente banalité) et les plus délicates (par leur fausse simplicité). À la différence des techniques quantitatives qui sont communes à plusieurs disciplines - épidémiologie et démographie notamment -, les techniques qualitatives, dont l'entretien et l'observation sont les plus habituellement utilisées, apparaissent comme relativement spécifiques aux sciences sociales auxquelles elles contribuent largement à conférer leur statut de « sciences molles ». En fait, loin d'être approximatives et subjectives, ces types d'investigation font appel à un souci de précision et d'objectivation qui n'est pas moindre que celui manifesté dans les enquêtes statistiques.

L'entretien et l'observation correspondent à une approche généralement descriptive des faits sociaux : pour celui qui enregistre ce qu'il entend et ce qu'il voit, il s'agit d'abord de savoir de quoi sont faites les existences des gens qu'il étudie ; il va tenter de relever les discours et les situations lui permettant d'accéder aux croyances, aux représentations, aux pratiques, aux institutions qui donnent un sens à une société ; la monographie ethnographique - étude systématique d'un groupe ou d'un village - en est l'illustration. Parce qu'elle se veut d'abord descriptive, cette approche doit être à la fois globale et différenciée. Globale dans l'intérêt porté à l'ensemble des activités de la société (même si l'on travaille sur la maladie, il est évident qu'on ne peut faire abstraction des domaines religieux, politique, économique, etc.). Et différenciée par l'attention prêtée aux divers groupes qui constituent la société (il est impossible de penser qu'hommes et femmes, meures et captifs, musulmans et chrétiens, dans un même village ou un même quartier pensent et font les mêmes choses).

1. L'ENTRETIEN

1.1. Discours et histoires

Lorsqu'il recourt à l'entretien pour recueillir des informations, le chercheur a affaire à un discours (ou à plusieurs). Les éléments qu'il cherche à reconstituer lui sont donc livrés à travers une série d'écrans : ce que son interlocuteur à compris de la question posée, et ce qu'il a compris du point sur lequel on l'interroge, ce qu'il croit et ce qu'il veut faire croire, ce qu'il sait et ce qu'il prétend savoir (cf. encadré 1). Dans les meilleurs des cas, c'est-à-dire si l'informateur cherche à renseigner au mieux - le plus complètement et le plus honnêtement - le chercheur, il ne lui livre que sa représentation des choses, laquelle est influencée par l'éducation qu'il a reçue, le statut qu'il possède, la place qu'il occupe, le milieu où il vit : amené à décrire l'organisation sociale de son village, il n'en donnera pas la même image selon qu'il est un étudiant en vacances ou un vieux notable, un pêcheur ou un forgeron, un homme ou une femme.

Le discours de l'informateur peut produire deux types d'énoncés. Des faits, c'est-à-dire des éléments précis qui ont été effectivement constatés : la description d'une maladie, d'un rituel, d'une réunion de comité de santé. Des opinions, c'est-à-dire des jugements ou des impressions sur un sujet : un avis général sur les modèles nosographiques, sur le développement des pratiques traditionnelles, sur la participation des populations aux actions de santé. Il est essentiel de savoir reconnaître dans la formulation d'une question à quel type d'énoncé on se réfère. Ainsi, une déclaration sur la répartition des tâches et des responsabilités entre l'homme et la femme au sein du couple ne correspond pas nécessairement à la mise en pratique de ces principes que seules des interrogations sur des points concrets (ou une observation) permettront d'établir. Cependant, même un fait, lorsqu'il est relaté par une personne, ne peut être abstrait des opinions émises sur lui ; et à l'inverse, une opinion constitue pour le chercheur en sciences sociales un fait réel : on ne saurait donc ramener la distinction - classique et somme toute commode - entre les deux types d'énoncés à une opposition entre fait-vérité et opinion-illusion.

L'entretien peut permettre de recueillir des histoires de vie ou de maladie, histoires familiales ou professionnelles. La biographie est ainsi devenue un genre important en sociologie et en ethnologie depuis Le Paysan Polonais publié par William Thomas et Florian Znaniecki (1927) : la collection « Terre Humaine » dirigée par Jean Malaurie présente aujourd'hui en langue française un certain nombre de ces récits de vie. On distingue habituellement (Bertaux 1980), selon les termes anglais difficilement traduisibles, les « life stories » qui sont des récits faits par les personnes elles-mêmes - Soleil Hopi de Don Talayesva (1959) - ou par un ethnologue - Les enfants de Sanchez d'Oscar Lewis (1963) - des « life histories » qui sont des dossiers sur la vie d'un individu comportant un ensemble de documents - The Jack-Roller de Clifford Shaw (1930), et tous les récits de l'école de Chicago dans les années 20 et 30. La richesse de la biographie tient à ce qu'elle restitue la vie dans sa totalité aussi bien que dans ses détails, et à ce qu'elle présente le point de vue de l'acteur qui se raconte (cf. encadré 2). Cependant, le problème qu'elle pose est lié à ce qu'elle donne l'illusion que ce qui est dit par le sujet est la vérité de son existence, alors que c'est seulement la vision qu'il en a, ou qu'il veut en donner : comme tout discours, le récit de vie n'est qu'une reconstitution qui tend à faire apparaître la cohérence plutôt que les contradictions et les errances.

Encadré 1.

Les interprétations en ethnographie

Les écrits ethnographiques, là où ils sont le plus proche des faits, semblent typiquement combiner descriptions et citations. Ainsi dans cette anecdote rapportée par Evans-Pritchard :

L'anecdote. J'ai vu un jour un Nuer se défendre contre la désapprobation silencieuse de sa famille et de ses proches qui lui en voulaient de sacrifier trop souvent On lui avait la# comprendre qu'on avait le sentiment que, par un goût immodéré de la viande, il détruisait le troupeau. Il dit que ce n'était pas vrai. (...) Sa famille pouvait bien dire qu'il avait détruit le troupeau, mais c'était pour eux qu'il avait tué le bétail. C'était « kokene yiekien ke yang », « le rachat (ransom) de leurs vies en bétail ». il répéta de nombreuses fois cette formule tout en reprenant un par un les cas de maladie grave survenus dans sa famille et en décrivant le boeuf qu'il avait sacrifié à chaque occasion pour amadouer les l'esprit deng.

Voilà le genre de « fait brut » que l'on rencontre dans la plupart des travaux ethnographiques. Pourtant, pas un seul des énoncés qui en rendent compte n'exprime une simple observation. On n'observe pas, on devine une « désapprobation silencieuse ». De même, le fait qu'« on lui avait fait comprendre qu'on avait le sentiment » ne peut qu'être déduit d'un ensemble de comportements souvent complexes et ambivalents. Il est probable que la déduction n'a pas été opérée directement par l'ethnographe, mais par ses informateurs. La description qui en résulte est, en fait, ce que l'ethnographe a retenu de ce qu'il a compris à partir de ce que ses informateurs lui ont livré de ce qu'eux-mêmes ont compris.

Cette anecdote est utilisée pour illustrer la façon dont les Nuer conçoivent les sacrifices et plus particulièrement ceux qu'ils nomment kuk kwoth. Evans-Pritchard avait consacré plusieurs chapitres à l'emploi de kwoth, qu'il avait choisi de rendre tantôt par « esprit » et tantôt par « Dieu ». Restait à expliquer le mot kuk (dont kok est une forme verbale) :

La glose. L'éventail actuel des significations du mot inclut « acheter » et « vendre ». (...) La conception (Nuer) d'un achat est que vous donnez quelque chose à un marchand qui se trouve par là mis dans l'obligation de vous aider. En même temps, vous lui demandez un objet de son magasin dont vous avez besoin et il doit vous le donner parce qu'en prenant votre cadeau il est entré dans une relation réciproque avec vous. Ainsi kok a le sens aussi bien d'« acheter » que de « vendre ». (...) La notion générale exprimée par ce mot est donc celle d'échange. Ce sens couvre, comme nos propres termes « rachat » et « rédemption », des usages à la fois religieux et commerciaux.

Cette glose de kuk est bien intuitive. Néanmoins, si l'on ne récuse pas les intuitions de l'ethnographe, on en retire soi-même une compréhension intuitive du terme. On peut trouver malvenue la décision de rendre kuk par « rachat » ou par « rédemption ». Cela n'a cependant pas trop d'importance tant qu'on associe à « rachat », dans la traduction de propos Nuer, non pas le sens français usuel, mais ce qui a été compris du sens de kuk

Reste la question : comment les Nuer conçoivent-ils le sacrifice ? De telles anecdotes et de telles gloses ne fournissent pas directement une réponse. Elles sont néanmoins suggestives. Elles permettent de spéculer. Voici ce qu'Evans-Pritchard propose :

La généralisation. Un kuk kwoth, sacrifice à Dieu (ou à un esprit), semble être considéré comme un rachat qui rédime la personne qui s'en acquitte d'un malheur dont, autrement, elle risquait d'être la victime. En acceptant le don, Dieu entre dans un pacte pour protéger le donateur ou l'aider en quelque autre manière. À travers le sacrifice, l'homme conclut une sorte de marché avec son dieu.

Le lien entre l'anecdote et la glose d'une part, la généralisation d'autre part, est ténu. Cela tient en partie au fait que la généralisation elle-même est trop vague pour être sujette à une corroboration ou à une réfutation décisive.

Dire qu'un « sacrifice à Dieu ... semble être considéré comme un rachat », c'est prendre plus de précautions que de risques. Oui, au juste, semble « considérer » ? Tous les Nuer ? La plupart ? Certains d'entre eux ? Quand ? En général ? En certaines occasions seulement ? « Semble », oui mais à quels égards ? « Considérer », oui mais dans quel esprit ? De conviction ? De spéculation ?

Les deux autres phrases : « ... Dieu entre dans un pacte... » et « l'homme conclut une sorte de marché... » semblent être des affirmations plus tranchées. La question est : qui au juste affirme ? Est-ce l'ethnographe ? Ce serait bien étrange ; l'ethnographe n'est généralement pas un adepte de la religion qu'il étudie ; il ne croit pas que Dieu entre dans un pacte ou conclut un marché. Est-ce alors que l'ethnographe cite des affirmations de Nuer ? Si tel était le cas, sans doute le dirait-il. Ces propositions, quoique présentées par l'ethnographe, ne sont affirmées ni par lui ni par les Nuer. Elles sont porteuses, semble-t-il, d'un compromis entre la pensée Nuer et les moyens d'expression de l'ethnographe. En d'autres termes, elles constituent typiquement des interprétations.

En ethnographie, il est fait un usage considérable d'interprétations de ce genre, à côté des descriptions et des citations. En fait, comme l'anecdote, la glose et la généralisation citées l'illustrent, la plupart des descriptions et des citations sont entremêlées d'interprétations tandis qu'un bon nombre de propositions générales sont purement interprétatives.

Dan SPERBER, Le savoir des anthropologues, 1982, p. 21-24.



1.2. Structuration de l'entretien

Il est classique de distinguer trois types d'entretien (la terminologie varie selon les auteurs) en fonction du degré de structuration :

- L'entretien structuré ou directif, au cours duquel les questions ont un ordre et un énoncé précis, de façon à théoriquement permettre une meilleure comparabilité entre les réponses - ce qui pose en fait un problème délicat car une interrogation dont le libellé est fixé une fois pour toutes n'a pas exactement le même sens pour chaque personne.

- L'entretien non structuré ou non directif, pour lequel aucune consigne n'est donnée à l'avance ; l'accent est mis sur la nécessité pour la personne de raconter tout ce qui lui semble important ou signifiant, et les questions sont adaptées au récit dont elles cherchent seulement à approfondir l'analyse ; il en résulte une non comparabilité stricte des réponses.

- L'entretien semi-structuré ou semi-directif, qui réalise une situation intermédiaire, avec un guide d'entretien qui permet de suivre une certaine linéarité, sans s'en tenir à une chronologie ou à une formulation strictes.

L'emploi de l'une ou l'autre de ces techniques dépend du contexte, des interlocuteurs, et des conditions de passation de l'entretien. Par exemple, si plusieurs enquêteurs doivent interroger des femmes dans un dispensaire afin de connaître la succession des recours antérieurs, le caractère relativement prévisible des réponses (et donc des questions : où avez-vous consulté en premier ? que vous a-t-on donné ? avec quel résultat ? etc.), d'une part, et la nécessité de pouvoir comparer les résultats obtenus (en évitant autant que possible les effets dus à l'enquêteur lui-même), d'autre part, rendra préférable de réaliser des entretiens directifs (cf. chapitre de Mara Viveros). A l'inverse, si l'on veut comprendre les raisons réelles qui ont motivé les choix thérapeutiques, en fonction aussi bien de l'interprétation qui est faite de la maladie que des contraintes économiques et des interventions familiales, il faudra procéder à des entretiens non directifs (cf. chapitre de Marc-Eric Gruénais) de façon à reconstituer les histoires de maladie dans leur complexité et leur diversité.

Le plus souvent l'ethnologue et l'anthropologue ont recours àdes entretiens non structurés (au moins en apparence, car ils savent en fait vers quoi ils veulent amener leur interlocuteur et orientent leurs questions en fonction de cette idée), laissant s'exprimer leur informateur sur ce qui lui semble intéressant sur un thème donné, de façon à réduire le biais ethnocentrique qui consiste à diriger l'interlocuteur d'une manière qui n'est pas nécessairement la plus signifiante pour lui (une forme paradoxale de ce biais étant le préjugé culturaliste qui tente de faire avouer une étiologie surnaturelle à une mère de famille qui tente d'expliquer que son enfant a seulement le paludisme ou la rougeole !). Toute la difficulté de l'entretien non directif vient de ce qu'il faut concilier la poursuite des objectifs de la recherche tout en laissant la personne s'exprimer comme elle l'entend : moins l'entretien est structuré, plus l'attention du chercheur est grande pour déceler toute phrase nécessitant un approfondissement dans la direction de la recherche (par exemple, l'aveu d'une pression de l'entourage dans un recours thérapeutique qui va permettre de faire apparaître un conflit entre deux lignages et une interprétation en termes de sorcellerie). En aucun cas, l'entretien non directif ne peut être assimilé à une conversation, car il nécessite un continuel esprit d'investigation.

Encadré 2.

Biographie d'une femme diola du Sénégal

« Je suis née au village, dans la forêt des Kalounayes. Je suis la fille unique de ma mère. Moi-même, j'ai eu d'abord un garçon, Lamine, c'était là-bas en Casamance. Après, je suis venue rejoindre mon mari qui travaillait à Dakar. Oui, c'est à Dakar que mon malheur a commencé. Pas avec Penda qui est née après Lamine. Mais les quatre enfants qui sont venus ensuite, je les ai tous perdus. Fatou, qui est mode de la diarrhée. Et puis Babakar, Bakari et Adama. Chaque fois que mes enfants sont morts, c'était après une visite que j'avais faite avec eux au village de mon mari. J'ai compris cela et je l'ai averti : «Tu veux toujours que j'envoie nos enfants au village pour voir tes parents. Ce qui est passé est passé. Mais je te préviens, tous les enfants de Dakar vont bientôt te tenir pour responsable et te jeter des bâtons" ». « Pour le dernier, Adama, qui est le jumeau de Téréma, j'ai dit à ma belle-mère : "J'ai perdu beaucoup d'enfants. Je voudrais que tu m'emmènes voir les devins pour savoir ce qui se passe. Si le suis coupable et si je dois mourir, que je meure et qu'ils vivent. Si c'est un autre, alors je dois le connaître". Mais elle n'a pas voulu m'entendre et m'a dit de rentrer à Dakar. Et puis, j'ai su qu'on m'avait accusée d'appartenir à une association de sorciers du village et de dévorer moi-même l'âme de mes enfants. On disait cela parce qu'ils mouraient toujours par deux, l'un après l'autre. Moi, j'ai consulté les devins qui m'ont dit d'observer dans mon entourage. C'est alors que j'ai découvert que c'était la femme du frère de mon mari qui me voulait du mal. Et d'autres aussi qui s'étaient liés contre moi, tous de la famille de mon mari ».

« Alors les vieilles m'ont dit : "Tu dois retourner en Casamance faire le kañaalen pour permettre à tes enfants de vivre". J'ai donc quitté Dakar et mon mari et tous les miens pour aller accomplir le rituel dans un village qu'elles m'avaient désigné et où le ne connaissais personne. A ce moment, Téréma avait six mois, mais il ne s'appelait pas encore ainsi. Téréma c'est le nom qu'on lui a donné là-bas : en manding, cela veut dire "tu me refuses". Les deux autres après lui ont été appelés Tombon, qui signifie en manding "celui qu'on a ramassé", et Sati Yalia, c'est-à-dire en wolof "regarde Dieu". Moi, on m'a baptisée Diawara, "celle qui se promène", en diola ».

« Au village, la premier soir, les femmes m'ont menée avec l'enfant sur l'autel rituel dans le Bois Sacré. J'avais peur, je ne savais pas ce qu'elles allaient nous faire. J'ai dû me déshabiller. Elles étalent toutes autour de moi. Elles ont sacrifié un coq sur l'autel, elles ont préparé le repas de farine de mil, et je l'ai mangé nue à quatre pattes comme un animal. Puis, elles ont donné à manger à un petit chien, et ensuite à mon enfant. Après cela, la plus vieille, l'ati eluñey, m'a noué des cordelettes autour des poignets et de la taille pour me protéger. Et elle m'a dit de courir jusqu'au village. Mais pour l'atteindre, Il fallait passer entre une double hale de jeunes garçons qui me frappaient au passage avec une baguette. Aujourd'hui encore, quand je repense à cela, je peux pleurer pendant deux jours, tellement J'al enduré ».

« Je me suis donc réfugiée au village dans une concession où l'une des femmes s'est occupée de Téréma, elle était un peu sa seconde mère. Je suis restée là-bas quatre ans. C'était très dur. Je devais piler le mil à deux mains, je devais aller puiser l'eau ; tout ce que les autres femmes ne voulaient pas faire, c'était moi qui le faisais. Aussi, je devais les faire rire en racontant des histoires, en dansant tout le temps, en mettant des vêtements déchirés. Comme on disait qu'on m'avait remplacé l'estomac par celui d'un cochon, je n'étais jamais rassasiée et je mangeais beaucoup, à pleines poignées. Mon enfant, au début, je l'allaitais après avoir donné un pou à tâter au petit chien ; comme cela, il n'était pas malade ».

« Aujourd'hui encore, quand je repense à ces quatre ans, je peux pleurer pendant deux journées, tellement l'ai enduré. Mais c'est grâce à cela que mes enfants sont protégés ; ils sont devenus nasikosiko, viande amère aux sorciers. Si une femme accomplit ce rituel, Dieu lui permet de garder ses enfants, c'est pour cela que je l'ai fait. Pas pour moi, car les sorciers qui ne peuvent plus s'attaquer à mes enfants continuent de se venger sur moi. Il y a quelque temps, mon bâton rituel, egoley, dont je ne me sépare jamais, a disparu, je ne sais pas comment : il était sur mon lit, le me suis endormie, à mon réveil il n'était plus là. On m'a dit qu'il avait été retrouvé dans le village où j'ai subi le rituel et qu'il fallait que j'y retourne pour me rendre sur l'autel dans le Bois Sacré. A nouveau, j'ai peur qu'un malheur n'arrive, car on me soupçonne de m'être associée aux sorciers ».

La voix de Diawara s'est éteinte dans la pénombre de la chambre où elle vient de dire son histoire. Elle est vêtue d'un vêtement bariolé, a le visage lourdement fardé et porte une perruque. Dehors, dans la lumière, les chants et les danses du baptême se prolongent sans elle, qui en est une fois encore la bouffonne. A cet instant pourtant, Diawara ne prête pas à rire : elle pleure. Ses quatre enfants morts, ses quatre années d'añaalena, et cette accusation de sorcellerie toujours latente. Elle va, à ma demande Indiscrète, chanter les strophes qu'elle a Inventées pour chacun des enfants qu'elle veut aujourd'hui préserver : celui pour Téréma qui ne doit pas mourir comme ses frères et soeurs (car la forêt a donné tous ses arbres pour recouvrir de leurs branchages les petits cercueils) ; celui qui Implore la guérison de Tombon (car Il a chaud et cette pensée me tue, disent les paroles) ; celui où elle demande à son mari de ne pas emmener Sati Yalla au village de ses parents (car Il en mourra).

Ainsi les femmes diola, lorsqu'elles perdent des enfants en bas-âge, doivent-elles Irrémédiablement accomplir ce rituel éprouvant. En fait, l'obligation de subir le kañaalen correspond à trois situations distinctes : la mort de plusieurs enfants avant l'âge de cinq ans environ, la survenue de plusieurs avortements spontanés, et la stérilité, le plus souvent secondaire, Autrement dit, Il s'agit d'un rituel de préservation de la descendance, destinée à protéger la conception, la grossesse et le nouveau-né à venir.

Didier FASSIN, « La forêt n'a plus d'arbres », Devenir, 1989. 1-4, 134-137.


1.3. Identification de l'interlocuteur

L'entretien individuel est la forme la plus habituelle : il permet une concentration et une intimité plus grandes ; surtout, il évite certaines interférences (la présence, même muette d'une belle-mère ou d'une co-épouse peut modifier totalement le climat et le contenu d'un entretien avec une femme).

L'entretien avec quelques personnes qui se sont choisies elles-mêmes est parfois utilisé pour traiter de sujets délicats, comme la sexualité ou la mort : il est censé éviter la gêne ou la dramatisation du face-à-face entre le questionné et le questionneur ; il importe, dans ce type d'entretien, d'identifier les liens de parenté, d'alliance, d'amitié ou de clientélisme existant entre les personnes (l'interprétation des discours doit tenir compte en particulier des relations de pouvoir entre les interlocuteurs qui influent sur la prise de parole et le contenu du discours).

L'entretien avec un groupe suppose en général une collectivité déjà constituée, telle qu'une association de femmes, un comité de santé, une classe d'école ou un club de sport ; il s'agit, grâce à une dynamique de groupe, de faire émerger, sur un thème donné, des idées et des contradictions qui ne seraient peut-être pas apparues dans une série d'entretiens individuels ou à quelques-uns ; il faut cependant savoir que, compte tenu de l'effet d'entraînement, seules seront exprimées les opinions des meilleurs parleurs (ce type d'entretien constitue généralement une excellente entrée en matière lorsqu'on débute une recherche, mais nécessite toujours la poursuite de l'enquête auprès d'interlocuteurs entendus séparément).

Un point essentiel de l'entretien est de situer l'interlocuteur et son discours dans leur contexte social. D'où parle-t-il et à qui ? est la question que l'on doit se poser, en sachant que ce point n'est pas fixe et que, dans une même phrase, un chef de quartier peut s'exprimer en tant que notable local stigmatisant le manque d'initiative des populations, et en tant que simple citoyen se plaignant de l'incurie des pouvoirs publics. Un exemple permettra de préciser l'intérêt complémentaire des différents types d'entretien. Si l'on veut essayer de déterminer les problèmes de santé au niveau d'une commune urbaine, on pourra procéder successivement à une interview du Maire, à une rencontre avec quelques représentants du Parti, à des réunions avec des associations de femmes ou de jeunes, à une série &entretiens dans les quartiers avec des hommes et des femmes interrogés chez eux à l'abri d'oreilles indiscrètes. On pourra par conséquent comparer, d'une part, les divers points de vue officiels entre eux (celui du Maire - élu représentant de la population, celui du comité politique - voix officielle du Parti, celui des associations souvent très liées au pouvoir politique), et, d'autre part, les discours officiels aux préoccupations des habitants (la qualité des confidences faites au domicile dépendant largement de la relation de confiance établie). On observera ainsi que plus on descend dans la hiérarchie du pouvoir (de l'homme politique à l'homme de la rue, des riches aux pauvres, des vieux aux jeunes, des hommes aux femmes), plus la vision de la santé et du système de soins s'éloigne de ses enjeux politiques et se rapproche des questions quotidiennes.

Une enquête de ce type, menée dans un village de Casamance cette fois, auprès d'une assemblée de notables d'une part et d'une assemblée de femmes d'autre part, avait conduit à deux types de réponses distinctes et cohérentes : les premiers exprimaient trois demandes en termes de pouvoir et de légitimité (construction d'un dispensaire en dur alors qu'ils en avaient un en boue séchée comme les autres maisons du village, obtention d'un infirmier diplômé d'État alors qu'ils bénéficiaient des services compétents et appréciés d'un agent communautaire, nécessité d'une ambulance alors qu'il n'y avait eu que deux transports urgents en deux ans, dont l'un pour un vieillard grabataire), cependant que les secondes parlaient de leurs deux préoccupations les plus douloureuses (les « maladies des femmes », c'est-à-dire les douleurs gynécologiques et les stérilités, les « maladies des enfants », c'est-à-dire les diarrhées et les fièvres dont ils mouraient durant l'hivernage) ; la prise en compte de ces deux niveaux d'analyse et d'exigence paraît aussi importante pour le sociologue que pour le développeur.

1.4. Conduite de l'entretien

En fonction du type &enquête choisie, on aura recours à un questionnaire, un guide ou un simple canevas. Pour un entretien structuré ou directif, un questionnaire à questions fermées est nécessaire : la marge laissée à l'enquêteur pour exprimer ce qui n'a pas été prévu dans le questionnaire est mince ; il est donc préférable de réserver ce type d'instrument aux entretiens réalisés en nombre, pour lesquels on veut pouvoir extraire une information assez homogène, et dans lesquels on cherche à éviter une trop grande autonomie de l'enquêteur. Pour un entretien non structuré ou non directif, un canevas brossant à grands traits le cadre général suffit pour conduire l'interview : la place laissée à l'enquêté pour parler de ce qui lui semble important est plus grande, ce qui permet souvent de recueillir un récit plus riche (si la personne a quelque chose à dire) ; en revanche, la liberté donnée à l'enquêteur rend nécessaire qu'il soit au fait des objectifs de l'interview et rompu à cet exercice difficile (si l'on veut éviter les digressions inutiles). Enfin, pour un entretien semi-structuré ou semi-directif, le guide d'entretien permet de canaliser, sans trop le restreindre, le discours de la personne interrogée (cf. encadré 3) : les questions sont larges, admettent des réponses de longueur variable en fonction de ce qu'a à dire l'enquêté ; il est important de prévoir des questions de relance permettant à la fois de recentrer la discussion autour des objectifs de l'étude et de faire parler d'aspects qui risquent d'être oubliés.

L'enregistrement se fait habituellement soit par écrit, soit par magnétophone (plus rarement par film). Lorsque c'est par écrit, on ne dispose habituellement pas de l'intégralité du matériel : d'une part, si l'on travaille dans une autre langue qu'on ne connaît pas (ou pas suffisamment), on n'a que l'information traduite par un autre (ou par soi), ce qui réduit considérablement la richesse du discours original et les possibilités de vérification de la qualité de la traduction ; d'autre part, et indépendamment de la question linguistique, on ne peut pas noter tout ce qui est prononcé, et on se contente souvent de la substance (il est à cet égard important de différencier dans les notes ce qui est repris textuellement, ce qui est un résumé ou une adaptation libre, et ce qui est un commentaire personnel - on utilisera par exemple respectivement des guillemets, des parenthèses et des crochets). Lorsque c'est un enregistrement sonore, on a l'avantage de bénéficier de la totalité et de l'originalité du document qu'on pourra ensuite réentendre ; de plus, pendant l'enregistrement on a l'esprit plus libre pour réfléchir aux questions suivantes et pour noter des commentaires personnels ; le magnétophone est généralement bien accepté lorsque les enquêtés sont prévenus et ont la possibilité de s'écouter ensuite ; les seuls inconvénients en sont le temps nécessairement long et fastidieux passé ensuite à la transcription des bandes sonores, et plus encore l'auto-censure que s'imposent les enquêtés, ce qui les conduit même parfois à faire des révélations une fois l'enregistrement terminé.

L'entretien soulève des questions délicates au cœur même de la relation entre le chercheur et ses interlocuteurs (cf. encadré 4). C'est en effet une technique difficile pour laquelle la qualité des rapports humains établis dès les premiers instants est essentielle à la bonne conduite de toute la séance : savoir se présenter, exposer ses objectifs, aborder avec tact certains thèmes est aussi important que la compétence technique du chercheur et la qualité intellectuelle de son investigation. La réciprocité (inégale, certes car le chercheur bénéficie d'avantages sociaux et financiers très grands par rapport à l'enquêté) peut intervenir à deux niveaux : dans l'échange d'information (le guérisseur ou le paysan peut avoir envie de poser à son tour des questions à l'ethnologue qui ne doit pas s'esquiver) ; et dans la rémunération de l'informateur (traditionnellement, un savoir se paie en cadeaux, en services ou en savoirs, il n'y a donc rien de choquant à ce que celui qui livre des connaissances réclame son dû). D'une manière générale, le respect de l'informateur est une exigence éthique - malheureusement pas toujours prise en compte - de la recherche en sciences sociales.

Encadré 3.

Guide d'entretien pour une étude de la consommation de boissons

1. L'EAU

- Énumération des différentes variétés d'eaux connues, consommées, conseillées, réservées, rejetées, interdites, en fonction de l'âge, du sexe, du statut social, des événements marquants de la vie, du cycle calendaire et de celui des saisons.

• eau naturelle de puits, de source, de citerne, de fontaine villageoise
• eau minérale gazeuse ou non
• eau potable, non potable, saumâtre

- Valeur accordée et place dans l'alimentation

1.1. Fonctions alimentaires

a) Proportions de la consommation par rapport à la consommation totale de boisson

- Fréquence et quantité de consommation selon l'âge, le sexe, la saison

b) Modes de consommation

- en tant que boisson

• chaude ou froide
• naturelle ou aromatisée, sucrée ou non
• mélangée à d'autres produits : vin, sirop

- en tant qu'élément liquide entrant dans l'alimentation

• soupes, bouillies, sauces

1.2. Fonctions médicinales

a) Consommation ou rejet selon que le produit est jugé bénéfique ou néfaste

- Propriétés effectives

- Propriétés attribuées

b) Quantité et fréquence d'absorption dans une perspective médicale

1.3. Fonctions économiques, sociales et religieuses

- Division sexuelle du travail de transport de l'eau

• moment de la journée pour l'effectuer
• commerce de l'eau
• signification de l'eau dans les cérémonies religieuses

2. BOISSONS NON ALCOOLISÉES

- Énumération des boissons non alcoolisées connues, consommées, conseillées, réservées, rejetées, interdites, en fonction de l'âge, du sexe, du statut social, des événements marquants de la vie, du cycle calendaire et de celui des saisons.

- Répartition de la production de boissons non alcoolisées

• consommation familiale
• vente
• échanges
• dons et contre-dons
en totalité
partiellement (pourcentages)

- Valeur accordée, place dans l'alimentation familiale et proportions des fabrications

• familiales
• locales
• extérieures et étrangères]
achetées
• chez un producteur
• chez un commerçant

2.1. Fonctions alimentaires

a) Proportions de la consommation par rapport à la consommation totale de boissons et par rapport à celle de boissons alcoolisées

- Fréquence et quantité de consommation selon l’âge, le sexe, la circonstance

• boissons quotidiennes ou occasionnelles

b) Modes de préparation

• obtention de jus par pression (ex. jus d'orange, de pamplemousse)
• dilution ou dissolution à l'eau froide (ex. sirop de fruits ou de fleurs, eau de réglisse, verjus, essence de graines de pistache)
• infusion [1] à l'eau chaude (ex. tisanes aromatisées, thé, café)
• décoction [2] (ex. café turc, chocolat)
• macération [3] de plantes (ex. quinquina)
• fermentation de petit-lait à l'aide dune levure (ex. khéfir)
• coagulation (ex. lait caillé)

c) Modes de consommation

• froides ou chaudes
• sucrées ou non
• pendant, ou en dehors des heures de repas
• à la bouteille, au chalumeau, dans un verre, une tasse

2.2. Fonctions médicinales

- Consommation ou rejet selon que le produit est jugé bénéfique ou néfaste

• Propriétés effectives : boissons toniques (ex. quinquina) ; boissons déconseillées aux insomniaques (ex. café)
• Propriétés attribuées

- Fréquence et quantité de consommation dans une visée médicale

- Recueil des recettes de boissons non alcoolisées.

3. BOISSONS ALCOOLISÉES

- Énumération des boissons alcoolisées connues, consommées, conseillées, rejetées, interdites, réservées, en fonction de l'âge, du sexe, du statut social, des événements marquants de la vie, du cycle calendaire et de celui des saisons.

- Répartition de la production de boissons alcoolisées

• consommation familiale
• vente
• Échanges
• dons et contre-dons
• en totalité
• partiellement (pourcentages)

- Valeur accordée, place dans l'alimentation et proportions de fabrications

• familiales
• locales
• extérieures et étrangères]
• achetées
• chez un producteur
• chez un commerçant

3.1. Fonctions alimentaires

a) Proportions et consommation par rapport à la consommation totale de boissons et par rapport à celle de boissons non alcoolisées.

- Fréquence et quantité de consommation selon l'âge, le sexe, la saison, la circonstance.

• boissons quotidienne ou occasionnelle

b) Modes de préparation

- Fermentation

• vin de dette, d'orge, de raisin
• bières de graines, de riz, de manioc, de blé, d'orge, de sorgho
• cidre, hydromel, raki

- Distillation

• alcool de fruits (ex. prunes, cerises, raisin, poires, framboises)
• liqueur de graines, fruits, plantes, tubercules,
• analogie de la distillation avec la cuisson à la vapeur

- Cuisson

• vins cuits

- Recueil de recettes de boissons alcoolisées

c) Modes de consommation

• en boissons journalière (ex. vin, bière)
• en boisson occasionnelle (ex. alcool de fruits, vins fins)
• incorporée à des desserts (ex. salade de fruits, pâtisserie)
• en cuisine (adjonction à certains mets)

3.2. Fonctions médicinales

- Consommation ou rejet selon que le produit est jugé bénéfique ou néfaste

• Propriétés effectives : alcool déconseillé aux ulcéreux
• Propriétés attribuées : vin dispensateur de la force

- Fréquence et quantité de consommation dans une perspective médicinale

4. FONCTIONS SOCIALES ET ÉCONOMIQUES DES BOISSONS

- Célébration des boissons par le chant, l'image

- Gestes rituels avant, pendant, après consommation

• absorption rituelle comme excitant

- Éléments de sociabilisation pour nouer, maintenir des liens familiaux ou amicaux

- Spécificité des consommations selon le sexe (ex. vin, bière, alcool pour les hommes ; boissons non alcoolisées, liqueurs douces pour les femmes)

- Valorisation, périodes de tolérance, d'abstinence, interdits (ex. boissons alcoolisées Interdites pour les enfants, femmes enceintes, nourrices)

Paul RAYBAUT, Guide d'étude d'anthropologie de l'alimentation, 1977, p. 63-66



Encadré 4.

Le temps de l'entretien

La résistance des familles à l'interrogation et à l'attention particularisante qu'implique toute observation s'est manifestée parfois de manière aiguë, lors des premiers contacts. Il s'agissait alors de dégager la composition de la famille et les liens de parenté, de préciser quelques éléments de l'histoire de l'enfant, son premier développement, ses maladies éventuelles, son comportement habituel ou réactionnel à tel ou tel événement, etc.

Toutes les questions directes sur ces sujets, caractéristiques d'un début d'enquête, ont laissé perplexes mes interlocuteurs. Pour eux, je n'étais pas sans évoquer les figures ambiguës de l'agent de l'administration ou du sergent-recruteur de l'époque coloniale [4]. Mais ce n'était là que l'aspect le plus superficiel de nos relations, les stéréotypes historiques qui surgissent au premier contact avec tout Européen. L'inadéquation de ce discours et de cette approche, eu égard aux normes culturelles wolof, constituait un obstacle bien plus difficile à lever. Le seul fait de questionner suscitait dès le départ la réserve et les réticences de certains membres de la famille.

Pour les Wolof, interroger sur une personne tend à remettre en cause sa position sociale soutenue par le consensus collectif, à la particulariser aux yeux des autres. Les questions portant sur ses attributs de statut peuvent être admises et même encouragées mais dès qu'elles touchent à son individualité, à son passé, à ses qualités, elles sont éprouvées comme irrespectueuses, voire agressives. En particulier, toute parole, question ou commentaire qui énonce publiquement les qualités visibles d'une personne (et plus encore d'un jeune enfant) est censée éveiller la jalousie, le cat [5], l'attaque de sorcellerie. Interroger la mère sur le nombre de ses enfants est porteur des mêmes menaces. « Combien as-tu de bouts de bois (bant) ? » « Combien as-tu d'ombres (takandeer) ? » lui demandera-t-on [6].

Soulignons aussi que l'interrogation directe n'est pas le moyen traditionnellement admis pour acquérir la connaissance. Elle n'est que tolérée. Elle doit être subordonnée au temps de l'écoute et de l'observation silencieuse. Questionner, c'est Inviter l'interlocuteur à faire état d'un savoir personnel alors que la connaissance est un attribut de statut. Dans une unité sociale donnée, seules certaines personnes sont habilitées à la révéler.

Mais il faut aller plus loin. Les normes culturelles ne sont pas des fictions juridiques. Questionner le père ou la mère sur l'enfant, sur son histoire, sur ses relates, c'est constituer en objet de savoir ce par rapport à quoi l'un et l'autre parents sont impliqués subjectivement. C'est encore faire intervenir implicitement des modèles d'individualité européens qui contraignent le père et la mère à occuper une position inhabituelle vis-à-vis de l'enfant. Ce sera par exemple s'adresser à la mère ou au père comme à quelqu'un qui peut et doit rendre compte des conduites de l'enfant et qui est à même de réajuster son comportement envers lui en fonction d'une interrogation sur la portée de ses actions et de ses attitudes, l'utilité de ses dons, etc. Les observations donnent à penser qu'une telle interrogation est, là plus qu'ailleurs, prise en charge et portée par le discours familial qui restitue, qualifie, énonce la valeur des conduites de chacun.

Lorsqu'un père, une mère décrivent le comportement d'un enfant en réponse à une question de l'interlocuteur, lis évoquent généralement des conduites ou des états à valeur sociale, immédiatement lisibles, qui situent l'enfant sur une échelle communément admise de sociabilité. Ils décrivent rarement des comportements spécifiques, Ils ne s'interrogent pas sur ce que l'enfant éprouve : « il est calme, il ne pleure pas, il s'amuse avec ses compagnons » « il est agité. il est impoli, quand ça lui plait, il pleure ».

Ces réponses, fussent-elles contrastées, constituent des descriptions assez neutres, pour ainsi dire génériques, de l'enfant. Elles pourraient toutes s'accompagner du commentaire : « c'est ainsi », « il est ainsi », « tous mes enfants ont été ainsi ». Il est difficile d'en repérer la valeur différentielle. Il faudra une longue habitude pour pouvoir saisir d'emblée toutes les nuances qui séparent, par exemple, les commentaires suivants : « il ne pleure pas beaucoup », « il est impoli, quand ça lui plaid, il pleure », « il aime s'amuser mais il pleure trop ». Les contextes dans lesquels ces propos reçoivent tout leur sens n'apparaîtront qu'après un temps d'observation et plus particulièrement à travers les commentaires que provoquera, chez la mère, telle ou telle conduite de l'enfant.

Si ces réponses en termes de sociabilité viennent assez facilement résorber l'inconfort suscité par une interrogation sur la conduite de l'enfant, les réticences apparaissent immédiatement lorsqu'on questionne sur certaines particularités de son physique et de son caractère. La plupart de ces particularités sont codées dans une série de représentations collectives qui seront analysées plus loin. Disons seulement que nombreuses sont les qualités dont l'évocation est objet d'interdits. Toute interrogation ou toute remarque sur la beauté, la santé, l'intelligence, la vivacité de l'enfant, sur sa ressemblance avec ses parents... est déplacée. Elle n'est supportée que formulée dans un langage métaphorique ou sous une forme d'inversions qui en annulent la charge agressive [7].

L'observateur parcourt dès lors une série d'étapes au fur et à mesure qu'il prend conscience de cette résistance culturelle à l'interrogation et à l'attention particularisante. Dans un premier temps, il se rend compte qu'il incite ses interlocuteurs à occuper une position que leurs modèles culturels récusent. Dans un deuxième temps, il cherche à faire taire ses propres modèles d'individualité en adoptant une attitude d'écoute et de réserve. Dans un troisième temps enfin, il s'efforce d'utiliser positivement les normes culturelles de ses interlocuteurs tout en restant attentif aux lacunes, aux détours, aux silences des dialogues et des discours.

Jacqueline RABAIN, L'enfant du lignage, 1979, p. 30-33.



2. L'OBSERVATION

2.1. Voir et interpréter

Les limites principales de l'entretien sont liées, comme on l'a vu, à ce qu'il n'est que la production d'un discours pour lequel on est tributaire de la bonne volonté et de la bonne foi de l'interlocuteur, de sa capacité à comprendre ce qu'on lui demande et à exprimer ce qu'il pense, de son statut social et de sa vision du monde, de sa biographie personnelle et de l'histoire de son groupe. À ces incertitudes des énoncés, l'observation oppose la matérialité des faits (événements, situations, etc.) : pour l'ethnologue, le conflit lignager auquel il assiste, le malade qu'il voit partir à l'hôpital, le devin qu'il suit dans son travail, le rituel agraire qui se déroule sous ses yeux sont bien réels. De plus, l'observation offre de cette réalité une lecture qui en restitue la globalité (on peut tout regarder, sinon tout voir) et la durée (on vit les choses dans le même temps que celui de l'enquêté).

Mais l'observation aussi a ses limites puisqu'elle dépend de la capacité de l'observateur à voir et à comprendre : même si l'on écarte les cas - probablement moins rares qu'on ne le dit - où le fait observé est fortement influencé par la présence du chercheur (quand ce n'est pas uniquement pour lui qu'est faite la mise en scène !), il n'en reste pas moins que l'œil ne perçoit que ce qu'il sait regarder et que le cerveau n'identifie que ce qu'il est prêt à discerner (un proverbe bambara ne dit-il pas : l'étranger ne voit que ce qu'il connaît ?).

Le regard sélectionne ce qui lui paraît signifiant et l'interprète par rapport au sens qu'il donne à l'ensemble de la scène observée. Au cours d'une séance de sacrifice ou de possession, on peut être frappé par les aspects spectaculaires (la violence des gestes, la frénésie des danses, la splendeur des masques) et négliger des éléments apparemment plus anodins, mais essentiels à la compréhension (la disposition des objets, les paroles des acteurs, le devenir de la dépouille) : ce qui fait la qualité de la description et de l'interprétation des tambours d'affliction ndembu de Zambie étudiés par Victor Turner (1972), c'est à la fois la richesse dans le détail (jusqu'au choix des couleurs rituelles qui signifient les substances fondamentales) et la prise en compte de la totalité du social (reliant notamment l'explication des séquences rituelles aux conflits lignagers).

De même, l'esprit analyse les choses de la manière dont il a appris à le faire. Comme le note Jean-Claude Chamboredon (1971), la vision que l'on a de la délinquance des jeunes est fortement influencée par le lieu où l'on travaille. « Ces délits ou ces crimes insignes sont entièrement construits selon des catégories psychologiques et selon une étiologie « psychologisante » dont l'élément essentiel est le rôle perturbateur des conflits familiaux. En effet, en France, la criminologie a été, au cours de son développement, rattachée essentiellement à la psychologie et à la psychiatrie, et l'introduction de ces disciplines dans l'instruction et le traitement des cas de délinquance n'a fait qu'accentuer cette liaison... Au contraire, aux États-Unis, où la criminologie s'est développée comme une branche de la sociologie, la délinquance oppose moins d'obstacles aux règles de construction propres à la sociologie ». Autrement dit, pour un même phénomène, l'explication (et du même coup la solution qui en découle) est de nature psychologique d'un côté, de nature sociologique de l'autre.

Ainsi ne saisit-on une société, une institution, des pratiques, qu'à travers ce qu'on sait, ce qu'on croit, ce qu'on veut démontrer, ce à quoi on s'intéresse. C'est pourquoi il n'y a jamais d'observation neutre ou innocente. Pas plus qu'il n'y a d'ailleurs d'observation exhaustive ou complète.

Encadré 5.

Qu'il faut, au moins, un sujet

Quoique j'aie vécu toute cette histoire dans une certaine confusion, je puis dire aujourd'hui qu'elle s'ordonne autour de quelques situations caractéristiques dans lesquelles mes interlocuteurs m'ont mise en demeure d'avoir à occuper la position qu'ils me désignaient, me signifiant ainsi qu'ils n'avaient que faire de mon écoute parce qu'il ne leur importait pas d'être simplement compris, ou encore, pour utiliser le langage de la théorie de la communication, qu'ils n'avaient nul besoin d'un décodeur. En sorcellerie, recevoir des messages oblige à en émettre et qui soient signés : il était temps que je prenne moi-même la parole.

À titre indicatif, voici quelques exemples de la manière dont j'ai, ainsi, été prise à partie. 1) La première fois que des ensorcelés m'ont raconté leur propre histoire (et non celle d'hypothétiques « arriérés »), c'était parce qu'ils m'avaient identifiée comme la désenvoûteuse qui pourrait les tirer d'affaire. 2) Quelques mois plus tard, un paysan interprète ma « faiblesse », assume la fonction d'annonciateur de mon état d'ensorcelée et me conduit chez sa désenvoûteuse pour m'y faire « déprendree ». 3) Pendant plus de deux ans, je soumets les événements de ma vie personnelle à l'interprétation de cette désenvoûteuse. 4) Divers ensorcelés me demandent de les « déprendre ». Bien qu'à ce moment-là je sache parfaitement manier le discours magique, je me sens incapable d'assumer la position de parole qui le soutient et je les conduis à ma thérapeute. 5) Enfin, cette désenvoûteuse, avec qui j'ai noué des relations complexes (je suis à la fois sa cliente, sa courtière et le garant de la vérité de sa parole dans les cures auxquelles elle me fait participer), me charge de lui amener le guérisseur qui mettra fin à ses douleurs corporelles et d'assister celui-ci dans sa tâche.

On peut dire que, dans le cas idéal où j'aurais pu choisir en connaissance de cause, l'alternative était à chaque fois la suivante : ou bien je refusais cet accolement de mon nom à une place et je me retirais du procès de parole, en signalant qu'il y avait erreur sur là personne (je ne suis pas celle que vous croyez) ; ou bien j'acceptais d'occuper la position qu'on me désignait, à moins que je n'en propose une autre que je serais plus en mesure d'assumer )je ne suis pas à la place que vous croyez). Dans le premier cas, je quittais le Bocage, où je n'avais désormais plus rien à faire ; dans le second, le procès de parole continuait, mais j'avais à m'y mettre en position du sujet de l'énonciation.

Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, 1977, p. 30-31.

2.2. Participation de l'observateur

On distingue habituellement, en fonction du degré d'investissement du chercheur dans le groupe qu'il étudie, plusieurs types d'observation (cette fois encore, les dénominations peuvent varier) :

- l'observation participante est la plus classique depuis les travaux de Bronislaw Malinowski dans les îles Trobriand ; au sens strict, il s'agit pour le chercheur de devenir familier à la société qu'il étudie afin de mieux en comprendre la vie quotidienne, les relations, les enjeux (cf. chapitre d'Annie Hubert) ; habitant une case du village ou une maison du quartier, s'impliquant dans les éléments ordinaires ou exceptionnels, parfois travaillant au sein de la communauté, ... allant plus rarement jusqu'à épouser un membre ou la religion du groupe ; ce qui pose le problème de la distanciation du sujet ;

- le regard extérieur correspond à une démarche idéale dans laquelle le chercheur tente d'objectiver au maximum sa relation avec les gens et les faits qu'il étudie de façon à se rendre quasiment transparent ; il assiste avec discrétion aux scènes qu'il observe (cf. chapitre d'Emmanuelle Kadya Tall) ; cependant, bien entendu, sa seule présence modifie nécessairement l'ordre des choses et ne permet jamais d'obtenir d'extériorité parfaite ; ce qui conduit à s'interroger sur les phénomènes d'interférence avec l'observation ;

- le recours aux observateurs participants réalise une situation assez particulière puisque le chercheur ne s'introduit pas personnellement dans le groupe qu'il étudie ; c'est une technique surtout utilisée lorsqu'il est difficile de pénétrer un milieu (pour des raisons d'âge, de sexe, d'activités illicites) ; l'un des membres du groupe joue alors le rôle d'observateur et fournit le compte-rendu détaillé des activités ; ce qui met en cause la fiabilité de l'information et qui soulève des questions d'éthique vis-à-vis des informateurs ainsi sollicités ;

- en fait, ces diverses positions sont un peu artificiellement décrites, et l'observation apparaît souvent comme une combinaison de participation et d'extériorité, d'implication personnelle du chercheur et de recours à des informateurs.

Le chercheur n'a d'ailleurs pas toujours le choix de sa technique : elle lui est en partie imposée par les circonstances et par les interlocuteurs. Ainsi, E.E. Evans-Pritchard (1980 : 15) peut-il comparer la façon dont il a vécu et travaillé dans deux sociétés africaines : « Parce que je devais être en contact tellement étroit avec les Nuer, je les connaissais plus intimement que les Azande, sur lesquels je suis pourtant capable d'écrire un rapport plus détaillé. Les Azande ne me laissaient pas vivre comme l'un d'entre eux ; les Nuer ne me permettaient pas de vivre autrement. Parmi les Azande, j'étais forcé d'habiter à l'extérieur de la communauté ; parmi les Nuer, j'étais obligé d'être un membre de la communauté. Les Azande me traitaient comme un supérieur ; les Nuer comme un égal ». La liberté de manœuvre du chercheur est ainsi réduite et la qualité de son travail tient à sa capacité à s'adapter à la situation, tout en analysant la façon dont il le fait : l'expérience de Jeanne Favret-Saada travaillant sur la sorcellerie dans le Bocage vendéen est à cet égard éclairante sur le degré d'implication parfois nécessaire et sur les limites de la distanciation de l'ethnologue (cf. encadré 5). Pourtant, même intégré au coeur des préoccupations de la société qu'il étudie, le chercheur ne peut oublier que ses intérêts divergent d'avec ceux de ses interlocuteurs, et que notamment l'usage qu'il fait du matériel obtenu (par exemple articles ou livres) n'a rien à voir avec celui de ses enquêtés (par exemple traitements ou désensorcellements).

Encadré 6.

Boniface ou le dernier des Alladian

Il est assez logique que ce travail se termine sur l'évocation de celui qui l'a rendu possible et, dans une certaine mesure, a infléchi son orientation. Tout a commencé avec Boniface, un soir de la fin 1965 où un chef de village me le présenta. Enquêteur presque imposé par un notable, Boniface devait inquiéter le chercheur débutant soucieux de ne pas se laisser circonvenir par le milieu qu'il étudiait ; je le pris à l'essai et ce fut le début d'une collaboration de plusieurs années entrecoupée pour lui de périodes de chômage quand je me trouvais en France. Boniface se révéla très au fait des subtilités de sa société, doué d'une remarquable mémoire généalogique ; il avait notamment une connaissance approfondie de l'histoire et de la composition des lignages de Grand-Jacques - encore qu'il n'appartînt pas à l'un des deux lignages dans lesquels se transmettait alternativement la chefferie traditionnelle : il fut, à tout le moins, le premier de nos informateurs (...).

Mais ce n'est pas en cela que résida son apport le plus original. Avec le temps nous étions devenus, je crois, amis et Boniface, sachant à quoi je m'intéressais, se risqua à quelques confidences personnelles, qui m'expliquèrent après coup certains comportements passés : d'enquêteur il devint insensiblement enquêté ; je comprenais mieux rétrospectivement, ses malheurs et ses craintes ; du coup mon enquête le rattrapait ; j'observais sa vie quotidienne d'un oeil nouveau, sans doute mieux adapté ; il faisait partie de mon « sujet ». Je n'avais pas eu besoin de Boniface pour découvrir l'importance en Basse Côte des croyances à la sorcellerie et l'influence actuelle d'une histoire religieuse mouvementée : guérisseurs et clairvoyants étaient légion ; l'ombre de Bregbo portait sur toute la lagune ; chaque décès, chaque maladie grave donnaient lieu à des interprétations sur la nature desquelles nul ne faisait véritablement mystère. Mais il faut bien dire qu'en la matière Boniface était orfèvre ; par lui je fus très facilement mis en rapport avec des spécialistes de la voyance et de la contre-sorcellerie, mis au courant des « affaires » villageoises, averti dès qu'un événement d'importance - décès, interrogation de cadavre, querelle publique, départ à Bregbo - méritait de retenir l'attention. Enfin je compris progressivement que lui-même vivait intensément le drame dont nous essayions ensemble d'identifier les acteurs et de comprendre le scénario. La plupart des maux qui l'accablaient de temps à autre au point de le rendre incapable de tout travail - violents maux de tête, douleurs d'oreilles prolongées, maux de ventre - étaient manifestement,

comme on dit, d'origine psycho-somatique ; il lui fallut construire un tombeau à ses parents pour que disparussent ses douleurs à l'oreille, faire à sa famille maternelle la promesse d'un voyage à Daloa trop longtemps différé pour que s'atténuassent ses maux de tête : à titre préventif, il refusa un héritage ; c'est avec le même soin inquiet, et le même système d'interprétation, qu'il veillait à la santé de ses enfants. Boniface vivait dans l'angoisse et ne perdait pas de vue la « partie forte » de son matrilignage, menace incessante dont il s'appliquait à conjurer les effets par une prudence exemplaire.

Notre dialogue, dès lors, devint assez étonnant. Je ne me sentais pas le droit de ruser avec Boniface, d'entrer dans son jeu sans annoncer la couleur, de lui jouer la comédie. Il admit mon incrédulité et accepta des gouttes pour ses oreilles. Lui-même faisait preuve d'un remarquable esprit critique, prompt à dénoncer la malhonnêteté des « charlatans » plus soucieux d'argent que de guérison, les conflits d'intérêt qui s'exprimaient dans les accusations de sorcellerie ; cet esprit critique pouvait d'ailleurs aller fort loin : Boniface avait une vision désabusée et quasi cynique des grandeurs de ce monde. Néanmoins, il en revenait au caractère irrécusable de l'expérience : ni ses maladies, ni ses guérisons n'avaient été des illusions ; il avait « senti » le cadavre peser sur ses épaules et le forcer à marcher ou à reculer ; il savait d'expérience qu'on ne néglige pas impunément ses parents - paternels ou maternels. De mon côté j'étais sensible à la logique du système ; je crois avoir été capable de porter sur tel ou tel décès un diagnostic vraisemblable ; l'immodestie du rapprochement est assez évidente pour qu'on l'excuse ; je crois ressentir assez profondément la vérité des propos d'Evans-Pritchard lorsque, en substance, il se dit capable de raisonner dans la logique de ceux qu'il étudie.

Boniface n'était pas une institution que j'observais mais un interlocuteur. Que fût clairement défini mon point de vue sur des croyances que nous étudiions ensemble mais que je ne partageais pas, c'était une question d'éthique si l'on veut : de déontologie, Mais aussi de pratique ; je retrouvai l'alternative ancienne : observation participante ou distanciation ; par rapport aux systèmes de représentation traditionnels et à leurs déviations chrétiennes, j'étais bien à la fois dehors et dedans ; et Boniface aussi ; simplement, quand je me risquais, de l'extérieur, à pénétrer dans leur logique interne, lui, de l'intérieur, gagnait sans difficulté un point de vue extérieur et plus critique ; nos points de départ, et nos démarches, étaient inverses mais symétriques. Au sens premier, nous sympathisions. Boniface voyait venir mes objections et j'attendais ses arguments. Nous y gagnâmes certainement l'un et l'autre.

Marc AUGE, Théorie des pouvoirs et idéologie, 1975, p. 311-315.

2.3. Le rôle de l'informateur

Les personnes qui apportent au chercheur les données dont il a besoin pour son enquête ont un statut très particulier en sciences sociales, et notamment en ethnologie. En effet, elles sont à la fois celles avec qui l'on parle le plus et celles dont on parle le moins : paradoxalement, alors que c'est par elles que le chercheur tient l'essentiel des informations qu'il va exploiter et publier, elles ne seront souvent qu'à peine mentionnées dans les textes qui feront la synthèse des recherches (que l'on consulte, pour s'en assurer, une revue d'ethnologie ou d'anthropologie prise au hasard : on n'y trouvera probablement que très peu d'articles donnant des précisions sur l'informateur grâce auquel a été établi un système nosographique, un schéma d'organisation sociale, un inventaire des usages alimentaires). Outre les problèmes éthiques que pose une telle attitude, ce silence sur les conditions rend dubitatif sur la qualité des données ainsi présentées.

Qui est l'informateur ? Quel statut a-t-il dans la société ? Comment a-t-il obtenu les renseignements et les connaissances qu'il confie au chercheur ? Dans quelle langue s'exprime-t-il avec les gens et sur quel ton leur parle-t-il ? Faute de se poser lui-même ces questions, le chercheur risque des déboires et faute d'indiquer ces éléments au lecteur, il risque de le tromper. On se souvient de l'exemple de Margaret Mead, accusée de s'être fiée à une information obtenue par une femme ayant passé dix jours, cinquante années auparavant, à Samoa dans un lieu d'ailleurs différent de celui où elle avait elle-même travaillé. On peut citer aussi ce commentaire de Jean Bazin qui s'étonne de quelques inconsistances dans une monographie sur les Bambara (1985 : 93) : « C'est ainsi que Louis Tauxier peut rassembler les matériaux de sa Religion bambara grâce à son interprète et son garde-cercle alors qu'il est en poste à Niafounké... au sud-ouest de Tombouctou, dans une région où les Fulbe (« Peuls ») forment, comme dit Tauxier, « la population dominante » (...). L'interprète en question est un Foutaka (« Toucouleur »), c'est-à-dire un descendant des guerriers venus conquérir Ségou en 1861 depuis le Fouta sénégalais sous la conduite d'AlHajj'Umar. Mais comme note Tauxier, « il a vécu à Ségou jusqu'à quinze ans en plein milieu bambara » ce qui lui vaut la qualification de "métis Poullo-Bambara" ».

Intermédiaire entre le chercheur et la société qu'il étudie, l'informateur joue un double rôle d'interprète de la langue et de la culture. Il ne livre pas seulement une traduction des mots, mais aussi une traduction des concepts, des représentations, des pratiques. On est souvent frappé, lorsqu'on voit un ethnologue sur son terrain, du degré de dépendance qu'il a par rapport à celui ou celle qui va lui expliquer un fait, lui donner la clé d'une situation, lui faire remarquer un détail essentiel qui ne lui était pas apparu comme signifiant. Que penser ensuite du coup de gomme qui efface souvent la trace de celui ou celle qui a joué ce rôle pendant des mois ou des années ? On pourrait bien sûr citer de nombreuses exceptions à ce silence, exceptions où l'auteur essaie de préciser comment se passe la. relation avec l'informateur privilégié (cf. encadré 6). Cette relation n'est d'ailleurs pas sans conséquence sur l'existence même de l'informateur, successivement valorisé (par l'autorité du chercheur) et abandonné (à la fin de la recherche), souvent au centre d'enjeux directement liés à la présence de l'ethnologue et à la position ambiguë, en quelque sorte interculturelle, occupée par l'informateur lui-même, puisqu'il doit adopter un point de vue distant sur sa propre société et parler des siens à un étranger.

Encadré 7.

Description d'un lieu de divination

Le lieu de divination du village, le hale, est généralement situé à la lisière de la brousse sous un arbre. Celui-ci est souvent un tabakame (Balanites aegyptiaca), dont l'importance symbolique ne semble pas directement en rapport avec la divination, pour autant que nous le sachions. Sous l'arbre, les résultats de la consultation précédente sont encore visibles : des centaines de pierres disposées en trois ou quatre arcs de cercle autour d'un espace lisse et d'une grosse pierre plate enfoncée dans le sol au pied de l'arbre.

La pierre plate est le siège du devin. Le tronc de l'arbre est son dossier. L'espace lisse est sa table de travail. Les arcs de cercle sont généralement orientés vers le sud, direction bénéfique pour les Moundang. Leur alignement régulier contraste avec le désordre des pierres inutilisées que le devin a laissé éparpillées tout autour du hale.

Les consultants prennent place à la périphérie de ce dispositif soit en face du devin, soit sur ses côtés dans l'ombre de l'arbre. Les kindani ordinaires ne réunissent jamais beaucoup de monde, un ou deux parents du malade, mais exceptionnellement le malade lui-même, la personne qui le soigne et éventuellement ses aides, un collègue ou un élève du pa-kindani qui témoigne de son impartialité et l'assiste dans ses travaux, enfin le devin lui-même. Pourtant, la consultation n'a rien de secret. Ceux qui passent par là restent un moment et écoutent les énoncés du devin. Mais, ils se lassent rapidement de ce spectacle quotidien et s'en vont qui dans la brousse, qui au bord de l'eau, qui au marché.

Alfred ADLER et Andràs Zempléni, Le bâton de l'aveugle, 1972, p. 50-51.



2.4. Le déroulement de l'observation

L'observation est probablement l'une des techniques les plus difficiles à mettre en œuvre sur le terrain : ayant tout à décrypter à la fois, le chercheur manque souvent de repères pour commencer. La durée dans laquelle s'inscrit l'observation permet d'aborder la société dans sa globalité. Ce n'est souvent qu'après plusieurs mois d'enquête exploratoire sur les structures sociales, les règles matrimoniales, les activités quotidiennes, les pratiques rituelles, les comportements alimentaires, etc. que l'on se met réellement à étudier le thème auquel on s'intéresse ; cependant dès cette première étape, on essaie généralement d'orienter la recherche vers l'objet d'étude.

Parmi les techniques de repérage, la cartographie des lieux est souvent utile, car elle permet d'une part de se situer dans un endroit inconnu et d'autre part d'étudier comment se fait l'occupation de l'espace (cf. encadré 7). Ainsi, le plan d'un village ou d'un quartier, et la localisation des gens à divers moments de la journée, permet de différencier des endroits fréquentés et des endroits évités, des lieux de passage et des lieux de séjour, dont on mettra la connaissance à profit pour l'organisation de séances d'éducation sanitaire ou la construction d'une structure de soins. De même, le plan d'un dispensaire, sur lequel on fait figurer la circulation des malades du guichet aux diverses salles d'attente, de consultation, de pansement, d'injection, de renutrition, donnera beaucoup d'indications sur la façon dont les patients peuvent vivre leur visite au poste de soins.

Toujours parmi les instruments facilitant l'approche initiale, les inventaires se révèlent souvent fructueux, en ce qu'ils contraignent l'esprit à un souci de systématicité et d'exhaustivité. Les ethnologues établissent ainsi des listes de plantes, en mentionnant pour chacune leurs différents usages, ou bien de rituels, en précisant pour « chacun les diverses circonstances qui les rendent nécessaires (cf. encadré 8). Par rapport à des préoccupations de développement, on peut de même tenter de repérer les institutions et les personnes qui détiennent des pouvoirs dans les différents champs de la vie sociale (politique, religieux, culturel, syndical, etc.), les pratiques et outils de l'agriculture ou de l'élevage, les personnels et les fonctions des structures de santé, etc. - selon le domaine de l'intervention prévue. Certains manuels pratiques de terrain se présentent d'ailleurs sous cette forme énumérative et détaillée.

Les « trucs » indiqués ici ne sont qu'une entrée en matière, une façon de se familiariser avec un terrain, une tentative d'approcher la société dans sa globalité, mais ils ne dispensent pas du travail de mise en problématique, c'est-à-dire de la formulation d'une question à laquelle l'observation doit permettre de répondre et surtout d'une hypothèse que la recherche a pour but de confirmer ou d'infirmer. Par exemple, devant l'échec d'un programme visant à faire participer la population à des activités d'hydraulique villageoise, la question peut être : en quoi les activités proposées ne rencontrent-elles pas les logiques paysannes ? et l'hypothèse, à la lumière des premières investigations : le choix et le fonctionnement des structures participatives ne correspondent pas à l'organisation sociale et politique villageoise ; ou bien : la technologie proposée présente un degré de sophistication dépassant les compétences techniques locales...

En fait, l'observation ne se fait jamais sans une théorie, explicite ou implicite, qui va servir de grille de lecture et permettre de trier dans les faits pour leur donner sens. Ainsi, Émile Durkheim (1968) voit-il la religion comme une forme particulière de connaissance, alors que Max Weber (1964) l'aborde sous l'angle du pouvoir, le premier la considérant comme un système symbolique et le second comme un système politique. Ainsi, Claude Lévi-Strauss (1967) étudie-t-il la façon dont on se marie dans les diverses sociétés comme un ensemble de normes édictées par le groupe, cependant que Pierre Bourdieu (1980) insiste sur les stratégies matrimoniales mises en oeuvre, le premier faisant du mariage un code social où la part du choix individuel est réduite par le respect des règles prescrites, le second y voyant une affaire d'intérêts où la liberté des sujets est confrontée aux calculs complexes des familles et des alliés.

Entretien et observation ne s'opposent aucunement. Il est même inconcevable de réaliser un travail ethnologique (et peut-être également sociologique) sans cette double approche qui consiste à vérifier par l'observation des faits ce qui est dit par les informateurs et à analyser ce que l'on voit à la lumière des explications données par les acteurs. Le risque est d'ailleurs moins de négliger l'entretien que l'observation, plus longue, plus exigeante, et l'une des erreurs fréquemment commise au début est de s'en tenir exclusivement à ce que disent les gens de leurs coutumes, de leurs comportements, de leurs institutions, de leur organisation sociale, sans confronter leur discours avec l'observation directe : or c'est justement dans ces décalages entre le dire et le faire - de même qu'entre les différents points de vue - que se trouvent fréquemment les clés de la compréhension des faits sociaux.

Ces techniques constituent la base de l'ethnologie, et dans une certaine mesure de toute recherche en sciences sociales. Principalement qualitatives, elles apparaissent complémentaires des techniques quantitatives : par la connaissance du terrain qu'elles permettent, elles rendent possibles la définition de la problématique, la formulation des questions et l'interprétation des résultats ; à l'inverse, elles trouvent la vérification de leurs hypothèses, la validation de leurs questions et l'obtention de leurs résultats dans les analyses statistiques. Si elles appartiennent à la phase initiale de toute étude sur une société ou un groupe, étant principalement descriptives, elles n'en sont pas moins nécessaires dans les étapes ultérieures, où il s'agit d'expliquer et d'interpréter, de construire des variables et de rédiger des questionnaires.

Encadré 8.

Des maladies et de leur traitement

ANÉMIE

Bain de sel marin.

Décoction feuilles de laitue légèrement sucrée et aromatisée avec fleur d'oranger.

Infusion de mélisse 5 à 15 g. p. litre d'eau. Infusion de menthe 10 à 15 g. p. litre d'eau.

ANGINE

Gargarisme à l'eau tiède légèrement salée avec jus de citron.

Gargarisme avec décoction sureau (15 g. fleurs) par litre.

Gargarisme avec eau de poireau. Un gros poireau coupé fin et bouilli dans quantité d'eau suffisante, pendant 1/4 d'heure.

Une poignée de feuilles de fraisier dans 1/2 d'eau. Décoction à utiliser en gargarisme tiède.

APHTES (« AFFRES ») BOUCHE

Faire bouillir petits trèfles avec sel et tenir dans la bouche le plus longtemps possible tiède.

Puis prendre une gousse orange, l'ouvrir y placer du sel fin Cérébos - en contact 10 minutes avec les affres.

Enfin prendre miel 2 cuillerées, et 1/2 citron toucher les endroits malades - et boire le reste.

Cochlearia à mâcher.

Jean BENOIST, Les carnets d'un guérisseur réunionnais, 1980, p. 41-42.


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[1] Infusion : action de laisser tremper une substance dans un liquide afin qu'il se charge du principes quelle contient.

[2] Décoction : action de faire bouillir une substance dans un liquide pour en extraire les principes solubles.

[3] Macération : opération qui consiste à laisser séjourner une substance dans un liquide, jusqu'à dissolution des parties solubles.

[4] Parfois, c'est au second entretien que se manifestaient les résistances : on me demandait pourquoi je travaillais, si j'étais payée pour cela, si je n'étais pas fatiguée de questionner. A ma 4e visite, une mère, qui m'avait fait dès le début apparemment très bon accueil, avouait qu'elle pensait que « j'interrogeais pour revenir quand les enfants seraient grands » (c'est-à-dire pour les emmener).

[5] Cat : Le bout pointu de la langue qui blesse, dévitalise, amoindrit la personne. Celui qui a le cat (boroom cat) ou la mauvaise langue (làamiñ bu aay) agit à coups de louanges : « comme tu es belle », « tu as beaucoup d'enfants » et la personne tombe malade, perd sa enfants, etc.

[6] Bant : bout de bois, de caractère périssable.

[7] « Il est laid » pour « il est beau » ; « il est léger, c'est un morceau de papier » pour « il est gros, bien portant », etc.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 29 mars 2009 13:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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