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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mikhaël ELBAZ “Les immigrants dans la cité : les sciences sociales et la question de l'autre au Québec”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. Chapitre 21, pp. 293-308. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 15 août 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Mikhaël ELBAZ

Anthropologue, professeur au département d’anthropologie,
Université Laval. 

Les immigrants dans la cité: les sciences sociales
et la question de l'autre au Québec
”.
 

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de François Trudel, Paul Charest et Yvan Breton, La construction de l’anthropologie québécoise. Mélanges offerts à Marc-Adélard Tremblay. Chapitre 21, pp. 293-308. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1995, 472 pp.
 

Table des matières 
 
Introduction
 
La question ethnique au Québec : l'histoire, la mémoire et le présent
L'institutionnalisation du champ des études ethniques au Québec: thèmes et enjeux
Citoyens et/ou ethniques au Québec demain ?
 
Références bibliographiques

Introduction

 

À l'aube du troisième millénaire, réfléchir sur la place des immigrants au Québec, c'est penser simultanément la fabrique de l'État québécois et mettre sur le tapis la relation inextricable entre État et citoyenneté, culture, langue et démographie, transnationalisation des échanges matériels et symboliques dans un espace dont la nationalisation demeure inachevée. 

Ces thèmes sont traversés de représentations fluctuantes et contradictoires sur les valeurs et les normes qui fondent le bien commun dans une société incertaine qui n'a cessé depuis trois décennies de redéfinir son statut politique, ses emblèmes de ralliement, son rapport tendu entre l'histoire, la mémoire et le présent. 

Les sciences sociales ne sont pas à l'abri de cette tension dans la délimitation de leur objet d'analyse ainsi que des thèmes, des paradigmes et des méthodes qu'elles ont privilégiés ou occultés. La question immigrante comme tant d'autres questions sociales a toujours constitué un terrain privilégié où s'affrontent des visions et des divisions sur la différenciation subjective et matérielle qui institue une société. Il n'est pas étonnant qu'au Québec comme ailleurs le débat soit tramé tant par le mythe de la fondation que par l'écart qu'on a établi entre soi et les autres, la politique de l'identité culturelle et les pratiques de structuration du social. 

En intervenant dans ce débat [1], j'ai moins le souci d'établir un bilan exhaustif des recherches menées depuis une décennie sur les minorités ethniques que d'interroger les concepts et les notions que nous utilisons, les discours paradoxaux que nous énonçons quand nous parlons de l'Autre, de sa singularité et de son humanité. À la manière de Bourdieu (1982), il faut prendre au sérieux Ce que parler veut dire quand nous procédons à des nominations et à des classements dès que nous nous heurtons à la diversité ethno-culturelle. Je ne ferai par conséquent que formuler des questions et débusquer quelques certitudes plutôt que d'offrir des prévisions. Les seules options que je dégagerai, à la fois éthiques et politiques, portent sur les principes qui assurent la transaction entre « eux » et « nous » dans une démocratie plurielle mais non pluraliste.

 

La question ethnique au Québec :
l'histoire, la mémoire et le présent

 

La question ethnique, quel que soit le contenu fluctuant qu'on met sous ce vocable, encombre littéralement la relation triangulaire qui s'est instaurée entre peuples fondateurs d'une part, entre ceux-ci, les nations autochtones et les minorités ethniques de l'autre. En ce sens, c'est un détour obligé pour saisir les formes d'incorporation et de loyauté des acteurs à l'espace politique canadien et les relations qui se sont nouées entre peuples et groupes tiers, exclus de la fondation. Nous savons combien cette hiérarchie ethnico-nationale, ces modes de pluralisme social et culturel ont été et sont contestés symboliquement et politiquement tant par les Québécois, les autochtones que les minorités ethniques. 

Au coeur de ce débat, toujours renouvelé, l'enjeu, dirions-nous, demeure l'incapacité de la structure étatique consociationnelle [2] canadienne d'être un lieu vide dont personne ne peut se revendiquer pour que tous puissent le faire [3]. De cette incapacité découle la difficulté de séparer l'ethnicité des structures de pouvoir, l'allégeance de l'origine, les droits individuels des droits collectifs. 

Soyons net cependant, en notant que le pacte confédératif de 1867 scelle une dualité ethno-culturelle et confessionnelle qui demeure un texte ouvert à l'interprétation et à la négociation. Au Québec, la mémoire de la conquête définit une frontière avec l'Autre significatif, canadien-anglais, et cette dualité inscrite dans le pluralisme juridique et culturel déterminera la proximité et la distance que les Canadiens français établiront avec les Autres. Le poids de cette mémoire sur le récit historique ne peut être dénié comme le note Léon Dion (1987 : 66) : 

Cette réticence à l'égard des autres vient aussi, et sans doute davantage, du fait que les Québécois sont issus d'un peuple conquis, qu'ils sont devenus une fragile minorité ethnique et économique et qu'ils ont si longtemps cru devoir vivre cramponnés au sol, repliés sur eux-mêmes afin de ne pas se dissoudre petit à petit dans un quelconque grand tout. 

Ce sentiment de fragilité culturelle du Québec est partagé par maints analystes qui invoquent le souvenir de la conquête, la crainte de la déculturation des communautés détentrices de la tradition devant les effets de la modernité. La crainte n'est autre que celle de rompre la chaîne de la transmission, de se défaire de rituels religieux et linguistiques, pour devenir ici des ethniques au Canada et là, des franco-américains. L'émigration de milliers de Canadiens français vers les États-Unis, au tournant du siècle, accentue cette conscience de la perte que ne peut compenser, dans l'imaginaire collectif, l'installation à demeure de migrants originaires d'Europe, majoritairement non-francophones. Dans ce contexte, la défense de l'héritage canadien-français sert d'illustration à la différence avec soi, tandis que les immigrants fabriquent in loco une identité clivée entre les deux peuples fondateurs et l'ancien monde. Toutefois, le procès de déterritorialisation et de fixation dans l'espace urbain et industriel des Canadiens français et des migrants a paradoxalement des conséquences symétriques sur les uns et les autres : une ethnicisation des différences dans un marché de travail éclaté et une redéfinition d'identités culturelles préétablies. 

M.-A. Tremblay a été attentif à cette fluctuation des appartenances, aux discontinuités avec le passé et à la crise d'identité culturelle des Québécois francophones provoquées par la modernisation et la modernité, symbolisées par le monde anglo-saxon (1983 : 17, 85). Il note que les Québécois francophones tirent leur identité d'une hétéronomie et d'une résistance dans le système dualiste canadien. Or, le passage à une société fondée sur la rationalisation instrumentale et la routinisation bureaucratique, la quête d'autonomie et d'authenticité par les individus lui font craindre « une décomposition de l'ethnicité québécoise » (ibid., 26). 

On trouve dans l'historiographie de la transplantation des immigrants en Amérique l'idée que leurs traditions culturelles étaient menacées par les assauts de la modernité et l'analyse des stratégies collectives de reconstitution d'un ensemble ethnique comme principe de défense et de résistance (Handlin, 1951 ; Bodnar, 1985). L'analogie avec le Québec est pertinente mais a ses limites évidentes, bien que le débat demeure vif pour évaluer comment des quasi-groupes que sont les formations immigrantes se mobilisent pour bloquer l'assimilation. Les francophones du Québec sont dans une situation géo-historique qui leur permet d'instituer une communauté ethno-nationale au nom de la fiction des origines et de l'invention d'une tradition civile dans un espace qu'ils revendiquent. Ce procès de nationalisation des sujets passe par la capacité de l'État de devenir un « substitut monothéiste » [4], de produire des emblèmes de ralliement et des récits où les assignations sont multiples. C'est dire l'importance des fictions fondatrices dans la structuration de l'espace national au Québec où coexistent des legs civilisationnels variés et une « région culturelle » dominante, selon les termes de Tremblay (1983 : 83). 

Dans des termes différents, Smith (1990 : 181) montre comment la constitution d'un sens à l'appartenance nationale a varié considérablement selon l'ethno-histoire de chaque communauté imaginée [5], mais que, dans tous les cas de figure, un centre ethnique s'est imposé comme modèle universel dans la tradition civique et républicaine. La situation contemporaine est beaucoup plus fluide à mesure que la globalisation économique, la transnationalisation des flux migratoires et la célébration de l'ethnicité aiguisent des mouvements multiformes de luttes pour la reconnaissance, tant au sein d'États-nations constitués que dans ceux en devenir. L'indétermination identitaire comme la surenchère des appartenances est au coeur des transformations de la modernité, comme le signale Tremblay (1983 : 219), quand il parle à la fois d'ethnicité et de nation québécoises, notifiant grâce à cette oscillation l'ambiguïté discursive des Québécois francophones : « trop définis par rapport aux autres et point suffisamment par rapport à nous-mêmes ». 

Ce rapport d'hétérodésignation que l'on peut déceler dans des situations de minorisation a son efficacité propre dans la mémoire collective et dans la façon dont le passé a été transposé dans le présent. La mobilisation ethno-nationale depuis plusieurs décennies a certes provoqué des ruptures et redéfini les frontières. Le passé demeure toutefois un souvenir-écran, un moyen d'écrire au présent une autre histoire, qui se projette dans un avenir où la reproduction d'une nationalité québécoise semble moins menacée (Létourneau, 1992). Par contre, si la fidélité à une appartenance est un moyen de conjurer l'oubli et de raviver la mémoire d'une communauté de destin, l'histoire doit être capable de repenser les transformations croisées des univers symboliques des Québécois francophones, des immigrants et des autochtones. Tâche difficile à laquelle devraient se consacrer historiens et anthropologues pour saisir le pluralisme constitutif et constituant de la culture québécoise et les raisons qui expliquent pourquoi la persona ficta de la nation, telle qu'elle est énoncée par les programmes politiques, ne suscite pas les mêmes effets d'interpellation pour les uns et les autres. 

Limitons-nous ici à la question immigrante. L'immigration a toujours été un terrain contesté entre les deux sociétés qui forment le Canada. Les enjeux qu'elle pose aujourd'hui l'étaient déjà entre les deux guerres mondiales, alors qu'affluaient les immigrants de l'Europe de l'Est et du Sud. Le débat sur la langue, le déclin démographique du Québec et l'école interpellent les intellectuels et les élites politiques et cléricales. D'aucuns envisagent dans plusieurs livraisons de l'Action nationale l'assimilation des immigrés pour endiguer la minorisation des francophones. Déjà aussi, l'on perçoit les lignes de fracture dans l'espace montréalais où, en 1945, 13 % de la population est d'origine immigrante. En effet, la segmentation ethnique et linguistique du marché du travail, la ségrégation spatiale sont des réalités structurelles à cette époque. 

Si tel est le cas, si les enjeux sont déjà nommés, quels changements sont opérés dans l'affirmation du néonationalisme au Québec ? Assistons-nous à des modifications structurales dans l'ordre du discours sur l'Autre ? Pour aller à l'essentiel, disons que, depuis 30 ans, le Québec a été le théâtre d'une mobilisation des ressources politiques, économiques qui visait à rompre ou à modifier le pluralisme vertical canadien. 

Dans ce débat qui perdure, le poids démographique des francophones et les tensions linguistiques ne prennent tout leur sens qu'à Montréal qui est en quelque sorte « l'envers » du Québec. En effet, Montréal concentre 86 % de la population immigrée au Québec et 91 % des personnes d'origine ethnique autre que française, britannique ou autochtone. Certes, la législation sur la langue et le contrôle partiel de l'immigration depuis 1977 ont limité l'anglicisation qui avait cours jusque là, sans pour autant créer un espace de représentation où les citoyens de toutes origines puissent forger une civilité qui les rassemble. La redéfinition des frontières entre francophones et allophones est en effet au-delà du seul champ linguistique. Elle se constitue graduellement dans le cadre urbain, grâce à des transactions qui modifient ici les techniques du corps et là les rites alimentaires, en dépit des séparations écologiques, des stratifications occupationnelles ou des trajectoires distinctes dans le système scolaire. Sans doute à Montréal plus qu'ailleurs, la cohabitation pluriculturelle est un « ordre négocié », fait de relations d'évitement et de proximité, de zones de passages et de territoires investis. La structure urbaine montréalaise est un assemblage de fragments, de villages dans la ville. Elle est zonée non seulement selon l'échelle des revenus et la langue, mais aussi à travers une appropriation ethnique de l'espace qui peut être l'objet de conflits. (Pensons au conflit de Saint-Léonard ou aux incidents avec des Hassidim à Outremont, Elbaz, 1990 ; Latouche, 1989). 

La structure ethno-résidentielle témoigne d'un procès de segmentation qui se reproduit tant à cause des liens transnationaux que maintiennent les immigrants que de la formation de « petites patries » dont la légitimité n'est contestée ni par les programmes du multiculturalisme canadien, ni par ceux décrits dans le Plan d'action à l'intention des communautés culturelles du gouvernement du Québec. Tout se passe comme si le dispositif communautaire était perçu comme une médiation institutionnelle pour l'insertion civique des immigrants, pour autant qu'ils fassent leur la langue française. Selon cette hypothèse, la langue et la culture sont dissociées et la ville devient un champ ouvert à l'expérimentation transculturelle. 

Dans un tel contexte, il n'est pas téméraire de penser que la communalisation territoriale et organisationnelle des immigrants redéfinit sans cesse la ville tout en étant définie par elle. Mais c'est aussi dire que la culture québécoise francophone est soumise du même coup dans et par la ville à une réinterprétation de son rapport aux Autres. Une telle proposition impliquerait de surcroît que la société québécoise tout entière est travaillée par ses marges ethniques à Montréal dont les membres, intégrés « instrumentalement » au pays d'accueil, ne le sont guère sur le plan « symbolique ». La singularité de la situation québécoise réside dans la fluidité des relations et la permanence du débat. En effet, la société québécoise est un espace ouvert sur le Canada et les États-Unis qui se projette dans la forme canonique de l'État-nation. En attendant, les uns et les autres, Québécois [6] et immigrants, interprètent différemment ce « comme si » il en était ou sera ainsi, ouvrant le champ à des transactions qui transforment imperceptiblement le rapport à soi et aux autres. Des questions sont laissées en suspens : où passe la frontière en « nous », entre « nous » et les « autres » ? Comment concilier l'appartenance ethnique et la civilité ? Des réponses à ces questions fondamentales peuvent être formulées à partir des travaux scientifiques et des débats publics qui se poursuivent depuis dix ans.

 

L'institutionnalisation du champ
des études ethniques au Québec :
thèmes et enjeux

 

J'avais soutenu, en 1983, que la question ethnique avait été occultée par les spécialistes des sciences sociales qui centraient alors leur attention sur la question nationale et la modernisation du Québec (Elbaz, 1983). Depuis, nous avons assisté à un renversement des tendances, à une redéfinition des enjeux et à une éclosion sans précédent de travaux et d'enquêtes, monographiques ou longitudinales, sur les divers aspects de la condition immigrante. La question nationale n'est plus le mode de lecture privilégié et n'occupe plus le terrain, comme le note Bourque (1990). Elle a été, pourrait-on ajouter, relayée par la langue et la démographie, par la ville comme lieu de concrétion nationale, alors même que le nombre d'immigrants a été inférieur à 20 000 chaque année jusqu'en 1987 et que les migrations inter-provinciales ont été réduites. Comment rendre compte de ce retournement de tendances ? Je vois trois raisons concomitantes pour l'expliquer. 

Premièrement, le développement des travaux sur les relations interethniques est un phénomène que l'on trouve dans la majorité des pays occidentaux. L'insertion d'immigrants du tiers-monde a entraîné une réflexion en termes nouveaux sur les conditions de cohabitation pluri-ethnique et donc sur le statut des immigrants dans l'espace urbain, culturel, politique. Elle réinterroge les majoritaires, leurs valeurs, leurs normes et pose de redoutables questions aux formes contemporaines de la citoyenneté et à l'intégration grâce au droit ou à la culture. Au Québec, le dédoublement des instances politiques vouées à l'immigration et au multiculturalisme se traduit non seulement par une définition des enjeux et des thèmes de réflexion, par le financement de la recherche, mais aussi par des discours paradoxaux. En effet, tout acteur dans le contexte canado-québécois est interpellé comme citoyen et comme ethnique, même et différent, renvoyant ainsi et aussi tout autre différend (de classe, de genre) vers le groupe censé être porteur d'une unité patente, déjà nommée et porteuse de sens pour soi comme pour les autres. Nous cultivons la différence au point de dire à chacun qu'il est ceci ou cela, et on pousse la désignation jusqu'à classer les gens : ceux-ci sont des communautés culturelles et ceux-là des minorités visibles. Que les appareils d'État procèdent ainsi pour établir des programmes et réguler les faits minoritaires n'est pas étonnant. Il est par contre déroutant que les spécialistes des sciences sociales se réapproprient des notions confuses qui renvoient les immigrants sur le marché des identités pour se définir et être définis. 

Deuxièmement, nous assistons au Québec comme ailleurs à une prise de parole sociale des groupes minoritaires qui n'est pas sans lien avec le contexte idéologique et politique évoqué précédemment. En effet, tant la formation d'associations pour la défense des droits des immigrés que des incidents dramatisés ont nourri parfois une guerre de fictions à laquelle les médias ont contribué. Quand nous pensons à des affaires comme l'afflux de réfugiés « vrais » ou « faux », la mort non naturelle de Griffin, le contentieux avec les Hassidim à Outremont ou la projection du documentaire Disparaître, nous voyons apparaître comme dans toute société la fascination et l'effroi mêlés devant l'étrange et l'étranger. Toutefois, il serait rapide d'induire à partir de ces cas que la tension interethnique et la discrimination sont aussi aiguës qu'on semble l'affirmer. Ce serait plutôt l'ambiguïté qui continuerait de marquer la conversation sociale et politique dans ce domaine (Gumperz, 1989). Il faut cependant s'interroger sur la frappe idéologique de certains mots et la tendance qu'ont majoritaires et minoritaires d'avoir recours à des superlatifs. Ce qui frappe, c'est que les lois et les institutions de ce pays, qui bannissent la discrimination, laissent en suspens des discours aberrants tels ceux de « raz-de-marée » ou « d'invasion » sur lesquels elles n'ont pas prise directement, mais qui banalement occultent les vrais enjeux (Van Dijk, 1991). Bien sûr, de tels propos peuvent apparaître anodins ou sensationnalistes, mais que dire alors quand on remue sans précautions des termes tels que « disparaître » ou des pronostics sur la dissimilation inévitable de certains groupes d'immigrants. Nous apercevons vite un autre paradoxe : la tentative d'inscrire les immigrants dans la différence culturelle ou somatique a ses propres effets de stigmatisation et d'hétérodésignation et aboutit à normaliser des identités, alors que l'objectif déclaré des gouvernements au Québec depuis plus d'une décennie est de se distancier de la logique de la « mosaïque verticale » canadienne (Gay, 1985 ; Helly, 1993). 

Troisièmement, les paradigmes qui avaient dominé la scène intellectuelle jusqu'aux années 80, le fonctionnalisme et le marxisme, ont été abandonnés ou réinterprétés, ce qui ouvre la voie à des théories à portée moyenne qui réhabilitent l'enquête et l'interprétation fondée. La majorité des travaux récents portent sur la forme urbaine jadis étudiée par l'École de Chicago. Il n'est pas étonnant qu'il en soit ainsi puisque cette école a expérimenté tout le répertoire des thèmes analysés aujourd'hui : étude des enclaves ethniques, des quartiers socialement hétérogènes, des cycles relationnels qui trament les trajectoires entre immigrants et nationaux, isolement, contact, compétition et accommodation. Nous sommes aussi légataires d'un certain nombre de notions de cette école, telles celles de communauté, de marginal ou d'étranger, et également de quelques techniques : l'enquête longitudinale, la méthode documentaire, les histoires de vie ou encore les biographies sociales. 

La réflexion est centrée sur deux axes : institutionnaliste et culturaliste. Sous le premier vocable, nous référons aux études sur la communalisation politique, nationale et transnationale des immigrés et à la régulation politique des procès d'intégration et de différenciation. Les études portent désormais sur la division culturelle du travail, la compétition économique entre « nationaux » et « ethniques », la formation de minorités d'intermédiaires et d'infra-sociétés, soudées par des marques et déterminées par des trajectoires socio-identitaires. On se distancie donc du progressisme pour établir sous quelles formes et dans quelles conditions la fragmentation urbaine trame les luttes pour la singularité culturelle, dans les domaines de l'éducation et de la distribution des ressources économiques et politiques. L'anthropologie sociale fournit des interprétations culturalistes, tant des formes élémentaires de l'ethnicité (Geertz, 1963) que de ses variations cognitives (Barth, 1969 ; Wallman, 1986) et invite à reconsidérer les logiques modernistes, qui avaient misé sur le passé en ruine de nos appartenances imaginées et imaginaires. 

Dès que nous nous penchons sur les travaux et les enquêtes menés depuis une décennie, nous constatons l'état éclaté de nos références théoriques et l'inexistence de passerelles entre les disciplines. Il est difficile de passer en revue thèses et recherches, thèmes et enjeux, méthodes et problématiques dont une partie est consignée dans onze numéros spéciaux de revues publiées au Québec. Plusieurs travaux, notamment celui de Juteau (1990), ont déjà dressé les éléments de ce bilan. Qu'en retenir pour notre propos : 

1. L'analyse des trajectoires sociales, des pratiques d'insertion dans l'espace habité, des réseaux associationnels ou transnationaux, de la segmentation du marché du travail sur une base ethnique et linguistique est menée par plusieurs chercheurs en centrant l'attention sur un ou plusieurs groupes minoritaires. Nous n'avons pas à ce jour un travail systématique qui tienne compte de la période d'immigration, du capital économique et culturel, de l'ethnicité, de la classe et du genre et qui compare minoritaires et majoritaires selon les cycles de vie. 

2. L'étude des communautés est plutôt prolifique. Ces monographies sont de type historiographique ou sociologiste. Elles portent sur la majorité des minorités ethniques au Québec : Arabes, Chinois, Grecs, Haïtiens, Italiens, Juifs, Latino-Américains, Portugais, Vietnamiens et Cambodgiens. Il est difficile d'en dégager des lignes de force sinon qu'elles nous informent à des degrés divers que toute communalisation ne se réalise pas sans failles ni contradictions, qu'il y a lieu de distinguer le discours des élites ethniques de la culture immigrée et qu'enfin nous devons tenir compte que les migrants sont moins victimes qu'acteurs, qu'ils définissent une situation tout en étant définis par elle. Si nous acceptions ce dernier postulat, il y aurait alors lieu de comprendre de façon beaucoup plus serrée la réinterprétation à laquelle procèdent les migrants dès qu'ils s'ethnicisent et de déchiffrer par conséquent le répertoire d'idées et de pratiques qui leur permet de recomposer une mémoire et une identité. Sans doute, là encore, l'analyse comparée aurait l'avantage de nous signaler les raisons historiques et sociales qui induisent ici une forte complétude institutionnelle et là au contraire une dispersion et une relative « invisibilité ». Du coup, on acceptera alors, comme le souligne Rex (1986), qu'à moins de dresser une frontière juridique ou somatique, les ensembles immigrants sont des quasi-groupes, des infra-sociétés dont l'acculturation se réalise par le passage obligé des générations (Elbaz, 1993). 

3. Les travaux sur des questions catégorielles et sectorielles ont connu une certaine amplification qui tient en partie aux rôles de l'État assuranciel [7] dès qu'il s'agit des services sociaux, du système scolaire ou des programmes de justice compensatoire. Les thèmes traités portent sur les minorités visibles et l'action positive, les femmes immigrées et le cumul des statuts minoritaires, les personnes âgées, la santé mentale des migrants, les entrepreneurs ethniques, les itinéraires scolaires et l'éducation interculturelle, les secondes générations d'immigrants. La question de l'intégration se joue en effet dans la socialisation des jeunes, et le travail entrepris dans cette perspective pourrait mieux nous éclairer sur l'avenir des relations interethniques et sur la capacité des institutions à dresser des sujets à l'amour politique, pour paraphraser Legendre (1976). Par contre, l'univers politique des immigrants ne semble pas d'un grand intérêt tant à cause de la fixité tendancielle de leurs options électorales que de leur subordination par élites ethniques interposées à des machines politiques. Il faut dire aussi que leur dépendance d'institutions municipale, provinciale et fédérale limite une autonomisation ou la formation de blocs de pression ethniques, comme l'ont réalisée les anglophones du Québec. Il y aurait lieu, toutefois, d'étudier la socialisation politique des adolescents et de décrire de manière plus raffinée les représentations réciproques des majoritaires et des minoritaires. 

4. La régulation étatique du fait minoritaire est concomitante de la politisation des processus distributifs dans les États providence. La nationalisation des sujets Canadiens français suit les cycles de la citoyenneté que nous connaissons depuis le siècle des lumières : citoyenneté politique et sociale, exigences de démocratie culturelle. L'indétermination des procès de reconnaissance des particularités historiques dans le Québec contemporain accentue la dissociation entre nationalisation et ethnicisation, l'agir ethnique et le projet national. Dans ces conditions, la réflexion est relancée sur les rapports entre l'État et l'ethnicité, les fondements du multiculturalisme francophone et l'espace de la démocratie (Helly, 1993 ; Vincent, 1992). 

On concédera qu'il serait hasardeux de dresser quelque typologie des modèles théoriques ou des concepts que nous employons. En 1983, j'avais repéré quatre perspectives : écologiste, culturaliste, politiste et sociologiste (Elbaz, 1983). Depuis, de nombreux débats sur le thème du pluralisme, de la catégorisation, des rapports complexes entre classe, genre et ethnicité, de la communication intersubjective dans la fabrication des identités ont élargi les références. Nous sommes beaucoup plus sensibles à la thèse postmoderniste qui réitère à sa manière que toute culture est un texte ouvert à l'interprétation et qui nous convie à une déstructuration des énoncés par lesquels nous saisissons l'Autre. En effet, nous vivons une période confuse où il n'est plus de mise, devant les insuffisances de la théorie marxiste, de s'y référer. Pourtant, bien que le marxisme ait perdu du terrain, il demeure central pour comprendre la circulation internationale de la force de travail, le fractionnement des classes ouvrières et l'émergence de sociétés-monde [8]. Il importe cependant moins de construire quelque grande théorie que de reconnaître l'ethnicité non comme un épiphénomène ou un donné sui generis, mais plutôt comme un discours et une pratique sociale situés, un effet structural qui a sa propre autonomie et son efficacité. Nous devrions dans ce domaine pratiquer l'art du soupçon, en nous interrogeant moins sur ce qu'est l'ethnicité que sur comment elle se forge. À quoi renvoie un tel titre majestueux : la culture et/ou l'idéologie, une origine, un statut, le népotisme ou le rapport au pouvoir ? Les conséquences méthodologiques d'un tel art du soupçon peuvent être repérées. Il n'y a pas lieu d'aplatir la réalité ethnique en l'assujettissant aux rapports sociaux de classe ou à quelque impératif culturel. Il faut plutôt pratiquer une analyse structurale et contextuelle qui fait intervenir les scènes multiples où le minoritaire construit son univers et nous distancier de la pensée dominante des ingénieurs du social. Ce mode de lecture classique a déjà trop servi pour tant d'exclus femmes, délinquants, autochtones, fous que nous voilà pris dans l'engrenage traditionnel face aux immigrants. Nous nous interrogeons comment les intégrer et en faire des quasi-semblables alors que l'enjeu ne réside pas seulement sur le terrain de l'action sociale mais aussi sur la nécessaire transaction entre nos règles et les leurs. 

Une telle interrogation est inséparable des luttes pour la reconnaissance culturelle, qui prennent le relais des conflits de classe de l'âge industriel et qui nous imposent de repenser l'universalisme abstrait et le bien commun (Taylor, 1994). Le débat est ouvert sur les orientations des programmes de l'éducation et les prétentions de l'État à dire ce qu'est la langue légitime ou à prescrire un héritage culturel déterminé. Face au métissage culturel qui se profile, on peut craindre tant une reféodalisation du système social que des réactions intégrales et normalisatrices. Il est possible toutefois de réfléchir autrement sur la subjectivité, individuelle et collective, et sur l'exigence d'un espace public où les cultures coexistent et dialoguent sur leur appartenance et non-appartenance à la communauté imaginée. 

 

Citoyens et/ou ethniques
au Québec demain ?

 

J'ai souligné d'emblée à plusieurs reprises que les immigrants étaient pour des raisons historiques et sociologiques dans une position de tiers exclus-inclus. Les discussions et les recherches qui se mènent conjuguent à leur manière la culture et nous disposons au moins de quatre modèles : le multiculturalisme, la convergence culturelle, l'interculturalisme et le transculturalisme. Chacun de ces modèles prend implicitement la culture comme axe organisateur des rapports entre la société civile et l'État, sans s'interroger sur les valeurs qui fondent le bien commun. La logique assimilationniste semble ainsi être écartée comme finalité du procès d'intégration des immigrants et on admet donc que le métissage culturel des groupes peut avoir lieu, sans que les parties constituantes ne renoncent à leurs singularités culturelles. 

Le Canada a été un des premiers pays à prôner le multiculturalisme comme principe de construction d'un espace national et civique, où les différences sont affirmées et valorisées comme mode d'incorporation égalitaire de groupes variés. L'élargissement de droits culturels aux immigrants et aux ethniques dans les Chartes, fédérale et provinciale, légitime la formation d'une démocratie communautaire où les tensions entre l'individualisme héroïque et les célébrations communales sont maintenues et reproduites dans la cité postmoderne, sans que par ailleurs les revendications régionales et nationales ne perdent de leur ampleur. La compétition entre nationaux et ethniques est vive sur le front constitutionnel, où la demande de reconnaissance du Québec semble contrecarrée par le principe de régulation symétrique de tous les faits minoritaires (Laforest, 1992). Depuis 1976, le Québec a tenté de se distancier du projet multiculturaliste, en suggérant une vision mitoyenne qui combine pluralisme culturel et intégration nationale sous le vocable de la convergence culturelle entre les majoritaires et les minoritaires. L'idée centrale de ce courant est de fonder un espace national où les valeurs, les normes et l'héritage historique des Canadiens français soient le pôle dominant d'une civilité émergente, sans qualifier symboliquement les narrations croisées de cette convergence et les mythes fondateurs d'une sociation plurielle. Les contraintes institutionnelles et socio-historiques, qui reproduisent la distinction ethnique et sa politisation, sont telles que la convergence culturelle s'est avérée un multiculturalisme francophone dans les principes directeurs du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec. La difficulté ne réside pas seulement dans l'absence de souveraineté pleine et entière, mais dans le fait que la ville est fragmentée et que les récits fondés sur l'unité nationale, culturelle et civique sont critiqués par des ensembles ethnicisés et racisés, dont l'idéologie de ressentiment se traduit par la revendication de droits, dans divers domaines de l'espace public. Dans ce contexte, le Québec devient une terre fertile aux expérimentations qu'on discerne dans le mouvement interculturaliste dans l'éducation ou dans les tentatives de cerner l'hétérogénéité constitutive de la mémoire nationale. La question identitaire déborde ainsi de partout, laissant en suspens la discussion sur une citoyenneté civique où la transaction transculturelle a pleinement sa place (Tassinari, 1989). 

Dans ce débat difficile, il faut revenir au projet libéral démocratique, qui fonde l'intégration des citoyens par le droit, et débusquer ses potentialités pour le Québec dans l'avenir. L'invention démocratique a conjugué libéralisme et pluralisme avec ce paradoxe saisissant que l'idéologie individualiste n'est devenue une pratique expressive et personnalisée que dans les États assuranciels où nous vivons (Friedman, 1990). En effet, constitutions et chartes sont désormais interpellées par l'individu-citoyen qui exige d'être reconnu égal en droit et en dignité, à la fois singulier et semblable. Toutefois, la révolution démocratique suscite la difficulté de transiger la liberté individuelle avec une vision riche du droit et du politique recouvrant un nombre croissant de rapports sociaux qu'on désignera de « communautaires », rapports entre majorités instituées et catégories sociales exclues ou stigmatisées, rapports entre genres ou groupes ethniques. Divers auteurs critiquent l'individualisme libéral en posant la référence au « bien commun » comme forme spécifique qui permet de nouer la liberté individuelle, l'équité et le pluralisme (Barber, 1984 ; MacIntyre, 1984 ; Taylor, 1989 ; Walzer, 1983). L'enjeu de ce débat demeure évident : comment poser en termes adéquats les droits et les obligations qui fondent le bien commun ? Quelle sera l'instance tierce qui bornera les limites ? Comment concevoir les minorités et les cultures comme des « ordres juridiques » et penser leurs droits ? (Fenet, 1985 ; Rocher, 1988). Comment promouvoir activement des changements sociaux et légaux sans remettre en cause les distinctions nécessaires entre le public et le privé, la séparation des marques culturelles ou religieuses de l'État ? (Helly, 1989 ; Simonis, 1991). 

La question que nous posent les singularités ethniques ou de genre tient à ceci : comment étendre les droits démocratiques à ceux qui en ont été exclus sans réintroduire les marques distinctives dans la fabrique de l'État ? Autrement dit, comment transiger les droits des majorités instituées avec ceux des groupes minorisés de telle manière que l'identité des uns et des autres en soit transformée ? Il s'agit donc moins de rejeter l'universalisme que de prolonger sa signification en reconnaissant qu'une démocratie plurielle n'est pas un assemblage corporatif de mouvements catégoriels mais plutôt un espace politique éclaté et hétérogène, multiple et non harmonieux où cohabitent des groupes particuliers mais non particularisés (Cornell, 1992 ; Mouffe, 1993 ; Walzer, 1992). 

On contestera une telle thèse en remarquant que le propre de tout nationalisme est d'être un égalitarisme exclusif. Pourtant, plus que jamais nous devons faire nôtre un axiome inscrit dans la civilisation marchande : le propre de toute culture, c'est de n'être soi que dans un écart avec soi. Elle ne peut être « nous » qu'en assumant qu'elle est travaillée par la différence et le différend. C'est aussi le propre des acteurs de nier ou de vivre péniblement un autre principe : que chacun de nous ne trouvera sa liberté qu'en acceptant qu'il est un étranger pour l'autre, à la fois semblable et singulier. À partir de là, tout devient imaginable : des intersections signifiantes entre groupes qui n'enferment pas leurs membres dans une identité close sur elle-même (voir à ce sujet les travaux de Derrida, 1993 ; Kristeva, 1988 ; Young, 1990). 

Comment traduire ces principes pour le Québec de demain ? Le consensus sur la langue semble non négociable tandis que les discours sur la place des immigrants dans la cité demeurent ambigus et contradictoires. Dans le débat qui s'amorce sur l'avenir constitutionnel, il ne serait pas inopportun de viser à l'intégration des immigrants par le droit plutôt qu'à travers leurs marques culturelles ou somatiques. Dans un tel cas figure, l'héritage d'une référence est traversé par des ambivalences portées par des citoyens dont les histoires hétérogènes nous réinterrogent sans cesse sur le temps, le lieu et l'identité. c'est grâce à des compromis, des emprunts mais aussi des résistances que se fabrique la société québécoise. L'urgence n'est pas d'instituer un savoir sur les « ethniques » mais de déchiffrer les permutations entre les catégories qui font ce que nous sommes sans que nous ayons choisi de l'être.

 

Références bibliographiques

 

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[1] Une première version de cet article a été soumise lors du colloque du Regroupement québécois des sciences sociales à Montréal, en octobre 1990. Je tiens à remercier Denise Helly, Ruth Murbach et Yvan Simonis pour de nombreuses discussions qui ont infléchi ma réflexion dont, il va de soi, j'assume ici la seule responsabilité.

[2] Le consociationnalisme réfère à la présence, dans un État, d'infra-sociétés clivées par la confession, la langue, la nationalité ou l'ethnicité. Leur coexistence se traduit souvent par des tensions communales et une régulation constitutionnelle du pluralisme dit vertical. Pour plus de détails voir Elbaz (1985).

[3] La question des fondements de la légitimité politique de l'État moderne comme « lieu vide » est précisée par Lefort (1981).

[4] Expression empruntée à Pierre Legendre (1986).

[5] La notion de communauté imaginée a été développée par Anderson (1983). Pour un contrepoint analytique, voir Greenfeld (1992). Dans son ouvrage récent, Dumont (1993) suggère la notion de référence pour situer la narration de la nation canadienne-française et québécoise. C'est sur ce terrain des fictions fondatrices que nous avons à déconstruire ce qui a été hérité et ce qui est réinterrogé et recomposé par la présence de langues et de traditions dans les ethno-histoires croisées des Canadiens français et anglais, des immigrants et des Amérindiens au Québec.

[6] Je laisse à dessein la nationalité québécoise ouverte à une transfiguration symbolique et politique, tant il est vrai que c'est cette tension qui est féconde. En effet, qualifier c'est opter pour un recouvrement de la nationalité par la citoyenneté, ce que fait la tradition républicaine française. Faire appel aux origines (la « souche », les Canadiens français), c'est tracer une détermination bio-culturelle qui occulte la recomposition hétérogène de la « communauté imaginée » et induire des conséquences sur un projet civique dans l'A-venir. La situation au Québec conjugue anthropologiquement ce que d'aucuns séparent : ethnicité, nationalité, citoyenneté et autochtonéité. Le reconnaître nous forcerait à inventer une tradition civique où les particularités collectives sont reconnues, sans pour autant que l'État ne cesse d'être un lieu vide (voir à ce sujet Elbaz et Murbach, 1991).

[7] Terme emprunté à Ewald (1986).

[8] Par sociétés-monde j'entends la formation de diasporas et la constitution de communautés transethniques. La métropolisation du monde et la fragmentation urbaine sont des procès concomitants, comme le notait Williams (1973), qui signalent des flux, l'indétermination identitaire et la difficulté d'énoncer une fiction persuasive fondée sur une communauté opérante. La périphérie comme les marginaux sont désormais au centre, subvertissant ici les techniques du corps et là les sons et les rituels commensaux, récitant d'autres histoires, parlant d'autres voix qui nous disent imperceptiblement la contingence de notre monde.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 décembre 2007 7:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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