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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gilles Dussault, Les producteurs de services sociosanitaires (1994)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gilles Dussault, Les producteurs de services sociosanitaires. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Vincent Lemieux, Pierre Bergeron, Clermont Bégin et Gérard Bélanger, Le système de santé au Québec. Organisations, acteurs et enjeux. Chapitre 9, pp. 193-212. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1994, 370 pp. [Autorisation formelle de l’auteur accordée le 15 mai 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

La production de soins et de services de santé consomme une part importante de notre richesse individuelle et collective (autour de 9,5 du produit intérieur brut du Québec en 1992). Ces sommes sont consacrées à l'achat de services d'experts qui affirment posséder des connaissances et des compétences les rendant capables de répondre aux besoins de santé des individus. La grande majorité de ces experts invoquent les fondements scientifiques de leur savoir pour légitimer leur statut de « producteur » de services de santé. Cette légitimité leur est d'ailleurs reconnue de diverses façons : par la loi, pour ceux qui sont reconnus par le Code des professions (L.R.Q., c. C-26) qui va jusqu'à leur accorder le monopole d'exercice de certains types d'activités ; de facto, par les organisations de soins qui les embauchent ou par l'État qui subventionne leur formation dans les établissements d'enseignement reconnus. On trouve dans ces catégories, au Québec, 22 « professions » auxquelles on reconnaît des privilèges d'utilisation de titres [1] et d'exercice exclusif [2], et une cinquantaine d'autres occupations, dont les membres exercent dans les services de santé et les services sociaux. 

La production n'est toutefois pas limitée aux services de ces « producteurs reconnus ». Il y a toujours eu d'autres producteurs, dont le savoir avait une base empirique ou autre que scientifique (ésotérique, révélée, etc.), qui offraient leurs services en marge du système de soins officiel. Ce sont les rebouteurs, les guérisseurs, détenteurs d'un « don », et bien sûr les charlatans de tout acabit. On doit aussi inclure, dans cette catégorie de producteurs non reconnus, sans toutefois les assimiler aux premiers, ceux qui se réclament d'une autre rationalité que celle qui a dominé nos représentations de la santé et de la maladie sous l'influence de la médecine allopathique. Ce sont ces « experts » qui définissent leurs services tantôt comme alternatifs tantôt comme complémentaires à la médecine orthodoxe ; les plus connus et les plus consultés sont les acupuncteurs, les homéopathes, les naturopathes, les herboristes et plusieurs variétés de psychothérapeutes. Leur nombre est difficile à établir puisqu'ils pratiquent sans reconnaissance légale et sont donc potentiellement sujets à des poursuites ; on s'accorde toutefois pour dire qu'à partir du début des années 1970, ils ont crû en effectif de façon soutenue (Dussault et al., 1988 ; Rousseau et al., 1991). Avec les producteurs reconnus, ils forment ce que nous pourrions appeler le secteur formel de la production de soins. 

La production informelle, qui constitue la face plus ou moins cachée du système de soins, représente probablement la part la plus importante, en quantité, des soins et services consommés. On y trouve les services produits par le réseau primaire de soutien, formé des parents, des amis, de l'entourage immédiat, et par le réseau secondaire, formé des bénévoles des groupes communautaires, des associations d'entraide. L'ampleur de cette production, de même que son efficacité, sont mal connues. On commence à peine aussi à essayer de mieux harmoniser cette production informelle à l'autre plus formelle. En fait, le secteur informel est particulièrement valorisé, depuis deux décennies surtout, étant vu comme pouvant compenser « les failles du système » de soins officiel (Dumais et Lévesque, 1986) et comme favorisant la prise en charge individuelle des problèmes de santé et la réduction de la dépendance à l'endroit des experts, qui sont deux valeurs devenues importantes dans notre société. 

Dans le présent chapitre, nous limiterons la discussion au secteur formel de la production sanitaire. Nous en décrirons l'évolution récente, à partir des données disponibles, qui ont malheureusement de nombreuses limites, et nous dégagerons les principaux enjeux, que soulèvent les tendances observées, pour l'avenir de la production des services sociosanitaires et pour la santé et la qualité de vie de la population. 

Plusieurs raisons devraient nous inciter à mieux connaître les caractéristiques des producteurs de services de santé. C'est le bassin de producteurs (nombre total d'individus), sa composition [3], son évolution qui déterminent la capacité théorique ou potentielle de production. La production réelle dépend du comportement des producteurs et de leurs décisions quant à leur lieu d'installation, au nombre d'heures travaillées, au style de pratique. En connaissant mieux les facteurs qui font varier le bassin de producteurs et les comportements de ceux-ci, on peut mieux prévoir, et éventuellement influencer l'offre de services. 

Dans la mesure où on adhère à l'objectif d'offrir des services qui sont congruents aux besoins, il importe d'abord de connaître la capacité productive, dans ses dimensions autant qualitatives que quantitatives ; ensuite il faut pouvoir l'ajuster aux besoins, par exemple en modifiant le bassin (augmenter/diminuer le nombre de producteurs en ajustant le nombre de places de formation ou d'immigrants), en influençant les processus de formation pour agir sur les compétences et les attitudes. 

Dans les faits, cela reste un idéal difficilement atteint. D'abord, la connaissance des besoins en services est limitée par l'absence de données épidémiologiques [4] et l'absence de consensus sur ce qu'est un « besoin ». Les producteurs, les utilisateurs, l'État, les organisations qui assument la charge financière des services, ont des visions différentes de ce qu'est un « besoin ». On peut illustrer cette affirmation avec l'exemple du débat sur l'opportunité d'offrir le service de sages-femmes (Bardy, 1988), qui dure depuis le milieu des années 1970 et qui ne semble pas près d'une solution consensuelle. Ensuite, il n'est pas facile d'agir sur l'offre de services. La division et l'organisation du travail sanitaire sont fortement réglementées (lois professionnelles, contrats de travail), et il est difficile, politiquement, de les modifier radicalement. Les producteurs forment des groupes d'intérêt qui se sont donné les moyens de résister aux pressions de ceux qui cherchent à influencer leurs comportements, leur mode de pratique. Par exemple, les médecins et les chirurgiens-dentistes ont résisté avec succès aux tentatives de l'État d'atténuer les effets indésirables de leur monopole d'exercice en leur imposant une obligation de délégation (Dussault et al., 1988). Il en va de même pour la modification des contenus et des processus de formation qui dépendent essentiellement d'établissements d'enseignement autonomes ; leur capacité, sinon leur volonté, de s'ajuster rapidement à des besoins changeants n'est pas toujours aussi grande que l'État, les producteurs ou les utilisateurs de services de santé pourraient le souhaiter. 

L'action sur l'offre de services est aussi limitée par notre ignorance relative de ses caractéristiques. On connaît bien les services couverts par le régime d'assurance-maladie du fait que les professionnels sont rémunérés à l'acte ; en présumant qu'ils réclament un paiement pour tous les actes exécutés et que ceux-ci ont été vraiment exécutés, on peut dire qu'on a une image exacte de la production de la plupart des services médicaux, de certains services dentaires et optométriques. Quant à la production non assurée, elle est plus mal connue : il faut se fier à quelques enquêtes, peu nombreuses, au cours desquelles on a essayé de mesurer et, plus rarement, de qualifier la production de services. Les services fournis par les producteurs non reconnus sont particulièrement mal connus. De plus, on ne connaît pas encore tous les facteurs qui influencent la productivité, ni ceux qui influencent les décisions des producteurs. On a observé des variations de comportement selon l'âge, le sexe, le mode de pratique, le lieu de pratique, les ressources disponibles, la formation reçue, mais il reste difficile d'isoler l'effet particulier de l'une ou l'autre de ces variables (Eisenberg, 1985). 

Les objectifs de ce chapitre doivent être vus comme plutôt modestes, eu égard à ce qu'il faudrait idéalement savoir sur les producteurs de services. Les données disponibles et leurs limites inhérentes [5] obligent à nous en tenir à un aperçu général de l'évolution des effectifs sanitaires. Dans un premier temps, nous examinerons l'évolution des effectifs du réseau des services sociosanitaires, en concentrant l'attention sur le personnel clinique. Une deuxième section traitera des professionnels reconnus par le Code des professions. À l'exception des médecins, il est impossible de savoir quelle est la disponibilité réelle de ces professionnels : celle-ci dépend du nombre d'heures travaillées, de la proportion d'heures consacrées aux services comme tels, du type de services offerts, des modalités d'organisation du travail, de la productivité. Malgré les limites des informations disponibles, nous dégagerons les tendances de l'évolution des effectifs sanitaires et nous discuterons des questions qu'elles soulèvent.


[1]    Diététistes ; ergothérapeutes ; hygiénistes dentaires ; infirmières et infirmiers auxiliaires ; inhalothérapeutes ; orthophonistes et audiologistes ; physiothérapeutes ; psychologues ; techniciens et techniciennes dentaires ; technologistes médicaux ; travailleurs sociaux.

[2]    Audioprothésistes ; chiropraticiens, dentistes ; denturologistes ; infirmières et infirmiers ; médecins ; opticiens d'ordonnances ; optométristes ; pharmaciens ; podiatres ; techniciens en radiologie.

[3]    Par âge, par sexe, par occupation.

[4]    La première grande enquête de santé québécoise a été menée en 1987 (Émond et Guyon, 1988). Elle vient d'être reprise en 1992. Les autres données disponibles décrivent la mortalité, la morbidité diagnostiquée et l'utilisation des services : ces informations ne donnent qu'une image partielle des besoins, soit la partie qui donne lieu à des contacts avec le système de soins officiel.

[5]    Les données disponibles sur la main-d'œuvre du secteur des services sociosanitaires proviennent de sources multiples qui ne fournissent que des informations partielles sur le profil socioprofessionnel des personnes qui produisent des services. Il est impossible actuellement de tracer un portrait détaillé du bassin de producteurs et même dans certains cas d'en évaluer la taille exacte en nombre d'individus. Ainsi, la source principale d'informations sur les employés du réseau public, les statistiques de la Direction générale des relations de travail (DGRT) du ministère de la Santé et des Services sociaux, fournit les données en nombre de postes. Les données sont tirées des fichiers de paie des établissements du réseau (elles englobent la quasi-totalité des établissements Publics et autour de 95% des établissements privés conventionnés). Elles concernent les caractéristiques de la main-d'œuvre qui intéressent la gestion des conventions collectives (statut d'emploi, nombre d'heures travaillées, absences, etc.) ; il n'y a pas de données qui permettent de raffiner l'estimé de la production de services et de planifier les besoins en effectifs à partir de bases plus solides. Par exemple, il n'y a pas d'information sur les tâches elles-mêmes, ni sur la formation ou les expériences du personnel. Compte tenu de leur origine et de l'usage premier auquel elles sont destinées, les données de la DGRT peuvent être considérées comme très fiables. Quant aux producteurs qui offrent leurs services sur le marché privé, les informations à leur sujet sont encore plus limitées. Les sources principales sont les corporations professionnelles, au nombre de 22 dans le secteur sociosanitaire. Pour les producteurs non regroupés en corporation, il n'y a souvent pas d'information du tout. Parmi les corporations, celles dites de « titre réservé » ne regroupent pas nécessairement l'ensemble des personnes exerçant l'activité qu'elles réglementent. Il en résulte que les données qu'elles produisent sont forcément partielles, à un degré qu'il n'est pas toujours possible d'estimer. Pour les corporations « d'exercice exclusif », les données sont complètes puisque le droit d'exercer est lié à l'inscription à la corporation. Toutefois, la majorité de ces corporations ne fournit que les informations socio-démographiques de base (âge, sexe) ; peu de données sont recueillies sur les activités des membres de sorte qu'il est difficile d'estimer la production réelle de services. La Corporation des médecins fait exception, comme on le verra plus loin dans le texte.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 28 février 2008 13:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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