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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de René Durocher, “Une ou des histoires nationales”. Un article publié dans le livre sous la direction de Robert Comeau et Bernard Dionne, À propos de L'HISTOIRE NATIONALE, pp. 85-89. Montréal: Les Éditions Septentrion, 1998, 160 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par Robert Comeau le 4 novembre 2010 de publier tous ses écrits publiés il y a plus de trois ans dans Les Classiques des sciences sociales.]

René Durocher

“Une ou des histoires nationales”


Un article publié dans le livre sous la direction de Robert Comeau et Bernard Dionne, À propos de L'HISTOIRE NATIONALE, pp. 85-89. Montréal: Les Éditions Septentrion, 1998, 160 pp.



Avant de répondre à la question, il faut d'abord clarifier certains concepts, notamment ceux de nation, de peuple et d'État.

Je sais bien que dans les dictionnaires comme dans les traités de science politique, les mots peuple, nation, pays ont plusieurs sens et que très souvent ces mots sont associés au concept d'État souverain. Mais dans la vraie vie et dans le cours de l'histoire moderne et contemporaine, nous savons qu'il y a de nombreux peuples ou nations sans État et que les deux réalités sont distinctes, même si on les confond souvent jusqu'à les caricaturer dans une expression comme Nations Unies qui ne sont en fait que des États Unis.

Pour moi, nation et peuple sont d'abord des concepts sociologiques. Ainsi pour le Webster's Dictionary, une nation est « A stable, historically developed community of people with a territory, economic life, culture and language in common. » Pour le Petit Robert, un peuple est un « Ensemble d'êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d'institutions. » Nation et peuple sont aussi des réalités historiques, c'est dire qu'elles se sont construites dans le temps, qu'elles ont évolué et continuent de le faire. Bref, ce sont des réalités qu'on ne peut comprendre en dehors de leur contexte historique. C'est pourquoi d'ailleurs, l'histoire dite nationale est si importante.

[86]

Il y a de multiples façons de découper la matière historique. On peut choisir d'enseigner l'histoire de l'humanité, l'histoire de la civilisation occidentale, l'histoire des Amériques, l'histoire de l'Europe, l'histoire d'un pays en particulier, d'une région, d'une localité ou même l'histoire du Canada et du Québec ensemble, comme on le fait au secondaire IV ou séparément comme on le fait à l'Université de Montréal par exemple. Tout cela est légitime, à condition d'énoncer les raisons de son choix et les critères utilisés pour procéder à ce découpage.

Le critère prédominant peut être politique et territorial, par exemple l'histoire du Canada, l'histoire du Québec ; il peut être ethnique, par exemple l'histoire des Canadiens français ou l'histoire des Mohawks ; il peut être religieux, l'histoire du peuple juif ; il peut s'agir d'une combinaison de facteurs.

Cela étant dit, revenons au Canada, une ou des histoires nationales ? Il y en a autant qu'il y a de nations au Canada. Il peut y avoir une histoire nationale des Acadiens, des Canadiens français, des Cris (des autochtones), des Québécois et bien entendu des Canadiens. Les différentes histoires nationales se recoupent et se chevauchent. À chacun de déterminer si telle ou telle histoire est, pour lui, son histoire nationale.

Pour la plupart des Inuit, des Cris et des Mohawks, je doute fort qu'ils considèrent que l'histoire du Canada ou du Québec soient leur histoire nationale. De quel droit leur interdirait-on de considérer que leur histoire nationale est celle de leur peuple ?

Mais il n'est pas interdit non plus à quiconque de critiquer leur histoire, ni d'y contribuer. On peut même se permettre d'attirer l'attention des autochtones que c'est à leurs risques et périls s'ils se contentent d'une mythologie plutôt que d'une histoire ou encore que même s'ils déclarent qu'ils ne sont ni Canadiens ni Québécois, ils auraient tort s'ils vivent au Canada et au Québec d'ignorer l'histoire de ces peuples qui ont pesé et qui pèsent lourdement sur leur destin.

Le même raisonnement vaut pour les Québécois qui, par tous standards raisonnables, forment une nation - emboîtée ou annexée - à une autre nation. La nation québécoise correspond très bien tant aux définitions données par le Webster's ou le Petit Robert : un ensemble d'êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes et d'institutions. Cette nation québécoise n'est pas homogène, bien peu de nations - sinon aucune - ne le sont.

[87]

Cette nation québécoise, comme bien d'autres dans le monde, n'est pas un État souverain. Elle a cependant l'avantage d'avoir un État provincial doté de pouvoirs importants et d’institutions majeures comme une Assemblée nationale, un Code civil, etc. L’histoire d'un peuple est toujours en évolution ; pour Garneau, l'histoire nationale c'était l'histoire du Canada ; pour Groulx, l'histoire du Canada français ; pour les Linteau, Durocher, Robert et autres, c'est l'histoire du Québec.

Pour certains, l'histoire du Québec n'est que l'histoire d'une province (comme l'Île-du-Prince-Édouard ou de l'Ontario) ou l'histoire d'une région (comme l'Ouest ou les provinces de l'Atlantique). Pour ceux-ci, l'histoire du Québec ne peut être nationale parce qu'il n'y a pas telle chose qu'une nation québécoise, la preuve en étant qu'il n'y a pas d'État souverain québécois. Faut-il rappeler que l'État et la nation sont deux réalités distinctes. Évidemment c'est plus simple de parler d'histoire nationale lorsque l'État et la nation coïncident, par exemple, au Japon, en Suède, aux États-Unis.

Les Québécois n'ayant pas un État souverain, ils sont membres d'une fédération qui a nom Canada. C'est pourquoi, ils ont un passeport canadien, ils sont représentés dans les organisations internationales par le Canada, ils ont comme chef d'État, la reine Élisabeth II, ils doivent respecter la Constitution de 1982, même si l'Assemblée nationale du Québec ne l'a jamais entérinée, les jugements de la Cour suprême du Canada s'appliquent au Québec, etc.

Il n'en reste pas moins qu'il y a telle chose que l'histoire du Québec et qui n'est pas nécessairement l'histoire des Canadiens français du Québec. L'histoire du Québec, c'est l'histoire de tous ceux qui habitent le Québec, qui le façonnent et l'ont façonné, sans distinction de race, de langue ou de religion.

Et bien entendu, il y a aussi une histoire nationale du Canada, car il y a une nation canadienne. Il y a même un État canadien jouissant de la pleine souveraineté. Tous les habitants du Canada sont « officiellement » membres de cette nation. Ils ont un passeport canadien, ils paient des taxes au Canada, sont soumis à ses lois. Sous peine de s'exiler ou de devenir apatrides, nous ne pouvons renier notre citoyenneté canadienne.

Pour certains, le Canada est né avec la Confédération de 1867, pour d'autres avec l'Union de 1840, pour d'autres encore avec Jacques Cartier et Champlain.

Chacun est libre de considérer que son histoire nationale est celle du Canada ou celle du Québec ou celle des Mohawks. Où est le problème ?

[88]

Le problème majeur semble être que les Canadiens ignorent leur histoire. Sous-entendu s'ils connaissaient leur histoire, ils pourraient mieux s'entendre sur ce qu'ils sont et résoudre les problèmes qui les divisent. Sur l'ignorance générale du passé, on peut facilement faire consensus. Sur les vertus magiques de l'histoire comme moyen d'unifier le pays c'est moins évident. Bien sûr, la connaissance vaut mieux que l'ignorance et elle peut nous aider au moins à mieux comprendre le point de vue de l'autre, même si ce point de vue n'est pas nécessairement partagé. La connaissance peut susciter des débats constructifs qui permettent d'éviter que l'histoire devienne mythologie.

Pour d'autres, le meilleur moyen d'amener une vision commune de l'histoire du Canada, c'est de prendre le problème à sa source, c'est-à-dire à l'école. On a rêvé autrefois, en certains milieux, d'un manuel unique qui serait imposé à tous les écoliers et étudiants du pays. Ce rêve à bien sûr avorté, et tant mieux. Aujourd'hui un Jack Granatstein dans son livre Who killed Canadian History ? propose l'élaboration de « National Standards ». Si les provinces canadiennes-anglaises veulent accepter de tels standards, grand bien leur fasse, mais il est certain que les Québécois les refuseront, encore qu'ils pourraient les utiliser à l'occasion ou élaborer leurs propres standards.

Au Québec, les programmes d'enseignement de l'histoire au niveau primaire et secondaire relèvent du ministère de l'Éducation, comme c'est d'ailleurs le cas dans chacune des provinces de la fédération canadienne ou de chacun des États chez nos voisins du Sud.

Donc au Québec, c'est le MEQ qui prend les décisions en matière d'enseignement de l'histoire. Il doit approuver le programme avec tout ce que cela implique : objectifs, découpage de la matière, place de l'histoire dans le programme, nombre d'heures qui seront consacrées à cette discipline, formation requise des maîtres, approbation des manuels, préparation de l'examen obligatoire de secondaire IV, etc.

Mais quand on dit le ministère décide, c'est un bien grand mot. Ainsi le programme est élaboré par une ou des équipes formées d'historiens, d'enseignants et de fonctionnaires. Les gens doivent dans leur travail tenir compte d'un grand nombre de facteurs : clientèle visée, nombre d'heures disponibles dans la grille-horaire, etc. L'équipe doit aussi prendre en considération les dimensions scientifiques, pédagogiques, socioculturelles et politiques d'un tel projet.

Une fois le projet de programme élaboré, il circule dans les milieux de l'enseignement et cela donne lieu à des consultations formelles et informelles ; [89] il arrive même que le projet soit discuté dans les médias. Il en va de même - mutatis mutandis - pour les manuels. Mieux encore, il peut y avoir plusieurs manuels agréés pour un même cours et des milliers d'enseignants, dans leur classe, ajoutent leur touche personnelle tant au programme qu'au manuel utilisés. Il est inévitable qu'un tel programme ne puisse satisfaire tous et chacun, et cela donne lieu à de vifs débats qui forcent le gouvernement à apporter des modifications. C'est ainsi qu'il doit en être dans une société démocratique.

Le Québec est une nation, avec ou sans souveraineté étatique complète. Mais le Québec ne peut pas ne pas tenir compte de son intégration dans le Canada et c'est pourquoi le programme d'histoire de secondaire s'intitule Québec-Canada.

Je pourrais en terminant citer Jack Granatstein (1998 : 17) :


If written and taught properly history is not myth or chauvinism, just as national history is not perfervid nationalism ; rather history and nationalism are about understanding this country's past, and how the past has made our present and is shaping our future.


Même si j'estime que mon histoire nationale est l'histoire du Québec, il importe de bien connaître l'autre histoire nationale parce que le Québec fait partie du Canada, de même que l'histoire des autochtones. Plus encore, tant l'histoire du Québec que celle du Canada et des autochtones doit reposer sur une connaissance de l'histoire universelle à la fois pour mettre en contexte notre propre histoire et ne pas oublier la commune humanité de tous les êtres humains de notre planète.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 27 mars 2012 12:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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