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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand Dumont, “Du début du siècle à la crise de 1929: un espace idéologique”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU CANADA FRANÇAIS, 1900-1929, pp. 1-13. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1974, 377 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 5. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[5]

IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS,
1940-1976.
Tome I: La presse — la littérature.

Une révolution tranquille ?

par Fernand Dumont

[pp. 5-31.]

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand DUMONT, “Une révolution culturelle ?” Un article publié dans l’ouvrage publié sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1940-1976, Tome I: La presse — la littérature. INTRODUCTION, pp. 5-31. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1981, 360 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 12. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]


I.  Une société à penser
II. Une société pensée
III. Une société pensée par qui ?

Au seuil de ce dernier volume sur l'histoire des Idéologies au Canada français, j'éprouve le malaise classique : comment l'historien ou le sociologue peut-il interpréter son propre présent ? D'autant plus qu'il s'agit d'idéologies, de tentatives pour une société de se penser elle-même. De quel droit survoler ces idéologies dont on est, quoi que l'on veuille, partie prenante ? Comment prendre appui ailleurs que dans quelque modèle d'intelligibilité qui serait de nulle part ?

Pourtant, le présent n'est-il pas une situation idéale pour comprendre le passé ? On s'y reconnaît un peu plus avancé, un peu plus haut que les hommes d'avant nous. Le privilège d'être vivant en confère un autre, celui d'expliquer les morts. Dans le devenir récent de la société, de la culture, de la pensée québécoises, ce vieux postulat a été singulièrement renforcé. En effet, la Révolution tranquille s'est voulue avant tout une rupture idéologique. Que l'on persiste à la dater des années 60 est, à soi seul, un indice fort significatif. De toutes les manières, nos idéologies ont affirmé ou insinué que, depuis vingt ans, nous sommes entrés dans un nouvel âge, absolument différent de tous ceux qui l'ont précédé : effondrement d'un espace idéologique ancien (l'ancien étant le plus souvent pris d'un seul bloc); commencement d'un avenir. À partir de cette conscience historique confusément élaborée au cours de la Révolution tranquille, on a bricolé une espèce de philosophie de l'histoire pour usage québécois : embrassant d'un coup le passé et le présent, on a réparti une période de la « conservation », une période du « rattrapage », une période (à venir) du « développement ». [6] Version domestique des trois âges d'Auguste Comte ? Ne serait-ce pas plutôt, et nous y reviendrons, l'idéologie-mère des idéologies québécoises contemporaines ainsi portées au plus bas niveau des phantasmes et au plus haut palier des rationalisations ?

Les idéologies des vingt dernières années sont toutes inspirées par ce postulat d'une brisure définitivement acquise. La société québécoise vivrait enfin au présent. Afin d'expliquer ce sentiment-là, il faudra des recherches à peine entamées : pour psychanalyser les idéologies, pour comprendre leurs avènements et leurs contradictions dans la vie quotidienne [1].

Un présent qui n'est que présent, comment le saisir ? Sinon en s'enlisant dans les idéologies qu'il produit, quitte à emprunter d'autres idéologies à d'autres sociétés pour un débat qui est pourtant en nous ? Échafaudages d'idéologies encore. À moins que la Révolution tranquille s'éloigne déjà de nous... En 1980, il semble que la Révolution tranquille soit terminée. À partir de quand ? On ne saurait le dire à si faible portée. Autour de 1968-1970 peut-être. En tout cas, les idéologies recensées dans le présent ouvrage s'essoufflent. Les artisans de ces idéologies s'en étonnent, tentent d'en poursuivre la course. Ce n'est pas la « fin des idéologies » promise naguère par certains ; cependant, il se pourrait que nous soyons à nouveau entre deux mondes. Une distance se produit ; la crise actuelle des idéologies de la Révolution tranquille invite à en faire l'histoire, à les interpréter.

On entrevoit quelle allure va prendre mon propos. Je ne résumerai pas l'énorme documentation réunie dans ce quatrième volume. Je ne tenterai pas non plus de dégager les constantes de la période étudiée ; l'excellent chapitre de mes collègues Hamelin et Montminy, publié ci-après, m'en découragerait. Profitant des incertitudes d'aujourd'hui, je m'attaquerai à des questions un peu démesurées : comment le Québec des quarante dernières années s'est-il offert au travail idéologique ? quels ont été les thèmes essentiels de ce travail ? quelle intelligentzia en a été l'artisane ?

[7]


I. - Une société à penser

Toutes les sociétés sont pensées, c'est-à-dire mises en retrait par des représentations. Celles-ci ne sont pas des reflets. Elles sont des compensations, des alibis, des dépassements, des anticipations. Elles obéissent à des impératifs de l'économie et des pouvoirs ; elles possèdent néanmoins leurs ressources et leurs mécanismes propres d'élaboration. Il faut admettre cette dualité (à repérer dans chaque cas, cela va sans dire) si l'on veut s'expliquer comment, enlisés eux aussi dans la production de la société par elle-même, l'historien et le sociologue entretiennent l'espoir de comprendre. Comment y arriveraient-ils sans que les idéologies, qui précèdent leur pensée et l'inspirent, ne détiennent quelque originalité parmi l'ensemble des phénomènes sociaux ?

Cette prégnance de l'idéologie (je ne dis pas son indépendance) est particulièrement frappante lorsque l'on considère le Québec des années 1850-1950. À tel point que la Révolution culturelle des dernières décennies a cru y trouver une caution. négative, un système à récuser pour s'affirmer dans sa différence. Certes, cet effort récent de négation a durci, afin de se mieux définir, l'espace idéologique ancien. Cette polémique n'a pu croître et proliférer sans que l'ensemble de la collectivité ne change ; mais elle ne s'explique pas sans qu'on tienne compte du fait que notre société d'aujourd'hui, autrement qu'autrefois sans doute, a continué d'accorder aux idéologies et aux idéologues une fonction prédominante.

Depuis le milieu du XIXe siècle s'est instauré un univers idéologique dont on a essayé de dire, dans les volumes antérieurs de cet ouvrage, les caractéristiques et l'emprise. Dans cet univers, une société a puisé sa justification, jusqu'aux références de ses conflits et de ses déchirements. Elle y a trouvé son sens. Comment ce sens-là s'est-il perdu ? Selon les premières apparences, il est facile d'en juger. Tout le monde dénonce aujourd'hui les vieilleries idéologiques ; les sciences humaines ajoutent à ce commun constat l'abondance de leurs commentaires. Le problème premier n'est pas là. Répétons-le : pourquoi ce sens ancien est-il devenu périmé, [8] pourquoi les idéologies se sont-elles mises en quête d'un autre sens ? Cet autre sens, pour lui être contemporain, n'est pas aux yeux de l'analyste des idéologies plus ou moins valable que l'ancien. Avant d'examiner s'il est plus adéquat, constatons d'abord qu'il est autre.

Les idéologies changent, entrent en crise, quand sont distendus leurs rapports avec d'autres pratiques sociales, en particulier celles des classes dominantes qui promeuvent leurs idéaux en définition officielle de la société. Les idéologies ne sont pas pour autant simple imposition des pouvoirs. Les idéologies d'hier, fanées à nos yeux, ont surgi dans des circonstances qui leur furent favorables. Il a fallu que la société en soit complice par sa structure, et non pas seulement par le jeu des opinions. Ensuite sont apparues des systématisations plus serrées. Plus loin encore, le système s'est transformé en alibi, répondant toujours à des exigences de la collectivité, mais se renforçant surtout de son propre effort pour surmonter ses contradictions. Finalement, est venue la dislocation... Ce schéma se retrouve partout dans l'histoire des arts, de la science, de la religion, des idéologies. Schéma utile, vu pourtant d'un peu trop haut, et qu'il faut reporter à des cas concrets. Que s'est-il passé dans le cas québécois ?

De ce que furent les processus de changement dans la vie quotidienne, nous savons peu de choses. Formulons d'élémentaires hypothèses de travail.

Au cours des années 30 s'est déroulé ce que j'ai appelé, dans le précédent volume de cette série, « la première révolution tranquille ». Crise économique en ce temps-là, crise aussi des idéologies traditionnelles. La garantie du nationalisme, du christianisme fut réaffirmée : non pas seulement selon les accommodements qu'exigerait une conjoncture d'exception, mais par un rajeunissement, par un recours à des ressources jamais aperçues jusqu'alors. Les idées des Jeunes-Canada, du Programme de restauration sociale, de la Relève (pour ne retenir que ces exemples parmi d'autres) n'étaient pas de simples survivances. Elles revivifiaient le vieux fonds sous la poussée d'un défi historique et par l'ouverture [9] à des courants de pensée extérieurs au Québec. Le transvasement de l'ancien dans le nouveau se reconnaît dans la littérature de cette époque. Époque de transition ? L'expression a trop servi pour que l'on s'en contente. La présence de l'ancien ne s'est pas dissipée au profit du nouveau. Celui-ci laissait voir un courant de très longue durée.

Les pensées qui ont fait surface au cours des années 30 représentaient non pas une liquidation des idéologies anciennes, mais plutôt le recommencement de leur déchiffrage. La guerre a accéléré ce processus, y a fait entrer des ingrédients inédits.

C'était la deuxième guerre mondiale, à quelque vingt ans de distance. La première n'avait pas manqué d'avoir des échos dans la société québécoise, de susciter des remous dans la vie quotidienne aussi bien que dans les idéologies. Les émeutes de 1917, la bataille de la conscription, l'ébranlement des empires ont fait renaître de vieux ressentiments et posé de nouvelles questions au nationalisme. On se souviendra que l'Action française (québécoise), que l'action publique de Groulx ont commencé par un constat d'après-guerre : l'enquête sur Notre avenir politique (1922) se justifiait, selon ses auteurs, par une menace de dislocation de l'Empire britannique ; il fallait en prévoir les conséquences pour la Confédération canadienne... Néanmoins, dans l'ensemble de la population, la première guerre mondiale n'a été perçue ici qu'à distance. Du moins à en croire Euchariste Moisan, le personnage principal de Trente Arpents. Albert, l'Étranger, vient de brosser un tableau des forces en présence dans ce gigantesque conflit. Euchariste songe : « La France ! Parmi tous les autres noms de pays, celui-là avait détonné un peu. Ce n'était pour lui qu'un nom, mais qui n'avait pas aux lèvres le même goût que les autres. Il n'était que se rappeler les vieux et leur façon, même les plus rudes et les plus hargneux, leur façon adoucie quand ils prononçaient ce nom soyeux, comme un nom de femme jadis aimée. Et, d'autre part, il y avait l'impossibilité surtout de concevoir ce qui se passait ailleurs, si loin d'ici, chez les hommes inconnus qu'agitaient des passions, des violences que jamais lui, Euchariste Moisan, n'avait [10] éprouvées. Comment ces gens-là pouvaient-ils songer à se battre alors que la moisson n'était pas encore faite [2] ? »

La deuxième guerre mondiale n'a pas aboli cet éloignement de la conscience. À première vue, elle a provoqué les mêmes réactions : refus instinctif dans le peuple québécois de participer à une guerre du lointain, rejet de la conscription, nouveau sursaut du nationalisme politique. Les circonstances et leurs répercussions dans l'opinion et les idéologies furent pourtant d'une autre teneur. Les journaux, la radio apportaient chaque jour, même dans les maisons du peuple, les échos de la grande bataille. Plus ouverts à l'espace international par les discussions politiques, religieuses, littéraires des années 30, les jeunes intellectuels n'ont pas répété les idéologies qui avaient cours pendant le conflit de 1914. Il suffit de feuilleter Relations, l'Action nationale des années de guerre pour constater que le vaste monde pénétrait, avec une instance jusqu'alors inconnue, dans notre univers domestique.

Les lendemains de la guerre ont accéléré ce déplacement. Une certaine prospérité transformait l'existence des milieux populaires. Les souvenirs de la campagne s'estompaient avec l'élévation du niveau de vie et surtout l'expansion - dont on ne retient d'ordinaire pas assez l'importance - de la radio. La vieille idéologie libérale, qui n'avait jamais cessé de faire concurrence au nationalisme, retrouva une nouvelle vigueur ; son emprise croîtra par la suite, au même rythme que la bourgeoisie qui y retrouvait ou y inscrivait ses idéaux, ses ambitions, ses garanties [3]. La jeunesse des collèges et des universités s'inquiétait des grands problèmes de l'après-guerre, se passionnait pour les Nations unies, l'Unesco, les associations internationales d'étudiants. Des leaders politiques d'aujourd'hui, indépendantistes ou fédéralistes, des praticiens de la recherche scientifique, des écrivains ont trouvé là leur départ. L'Action catholique, Cité libre, tant d'autres mouvements idéologiques, sont nés de l'après-guerre, de même que la littérature contemporaine du Québec.

Comment le dire autrement qu'en tâtonnant autour d'intuitions incertaines ? Certes, la société québécoise d'autrefois n'a jamais [11] formé ce système étanche que certains idéologues d'aujourd'hui reconstituent en y mettant beaucoup d'artifices ; il n'en reste pas moins qu'un grand nombre de Québécois de jadis et de naguère n'ont pas vraiment eu les moyens de prendre distance envers leur milieu. À cet égard, la dernière guerre et les années qui suivirent ont marqué un tournant. Par la transformation des genres de vie, par les médias de masse, par la critique du système d'éducation et de l'emprise de l'Église, un glissement s'est produit. La notion de « rattrapage » a ici un sens. Non pas pour embrasser d'un coup ce qui s'est effectivement passé, mais pour qualifier l'origine d'un nouvel espace idéologique. Rattraper, c'était se porter à l'échelle du monde, mettre le passé en procès, rêver à un avenir encore incertain.

Ce remaniement du champ idéologique a engendré, on le sait, des transformations importantes de la collectivité québécoise. L'État a étendu ses ramifications dans la société. Des services publics comme l'éducation et la santé ont été bouleversés de fond en comble. Les mouvements sociaux, en particulier le syndicalisme, ont considérablement augmenté leurs clientèles et leur influence. De ces changements et de bien d'autres, Hamelin et Montminy tracent plus loin un ample tableau qu'il n'est pas utile de reprendre ici. Posons plutôt la question : tout cela a-t-il vraiment, comme on le répète encore de tous côtés, modifié en profondeur la structure de notre société ? En tout cas, le Québec est toujours dans un état de dépendance économique ; le capital étranger a même amplifié son empire sur lui. Les grands leviers politiques de décision économique et fiscale n'ont pas cessé d'appartenir à Ottawa. S'appuyant sur une analyse des dépenses de l'État québécois en longue période, Gérald Bernier écrit : « Bien que les dépenses totales soient passées de 722,9 millions de dollars (courants) à 3 148,3 millions entre 1960 et 1970, la distribution par catégories fonctionnelles demeure presqu'inchangée durant cette même période. Cet accroissement considérable des dépenses publiques n'a pas servi à redéfinir les priorités ni à modifier les axes d'intervention de l'État. La grande bourgeoisie canadienne-anglaise et celle, plus internationale, liée aux multinationales, contrôlent [12] toujours le Québec à distance. La direction gouvernementale et administrative est assumée par la petite bourgeoisie locale qui se garde bien de contrevenir aux intérêts de ses maîtres [4]. »

S'il est vrai que la Révolution tranquille n'a pas provoqué un recul des grands pouvoirs économiques qui pèsent sur notre société depuis longtemps, s'il est probable que le rôle de l'État s'est amplifié sans modifier foncièrement la nature de cette dépendance, que faut-il conclure quant à la qualité de cette « révolution », sinon qu'elle fut et demeure avant tout culturelle, idéologique ? Entendons-nous bien : ce disant, je ne méconnais pas l'incidence de l'économie sur les sphères de la politique ou de l'idéologie. J'affirme, au contraire, que, les impératifs économiques restant les mêmes pour l'essentiel, il n'y avait plus comme mutation possible qu'une révolution culturelle. Après tout, les grandes transformations de structures, dans les domaines de la santé et de l'éducation par exemple, ont surtout concerné les genres de vie ; les mouvements sociaux ont eu des répercussions de la même espèce. S'appuyant là-dessus, on a fait une grande dépense d'idéologies ; loin de se restreindre, comme on l'a proclamé, le champ de l'idéologie, le seul qui fût vraiment libre depuis toujours, s'est extraordinairement élargi.

Par le fait même, la répartition des classes sociales s'est modifiée. Sans doute, la « petite bourgeoisie locale », comme dit Bernier en pensant à la bourgeoisie indigène des affaires, assume toujours son rôle d'antan. Cependant l'extension des services de l'État et des mouvements sociaux a accru le nombre et le statut social des experts, des techniciens, des « animateurs ». La réforme de l'éducation a eu une conséquence semblable. Les médias de masse (radio, télévision, journaux ... ) ont entraîné dans le même sens. Une classe sociale s'est ainsi affirmée, qui, au nom du savoir... ou de la poésie, a été à la fois le produit et la fabricatrice d'une Révolution qui fut avant tout l'édification d'un autre belvédère pour penser cette société-ci.

[13]


II. - Une société pensée

Un nouvel espace idéologique s'est donc constitué au long de ces quarante ans. Pour en dessiner la configuration, il n'est pas possible et il n'est pas suffisant de résumer la copieuse documentation réunie dans le présent ouvrage. Il faut essayer de dégager des courants principaux, des schémas organisateurs, des impasses aussi.

1. Pour qualifier un premier grand courant, on pourrait parler d'une volonté de décolonisation spirituelle. Il a donné lieu à plusieurs thématiques, parfois antinomiques, soutenues par des mouvements et des individus en conflit les uns avec les autres, mais qui se rassemblent dans de mêmes attitudes foncières. On y discerne d'abord une opposition aux idéologies du passé ; puis s'y manifeste le refus de toute idéologie. Penser sans idéologie, ce fut l'ambition des pères de la Révolution tranquille ; ce demeure, en un autre langage, l'ambition de leurs enfants les plus jeunes. Révolution culturelle, la mutation du Québec contemporain se voulait retour à un concret supposément oblitéré par le règne séculaire des systèmes.

Cela a procédé de cette transformation des genres de vie dont on perçoit le cheminement plus ou moins discret avec les années 60 et, par après, l'éclatante manifestation. La religion d'antan, et non seulement pour les incroyants, a servi de cible principale. La famille a suivi, comme il se devait, selon une dérive symbolique inévitable. Et puis la condition féminine, la sexualité...

Au mitan de la Révolution tranquille, pour s'expliquer ce changement, sans doute aussi pour s'en rassurer, on parlait de pluralisme. Mot fort en vogue il y a quinze ans, il a beaucoup vieilli depuis. On le répétait partout pour reconnaître et conjurer la diversification des appartenances. En l'utilisant, on croyait sauvegarder à la fois la liberté des personnes et une certaine communauté plus foncière conçue le plus souvent sous une figure politique. Un mouvement de renverse s'est produit depuis quelques années. La diversité a pris cent visages, s'est donné des milliers de moyens officiels d'expression. À entendre les idéologies dominantes, [14] une société adulte met des groupes en conflit et leur l'agressivité les uns envers les autres est le plus sûr garant de leur identité. Des groupes ? L'expression est abusive. Il s'agit plutôt de similitudes de conditions rassemblées par des associations ; le même individu est susceptible d'appartenir à plusieurs d'entre elles, au risque de n'y trouver son unité que grâce au foyer intérieur de ses propres embarras d'existence. Ces conflits de rôles, ces conflits affectifs nourrissent une obsession pour les déclarations des droits individuels et les multiples commissions qui en assurent inlassablement le rappel... et l'administration bureaucratique.

La volonté de libération des idéologies de jadis a pris une autre voie, d'abord parallèle en apparence à la précédente, mais qui a fini par la rejoindre au point de s'y quasiment identifier. Comment combattre des idéologies traditionnelles, comment abolir à la limite toute idéologie, sinon par l'éducation ? Dès les années 40, cette vieille ambition de l'Occident, cette ancienne pensée affirmée par les mouvements et les hommes d'opposition depuis plus d'un siècle au Québec, a refait surface. Ce n'est pas un hasard si les premières mesures, les plus spectaculaires des années 60, ont concerné la réforme de l'éducation. Rapport Parent, extraordinaire expansion de la formation des adultes et de l'éducation permanente : le mouvement a paru d'abord se confiner au monde des écoles. On est rapidement allé plus avant. L'idéologie de l'apprentissage s'est étendue à tous les aspects de l'existence au point où, pour un nombre de plus en plus grand de Québécois, on ne saurait retrouver sa spontanéité sans maîtres et sans leçons : sans initiation à la méditation transcendantale, sans psychothérapie, sans qu'un spécialiste vous invite à répéter un cri primal autrefois trop timide... Par des aboutissements qui ressemblent fort à ceux que nous avons observés pour les droits de l'homme, l'idéologie de l'éducation converge vers une vaste industrie de l'apprentissage, dont le système scolaire, figé en ses excroissances bureaucratiques, n'est qu'un exemple plus patent que les autres.

Une troisième filière de l'idéologie de la libération a pris grande importance au cours des quarante dernières années : celle de la participation. Elle n'est pas si récente qu'on l'imagine parfois. [15] Aux lendemains de la dernière guerre, on parlait beaucoup des « groupes intermédiaires » dans les revues et les congrès, de leur contribution nécessaire à la vie politique. Le mouvement coopératif, les syndicats, Cité libre, les sessions annuelles de l'Institut canadien des Affaires publiques, des émissions de Radio-Canada, tant d'autres lieux et moyens d'influence poussaient vers une représentation de la démocratie faisant appel, en marge ou à l'encontre des partis, à la présence quotidienne des citoyens dans la politique. Le Parti libéral qui prit le pouvoir en 1960 a largement entériné ces courants d'opinion. Mais il en fut en cette matière comme pour le « pluralisme » : par la suite, l'idéologie s'élargit au delà de la notion classique (et, il faut le dire, jusqu'alors bourgeoise) du citoyen pour remettre en question la vie quotidienne et son expression dans les organisations. Ce qui supposait que les conflits sociaux s'expriment, que soit élaborée une pédagogie en vue de cette expression, que celle-ci devienne organisation à son tour. L'animation sociale en est née, la profession d'animateur aussi...

Voilà un trop bref raccourci du destin du thème de la décolonisation idéologique depuis quarante ans. Il laisse percevoir une même logique de transformation qui, d'un système idéologique d'autrefois, aboutit à un système pédagogique d'aujourd'hui. Le magistère de jadis est disparu ; un autre l'a remplacé, aussi soucieux dans la défense de son statut, de son savoir, de son autorité que son prédécesseur. Les commissions, les offices, l'industrie de l'apprentissage, l'animateur tiennent lieu d'Église et de clergé. Sans doute parce que, dans ses assises, depuis quarante ans, la société québécoise a moins changé qu'on le dit... pour ce qui est, du moins, des conditions de production des idéologies.

2. Le deuxième courant majeur de l'élaboration des idéologies au cours de la période qui nous occupe semble s'être formé autour de la présence de plus en plus cruciale de la science au Québec et des représentations sociales qu'elle a suscitées, alimentées, justifiées.

Les sciences de la nature n'avaient jamais été absentes de notre société ; elles avaient même donné lieu à de vifs débats avant-guerre, [16] où était affirmée la nécessité de leur place dans l'éducation, dans la culture, dans l'économie. Selon des variantes diverses, on reprenait les propos du frère Marie-Victorin : « Un peuple sans élite scientifique - il faut sans doute dire la même chose de l'élite littéraire ou artistique - est, dans le monde présent, condamné, quelles que soient les barrières qu'il élèvera autour de ses frontières. Et le peuple qui possède ces élites vivra, quels que soient l'exiguïté de ses frontières et le nombre et la puissance de ses ennemis [5]. » Ces plaidoyers insistants témoignaient de la difficulté d'insérer la science dans la texture des idéologies alors dominantes. Des travaux importants de recherche ont été poursuivis ; les institutions scientifiques demeuraient rarissimes, généralement mal pourvues. L'enseignement scientifique universitaire restait subordonné largement à la formation des praticiens des professions traditionnelles (la médecine, entre autres). Monsieur Cyrias Ouellet parle d'une « phase de fermentation » qui aurait commencé vers 1920 : « la division du travail », si nécessaire à un effort scientifique efficace, y est à peine possible, non plus que l'isolement relatif que procurent les cadres bien constitués... L'affinité naturelle de la vie scientifique pour d'autres activités libératrices fait que nos hommes de science sont entraînés dans des mouvements d'émancipation qui remuent alors, sans beaucoup de succès immédiat, notre petit monde intellectuel [6]. »

La situation des sciences sociales ne fut pas sans analogie avec celle que l'on vient de décrire. Au cours du siècle qui a précédé la deuxième guerre mondiale, l'histoire a connu une grande fortune, liée sans doute aux difficultés d'être de notre peuple. L'économie politique, avec Bouchette, Montpetit et d'autres, n'a pas cessé d'être cultivée. La sociologie n'a pas été absente non plus grâce à Nevers, Gérin, Barbeau, en particulier. Mais, pour ces deux dernières disciplines, une partie notable de l'activité de leurs représentants a été consacrée à des apologies, à des polémiques pour se faire place dans la société québécoise. Quant aux lieux de recherche, ils appellent le même constat que pour les sciences de la nature, au point où on pourrait repérer mot pour mot les propos déjà cités de M. Ouellet.

[17]

Les années 40 entraînent un virage, et dans presque tous les domaines des sciences de la nature et des sciences humaines. Ces dernières, qui nous intéressent ici plus directement, donnent lieu à des fondations dont la multiplication est significative [7]. À leur origine, la plupart de ces institutions ne rompent pas nettement avec la pensée plus traditionnelle. Ainsi la psychologie expérimentale fait bon ménage avec la philosophie scolastique, la sociologie avec la doctrine sociale de l'Église ; la spécificité de la science n'en est pas moins affirmée, comme en font foi les multiples discussions de frontières et de méthodes qui abondent dans l'enseignement et les publications de cette époque. Quant aux travaux, aux enquêtes, l'on y décèle la marque d'un esprit nouveau. Rappelons au moins deux oeuvres collectives où se révèle cet esprit et qui, toutes les deux, ont eu une influence considérable sur la jeune génération d'alors et sur les idéologies ambiantes : la série des Études sur notre milieu publiée sous la direction d'Esdras Minville à partir de 1942 ; les Essais sur le Québec contemporain préparés sous la responsabilité de Jean-Charles Falardeau en 1952. Incontestablement, les années 1940 à 1950 ont donné lieu à un nouveau départ où la place de la science est confirmée dans sa contribution aux idéologies.

Avec les années 60, cette emprise est renforcée de plusieurs manières. La rupture est Consommée avec les garanties longtemps fournies par des disciplines rassurantes comme la scolastique ou la doctrine sociale de l'Église. Les effectifs universitaires s'accroissent. Les discussions sur l'orientation nouvelle de l'État, de l'Église, des mouvements sociaux, de la culture font appel aux critères fournis par la science. La réforme de l'éducation, plus tard des services de santé et d'assistance, la constitution d'un appareil d'État considérable exigent un personnel technique et l'idéologie de la compétence. Il en est de même pour les médias (journaux, radio, télévision ...). La science, qui peu de temps auparavant se faisait péniblement entendre dans la culture, dans l'idéologie, s'insinue en leurs fondements.

Comment en eût-il été autrement ? Dans une situation de pluralisme, plus tard d'anomie, la société québécoise ne pouvait que [18] susciter l'ambition de puiser des règles de fonctionnement dans une « objectivité » dont la science secrète les imageries. Imageries parentes de celles que propageaient la réforme scolaire, la propagation des « lumières » par l'animation. Entre le Centre d'éducation populaire, les cours par correspondance sur la coopération, qui furent très tôt des initiatives de la faculté des Sciences sociales de Laval, et les unités d'enseignement sur l'animation fondées bien plus tard dans telle autre université, entre la participation des intellectuels à la grève de l'amiante (1949) et l'engagement des universitaires d'aujourd'hui, certes il ne faut pas méconnaître des accents idéologiques fort différents. Toutefois, le phénomène est le même, du moins pour ce qui intéresse la production des idéologies depuis quarante ans. L'autorité, jadis réclamée avec peine par les scientifiques dans la culture, a paru enfin acquise.

Elle est maintenant menacée. La science est contestée par la résurgence d'idéologies d'une tout autre inspiration : celles de la spontanéité, de l'irrationnel, de la croyance. Les jeunes générations, ici comme ailleurs, sont particulièrement sensibles à cette contestation. Beaucoup de mouvements sociaux s'insurgent aussi contre le paternalisme du règne de la science. Celle-ci, par sa croissance et par sa volonté d'être présente aux mouvements sociaux, à la classe ouvrière, où elle a cherché une raison d'être qu'elle doutait de trouver en elle-même, s'est prêtée à une dissolution dans des idéologies auxquelles elle fournit aliments mais qu'elle maîtrise de moins en moins. L'expert, dont le statut a paru de mieux en mieux assuré à partir de 1960, est aujourd'hui ouvertement ou sourdement contesté. On lui reproche d'avoir contribué à édifier de vastes machineries sociales qui contredisent, dans presque tous les domaines, la réalité ou la nostalgie de la vie communautaire [8]. On lui reproche d'entretenir une immense technocratie des administrations, du personnel politique, des universités, de l'opinion. On fait enfin grief à l'expert et à la science de provoquer une hyperspécialisation qui dénonce, en fait, leur prétention à proposer des vues d'ensemble sur le destin des personnes et de la collectivité.

[19]

La fonction de la science dans l'élaboration des idéologies s'est rapidement imposée au cours de la Révolution tranquille ; elle s'effrite actuellement avec une célérité non moins grande.

3. S'il est vrai, comme on l'a répété tant de fois depuis les années 40 et avec plus ou moins d'exactitude, que les idéologies triomphantes d'antan reposaient sur le nationalisme, le clergé, les politiciens, ne fallait-il pas, pour s'en libérer, rejoindre le « pays réel » ? Quand elles commencent, les idéologies ambitionnent toujours de retrouver le tuf des collectivités. Le peuple, censé être moins sensible aux idéologies, sert alors de caution. Sur ce point, il n'en fut pas autrement ici qu'ailleurs, et aussi bien chez les idéologues de Cité libre que chez les marxistes d'aujourd'hui. Je ne manquerai pas de rappeler une déclaration curieuse de M. Pierre Trudeau. Elle nous reporte aux origines de Cité libre et aussi à cette grève de l'amiante qui fut l'un des mythes fondateurs des idéologues de la Révolution tranquille. Mythe, je dis bien, car il a servi de référence (ou d'alibi, comme on voudra) à ce qui devait se proclamer dans des livres ou des revues plutôt que dans des usines. La grève de l'amiante, écrivait M. Trudeau, a été « un épisode-clé d'émancipation sociale, qui a pu se dérouler sous l'impulsion de forces purement issues du monde industriel, sans déviation confessionnelle ni nationaliste [9] ». Un événement qui a portée historique sans interférence des idéologies, par la seule vertu des forces de production, est-il plus grande merveille ? Quel jeune marxiste d'aujourd'hui refuserait de contresigner pareil constat ou semblable prétention ?

Mais le nationalisme n'est pas non plus étranger à cette préoccupation : ne veut-il pas, lui aussi, retrouver assise dans un peuple ?

Le nationalisme traditionnel n'a pas cessé d'exercer son influence au cours des années 40 à 60 ; il continue, avec Groulx et de plus jeunes disciples, à être actif. De nouveaux accents se dessinent cependant ; on s'en convaincra aisément en lisant l'Action nationale ou Relations de cette époque. La thématique des années 30 [20] se maintient, mais de nouveaux éléments se font jour. Les « questions sociales », l'éducation et le syndicalisme en particulier, deviennent plus pressantes. Le cas d'André Laurendeau est exemplaire ; sans jamais renier l'inspiration de Groulx, il s'ouvre à des problèmes qui l'amèneront très vite à s'interroger sur les antinomies du national et du social [10]. Fort significatif est aussi l'avènement d'une nouvelle génération d'historiens (Maurice Séguin, Guy Frégault, Michel Brunet, au premier rang). Héritiers critiques de Groulx, ils vont orienter autrement leurs travaux et, par là, la conscience historique québécoise. Chez eux, le nationalisme d'antan s'exaspère ; il devient un diagnostic implacable sur la brisure sociologique que fut la Conquête anglaise. À leur sentiment, il s'agit moins de continuer une pensée nationale affadie (« patriotarde », disent certains), que de débrider, par une chirurgie impatiente, un empêchement qui remonte à deux siècles en arrière, de mettre au jour un mal de structure. Je serais tenté de comparer ce qu'ils ont fait pour l'histoire à ce que les romanciers et les poètes ont effectué plus tôt, de considérer leurs oeuvres en regard de Trente Arpents, de Menaud, des poèmes de Saint-Denys Garneau ; ils ont suscité un éclatement de l'idéologie traditionnelle de l'intérieur, non pas en la dissipant, mais en portant à l'extrême ses présupposés. Aussi leurs querelles avec ceux qui faisaient le procès du nationalisme de l'extérieur (la Faculté des sciences sociales de Laval, Cité libre) nous paraissent moins tranchées que naguère. D'ailleurs, le Parti libéral de M. Lesage n'a-t-il pas pris le pouvoir contre Duplessis en utilisant un slogan de la plus nette provenance nationaliste ?

Parti pris ne répète pas Groulx, pas plus que ne l'ont fait le R.I.N. ou le Mouvement Souveraineté-Association. Le nationalisme des années 60, s'il n'est pas tout à fait étranger à celui d'antan, s'alimente surtout à des désirs nouveaux. La croissance de l'État québécois depuis 1960 y aura contribué sans conteste, mais aussi cette idéologie de la décolonisation spirituelle dont je parlais plus avant. En effet, le néo-nationalisme anticipe, pour la plupart de ses tenants, l'émancipation d'entraves qui ne sont pas d'abord constitutionnelles. Il se veut à la fois refus des anciennes idéologies [21] pour usage domestique, redécouverte d'une identité jamais dite encore et décolonisation économique, politique, mentale.

La querelle du joual, si aigüe il y a peu, en fut une bonne illustration. D'un stigmate, le « mauvais parler québécois », on a tenté de renverser la valence : pourquoi, disait-on, ne pas nous reconnaître enfin dans cette langue que nous parlons tous les jours ? Personne ne niera que notre littérature en a tiré un ensemencement fécond, comme du temps où Malherbe allait prendre leçon auprès des « crocheteurs du marché au foin ». Par ailleurs, en entérinant cette singularité enfin retrouvée dans son épaisseur, ne risquait-on pas, rétorquaient d'autres, de couper les voies d'accès à un monde francophone plus étendu ? Débat récent mais qui n'est pas sans ressemblance avec des polémiques des temps passés.

Le nationalisme des années 60 a cherché à concilier poétique et politique. Jamais, dans notre histoire, on n'aura poussé aussi loin l'une et l'autre de ces deux voies d'expression de nous-mêmes. Mais, en s'approfondissant, chacune pour leur part, ces deux intentions ne menacent-elles pas de se disjoindre ?


III. - Une société pensée par qui ?

Dans la première partie de cette étude, nous nous sommes demandé en quoi notre société, de par ses transformations à partir des années 40, invitait au travail idéologique ; dans une deuxième section, nous avons esquissé les courants principaux de cette production. On ne verra pas dans cette double tentative quelque méthodologie de l'emboîtage où, la place étant faite par la structure sociale, l'idéologie viendrait ensuite la remplir. De part et d'autre se laissent voir des dépendances mais aussi des « débordements » (pour reprendre le mot de Chatelet). Aussi, partis des structures sociales, il faut y revenir à la fin, cette fois pour nous demander quels furent les artisans de ces dépendances et de ces débordements.

Les idéologies, on le sait, ne sont pas entreprises de tout le monde. Elles relèvent de pouvoirs d'expression qui, à leur tour, [22] sont liés à des pouvoirs moins loquaces. Pour l'instant, dévoiler avec toute la précision désirable ces pouvoirs au sein de la complexité du Québec contemporain serait une ambition impossible à tenir, à moins de céder à un certain dogmatisme qui n'est pas absent de nos idéologies présentes. En attendant des recherches plus attentives, proposons deux parcours.

Le premier n'est pas coutumier, il est cependant capital. Au cours des changements rapides et heurtés qu'a connus notre collectivité depuis quarante ans, les idéologies ne se sont pas enchaînées dans une espèce d'évolution où chaque génération aurait pris le relais de la précédente. Dans les révolutions culturelles de ce genre, les générations se succèdent rapidement, au point où sont déboutés les critères démographiques conventionnels ; l'opposition des générations est alors affaire moins de physiologie que de culture. À l'encontre, ce raccourcissement de la distance chronologique laisse voir, en deçà des oppositions d'idées, la persistance des mêmes problèmes. Attardons-nous là-dessus ; quitte à en venir ensuite à un deuxième cheminement, conventionnel et obligé celui-là, qui nous reportera aux classes sociales. La transition ne sera d'ailleurs pas difficile à trouver puisque les générations dont je parlerai sont des générations d'idéologues et que le pouvoir des idéologues est en liaison directe avec le jeu des classes.

Dans l'immédiat après-guerre, les mouvements d'Action catholique, Cité libre sont des repères commodes. C'est là sans doute que s'est le mieux profilée l'idéologie du « rattrapage ». Nette est la continuité avec les idéologies des années 30, avec des thèmes de la Relève et même de l'Action nationale d'avant la guerre. Le renouvellement religieux, en particulier, demeure une préoccupation importante. Les influences de la pensée française se font plus abondantes, mais elles parviennent le plus souvent ici selon les mêmes canaux qu'auparavant. La traditionnelle insistance sur les tâches politiques n'est pas étrangère aux motivations des Jeunes-Canada... Pour tous ces thèmes, les accents sont cependant plus marqués. Quand on évoque la religion, on anticipe une fin de l'unanimité d'antan. Lorsque la politique est en cause, on insiste davantage sur la démocratie. Pour résoudre les problèmes sociaux, [23] on invite à la compétence technique ; ce n'est pas par hasard que Relations, Cité libre ont voisiné avec le premier véritable essor des sciences sociales en ce pays... Inspiré à la fois par les idéaux rafraîchis de la vieille idéologie libérale et par les jeunes ambitions technocratiques, le « Manifeste pour une politique fonctionnelle » de M. Trudeau et de ses amis devait faire le point pour une fraction dominante de cette génération et étendre son influence jusqu'aujourd'hui.

Continuant de peindre à grands traits, il me semble que ceux qui eurent vingt ans à l'orée des années 60 ont formé une deuxième génération d'idéologues. À première vue, la rupture est plus nette que pour la génération précédente. La question religieuse s'estompe ou elle provoque une liquidation apparemment sans repentance. Le roman, le théâtre, la poésie usent d'un langage nouveau : celui d'une révolution dans les moeurs dont la génération d'avant-guerre n'osait parler qu'avec pudeur et précautions. On songe à Parti pris, point de repère aussi précaire, il est vrai, que Cité libre : une fureur du refus, une révolte généralisée, non plus seulement contre l'héritage de Duplessis ou les manquements à la démocratie, mais contre la manière de vivre au Québec. Les emprunts aux idéologies étrangères sont aussi plus visibles : on parle de décolonisation par analogie avec les pays du Tiers-Monde, on invoque le marxisme, on donne à la question nationale une portée infiniment plus radicale qu'auparavant.

Pourtant, la filiation de cette génération avec la précédente est visible, et à beaucoup d'indices. Cette génération de la révolte, ce fut aussi celle de la compétence, de la technique dont Cité libre avait dit grand bien pour démythifier les traditions. Les changements rapides dans l'État, les services publics, les mouvements sociaux, l'éducation ont absorbé une grande partie des révoltes et des révoltés. Ceux-ci pèsent aujourd'hui, à l'orée de la quarantaine, les alternatives de la libération et de la récupération, utilisant ainsi le langage typique de leur génération pour faire face à une nouvelle conjoncture où peut-être ce langage n'aura bientôt plus cours [11].

[24]

Comment situer la jeune génération d'aujourd'hui, celle de l'après-révolution tranquille ? Comment dater son entrée dans l'histoire des idéologies ?

Sous bien des aspects, cette génération reprend, elle aussi, des idéologies d'avant. S'y rencontrent aussi bien des enfants de Cité libre que des enfants de Parti pris, des idéologues de la « compétence » comme des idéologues de la « révolution ». Les influences étrangères, parfois exprimées selon de récentes références, ne cessent pas de jouer. À première vue, on saisit mal en quoi se marquerait une étape originale. Sans doute est-ce là effet d'une trop grande proximité et aussi, cela va sans dire, difficulté des hommes de notre âge à discerner les intentions des plus jeunes.

Ce que ces jeunes contestent a déjà été abondamment contesté : la religion, la politique, les classes sociales, la nation... Les générations antérieures, celles de Cité libre et Parti pris, avaient à leur portée de quoi se faire les dents. Dans un Québec anomique, du moins pour les idéologues de la bourgeoisie, à quoi donc s'opposer aujourd'hui pour se poser ? Il est toujours loisible de suivre les modes de France ou de Californie, d'en faire inscription de nouveautés dans le paysage d'ici ; comment penser à partir du Québec ?

La poésie, le roman, la chanson, le théâtre, le cinéma des années 60 ont libéré la symbolique collective. Il est un peu fatal que cette symbolique apparaisse pour les plus jeunes comme un acquis, une sorte de bloc fermé de significations où on ne saurait entrer qu'en ajoutant des modulations en mineur. Comment se dire quand, en apparence, tout a été dit après Félix Leclerc ou Gilles Vigneault, Gabrielle Roy ou André Langevin ?

Il est possible que la cassure soit quand même radicale, dans un décrochage envers ce qui, au Québec et en Occident, avait constitué une continuité souterraine en deçà des changements de surface. Malgré des querelles fracassantes, des conflits apparemment sans retour, des générations se sont longtemps succédé en s'opposant dans une même référence à l'histoire, selon un même débat de conscience historique. Bourassa et Groulx s'insurgeaient contre [25] l'impérialisme ou les suites de la Conquête, Cité libre contre Duplessis et les autorités traditionnelles, Parti pris contre Cité libre au nom des destins de la nation ou des classes sociales. On se trouvait toujours dans des débats où l'histoire ne faisait pas question comme objet de lecture, d'écriture, d'engagement. Voici que l'on soupçonne chez beaucoup de jeunes, et qui n'écrivent pas toujours, une visée d'un autre ordre où l'histoire comme lieu de la pensée, de la création, de l'engagement paraît s'évanouir. Est-ce l'effet des médias de masse ? Cette génération est la première, en tout cas, qui a été exposée dès l'enfance à une culture nouvelle. Est-ce la conséquence de la destruction d'un certain système d'enseignement, de la disparition d'une culture scolaire autrefois distribuée sous la forme d'un système du savoir, d'un programme, et qui fondait avant tout sa pédagogie selon l'histoire (histoire générale, histoire du Canada, histoire de la littérature, histoire de la philosophie) ?... La jeune génération ne vit-elle pas aussi l'achèvement d'une idéologie plus englobante, fondée sur le destin national, et qui, quelles qu'en fussent les variantes dans Cité libre ou Parti pris, a dérivé peu à peu vers le débat constitutionnel au point de s'y dissoudre parfois ? Comment nos cadets arriveront-ils à repenser ce qui a été laissé en chemin dans ce cheminement ?...

Cette rapide esquisse sur la suite des générations engage à un examen plus direct de la situation des idéologues dans la société québécoise au cours de la période ici étudiée.

J'observe, pour faire transition, que d'une génération à l'autre s'accentue la distance que croit prendre l'idéologue envers la collectivité. Certes, la critique de cette dernière se poursuit, mais elle se fait de plus en plus globalisante, comme si l'idéologue prenait son objet de plus haut. Cela se vérifie, il me semble, non seulement dans les publications que j'ai retenues pour repères mais dans à peu près tous les mouvements sociaux : certains syndicats, par exemple, ont radicalisé leurs positions au point de proposer des vues d'ensemble sur le destin du Québec qui en font, dans l'univers idéologique s'entend, des sortes de contre-sociétés. Dans les années 40 et bien après, les contestations se frayaient chemin plus au ras du sol. Faut-il en conclure que, au fil des ans, l'idéologue [26] tend à se situer ailleurs qu'ici, dans un lieu où il paraît dominer nos panoramas ? Alors que la Révolution tranquille, comme je l'ai soutenu, fut d'abord une révolution culturelle, que la production idéologique y fut donc plus abondante que jamais dans l'histoire de ce pays, les idéologues auraient dissimulé les conditions sociales de leur production... Si portés qu'ils sont à dénoncer les rapports de classes, ils oublieraient de s'y placer eux-mêmes ? Certes, quelques-uns avouent appartenir à la « petite bourgeoisie », mais l'étiquette est trop abstraite, trop conventionnelle, trop empruntée pour nous apprendre quelque chose de concret sur la condition sociale de l'intelligentzia québécoise d'aujourd'hui.

La question est neuve. Je ne prétendrai pas l'épuiser ici. Elle déborde d'ailleurs la période contemporaine ; il faudrait pouvoir la prolonger dans un examen d'une histoire plus ancienne. Si on a beaucoup étudié le contenu des idéologies du passé, nous savons peu de chose du statut social de leurs auteurs, de leur enracinement dans la complexité des classes sociales. Quand on se reporte au Québec d'hier et de jadis, on 'a l'impression que le gros des idéologues trouvait appui dans un nombre relativement limité d'occupations : journalistes, politiciens, fonctionnaires (on passait souvent de l'une à l'autre de ces occupations), prêtres, professeurs... Le journal, le parlement, l'administration, l'Église, l'école...

Au cours des dernières décennies, l'Église est entrée en déclin au moment où de nouveaux appuis s'offraient aux idéologues : Radio-Canada, l'Office national du film, les universités, plus tard les cegeps, le fonctionnarisme, les mouvements sociaux... En même temps, les moeurs ont connu des remaniements spectaculaires. Pour élaborer de nouvelles normes de la vie collective ou personnelle, les experts ont proliféré : clientèle pour les idéologies, emplacement pour des idéologues. En somme, une société était à reconstruire sur d'autres modèles. Des raisons d'être de ces modèles jusqu'aux mécanismes de leur mise en oeuvre, de la technocratie à la critique radicale qui est son contrepoint obligé, que de travailleurs de la pensée, de l'opinion, des valeurs, il aura fallu ! Aussi, après 1960 particulièrement, les effectifs de l'intelligentzia, [27] productrice et consommatrice d'idéologies, ont prodigieusement grossi. Au point où, si on hésite à en faire une sorte de classe sociale originale en pays du Québec, on est néanmoins conduit à s'interroger en ces termes-là.

Dans le chapitre qui suit, Hamelin et Montminy parlent d'une croissance, depuis quelques décennies, de ce qu'ils appellent la « classe moyenne supérieure » (professions libérales, industriels, cadres supérieurs, administrateurs ... ). « Classes moyennes supérieures » ? Ne leur chicanons pas l'expression; elle en vaut d'autres. Les auteurs ajoutent que c'est « surtout là que se recrutent les leaders et les partisans du changement ». Risquons-nous à poursuivre sur cette lancée.

On lira la liste dressée par Hamelin et Montminy : sauf pour les industriels, les statuts sociaux en cause reposent plutôt sur des pouvoirs que nous appellerons « politiques » ; et, même pour les « industriels » de cette « classe moyenne supérieure », les liens avec les autres catégories de la même classe et avec l'État, notamment depuis 1960, sont d'une importance capitale. Par ailleurs, alors que la grande bourgeoisie n'a guère besoin pour assurer son pouvoir d'entretenir avec les milieux populaires des relations étroites, il en va autrement pour la « classe moyenne supérieure ». Celle-ci prône la modernisation et le changement; elle est la première à en tirer profit pour ses intérêts et pour son statut. Faute de commander les grands pouvoirs économiques, elle est abondamment représentée dans les enceintes des partis, dans les parlements, dans les médias, dans l'administration publique, dans les collèges et universités, même dans les syndicats. Au peuple, elle tente de faire adopter ses idées et ses moeurs, s'assurant ainsi d'un pouvoir idéologique et politique qui n'est d'ailleurs pas sans incidences économiques.

Il est néanmoins manifeste que, au sein de cette classe, les représentations du « changement » ne sont pas homogènes. Les rapports avec le pouvoir politique et avec le peuple n'y sont pas conçus non plus de la même façon. Ils se traduisent même en dilemmes : utiliser les ressources de la politique ou les contester [28] pour en créer de nouvelles ? en appeler au peuple pour se faire des clientèles (on parlait naguère de patronage) ou se vouer à l'éducation du peuple ? Les pratiques, les allégeances, les idéologies de cette classe hésitent et se fixent, selon les personnes, les groupes, les partis, autour de ces interrogations. Impossible de trancher à partir de listes d'occupations ou d'échelles de revenus. Mieux vaut reconnaître, pour cette classe comme pour les autres, un déchirement interne qui constitue sa condition avec autant de force que sa place dans les rapports de production.

Parler de « fractions de classes », selon le langage fréquemment utilisé, ne nous avancerait guère en l'occurrence. Une classe ne se divise pas en « morceaux » parce que tous les individus qui y sont liés ne pensent pas la même chose ou s'opposent parfois en de violentes querelles de factions. Ou alors, pourquoi ne pas parler d'autant de classes qu'il y a de « fractions » ? La question doit être posée autrement. À partir d'une même situation de classe dans la société globale, diverses possibilités de pratiques et d'idéologies se présentent ; c'est là que se dessinent les conflits à l'intérieur d'une même classe. Or ces possibilités, dans le cas de la « classe moyenne supérieure », tiennent depuis fort longtemps à la structure sociale du Québec. Elles n'ont guère changé pour l'essentiel depuis 1960, même si la faculté de les exploiter s'est singulièrement accrue.

Ces possibilités, leur unité, leurs divergences, les idéologies les disent. Foncièrement, cette bourgeoisie se veut « éclairée » ; dans cette classe, on ne voit pas là-dessus de divergences un peu cruciales. L'éducation, par exemple, a prêté à des discussions parfois passionnées au cours des dernières années ; des présidents de la C. E. Q. aux premiers ministres, en passant par les porte-parole des Chambres de commerce, des partis, des journaux, des Églises, des animateurs de toute espèce, personne n'a remis en question son importance primordiale. « Éclairée », la bourgeoisie se veut éducatrice du peuple. À partir de ce postulat communément partagé, s'ouvrent des voies différentes.

Quelle éducation, quelle « lumière », et pour quoi faire ?

[29]

Regardant pour ainsi dire par en haut, des membres de cette classe, soit pour accéder à un statut supérieur, soit pour légitimer leur propre place, mettront l'accent sur l'économie, sur la compétence, sur la promotion individuelle. Ils seront plutôt capitalistes et internationalistes (au moins fédéralistes). Leurs intérêts de classe seront ainsi parfaitement exprimés.

Regardant par en bas, vers le peuple, toujours pour assurer leur statut et le légitimer, mais par une autre voie tout aussi efficace que la première, des membres de cette même classe prendront parti pour la culture, l'égalité, la promotion collective. Ils seront plutôt nationalistes et socialistes (encore que, de la social-démocratie au marxisme, le « peuple » permet des représentations diverses de son existence). De cette façon aussi, les intérêts de classe acquièrent confirmation et justification.

Ces deux voies, cohérentes de part et d'autre, cohérentes aussi quant à la situation de la classe qui s'y divise, les partis politiques, les mouvements sociaux, les médias, les intellectuels les épousent et y entretiennent de spectaculaires débats idéologiques. Comment le peuple s'y retrouve-t-il ? Nous ne le savons guère ; des analyses électorales fournissent des indications mais l'étude des cultures populaires est à peine entamée. Cette étude est particulièrement difficile puisque l'intelligentzia qui s'y intéresse est partagée, comme la « classe moyenne supérieure » à laquelle elle appartient, entre le dévoilement de ce qui est vécu et pensé par le « peuple » et le désir de parler à sa place.

L'intelligentzia ne serait-elle donc que la voix redondante de la « classe moyenne supérieure » ? Oui et non. Il en est d'elle comme des autres participants de cette classe : elle prolonge et met en question des intérêts, des options, des conflits qui viennent de plus loin qu'elle-même. Elle révèle et dissimule tout cela dans ses chicanes internes. Le professeur fera le procès du technocrate, quitte à construire grâce à son syndicat d'étanches murailles du corporatisme. Le technocrate se moquera de l'animateur, de l'« évangéliste », plaçant au plus haut sa propre compétence, sa rationalité... On cherchera appui sur quelque minorité, puisqu'il [30] n'est pas de statut assuré pour l'intelligentzia sans qu'elle se fasse le porte-parole d'un monde plus vaste qu'elle : le « peuple », les « travailleurs », la « nation », les « Amérindiens », les « femmes »... Les propos de l'intelligentzia visent à la généralité, mais méthodes et théories n'y suffisent point : l'invocation du peuple donne supposément à l'intellectuel la garantie que ce qu'il pense ouvertement, des communautés le ressentent implicitement.

Une révolution culturelle où une intelligentzia a essayé de mettre en scène une révolution sociale : tel est le bilan que, pour résumer, je suis tenté d'inscrire. Ce qui laisse ample matière aux idéologies des années prochaines...

Fernand DUMONT.



[1] Je note deux indications prometteuses de cette recherche : les travaux de Nicole Gagnon à partir d'« histoires de vie » ; la copieuse monographie, encore inédite malheureusement, de Colette, Moreux sur Douceville qui est, à ma connaissance, la plus riche d'enseignements sur les manières fort diverses dont a été vécue et « rationalisée » la Révolution tranquille par les Québécois. [Ce livre est disponible en texte intégral dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[2] RINGUET, Trente Arpents, Collection Le Nénuphar, Fides, 1972, p. 151.

[3] Dans le chapitre que j'ai donné au précédent volume de cette série sur l'histoire des idéologies québécoises, et qui traitait des années 30, j'ai trop laissé dans l'ombre la pérennité de cette idéologie libérale. Je me propose de corriger ailleurs cette faute de perspective.

[4] Gérald BERNIER, « Le cas québécois et les théories du développement politique et de la dépendance », dans Edmond ORBAN, édit. : la Modernisation politique du Québec, Boréal Express, 1976, p. 53. Bernier renvoie à l'important article de Daniel LATOUCHE, « la vraie nature de la Révolution tranquille », Revue canadienne de sciences politiques, VII, 3, septembre 1974, 525-536.

[5] Allocution présidentielle au congrès de l'A.C.F.A.S. de 1938. Cité par Francine DESCARRIES-BÉLANGER, Marcel FOURNIER, Louis MAHEU, « Le frère Marie-Victorin et les petites sciences », Recherches sociographiques, XX, 1, 1979, 20.

[6] Cyrias OUELLET, la Vie des sciences au Canada français, publication du ministère des Affaires culturelles, 1964, p. 26.

[7] Jean-Charles FALARDEAU en a enregistré la chronologie dans son élégante esquisse sur l'Essor des sciences sociales au Canada français, ministère des Affaires culturelles, 1964, p. 42, en note.

[8] À cet égard, on retiendra, à titre d'exemple, les mouvements populaires de contestation dans l'arrière-pays du Bas-Saint-Laurent, suite au demi-échec du plan du B.A.E.Q.

[9] La Grève de l'amiante, sous la direction de Pierre ELLIOTT TRUDEAU, Montréal, Éditions Cité libre, 1956, p. 401.

[10] En 1947-1948, l'Action nationale a mené une enquête sur l'« humanisme ouvrier » à laquelle ont collaboré Gérard Dion, Claude Ryan, Camille Laurin et bien d'autres. En fait, l'intitulé de cette enquête est trompeur. Il s'agit de la Contradiction du « national » et du « social », comme on le constate à la lecture des articles. Laurendeau en dit la préoccupation dans un éditorial au moment où il reprend la direction de la revue : « Voilà que s'installe chez nous dans plusieurs secteurs une sorte de divorce entre ce que le langage courant appelle le social et le national. Ces mots sont ambigus. Et pourtant ils signifient dans la pratique des forces qui devraient être soeurs mais qui tendent à s'opposer. Notre tâche sera de les accorder ou plus exactement d'en opérer la synthèse. » (« En guise de préface », l'Action nationale, XXXII, 1, septembre 1948, 7-8.)

[11] Le livre de Daniel LATOUCHE, Une société de l'ambiguïté (Montréal, Express, 1979), est là-dessus un lucide témoignage.


Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 24 juillet 2011 9:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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