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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article du groupe Entraide-Deuil de l’Outaouais, Se préparer à la mort d’un être cher. Gatineau, Québec: Entraide-Deuil, 28 février 2013, 24 pp. [Autorisation formelle accordée par le directeur général d’Entraide-Deuil de l’Outaouais, Monsieur André Raymond, le 24 janvier 2014 de diffuser ce document dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]


Se préparer à la mort
d’un être cher


Gatineau, Québec : Entraide-Deuil, 28 février 2013, 24 pp.

Préambule [1]

Introduction [1]
I. Se préparer à la mort de l’être cher [4]

La souffrance de l’être cher [4]
La relation avec l’être cher mourant dans les derniers moments [4]

La famille [4]
Le contrat de non-abandon [6]
Encouragez la communication ouverte, mais ne l’imposez pas [6]
La dignité pour le mourant [7]

Le deuil en blanc et le deuil en noir [9]
Ce qui suit la mort dépend largement de ce qui la précède [10]
Le deuil anticipé [10]
Que seront les funérailles ? [11]
II. Les choses aidantes pour le deuil à venir [13]

Comment vivre moins de culpabilité lors du deuil? [14]
Le pardon et ses trois facettes [16]
La colère ou la rage [17]
Moyens pour faciliter le processus de prédeuil [17]
Recherchez l’espoir et l’apaisement [19]
Liste non exhaustive de questions pour se préparer au deuil [19]

III. Symptômes et manifestations fréquentes du prédeuil [20]

Symptômes/manifestations communes du prédeuil [20]
Conclusion [20]
Bibliographie [21]



PRÉAMBULE

Après avoir reçu des demandes de gens qui voulaient se préparer à la mort imminente d’un être cher, fidèle à notre mission de prendre le deuil dans sa globalité, nous avons voulu les aider concrètement en ce sens. Nous avons donc fait effectuer une recherche sur le prédeuil à l’été 2007 par Manon Maheux, étudiante. Nous avons alors été surpris de constater la quasi-absence de documents qui s’attardaient à la personne qui allait vivre un deuil, alors qu’il y avait abondance de documents pour accompagner l’être cher à la mort.

Pourquoi avoir tant tardé à rendre public ce document ? Tout d’abord, nous avons mis un certain temps à donner suite à la démarche de publication. Ensuite, la recherche comportait des citations d’une vingtaine d’auteurs et nous avons donc commencé les contacts pour l’obtention des autorisations à citer les divers auteurs. Malheureusement, parvenir à les retracer n’a pas toujours été évident et a été entrecoupé de période d’attente souvent vaine de réponse. Parallèlement, l’organisme a vécu un tournant important dans sa vie en intégrant l’animation holistique dans ses programmes de groupes d’entraide, ce qui a mis le projet de diffusion de la recherche sur la glace pendant quelques années.

Finalement, nous avons poursuivi récemment les démarches de recherche des auteurs et nous avons enfin réussi à joindre, à une exception près, tous les auteurs. Nous avons été agréablement surpris de voir comment tous étaient prêts à partager leurs textes avec nous dans ce projet collectif unique et nous remercions tous les auteurs de leur précieuse collaboration.

[1]

INTRODUCTION

« Je suis élève infirmière et je suis en train de mourir. [...] J’ai encore entre un et six mois à vivre, un an peut-être, mais personne n’aime aborder ce sujet. [...] Je suis le symbole de votre peur, de ce que nous savons pourtant que nous devrons tous affronter un jour. [...] Pourquoi avez-vous peur ? Après tout, c’est moi qui meurs ! [...] J’ai conscience de votre malaise, que vous ne savez que dire ni que faire. Mais croyez-moi, vous ne pouvez pas vous tromper en montrant de la chaleur humaine. [...] Ne vous sauvez pas, j’ai simplement besoin de savoir qu’il y aura quelqu’un pour me tenir la main, le moment venu. » (É. Kubler-Ross)


L’annonce de la maladie est toujours synonyme d’épreuves, surtout lorsque l’être cher approche de la phase terminale. Il en va de même pour le vieillissement lorsqu’il s’accompagne particulièrement d’une dégradation plus marquée de la santé de l’être cher. On intégrera alors cette nouvelle réalité que par petites doses. En premier lieu, vous comprendrez avec votre tête, puis, au fil des semaines et même des mois, vous en viendrez à comprendre avec votre coeur. La société voudrait que l'on balaie sa peine, que l'on fasse du deuil une courte parenthèse.

« [Dans la société actuelle,] on ramène la mort de ses proches à la perte d'un emploi ou d'une maison. On pense que l'on peut composer avec toutes les pertes de la même façon, alors qu'elles soulèvent en nous des émotions fort différentes. La mort n'est vraiment pas un événement comme les autres. » (L. Des Aulniers, p. 17)

[2]

Si vous lisez ce texte, vous faites déjà les premiers pas pour reconnaître que quelqu’un dans votre famille est peut-être mourant. Il se peut que vous ayez rencontré certains membres de votre famille qui sont prêts à discuter de cette maladie, alors que d’autres semblent vouloir nier la réalité et refusent d’en discuter. Il se peut qu’en ce moment votre famille se sente prise dans un étau  : vous avez tous un grand besoin d’être compris, mais vous ne vous sentez guère capable d’être compréhensif.

Souvent, à l’approche de la mort, l’attention se tourne vers le malade et chacun se préoccupe de comment on peut bien l’accompagner à la mort. Cependant, chez Entraide-Deuil de l’Outaouais et de par notre mission, nous sommes préoccupés des personnes qui lui survivront. Elles pourraient, suite au décès, devenir des participantes à l’un de nos groupes d’entraide.

Certains facteurs peuvent aggraver un deuil et il est bon de mieux les connaître pour s’aider à mieux vivre ultérieurement un deuil en tentant, avant le décès de l’être cher, de résoudre les difficultés qui peuvent les engendrer comme  :

  • Les difficultés relationnelles et les conflits non résolus.
  • Les contextes de domination, de dévalorisation, de violence ou d’inceste dans la relation.
  • Les grandes dépendances affectives.


« On entend souvent des personnes dire en évoquant leur mort  : “ je souhaite mourir brutalement, sans m’en rendre compte ”. Or, ces morts brutales constituent le plus souvent le facteur de gravité principal des deuils traumatiques. Bien qu’il y ait aussi l’élément de violence physique avec possibilité d’images intrusives, l’élément principal du deuil traumatique est précisément son caractère soudain et inattendu, pour l’endeuillé. » (P. Millet)

Partant du principe qu’en se préparant à la perte de l’être cher, le deuil sera davantage facilité, nous avons tenté d’établir un certain nombre d’éléments à prendre en considération durant les derniers moments partagés avec la personne qui va mourir. Cette phase est appelée « prédeuil » et permettra, si elle est bien vécue, de régler plusieurs choses qui pourraient causer des difficultés après la mort de l’être cher. Cette phase de prédeuil survient généralement avec les gens vivant une maladie dégénérative, les gens en phase terminale de leur vie ou les personnes dont le vieillissement et la détérioration de la santé laissent présager une mort prochaine. Il faut cependant rappeler que la liste de ces éléments n’est pas exhaustive et que, parfois, il est malheureusement impossible de tout régler.

Le processus de prédeuil permettrait de faciliter les derniers moments de l’être cher. En effet, il pourrait aussi avoir des choses à dire ou faire avant de s’éteindre pour de bon. Par « derniers moments », nous entendons la période à partir de laquelle la mort de l’être cher est annoncée ou à partir du moment où l’état de santé se détériore plus rapidement, comme dans le cas de personnes âgées.

Avec le deuil et le prédeuil viennent plusieurs sentiments. Parmi ceux-ci, notons la culpabilité, la colère ou la rage, le besoin de pardonner, d’être pardonné et de se [3] pardonner. Or, en se préparant consciemment à vivre notre deuil, il est possible de diminuer les impacts de ces sentiments et peut-être même de les éviter complètement.

De plus, plusieurs facteurs influencent le prédeuil (Traduction de Rando, 1986, p. 17 à 19.) :

  • les facteurs psychologiques.
  • la nature de la relation entre la personne et l’être cher.
  • les caractéristiques personnelles de la personne.
  • les caractéristiques de la maladie et du type de mort probable.
  • les facteurs sociaux.
  • les connaissances et réponses de l’être cher par rapport à sa maladie.
  • les réponses de la famille à la maladie et à la mort imminente de l’être cher.
  • les facteurs socio-économiques et environnementaux.
  • les facteurs physiologiques.
  • la santé de la personne.
  • la quantité et qualité du repos et du sommeil pris par la personne.
  • l’usage de cigarettes, alcool, café, drogues illicites de la personne.
  • la nutrition de la personne.

Parmi ceux-ci, les facteurs psychologiques jouent un rôle très important puisque la relation entre la personne et l’être cher en dira beaucoup sur le deuil qui suivra. En effet, plus le degré d’attachement est élevé, plus le deuil sera difficile. Par contre, une bonne connaissance de la maladie et de l’état de santé de l’être cher pourrait aider à traverser plus facilement cette épreuve. Les facteurs sociaux aident à comprendre la situation dans laquelle vous vivez et les différentes pertes secondaires que vous pourriez vivre. Une perte secondaire consiste en tous les mini deuils que l’on doit faire au fur et à mesure que la maladie progresse ou que l’état de santé se dégrade. Par exemple, le fait d’accepter que son père de 80 ans ait moins de force physique est une perte secondaire, autant pour l’être cher qui doit composer avec de nouvelles réalités que pour le « survivant » qui doit accepter les changements dus à l’âge ou la maladie. Les facteurs physiologiques sont aussi très importants puisqu’un corps fatigué et sous-alimenté sera plus facilement troublé et touché par les mauvaises nouvelles.

Comme l’explique Julie Lamontagne, étudiante au doctorat en gérontologie  : « Beaucoup d’activités ne sont plus possibles lorsque, progressivement, la maladie limite les capacités physiques et parfois mentales d’une personne. Ainsi, d’autres petits deuils s’effectuent peu à peu du fait que les possibilités, pour la personne malade, sont de plus en plus restreintes. Le choc de la mort est moins difficile, même s’il est toujours là. » (Féd. Coopératives funéraires du Qué.)

[4]

I.

SE PRÉPARER
À LA MORT D’UN ÊTRE CHER

La souffrance de l’être cher

Lorsqu’en plus d’être en voie de perdre un être cher, nous devons aussi le voir souffrir, cela devient vraiment une situation des plus difficiles à vivre.

« Être au quotidien le témoin des ravages de la maladie en sachant que l'on ne peut rien faire est un lourd fardeau. Nous voulons et nous avons besoin de faire quelque chose pour aider, mais nous ne savons pas par quoi commencer. Nous refusons de croire que rien ne peut plus sauver l’être cher et nous recherchons des remèdes miracles que nous ne trouvons pas.

Avec le temps nous acceptons qu'il va mourir et nous commençons à éprouver de la tristesse pour le vide qu'il laissera derrière lui. Notre tristesse est aggravée par le sentiment d'impuissance que nous éprouvons. Il y a tant de questions effrayantes et sans réponses ». (L. Kember)

« Que se passe-t-il ? Est-il sûr qu’il va mourir ? Mais quand ? Peut-on faire quelque chose pour qu’il ne meure pas ? Souffre-t-il ? Va-t-il souffrir au moment de mourir ? Il est important que des réponses à ces questions puissent être apportées. [...] Souvent, les familles demandent des informations, mais estiment que le patient lui-même ou certains autres membres (“ fragiles ”) de la famille ne doivent pas en être destinataires. C’est souvent l’origine de souffrances et de conflits supplémentaires. Un malade “ qui n’est pas au courant ”, mais qui est entouré de membres de sa famille ostensiblement “ veillant un mourant ” ne peut que souffrir, soit de ce qu’il comprend alors de son état, soit de ce qu’il ne comprend pas dans l’attitude de ses proches, soit des deux. » (P. Millet)

« Si on n’a jamais vu une personne mourante, on n’a aucun moyen de savoir ce qui va se passer, faisant de la mort un mystère encore plus grand. Un souci courant est que la mort sera douloureuse, mais on peut soulager la douleur avec des médicaments et d’autres approches efficaces. On peut soulager des symptômes tels que la douleur et l’essoufflement de façon efficace tout au cours de la maladie, y compris et jusqu’à la fin de la vie – et on devrait le faire. » (Portail canadien en soins palliatifs)

La relation avec l’être cher mourant
dans les derniers moments


« Un mourant n’est pas un mort en sursis, c’est un vivant dont la mort prochaine est probable ». (P. Millet)

La famille

Lorsqu’on parle de relation, cela implique inévitablement plus d’une personne. Donc, bien que ce document soit volontairement orienté vers la personne qui survivra, il importe cependant de respecter les désirs et le rythme de la personne qui meurt et de lui permettre de trouver ses propres solutions aux difficultés qu’elle peut vivre. Cela dit, il n’en demeure pas moins que la famille, « les survivants », vivra des moments particulièrement difficiles.

[5]

« La façon dont vous et votre famille réagirez devant cette maladie dépendra beaucoup de l’interaction entre vous et votre famille dans le passé. Si les membres de votre famille ont l’habitude de parler ouvertement entre eux, ils pourront probablement bien communiquer au sujet de la maladie et des changements qu’elle apporte. [...]

Les familles ont parfois de la difficulté à s’ajuster aux nouveaux rôles rendus nécessaires par la maladie. Si le chef de famille est mourant, l’autre conjoint peut, par exemple, devoir trouver du travail en plus d’avoir à s’occuper du foyer et des enfants. Si la grand-mère était le lien solide au sein de la famille avant d’être malade, les membres de sa famille peuvent maintenant se sentir confus et incohérents, alors qu’auparavant ils se sentaient forts et unis. De tels changements peuvent modifier l’interaction entre les membres de la famille. Ils peuvent devenir agressifs, trop dépendants, stoïques ou adopter d’autres comportements inhabituels. » (A. D. Wolfelt)

Les sentiments et les émotions étant en général plus particulièrement intenses, il importera tout de même, malgré tout ce que la famille peut vivre, de se préoccuper de nos paroles et de nos gestes à l’endroit du personnel soignant. Sans être de la famille, les soignants accompagnent eux aussi le mourant souvent sur une longue période et comme humains, ils ne sont pas indifférents au mourant et à tout le vécu qui l’entoure.

« Les familles des malades peuvent être formidablement aidantes quand elles comprennent la souffrance et parfois la lassitude des soignants, quand elles respectent les autres malades et les autres familles. Parfois, il arrive que sur le moment personne ne s’en aperçoive, car l’approche de la mort engendre la souffrance, la détresse et parfois la colère. » (P. Millet)

Il faudrait également penser aux enfants qui profiteraient probablement de la visite au mourant pour eux aussi entrer dans leur phase de préparation au deuil. Même s’ils sont enfants, ils auront aussi à vivre leur deuil, mais différemment.

« Il est essentiel de s’assurer que c’est le désir du mourant et des enfants. Est-ce que les enfants sont préparés à ce qu’ils vont voir ? Est-ce que cette visite est critiquée par d’autres membres de la famille ? Ensuite, un soutien et une présence doivent être assurés pendant la visite de l’enfant au chevet du mourant. Enfin, il faudra parler avec l’enfant après la visite et répondre à ses questions. On dit souvent que la réalité est moins effrayante que ce que l’enfant peut imaginer. » (P. Millet)

« Si on ne parle jamais de la mort avec les enfants, de ses causes, de ses circonstances, de son caractère inévitable, on laisse les enfants avec leurs fantasmes. Or l'enfant a des fantaisies de destruction de ses parents, à côté de ses pulsions d'amour. Lorsqu'il est mécontent, l'enfant peut désirer que ses parents meurent. Imaginez sa culpabilité s'il arrive qu'un de ses parents décède effectivement et qu'on ne lui a jamais parlé de la mort. On sait aussi que si on défend à un enfant d'exprimer ses désirs de destruction et donc de s'exprimer sur la mort, sa pulsion va se traduire par des passages à l'acte, contre les autres ou contre lui-même. Il est d'autant plus important d'aborder la question de la mort avec les enfants qu'à l'heure actuelle il y a un déni du caractère irréversible de la mort. » (L. Des Aulniers, p. 28)

[6]

Le contrat de non-abandon

Voici ce qu’en dit Johanne De Montigny : « Le contrat de non-abandon s’impose au très proche et les promesses difficiles à tenir pour toujours seront néanmoins et sur-le-champ offertes à l’éprouvé comme un serment ultime. “Seule, je prendrai soin de toi, à deux nous nous débrouillerons.” (p. 1) L’attachement excessif de l’un envers l’autre empêche parfois de recourir aux services offerts par la communauté, tandis que l’attachement sain permettrait au contraire de compter sur des temps de répit grâce à la présence de bénévoles formés et inscrits dans un mouvement d’aide spontanée. (p. 2) Faire confiance à l’étranger, ouvrir son cœur, accepter ses propres limites, surmonter le sentiment de culpabilité, dépasser sa réaction de colère face à l’adversité, composer avec l’inconnu, nourrir une forme d’espérance sans finalité précise et dire oui à l’aide offerte par un bénévole, figurent parmi les principaux enjeux de l’accompagne­ment. (p. 3) Nourrir une forme d’espérance sans finalité précise rejoint la pensée de plusieurs auteurs pour qui le résultat au terme de tout combat n’est pas aussi important que le parcours pour s’y rendre. La façon d’entreprendre sa route, la reformulation de ses choix, la confiance en la vie, même perturbée, contient aussi sa part de joie inespérée, relèvent de l’ingéniosité psychique pour surmonter les manques, les pertes ou autres formes de souffrances. » (p. 7)

Encouragez la communication ouverte,
mais ne l’imposez pas



« En tant que membres d’une famille concernée, nous devrions promouvoir une communication honnête entre le mourant, les intervenants, la famille et les amis. Cependant, nous ne devrions pas l’imposer. Les personnes à l’article de la mort sont naturellement peu bavardes lorsqu’elles réalisent l’impact de la maladie sur leur vie. Il se peut qu’elles ne puissent pas en parler au début, ou qu’elles ne se sentent à l’aise qu’avec certains membres de leur famille. » (A. D. Wolfelt)

De plus, les silences parlent souvent autant que les mots et en disent long sur nos émotions et nos sentiments. Il faut donc savoir les apprivoiser. Apprendre à observer et écouter enrichira aussi notre relation. Par ailleurs, savoir prendre un bras, une main, offrir une épaule seront peut-être parfois les seules réponses nécessaires, celles qui seront les plus propices à l'apaisement.

Vous vivrez probablement aussi des sentiments contradictoires et pourtant normaux, tel que : « J’ai hâte qu’il parte, je suis fatigué. / Je voudrais qu’il reste. »

« La difficulté de cette phase précédant la mort tient à la nécessité de trouver un difficile équilibre entre deux réalités contradictoires qui vont pourtant l'une et l'autre favoriser le deuil : d'une part, se préparer à la séparation et vivre déjà des pertes, d'autre part surinvestir le présent.

Il s'agit déjà du deuil d'un avenir commun et de tous les projets bâtis ensemble. Il s'agit aussi bien souvent de la perte de l'image de la personne aimée, physiquement transformée ou mentalement différente.

[...] En parallèle, c'est le temps d'un fort investissement auprès du malade. C'est le temps de la tendresse, de la chaleur, de l'expression de l'amour. C'est aussi la possibilité de retrouvailles, d'au revoir, de pardon, de réconciliation. La qualité de cet accompagnement prépare indiscutablement le deuil ultérieur. » (G. Lemaignan)

[7]

Il faut aussi ne pas s’oublier poursuivre sa vie (faire le départage entre ma vie et celle avec le mourant). « La crainte de perturber la personne aidée peut être aussi la cause principale de la privation de période de repos ou de son report constant dans le temps. » (CRAM, p. 6) Il faut encourager les membres de la famille à prendre soin d’eux tout en s’occupant du malade, à bien se reposer, à prendre des repas balancés, tout en réduisant leurs activités autant que possible. » (A. D. Wolfelt) Ce faisant, la famille sera plus à même d’accueillir ce que vit le mourant.

« Les sentiments de peur, d’anxiété, de culpabilité, de tristesse et de solitude que peut vivre le mourant sont une réaction naturelle devant une maladie incurable. Votre rôle en tant que membre concerné de la famille devrait être de prêter l’oreille aux pensées et aux sentiments exprimés par le malade, sans tenter de les changer. S’il est triste, il est triste. N’essayez pas de lui enlever les émotions dont il a besoin. S’il est fâché ou se sent coupable, c’est bien aussi. Il se peut que vous soyez tenté d’apaiser ou de rejeter ses sentiments douloureux, mais une réaction plus positive est de les accepter. Écoutez et comprenez. [...]

Bien que la famille passe à travers une période difficile, ses membres devraient quand même se permettre des moments de bonheur. Planifier des activités amusantes. Prenez le temps d’aimer, de rire et de jouir de la vie. » (A. D. Wolfelt)

La dignité pour le mourant

Les soins personnels font partie des soins que nécessitera peut-être l’être cher en phase terminale. Vous pourriez vouloir l’aider tout en ayant peur d’atteindre à sa dignité.

« Souvent, les gens qui ont été récemment diagnostiqués d’une maladie grave s’inquiètent de perdre leur sens de dignité par souci de manque d’intimité au fur et à mesure qu’ils doivent compter sur les autres pour veiller à leurs besoins personnels – par exemple le bain ou l’élimination et la propreté. Pourtant, la plupart des gens qui ont reçu ce genre de soins disent qu’ils n’ont ressenti aucune atteinte à leur dignité. La principale réaction semble être une de soulagement qu’ils se sentent mieux après avoir reçu de tels soins. La plupart des patients, malgré tous les changements qu’ils doivent affronter, déclarent qu’on peut maintenir sa dignité au cours d’une maladie. » (Portail canadien des soins palliatifs)

Parlant de dignité, chaque individu vivra sa recherche de maintien de sa dignité selon son vécu personnel. Par exemple, en continuant à fonctionner dans ses rôles habituels dans la famille ou avec les amis, confirmant que la personne en lui n’a pas changé, même avec la maladie. Elle voudra maintenir un sens de fierté ou de respect de soi. Elle voudra sentir que la vie encore a un sens ou un but et croire qu’on ne va pas l’oublier. Somme toute, elle voudra continuer à profiter de la vie et à être capable de l’adapter aux changements qu’elle vit. Malgré tout, souvent le mourant pourra vivre le souci vers la fin de sa vie d’être un fardeau pour l’équipe soignante ou la famille. On peut donc échanger avec lui et lui rappeler que les personnes soignantes ont fait le choix de s’occuper de lui et que vous, par exemple, n’êtes pas là seulement pour le soigner, mais pour passer du temps avec lui. (adapté d’un texte du Portail canadien des soins palliatifs).

Par ailleurs, un parent qui peut fournir une aide en partageant une partie des soins avec une infirmière aura l’impression de rendre la vie du mourant un peu moins difficile et [8] plus confortable. Ainsi, dans le cas où un mourant pourrait souhaiter revoir son animal domestique, comme un chien, et le caresser, cela pourrait également faire du bien à la famille de voir un peu de bonheur dans le visage de l’être cher et peut-être aider la famille dans son prédeuil. (traduction d’un texte de B. Krohn)

« À l’approche de la mort, beaucoup de gens cherchent à réaffirmer leur propre valeur et à découvrir le sens de leur vie. Le fait de parler de ce qu’ils ont accompli au cours de la vie aide à renforcer ce sens d’estime de soi. Il y a des patients qui cherchent simplement à confirmer que leurs paroles gardent encore de la valeur. D’autres voudraient laisser des instructions à la famille et les amis ou prendre le temps de répéter ce dont ils trouvent particulièrement important. Ce n’est pas tout le monde qui veut parler à l’approche de la mort, et il y a des gens qui arrêtent totalement de communiquer. Le silence ne devrait pas être perçu comme quelque chose de négatif ; il peut s’agir d’un silence calme ou même tranquille. En mourant, certaines personnes semblent apprendre à leurs proches comment affronter la fin de la vie. En grande partie, nos attitudes envers la mort sont déterminées par les morts que nous avons témoignées. Il y a des gens qui comprennent cela et en mourant, ils aident à déterminer les attitudes des autres à l’égard de la fin de la vie. Certains patients trouvent de la dignité à la fin de la vie en sachant qu’ils aident les autres. » (Portail canadien des soins palliatifs)

Ce qui importe peut-être le plus, c’est « qu’est ce que je veux vivre avec l’être cher avant qu’il ne parte ? » Vous trouverez plus loin une liste non exhaustive de questions possibles à régler avant le décès de l’être cher et qui pourront vous aider à y voir plus clair. Être authentique dans votre relation avec l’autre, en respectant vos propres valeurs, pourrait contribuer à votre équilibre personnel.

« D'une certaine manière, le deuil sera d'autant mieux conduit qu'il aura été anticipé. Parkes insiste sur l'utilité de cette préparation au deuil telle qu'en a conclu la Harvard Bereavement Study. On a pu constater, en effet, sur un échantillon de veufs des deux sexes, jeunes ou d'âge mûr, davantage de troubles psychologiques et psychosomatiques durant les deux à quatre années suivant le décès chez les veufs qui n'avaient pas eu l'occasion de se “ préparer ” à leur deuil. Une autre enquête menée par Cameron au Royal Victoria Hospital de Montréal confirme que la “ préparation au deuil ”, en préparant au malheur, diminue la détresse et la révolte consécutives au décès. Dans ce cas précis, l'étude portait sur un groupe constitué par les proches des patients soignés dans des unités traditionnelles du même hôpital ; il s'avère, un an et deux semaines après le décès, que les membres du groupe-contrôle montrent de façon significative plus de signes de deuil et de problèmes de comportement que les proches des personnes décédées en unité palliative. Ceux-ci, de leur côté, semblent avoir réorganisé plus harmonieusement leur vie. » (M-T. Gatt, p. 101)

Voici des extraits d’un texte de Luce Des Aulniers, une pionnière au Québec des questions du vieillissement, de la mort et du deuil.

« La façon dont on s'est comporté avec une personne de son vivant influe sur le deuil. Si je n’ai jamais pu exprimer mon agressivité à une personne de son vivant, il me sera difficile, dans le deuil, d'exprimer mon chagrin et ma colère. Je vais m'enfermer dans la culpabilité et dans l'agression envers moi-même. Dans le deuil, c'est la structure même de la personnalité qui se révèle et cela nous effraie. Alors, on essaie d'escamoter le deuil.

[9]

Quand il accompagne un malade pour une courte ou une longue période, l'entourage se croit obligé de taire ses frustrations et ses pulsions agressives. On redouble plutôt de gentillesse. Ce ne sont pas là des échanges humains authentiques. En fait, il faudrait pouvoir dire au malade qu'on ne viendra pas le voir pour un jour ou deux, parce qu'on est épuisé. Ou encore, qu'on accepte mal sa détérioration physique. C'est dur sur le coup, mais cela nous ancre dans la vérité de l'échange. Autrement, on se leurre soi-même et on induit l'autre en erreur. Et après la mort, on se sent coupable de ne pas avoir dit ce qu'on avait à dire. Il y a un aveu de l'ambivalence de nos relations qui doit se faire avant la mort, si on veut que le deuil ne soit pas trop pénible. Cela vaut pour celui qui part et pour celui qui reste. » (L. Des Aulniers, p. 18)

Dans une relation authentique, il faudra laisser place aux émotions. Il est normal d’avoir peur et de vivre de l’anxiété face à la mort. En tentant de cacher ce type de sentiments, on fausse la relation. L’être cher vit lui aussi des émotions face à sa mort. S’ouvrir sur celles-ci pourrait l’amener à en parler et enrichir la relation d’instants privilégiés hautement empreints de spiritualité.

« Il faut pouvoir parler de l’ultime étape de notre vie. La personne mourante est prête à le faire parce qu’elle sent que les derniers moments approchent. Ce sont souvent les proches de cette personne qui évitent le sujet, qui nient cette éventualité. Parfois, il n’est même pas nécessaire de trouver les mots. Le langage non verbal est suffisamment évocateur. Les personnes mourantes sont aussi sensibles aux gestes et aux attitudes qu’à la parole. Voilà qui exige beaucoup de travail sur soi de la part des personnes accompagnatrices. Ces derniers doivent se respecter, prendre soin d’eux et pouvoir exprimer leurs émotions. Finalement, il faut beaucoup d’authenticité pour vivre ces moments-là. » (C. Gendron, p. 22-23)

« Le partage de sujets intimes, comme la mort, permet un rapprochement des deux personnes, par cet échange vécu comme unique, et privilégié. [...] L’intimité concerne notamment deux points  : un échange sur la mort ou une aide au mourant et les soins corporels. Le franchissement du “cap” n’a pas lieu au même moment pour tous les aidants. Pour l’un, il se situera au moment de son implication dans l’aide à la toilette, pour l’autre dans le toucher du corps (caresses, massages), ou dans l’aide à l’approche de la mort, ou dans le dévoilement de ses sentiments. Les aidants évoquant cette entrée dans l’intimité de la personne utilisent les termes de cap, de passage, de barrière, toujours ressenti, qu’il s’agisse d’une acceptation progressive ou d’une confrontation soudaine à un besoin d’aide. » (CRAM, p. 5 et 6)

Le deuil en blanc
et le deuil en noir


Certains auteurs parlent du deuil en blanc et du deuil en noir :

« C'est un concept qui a été élaboré par Claire Lejeune et qui me semble fort utile pour la compréhension du deuil. Dans toute mort, il y a perte. Le deuil en noir, c'est la perte de ce qui a existé entre nous et la personne décédée. Le deuil en blanc, c'est la perte de ce qu'on aurait voulu vivre, mais qui n'a jamais existé et qui n'existera jamais. En sorte que le deuil nous renvoie à l'usage que nous faisons du temps. Que de fois on entend dire, au moment d'un deuil : « Il faudrait se voir plus souvent », « Il faudrait qu'on prenne le temps de... » Tout deuil nous ramène à l'importance de vivre l'instant présent, sans bien sûr que cela nous coupe du passé ou de l'avenir. Un deuil peut nous amener à réaliser [10] qu'il y a des occasions qui ne reviennent pas et qu'il faut être disponible et s'impliquer quand il en est encore temps. » (L. Des Aulniers, p. 23-24)

Ce qui suit la mort dépend
largement de ce qui la précède


Voici ce qu’en pense madame Des Aulniers :

« Il faut admettre qu'on ne sera jamais plus comme avant. La perte de l'autre nous oblige aussi à accepter notre destin d'individu mortel. Pour que le travail du deuil se fasse, il faut prendre conscience du caractère inévitable et irréversible de la mort. Il faut renoncer progressivement à l'autre et être capable de se souvenir de lui comme celui qui nous a aidé à devenir ce que nous sommes. » (L. Des Aulniers, p. 25-26)

« Le deuil des survivants est plus ou moins facilité par la manière dont la personne atteinte d'une maladie fait son propre deuil. Mais en pareille matière, rien n'est déterminé d'avance. Ce n'est pas parce qu'une personne a 85 ans qu'elle va affronter la mort plus sereinement. Et ce n'est pas en lui disant de « lâcher prise », comme on dit familièrement, qu'on va arranger les choses. Sans parler du manque d'éthique, ce n'est pas une stratégie efficace de suggérer à l'autre qu'il serait bien mieux de lever les pieds. Si le deuil n'est pas facile après la mort, il ne l'est pas davantage avant. Entre les vivants et ceux qui vont mourir, il y a toujours une tension. Les relations entre les deux sont faites de tendresse et d'agressivité et sont, de toute façon, extrêmement complexes. À tel point que c'est parfois le mourant qui console ses proches, par avance, du deuil qu'ils vont vivre.

Quand une maladie grave s'installe, c'est sûr qu'il y a une certaine « préparation à la mort » qui se fait, pour le malade et pour ses proches. Mais ce n'est pas parce qu'on se prépare qu'on est prêt. Parce que c'est terriblement compliqué pour des humains de se quitter et ce que quitte l'un n'est pas ce que quitte l'autre. Celui qui reste voit partir une personne qu'il aime. Mais celui qui part doit quitter dix, vingt, trente personnes. » (L. Des Aulniers, p. 27)

« En fait, le deuil n'est pas simplement une façon de saluer la mort. C'est aussi un des indicateurs les plus fiables de notre rapport à la vie. Car nous devons mourir pour pouvoir vivre. Pour accepter la réalité de la vie, il faut accepter la réalité de la mort. Le deuil est révélateur de nos relations avec les autres et plus spécialement de nos relations avec nos proches. Cela explique bien des choses. Si nous éprouvons tant de difficultés à vivre le deuil, c'est justement parce que nous sommes dans une société où l'on cherche comment vivre les uns avec les autres. » (L. Des Aulniers, p. 28)

Le deuil anticipé

« Il arrive qu’au cours de maladies chroniques, le prédeuil se transforme en deuil anticipé. La famille ne s’est pas seulement préparée au deuil, elle a « enterré le malade de son vivant ». C’est plus fréquent quand le patient ne communique plus depuis un certain temps, soit par coma, soit par démence. La famille a fait le deuil du malade conscient, du frère, du père, tel qu’il était « de son vivant », pourrait-on presque dire, et le corps qui reste en réanimation n’est plus investi pour elle de l’identité de celui qui était. Il est évident que dans ces circonstances la famille accepte mal toute prolongation excessive de cette situation ambiguë.

[11]

« À quoi ça sert qu’il survive ainsi dans le coma ? » est une question récurrente. C’est aussi une situation difficile pour les soignants, parce que cela peut ouvrir une interrogation sur l’utilité de leur travail, surtout lorsque les soins sont lourds et pénibles (grosses eschares, etc.). La question de l’euthanasie est alors souvent évoquée directement ou indirectement. [...]

La survie est “ utile ” si elle permet aux familles de rester un peu plus longtemps à côté de leur mourant et de se préparer à sa mort. Même si le mourant ne peut pas intervenir pour apaiser les séquelles des querelles familiales, la famille elle peut encore le faire. C’est ainsi que l’on voit parfois des fils ou des filles, ayant quitté la famille depuis des années, revenir après des mois de coma au chevet de leur père et de leur mère et entamer un processus de réconciliation. Il arrive d’ailleurs parfois que le patient « inconscient » meure le jour même, comme s’il avait enfin trouvé l’apaisement. » (P. Millet)

« Cela m'amène à parler du deuil anticipé, qui consiste à se détacher de celui qui va mourir bien avant qu'il ne soit mort. Le deuil anticipé traîne avec lui tout un cortège de problèmes. Car il n'y a plus d'attentes et donc plus d'échanges. Ainsi, celui qui est malade demande alors à mourir, parce qu'il voit bien que les autres se “ sont éloignés de lui ”. Le deuil anticipé est aujourd'hui d'autant plus fréquent qu'il y a de plus en plus de très longues maladies. Dans bien des cas, les personnes sont hospitalisées et on se déshabitue peu à peu de leur présence. Que la personne revienne à la maison pour une raison ou une autre, ou qu'elle meure dans l'isolement, on éprouve un terrible regret d'avoir coupé les ponts. Car même si on se détache de l'autre, on lui reste attaché. Je le répète, notre attitude envers nos proches est toujours ambivalente. Ce qui est grave, c'est que la société actuelle tout entière nous pousse au deuil anticipé. Les personnes longuement malades, handicapées ou déficientes sont souvent mises hors circuit et il faut une bonne dose de courage et d'abnégation pour continuer d'avoir une relation significative avec elles. Nos rapports avec ces personnes pourraient être très enrichissants pour nous et pour elles. Malheureusement, tout ce qu'elles lisent parfois dans le regard des autres, c'est qu'elles pourraient aussi bien être ailleurs.

Les deuils anticipés peuvent aboutir à des deuils et à des funérailles bâclés qui ont comme conséquences, plus ou moins rapprochées, des dépressions, des troubles mélancoliques, des passages à l'acte. L'étonnante explosion de suicides à laquelle nous assistons vient sans doute pour une part de ce qu'on a liquidé l'autre de diverses façons bien avant que la mort l'ait emporté. » (L. Des Aulniers, p. 27)

Que seront les funérailles ?

Il est important pour le travail de deuil de voir le corps.

« Pratiquement tous les endeuillés qui n’ont pas pu voir le corps du décédé (en raison de suicide, de mutilations, de brûlures où les soignants estiment : « on ne peut pas montrer ça ») expriment leur regret et leur amertume quelques mois ou quelques années plus tard. Ils disent souvent : « je sais que c’aurait été très dur, que j’aurais pleuré, mais maintenant de ne pas avoir pu le revoir, j’y pense tout le temps ». Lorsque la vision du corps est possible, même partiellement, il faut toujours la proposer (si la famille dénie cette proposition, il faut évidemment respecter ce refus). Des parents à qui on a permis de voir un seul bras de leur fils affreusement défiguré ont témoigné pour dire combien cela avait été important pour eux. » (P. Millet)

[12]

Voulant éviter à leurs proches des problèmes, il arrive de plus en plus que des personnes s’occupent elles-mêmes des arrangements funéraires de leur vivant. Bien que ce soit une intention louable, cela privera les survivants de leur rôle de vivants, c’est-à-dire de bouger, d’agir, de prendre des décisions, de poser des gestes comme de choisir le cercueil et de préparer les cérémonies. Ce sont des gestes qui nous connectent avec la mort et nous aident à vivre la transition vers une nouvelle réalité sans l’être cher.

Dans le cas de préarrangements funéraires, il serait sûrement bénéfique aux personnes qui survivront à l’être cher de participer au processus de préarrangement en allant, par exemple, choisir avec l’être cher le cercueil qu’il désire et en discutant de ce qu’il souhaite comme rituel funéraire. Dans vos échanges avec la personne mourante, c’est peut-être une discussion qu’il conviendra de tenir afin de vous aider à vivre votre deuil. (Féd. Coopératives funéraires du Qué.)

« Fondateur de plusieurs coopératives funéraires, Michel Marengo a longuement réfléchi à la mort. “ Que les personnes ne veuillent pas être exposées, je n’ai pas d’objection à cela. Mais il est important de conserver une gestuelle d’accompagnement, cela correspond à quelque chose de fondamental chez l’humain. ” Il est important de voir le corps mort. Parlez-en à tous ceux qui ont perdu un proche dont on n’a jamais retrouvé le corps. Sans la dépouille, la “ preuve ” que l’autre est bien décédé, le deuil est beaucoup plus difficile, parfois impossible. » (Anonyme, Revue Notre-Dame, p. 2)

Colette Gendron, auteure de Pour une mort plus humaine, est professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval :

« Je crois que la famille, dépossédée de la mort par les entreprises funéraires et l’institution hospitalière, sort perdante de la mise en place de ce modèle. Affaiblie, elle ne joue plus son rôle de soutien. Progressivement, la conspiration du silence s’installe. On ment à la personne mourante, ce qui constitue sa première mort, puis on se ment à soi-même. On éloigne même les enfants, sous prétexte de les protéger de la souffrance et de la douleur. Dans le fond, on recherche une mort discrète, banalisée, qui ne dérange pas. On souhaite une mort imprévue et rapide, une mort qui n’en est pas une. » (C. Gendron, p. 17)
« Combien d’entre nous s’arrêtent parfois à penser qu’ils mourront un jour ? Pourtant, le fait de réfléchir à sa propre mort, d’apprivoiser ce phénomène, ne peut être que bénéfique. » (C. Gendron, p. 18)

Sans revivre les funérailles d’autrefois au salon de la maison du défunt, il faudrait peut-être penser à ne pas se déposséder de notre participation active dans les funérailles. Par ailleurs, lors de celles-ci, pourquoi ne pas célébrer davantage la vie de l’être cher que sa mort et partager avec les personnes présentes les diverses facettes de sa vie au travail, dans ses loisirs, ses relations amicales et sa famille ?

« L’autre courant que l’on perçoit de nos jours laisse aux personnes endeuillées le soin de présider la cérémonie d’adieu. À cette occasion, ces dernières expriment leur chagrin et leur peine collectivement. En effet, depuis une dizaine d’années, les gens créent de plus en plus leurs propres rituels. Ce sont des cérémonies personnalisées au cours desquelles les personnes significatives rendent un dernier hommage à la personne décédée. De la musique aux témoignages de toutes sortes, mille et un gestes peuvent traduire l’affection [13] portée au défunt. Ce sont des moments forts de séparation où les émotions sont exprimées, ce qui permet aux personnes affligées de commencer le travail du deuil. En réinventant ce rite de passage, les gens se réapproprient ainsi le mort et le processus du deuil. Ils font enfin quelque chose pour la personne décédée, ce qui leur apporte un certain soulagement. De cette façon, ils peuvent mieux ancrer la réalité de la mort dans leur conscience.

[...] Par ailleurs, les gens optent de plus en plus pour l’incinération sans exposition du corps. L’absence du corps de la personne décédée rend le deuil plus difficile, parce qu’on ne voit pas concrètement la mort. On la devine, mais on a peine à imaginer la personne morte.

[...] Qu’importe le rituel choisi, les personnes survivantes doivent y trouver une force pour mieux traverser le deuil. Bien sûr, la cérémonie vise à faire plaisir une dernière fois à la personne décédée, à lui rendre hommage. Mais c’est aussi une occasion bénie pour les proches de réfléchir à la mort. » (C. Gendron, p. 27-28)

[13]

II

LES CHOSES AIDANTES
POUR LE DEUIL À VENIR

Certains éléments permettent de faciliter le prédeuil et, par conséquent, le deuil. Parmi ceux-ci, le fait de respecter son rythme et celui de l’être cher (vous n’avez pas à tout régler d’un seul coup) : avoir une connaissance des services d’appui qui sont offerts pour l’être cher et pour vous, atteindre un certain équilibre personnel, se permettre de terminer les choses non finies, exprimer ses sentiments et émotions ou avoir un support de la part de l’équipe médicale. Ce support peut se traduire de plusieurs façons. Par exemple, recevoir des explications claires sur les symptômes et les signes physiques de l’approche du décès ou de connaître l’évolution de l’état de l’être cher permettent de diminuer l’effet de surprise et l’impression de ne pouvoir rien faire. Plus le prédeuil sera vécu avec des comportements aidants, moins le deuil comportera de difficultés anormales après le décès.

Votre savoir dans le domaine du contrôle des symptômes et du traitement de la douleur vous permettra d'avoir un rôle actif et de travailler main dans la main avec l’équipe soignante, pour lui donner une qualité de vie dans sa maladie. Vous pourrez ensuite consacrer votre énergie à entrer dans le monde de l'esprit, du cœur et de la spiritualité.

« Il serait bon de profiter d’un intervenant, comme un travailleur social, pour aider dans la résolution de problèmes avec le mourant afin de régler le plus possible ceux en suspend.
Il faut se rappeler que le prédeuil comporte plusieurs aspects comme les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle auxquelles il faut accorder l’attention nécessaire. Il faut savoir que les diverses pertes et défis dans le prédeuil évolueront au cours du processus conduisant à la mort. De plus, chaque personne vit son deuil d’une façon qui lui est propre et que les personnes qui vivent un même deuil auront tous et toutes des réactions différentes, tant dans la phase de prédeuil que dans celle du deuil, ce qui affectera leurs relations avec le reste de la famille et le personnel soignant.

[14]

Le prédeuil entraîne souvent le doute sur nos capacités à vivre la perte de l’être cher. Il est bon de savoir qu’il existe des ressources un peu partout qui sauront vous aider à vivre votre deuil, notamment au sein de groupes d’entraide. » (traduction libre, Kelh 2005)

Si ces éléments peuvent aider à faciliter le processus de prédeuil, d’autres peuvent entraver le processus normal. L’isolement, par exemple, rend le deuil beaucoup plus lourd à porter. Un attachement excessif à l’être cher faisant en sorte que cette seule relation représente la totalité de la vie de la personne peut aussi s’avérer très problématique. Le processus de prédeuil peut aussi être l’occasion de régler des conflits non résolus qui pourraient amener un sentiment de culpabilité suite au décès. Finalement, la désacralisation des rites funéraires, telle qu’on le voit depuis quelques années, pourrait créer des divisions au sein d’une famille éplorée puisque chaque membre réagira de façon différente et aura des besoins qui lui seront propres pour faire face à la maladie et à la perte qui s’ensuivra. (Kelh, 2005)

« Fragilisé par le deuil (et l'on sait du strict point de vue médical que le deuil est une période pendant laquelle le sujet est objectivement plus vulnérable à la maladie, au point que les professionnels de la santé se doivent de leur accorder toute leur attention), le survivant l'est encore par l'interdiction qui lui est faite d'exprimer sa souffrance et par la solitude à laquelle il se trouve bien souvent condamné. Le deuil n'est plus en effet une période de recueillement, mais bien une période d'isolement. Amis et relations mettent quasiment le survivant en quarantaine ; même le téléphone ne sonne plus. Cette impossibilité d'exprimer ou de partager ses sentiments entraînerait, selon Shaerer et Pillot, de nombreuses dépressions ainsi qu'un risque accru de maladie. Et Parkes de signaler que le recours aux tranquillisants, en l'occasion, ne fait qu'inhiber encore davantage l'expression du deuil, engageant alors le survivant dans un véritable cercle vicieux. Le recours systématique aux tranquillisants et antidépresseurs doit être réservé aux circonstances proprement pathologiques du deuil : tendances suicidaires ou état d'agitation chronique que l'aide des soignants n'aura pas modifiés, dépression excédant la durée "normale" d'un deuil. Hormis ces cas (et c'est un fait qu'il existe des familles et des individus plus vulnérables que d'autres), rompre l'isolement représente une priorité qui est venue s'intégrer tout naturellement à la démarche de ceux qui s'intéressent aux soins palliatifs. » (M-T. Gatt, p. 100 et 101)

Comment vivre moins de culpabilité
lors du deuil ?


La culpabilité fait partie de la grande majorité des deuils. Si on peut s’y pencher du vivant de l’être cher, le travail du deuil en sera facilité. Bien qu’étant un sentiment puissant et difficile à vivre, l’une des choses les plus importantes à se rappeler est que la culpabilité est un sentiment qui nous appartient ; c’est nous qui acceptons ou non de nous sentir coupables. Nous avons donc tout le pouvoir de ne plus nous culpabiliser. Par exemple, si quelqu’un vous dit que vous auriez pu être plus présent auprès de l’être cher avant son décès et que vous avez la conviction d’avoir donné tout le temps qu’il vous était possible de donner, compte tenu de vos obligations, vous ne vous laisserez pas culpabiliser et vous resterez indifférent à ces propos sans fondement. Si intimement vous aviez inconsciemment voulu défier la mort par votre présence et vos soins soutenus, vous serez probablement touché par ces fausses accusations et vous vous sentirez coupable. Pourtant, dans les deux cas, les faits sont objectivement les mêmes. Vous êtes l’élément qui crée la différence. Mais concrètement, comment se préparer afin de vivre moins de [15] culpabilité lors du deuil ? La meilleure façon est de terminer les choses non finies avec l’être aimé avant son décès. Ces dernières peuvent être regroupées en trois grandes catégories.

Il y a d’abord les choses dont nous ne sommes pas fiers et qui concernent l’être cher. Les choses dites ou faites qui ont pu le blesser. Il est alors important de s’en excuser sincèrement. L’humilité se vit beaucoup plus facilement que la culpabilité.

Ensuite, les choses que je n’ai jamais avouées. Dans une relation d’authenticité, il est important de reconnaître nos fautes afin de ramener la franchise dans les derniers rapports avec l’être cher. Il faut se rappeler que ce qui peut être réglé du vivant de la personne aimée pourrait rendre beaucoup plus facile le deuil par la suite. Tout adulte responsable devrait pouvoir assumer ses paroles et ses gestes. Ces choses non avouées peuvent aller du vol dans le portefeuille étant enfant, au bris d’un objet qui lui était cher, en passant par le fait de l’avoir trompé.

Finalement, il y a les choses dites ou faites par l’être cher à notre endroit et qui ont pu jeter un froid dans notre relation. En parler ouvertement, on pourrait ramener un peu plus d’harmonie dans notre relation et nous débarrasser de la culpabilité, après le décès, de n’avoir pas rétabli ou au moins chercher à rétablir le bris de communication avec la personne aimée de son vivant.

Dans tous les cas, il importe de penser que l’être cher cherchera normalement lui aussi à régler des situations inachevées avant de mourir. La peur de l'inconnu et les affaires non réglées sont les deux principales raisons qui retiennent la personne mourante et qui l'empêchent de mourir paisiblement. En cherchant de part et d’autre à régler les conflits en suspens, vous vous aiderez probablement mutuellement ou, à tout le moins, aurez la satisfaction d’avoir voulu les résoudre et vous aurez davantage la conscience tranquille.

« Je me souviens d’une entrevue que James Bamber, journaliste à la Société Radio-Canada, avait accordée juste avant son décès. Il affirmait alors que le fait de savoir sa mort imminente avait complètement changé ses relations avec les gens. Désormais, il parlait avec eux des “ vraies affaires ”. Aussi se trouvait-il chanceux de pouvoir préparer sa mort, de pouvoir en parler. » (C. Gendron, p. 18)

Chez Entraide-Deuil de l’Outaouais, nous entendons régulièrement des personnes, probablement parmi les plus dévouées, s’en vouloir de ne pas en avoir fait assez. Lorsque vous avez fourni l’accompagnement dont vous étiez capable en fonction des obligations de votre vie familiale ou professionnelle, il serait bon d’en prendre conscience et reconnaître, du vivant de l’être cher, qu’on ne peut honnêtement en faire plus :

« À la mort d'un proche, il y a aussi une culpabilité liée au fait qu'on se dit : « Je ne l'ai pas assez soigné, pas assez soutenu. Je ne suis pas allé le voir assez souvent. » On touche là notre côté infantile qui croit que l'amour est tout-puissant. C'est une expression de la pensée magique. Comme si on pouvait guérir ou sauver quelqu'un à force de l'aimer. On se sent donc coupable de n'avoir pas su retenir le mort. On se sent coupable d'être vivant. On se sent coupable aussi de n'avoir pas vidé les conflits qui nous opposaient au disparu. En somme, ce qui importe, c'est de bien dégager les sources de notre culpabilité. » (L. Des Aulniers, p. 25)

[16]

Souvent, nous entendons aussi des gens exprimer leur culpabilité à n’avoir pas été là au moment de la mort de l’être cher. Ici encore, il nous faut admettre que nous ne pouvons être toujours présents, même en vivant 24 heures sur 24 auprès de la personne qui se meurt. Tout le monde a des obligations qui empêcheront autant de disponibilité. Même en étant aussi présent, vous ne pourrez demeurer éveillé en tout temps, l’être cher pourrait donc mourir pendant votre sommeil. Par ailleurs, il n’est pas impensable non plus que, pour éviter de vous voir souffrir, la personne aimée pourrait justement attendre votre absence ou votre sommeil pour se laisser aller… D’ailleurs, c’est probablement la dernière action sur laquelle il pourrait encore avoir de l’emprise.

Le pardon et ses trois facettes

Le pardon est un élément tout aussi important à travailler que la culpabilité dans la résolution du deuil. Il doit être analysé sous ses trois facettes : pardonner à l’être cher, lui demander de nous pardonner et se pardonner à soi-même. Ici encore, ce qui peut être réglé avec l’être cher de son vivant facilitera d’autant le travail du deuil par la suite. Pardonner est un grand besoin. Assez pour tenir quelqu’un en vie plus longtemps. Cela fait également vivre beaucoup d’angoisse.

« Si la période précédant le décès est une période de souffrance et d’angoisse, l’expérience montre souvent qu’a posteriori cette souffrance n’a pas été " inutile " pour l’endeuillé. Le prédeuil permet de faire une partie du travail de deuil, mais en présence du mourant. Ainsi, s’il existe un contentieux entre le mourant et sa famille, il y a encore une possibilité de le régler " in extremis ". Avant le XXe siècle, on estimait comme essentiel que le mourant et son entourage (y compris extra-familial) puissent échanger des pardons (mutuels).

L’important est qu’après le décès, cette possibilité du pardon est fermée à tout jamais. Or, les sentiments de colère, de honte, de culpabilité liés à ce contentieux non réglé peuvent être très pesants pour les endeuillés. Par exemple, les filles abusées sexuellement par leur père disent souvent : " juste avant sa mort, j’attendais au moins qu’il ait un mot de regret. Cela m’aurait permis de faire le deuil. " » (P. Millet)

Dans la préparation au deuil, il sera donc important de pardonner à l’être cher les choses qu’il a dites ou faites et qui ont pu nous blesser. Ce n’est pas facile, mais vivre avec cette absence de pardon après son décès pourrait être encore plus difficile. Parfois, cela semblera impossible. Jean Monbourquette, une sommité dans le domaine du deuil, donnait l’exemple d’une personne qui avait été abusée par son père et qui, bien qu’elle ait désiré le faire, ne se voyait absolument pas lui pardonner face à face. Il lui avait alors suggéré de lui parler intérieurement en lui tenant la main pendant son sommeil. Il affirmait que c’était tout aussi efficace.

Il peut arriver à l’inverse que ce soit du pardon de l’être cher dont nous ayons besoin. Même si celui-ci n’a jamais voulu, jusque-là, nous pardonner notre offense, il ne faut pas tenir pour acquis que rien ne changera. Rappelons que l’être cher qui se sent mourir pourrait vouloir lui aussi régler ce différend avant de quitter ce monde. Cela vaut la peine de prendre le risque et de lui demander son pardon, si c’est important pour soi.

[17]

Le dernier volet est peut-être le plus difficile : se pardonner. Ce pardon est pratiquement toujours lié à la culpabilité. Il sera donc difficile de se pardonner avant d’avoir reconnu que notre culpabilité n’est probablement pas justifiée. En effet, si nous sommes capables de reconnaître que notre condition humaine nous amène inévitablement à commettre des erreurs, nous aurons alors un pas important de fait pour nous libérer de la culpabilité. Par ailleurs, dans la grande majorité des cas, ce que nous avons dit ou fait l’a été en fonction de ce que nous avons alors cru le mieux dans les circonstances, avec ce que nous connaissions et selon les moyens dont nous disposions. Bien sûr, avec le temps, en constatant que tout ne s’est pas déroulé comme nous l’avions prévu, il est facile de se « taper sur la tête » ou de se laisser toucher par les propos des autres, qui souvent cherchent à décharger leur propre culpabilité sur nos épaules.

La colère ou la rage

La mort est souvent considérée injuste bien qu’elle soit une partie intégrante et inévitable de la vie. La révolte à l’idée de perdre un être cher peut engendrer de la colère et même de la rage. Il faut en être conscient et éviter d’agresser inutilement les gens qui nous côtoient durant cette période comme nos amis, la famille ou le personnel hospitalier. Parler de ces émotions pourra aider à libérer la révolte en vous et possiblement revenir à plus de sérénité.

Les personnes croyantes pourront vivre aussi de la révolte face à Dieu, par exemple, et en ressentir également de la culpabilité. En n’acceptant pas la mort comme une réalité absolue, il arrive de vouloir attribuer cette fatalité comme une volonté inacceptable d’un Être suprême qui nous enlève la personne que nous aimons. En général, le travail du deuil terminé, les croyances reviennent avec l’acceptation de la mort comme une réalité inévitable.

La mort, c’est aussi la fin abrupte de projets ou rêves anticipés avec l’être cher. En parler avec lui pourrait permettre de vivre en partie les sentiments qui s’y seraient rattachés et ainsi atténuer la déception de ne pas voir nos projets ou nos rêves se concrétiser. Voir souffrir l’être cher est également une autre source de révolte dont on peut aussi parler. Sentir votre compassion pourrait resserrer les liens entre vous et la personne aimée.

Finalement, il ne faut pas oublier que l’être cher qui se meurt pourrait vivre lui aussi les mêmes émotions et il nous faudra savoir accueillir sa colère, sa révolte et ses autres sentiments.

Moyens pour faciliter
le processus de prédeuil


Voici des suggestions permettant de faciliter le processus de préparation à la mort. Ces stratégies devraient être l’objet d’une discussion avec l’être cher et le personnel soignant qui saura vous conseiller.

Même si l’être cher est inconscient ou comateux, il est bon de lui parler, car il peut ressentir votre présence.

[18]

« Il est important d’insister sur l’importance du toucher et de la relation, même quand le patient est " comateux ". D’une part, certains patients " comateux " peuvent ressentir et entendre et en témoigner " au réveil ", d’autre part et surtout cette relation a un grand rôle symbolique pour ceux qui touchent et qui parlent (soignants comme familles), elle signifie “ c’est encore un être humain qui est présent dans le lit ” ». (P. Millet)

Dans la mesure du possible, la famille peut chercher à réaliser les derniers souhaits de l’être cher. Avec l’accord du personnel soignant, la famille peut offrir ses services pour prendre part aux soins de l’être cher, autant que faire se peut.

Les membres de la famille devraient  :

  • Demeurer dans la relation et s’occuper de l’être cher. Ceci permet à la famille de ne pas tomber dans le deuil anticipé et complètement se désintéresser de l’être cher, et ce, avant même sa mort.

  • Rester « séparé ». S’il est important de s’occuper de l’être cher, il est aussi important de s’occuper de soi. Il est important que vous preniez du repos et des forces qui vous permettront de commencer à entrevoir l’avenir sans l’être cher.

  • S’adapter aux nouveaux rôles familiaux. La perte d’un être cher ébranle non seulement les individus, mais aussi la famille qu’ils forment. Suite au décès, les rôles de chacun seront bouleversés. La mort d’un conjoint amène sa conjointe à jouer le rôle peut-être nouveau de pourvoyeuse de la famille, de mère et de père ; la perte d’un frère aîné chamboule tout l’ordre familial, le 2e enfant se retrouvant l’aîné de la famille, etc.

  • Faire face à la réalité. L’être cher nous quittera bientôt et il est important de penser à la vie après. Les arrangements funéraires, les arrangements pour les enfants, les biens matériels, etc., doivent être discutés avec l’être cher et le reste de la famille.

  • Dire au revoir. (Rando, 1986, p.68-69)

  • Mettre l’emphase sur le besoin d’acceptation et d’écoute sans jugement. Le fait de discuter et de se poser des questions permettra aux membres de la famille d’exprimer leurs sentiments et le type de relation qu’ils entretiennent avec l’être cher.

  • Pouvoir compter sur un support social, spécialement juste après le décès. (Rando, 1986, p. 53-54) [1]

L’imagerie guidée (guided imagery), ou visualisation, peut aussi être très bénéfique, autant pour l’être cher que pour la famille et les proches. Elle a pour but de permettre au malade de retrouver une paix intérieure, elle permet de faciliter la communication avec la famille et l’être cher, tout en facilitant le « laisser-aller ». (Turkoski et Lance, p. 883-884) Parmi les effets potentiels, on note une réduction dans la quantité de médicaments après [19] une opération, une guérison plus rapide des plaies, une réduction des nausées et vomissements causés par un traitement de chimiothérapie, un bris dans l’isolement du patient et de sa famille et une façon de donner un sentiment de contrôle au patient. Le thème de la visualisation doit avoir un lien avec ce qui est visé, par exemple, une personne voulant réduire son stress pourrait visualiser une image apaisante comme un coucher de soleil ou un bateau voguant sur un lac calme.

Rechercher l’espoir et l’apaisement

« Après la mort de la personne malade, vous et les autres membres de la famille devez assumer ce deuil pour pouvoir aimer et vivre pleinement à nouveau. Vous ne serez en paix que si vous exprimez ouvertement votre peine. Rejeter la peine, avant et après la mort, ne fera qu’augmenter la confusion et l’anéantissement.

Il faudra du temps pour accepter votre deuil. Souvenez-vous que le deuil est un processus et non un événement. Encouragez les membres de votre famille à être patients et tolérants entre eux. N’oubliez jamais que la mort d’un être cher changera votre vie pour toujours. » (A.D. Wolfelt)

Liste non exhaustive de questions
pour se préparer au deuil


Adapté de Cancer de l’ovaire Canada et de Rando, 1986.

  • Qu’est-ce qui est important aux yeux de l’être cher ?
  • Qu’est-ce qui est important à mes yeux ?
  • Y a-t-il des choses que je veux faire ou dire à l’être cher ?
  • L’être cher désire-t-il faire ou dire quelque chose à quelqu’un en particulier ?
  • Y a-t-il des choses que je voudrais me faire pardonner ou pardonner à l’être cher ?
  • L’être cher a-t-il des souhaits particuliers pour sa succession et auxquels je pourrais acquiescer ?
  • Si la mort est proche, qu’est-ce qui est important pour l’être cher et les membres de la famille ?
  • Si la mort est inévitable, qu’est-ce qui la rendrait acceptable aux yeux de l’être cher et à ceux des membres de la famille ?
  • Jusqu'à quel point le mourant souhaite-t-il que les gens le « gardent en vie » ?

[20]

III

SYMPTÔMES ET MANIFESTATIONS FRÉQUENTES
DU PRÉDEUIL
.


Symptômes/manifestations communes
du prédeuil


Adapté de Vivre avec la mort, version enfant, Cancer de l’ovaire du Canada

Physiques :

Maux de tête, fatigue et épuisement, douleurs musculaires, insomnie, perte d’appétit et manque d’intérêt pour la nourriture, essoufflement et étourdissement.

Cognitifs :

Incapacité à se concentrer, confusion, difficulté à prendre une décision, sentiment d’incrédulité, sentiment de perdre le contrôle et impression de devenir fou.

Émotionnels :

Colère, culpabilité, anxiété, tristesse, choc et engourdissement.

Comportementaux :

Désir insatisfait, soulagement, reproches à soi-même, sentiment d’inutilité et de ne pouvoir rien faire, désespoir, déni, pleurer, retrait/repli sur soi, passer plus ou moins de temps avec l’être cher, parler constamment et de façon répétitive de comment l’être cher pourrait mourir, peur et frustration.

Enfants/
Adolescents) :

Insomnie, perte d’appétit, vagues malaises physiques (Ex. : maux d’estomac ou de ventre), gêne, culpabilité, être bouleversé, déception profonde et colère.


[20]

CONCLUSION

Le processus du prédeuil est directement relié au processus de deuil. En effet, s’il est bien vécu, il permettra de faciliter grandement le travail de deuil ensuite, puisqu’il permet de terminer les choses non finies et donne le temps de réfléchir à sa relation avec l’être cher. Il permet de régler beaucoup de questions qui auraient pu causer de la colère ou de la culpabilité chez ceux qui survivent. Il permet de faire notre deuil de toutes ses petites choses que l’être cher ne peut plus ou ne pourra bientôt plus faire et de réduire une partie du choc causé par la mort d’une personne importante pour nous.

[21]

BIBLIOGRAPHIE

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ANONYME, (2006), Vivre avec la mort, version enfant, Cancer de l’ovaire du Canada [Brochure]. NOTE : Le document n’est plus accessible en ligne et ne sera pas réimprimé.

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Référence citée par Marie-Thérèse GATT :

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RANDO, Therese, A. (1986). Loss and Anticipatory Grief. Publié à l’origine par Lexington Books, Lexington, Massachusetts, Toronto, Canada. 251 pages. Traduction libre.

Maintenant seulement disponible par l’entremise de Therese A. Rando, Ph. D. Une nouvelle version est parue depuis :

Rando, T.A. (Ed.) (2000). Clinical dimensions of anticipatory mourning : Theory and practice in working with the dying, their loved ones, and their caregivers. Champaign, IL : Research Press.

SOCIÉTÉ DU CANCAIRE OVARIEN, s.d., [Brochure] Vivre avec la mort, version enfant.

TURKOSKI, Beatrice et Brenda Lance. (1996). The Use of Guided Imagery with Anticipatory Grief, Home Healthcare Nurse, vol. 14, no. 11, p. 878-888.

WOLFELT, Alan D., Ph.D, Aider sa famille lorsqu’un de ses membres est mourant, Pompes funèbres Forêt. URL.

UN GRAND MERCI À TOUS CES AUTEURS
QUI NOUS ONT AUTORISÉS À LES CITER.



[1] Rando tient à préciser qu’elle a utilisé ces éléments à partir de textes de Grace Lebow (Lebow, G.H. 1976. Facilitating Adaptation in Anticipatory MourningSocial Casework, 57 :458-465).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 mars 2014 14:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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