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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand Dumont, “La sociologie comme critique de la littérature”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 5, nos 1-2, janvier-août 1964, pp. 225-240. Québec: département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Laval. Presses de l'Université Laval. Numéro intitulé: “Littérature et société canadiennes-françaises.”

[225]

Fernand Dumont,

La sociologie comme critique
de la littérature
”.

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 5, no 1-2, janvier-août 1964, pp. 225-240. Québec : département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Laval. Presses de l'Université Laval. Numéro intitulé : “Littérature et société canadiennes-françaises.”


Fernand Dumont, “La sociologie comme critique de la littérature”.

Commentaire. Jeanne LAPOINTE, Faculté des lettres, Université Laval.


Il se trouve peu de critiques qui refusent tout net à la sociologie le droit d'examiner de quelque manière la littérature. Mais presque tous lui interdisent de dépasser les premières approches et de franchir vraiment le sanctuaire. La critique contemporaine aime répéter que l'œuvre littéraire est création singulière et, comme telle, irréductible à la science.

Il faut dire que les références les plus convenues de la sociologie de la littérature sont accablantes. De Taine, on citera telles formules simplistes - dont celle-ci : « Ce que l'histoire a manifesté, l'art le résume ». On n'aura pas de peine, non plus, à pointer, dans une certaine littérature marxiste, de grossiers procédés de réduction de la littérature aux mystifications idéologiques ou encore (ce qui revient au même) aux propagandes du « réalisme socialiste ». Et il est des analyses de Sartre, sur Baudelaire, sur Flaubert, par exemple, qui peuvent aisément grossir le dossier du critique ou de l'esthéticien contre la sociologie : la situation littéraire de l'écrivain y est parfois brutalement ramenée à la situation historique. On finit par croire que la sociologie doit considérer fatalement la littérature comme le simple reflet d'une société. Avouons même que le sociologue d'aujourd'hui, influencé par la critique contemporaine et plus soucieux que ses devanciers de respecter l'originalité de l’œuvre, est déroute par ce type singulier de « document ». Bien heureux est-il devant la large portion de la littérature canadienne-française qui est dépourvue de valeur littéraire : il peut alors l'insérer sans scrupules dans la documentation familière à notre discipline.

Mais pour les œuvres authentiques, faut-il simplement renoncer ou se contenter des abords du mystère créateur ? Je pense plutôt qu'il y a malentendu. Je crois en discerner les traces justement chez les critiques préoccupés d'écarter la science de la littérature. Sur ce point aussi, on pourrait réunir une bien curieuse anthologie. « La causalité apparaît très vite comme une face de la finalité, écrit Gaétan Picon : si l'art est le produit de la lutte des classes ou du refoulement sexuel, son ambition ne peut pas être distincte de sa nature, il doit refléter la lutte des classes, [226] la sexualité. » [1] Ici, on condamne d'abord la sociologie ou la psychanalyse à être une lecture du reflet des classes ou du sexe par la littérature ; ce qui permet de les écarter ensuite avec aisance. Il est temps, me semble-t-il, de remettre en question cette bizarre connivence d'une sociologie primaire et d'une critique trop pressée de conclure à la transcendance. Au critique qui répète que l'œuvre est complexe et mystérieuse, il faut souligner que les mêmes qualificatifs s'appliquent aussi au milieu social. Et, avec la même vigueur, nous devons dénoncer la paresse de la sociologie qui, étendant sans cesse son investigation à de nouveaux domaines, n'a pas aperçu qu'elle était ainsi forcée de remettre en cause, à chaque coup, ses propres fondements. En essayant de confronter ici critique et sociologie, je voudrais justement souligner que leur rapprochement implique un renouvellement de nos conceptions de l'une et de l'autre.

À partir d'un essai de définition de la fonction du critique, je tenterai de montrer, dans une première partie, comment tout effort de compréhension d'une œuvre littéraire rejoint spontanément la méthode sociologique, celle-ci me paraissant être, en d'autres termes, l'explicitation des démarches premières de toute analyse critique. Mais une méthode implique toujours un jugement d'existence, c'est-à-dire une définition provisoire de la réalité à laquelle elle est censée s'appliquer. [2] Si, comme nous le suggérerons, l'étude sociologique des œuvres singulières suppose que celles-ci sont des réalités analogues à ce que le sociologue appelle, par ailleurs, des « idéologies », la sociologie de la littérature doit expliquer la possibilité d'existence de ces idéologies d'un genre particulier. Elle doit montrer comment, dans l'outillage mental d'une société, se constitue une fonction littéraire. Ce n'est plus alors seulement à des œuvres disparates que s'applique la méthode sociologique, mais au fait littéraire comme tel : ici, méthode et explication se confondent. Nous ne pourrons qu'indiquer, dans une deuxième partie de ce travail, ce que pourrait être une pareille explication. À ce point, la littérature nous apparaîtra, dans une perspective sociologique toujours, fondée dans son originalité propre. Il sera alors possible de dire, dans une troisième partie, comment la méthode première doit être inversée, comment la littérature peut prétendre, à son tour, « expliquer » de quelque manière la sociologie.

De l'analyse sociologique du poème ou du roman à l'élucidation sociologique des raisons d'être d'un univers culturel particulier, pour aboutir, enfin, à l'éclairage de la démarche sociologique par les œuvres littéraires : nous aurons peut-être réussi ainsi à repérer les perspectives d'une sociologie [227] de la littérature et à tracer, en pointillé, le cheminement global d'une méthode.

I

De soi, la critique littéraire est la constitution d'un univers de la littérature. C'est vrai même de la recension fragmentaire des journaux. Le critique se présente alors comme un lecteur spécialisé, intermédiaire entre le livre et le lecteur ordinaire. [3] Même s'il n'invoque vaguement que le goût, il veut le communiquer comme une norme, comme le sentiment de certains critères sur lesquels il suppose qu'on lui fait confiance. Le projet est plus net encore dans la critique à plus longue portée, même si elle se veut impressionniste. On songe aux savoureuses métaphores de Thibaudet, pour qui le critique est le jardinier « préposé par Dieu le Père a la surveillance du potager littéraire », le vigneron « qui classe les bonnes années », le « géographe » et même le « notaire » du terroir littéraire. Enfin, notre affirmation de tantôt est évidente pour la critique qui se donne carrément comme un genre de création égal aux autres.

Quelle est la structure de cet univers littéraire ? Il me paraît édifié, selon les intentions premières et les plus spontanées, pour les fins de la communication. Il s'agit d'introduire l'œuvre qui vient de paraître à un public idéalement attentif ; ou bien il faut ramener une œuvre passée à un lecteur d'aujourd'hui. Dans les deux cas, la tâche consiste à manifester la réciprocité de la situation de l'auteur et de celle d'un public éventuel. Le Pascal d'Albert Béguin pourrait constituer ici un bon exemple. Le critique y montre avec vigueur que Pascal a vécu un sentiment trop immédiat du tragique, qu'il n'a pas eu cette angoisse de l'engagement historique qui nous tourmente tant. Mais voici que par cette discussion passionnée, ou transparaît le déchirement de Béguin lui-même entre l'inquiétude chrétienne et l'engagement politique, sont renoués entre Pascal et nous de nouveaux liens.

La traditionnelle histoire littéraire - si longtemps confondue avec la « science » de la littérature - a peut-être escamoté une étape essentielle : le dégagement de cette dialectique qu'est la relation de l'œuvre et du public. La continuité qu'elle prétend établir entre nous et le livre de jadis ou de naguère et notre âme d'aujourd'hui est souvent illusoire, et à un double point de vue. Le roman ou le poème du passé nous atteint dans notre existence présente par un cheminement qui ne coïncide pas avec la généalogie de la littérature. D'autre part, cette histoire littéraire [228] est traditionnellement abstraite de la plus complexe histoire des hommes - juxtapositions chronologiques des auteurs qui relèvent du répertoire et non du dialogue. C'est que le recours à l'histoire manifeste une intention seconde par rapport à la saisie globale de l'œuvre. Non pas que nous voulions ramener à cette stupéfaction devant le mystère littéraire que nous dénoncions au départ. La communication de l'œuvre et du lecteur suppose une prise de conscience de la genèse de l'œuvre et de l'appel du public. Du public premier de l'écrivain de jadis au lecteur actuel, la marge est tenue. Bénichou a montré que Corneille écrivait pour des nobles, qui idéalisaient leur statut social par l'imagerie de l'héroïsme guerrier, mais qui n'étaient plus dans des conditions d'existence permettant d'assumer quotidiennement ce statut. Corneille leur aurait fourni des rêves de compensation. [4] L'œuvre de Corneille ne s'est pas épuisée dans cette réponse aux appels de son temps : mais de connaître ceux-ci me déprend de la couche la moins significative du théâtre cornélien et me renvoie à une plus haute communication. Par contre, Jean Ethier-Blais, dans une belle étude récente, montre que les claironnantes métaphores de Louis Fréchette n'étaient que l'écho d'exploits ancestraux qui ne dérangeaient personne, mais qui pouvaient servir de caution à une certaine bourgeoisie canadienne-française du XIXe siècle, avide d'argent et passionnée de politique. [5] Cette fois, le dialogue avec le poète est rompu et je sais pourquoi. Fréchette pouvait écrire en vers et se faire imprimer : le voilà renvoyé aux produits éphémères de l'histoire. Deux cas extrêmes, dira-t-on. C'est précisément leur intérêt car ils délimitent, selon une première approximation, les horizons de la lecture. En effet, la référence au public de l'œuvre, n'a pas seulement valeur négative. Les intentions de l'auteur nous échapperont toujours, de même que les attentes du public : mais, bien loin de disqualifier les recherches sur les unes et les autres, ces incertitudes les appellent. De même que je me coule, lecteur d'aujourd'hui, dans la marge indécise qui séparait l'œuvre de son premier public, j'ai aussi besoin d'explorer en tout sens cette interstice parce que c'est seulement en tâtonnant autour des intentions de l'auteur et de celles du public que j'approcherai de la visée plus intemporelle de l'œuvre et de l'ineffable secret de mon propre cœur. Vouloir donner à l'œuvre sa portée universelle, c'est ainsi paradoxalement tenter de la situer.

Dès lors, nous sommes placés devant la question décisive : comment ce dialogue peut-il être traduit en termes explicites, c'est-à-dire en une prise de conscience de la méthode critique ? Déjà, nous savons que l'ouverture de l'œuvre au lecteur se fait selon des cheminements à plusieurs étages. Ce qui justement nous ouvre vers l'œuvre un accès où, selon nos [229] illusions et notre lucidité, il nous est permis de croire que son essence ne se confond pas avec des catégories métaphysiques. Il serait vain de prétendre déterminer a priori ces couches fluctuantes de la signification de l'œuvre littéraire. [6] C'est par enveloppements successifs que le poème et le roman peuvent être approchés. On les épluche comme les pelures d'un oignon : ils n'ont pas vraiment de noyau.

Grâce à la notion d'idéologie, la sociologie contemporaine, avec des réserves que j’ai tâché de préciser dans d'autres travaux [7], dispose d'un concept pour désigner la première feuille, la plus extérieure, mais la plus englobante, de cette phénoménologie. J'ai essayé ailleurs de définir l'idéologie comme la justification d'une définition de la situation d'un groupe en vue de l'action. Les hommes agissent le plus souvent sans songer très clairement à ce qui fonde leur décision. Mais, dans la confusion habituelle de leur conscience, ils supposent un monde qui les domine où les actions sont discutables et où parfois, en ces moments où l'angoisse montre ses divers visages, elles doivent être justifiées. L'individu ne le fait jamais dans la solitude : il demande l'accord d'autrui - d'un autre tout au moins hypothétique. Un groupe est supposé. Sans doute, il s’agit, le plus souvent, d'un ensemble flou d'individus réunis par quelques affinités mal définies ; nos appartenances a des groupes de travail ou même d'amis ne sont-elles pas souvent de cette espèce ? Mais les raisons monnayées de nos appartenances, celles qui nous défendent contre l'absolue solitude, prennent corps parfois en des définitions explicites : objectifs des associations, législations, missions nationales... À bien y penser, l'œuvre littéraire est de cette espèce : un homme, en pensant aux autres, ose tenter de définir son univers d'existence. Dans tous les cas, l'œuvre littéraire et l'idéologie se confondent. Non pas parce qu'ils sont les reflets de je ne sais quelle conjoncture, mais comme expression d'une réponse, typique de quelque manière, à une situation. Ce qui déjà, remarquons-le en incidente, permet à l'œuvre, de par sa face la plus externe, d'être réanimée dans d'autres situations.

La liaison première de l'œuvre et du groupe qui l'appelait et la soutenait représente bien ainsi une sorte de situation-limite. On ne saurait aller au-delà dans la dissociation analytique et, par ailleurs, il faut d'abord soumettre l'œuvre à cette première épreuve pour en saisir la signification comme structure suffisante. La biographie de l'auteur n'est pas une unité significative : dissociée du groupe, elle dissout le sens de l'œuvre dans une aveugle psychologie. Ç'aura été l'incontestable mérite de Goldmann de le montrer dans ses études sur Pascal et Racine.

[230]

« On s'est souvent demandé, écrit-il, dans quelle mesure Pascal était ou n'était pas janséniste. Mais aussi bien ceux qui l'affirmaient que leurs adversaires, étaient d'accord sur la manière de poser la question. Demander si Pascal était janséniste, c'était pour les uns comme pour les autres, demander dans quelle mesure sa pensée était semblable ou analogue à celle d'Arnauld, de Nicole et des autres jansénistes notoires. Il nous semble au contraire qu'il faut renverser le problème, en établissant d'abord ce qu'est le jansénisme en tant que phénomène social et idéologique, ensuite ce que serait un jansénisme entièrement conséquent, pour juger enfin par rapport à ce jansénisme conceptuel et schématique les écrits de Nicole, d'Arnauld et de Pascal. On les comprendra alors beaucoup mieux dans leur signification objective et aussi dans les limites de chacun d'entre eux. » [8]

On le voit, en situant d'abord l'œuvre littéraire dans le groupe, nous lui restituons ses racines les plus concrètes. Mais nous ne l'abandonnons pas, pour cela, aux hasards de la conjoncture historique : elle représente alors une réaction structurée à une situation elle-même relativement généralisée. La réponse comme la situation y sont stylisées. En ce sens, l'explication de sa durée ne saurait être très différente de celle que nous pouvons proposer pour l'idéologie.

N'est-ce là que méthode de départ - et qui épuiserait l'apport de la perspective sociologique ? Le croire serait, pour le critique, fuite paresseuse dans la transcendance ; pour le sociologue, cela dénoterait une vision assez plate du milieu. On ne saurait, en effet, affirmer sans plus : l'œuvre de Pascal est autre chose qu'une simple expression du jansénisme. C'est certain, mais nous n'avons pas les moyens de trouver directement ce qu'elle exprime. C'est pour cela qu'il nous est apparu nécessaire de partir du sens le plus obvie parce que le plus structuré (c'est-à-dire de l'œuvre comme analogue d'une idéologie) pour détecter des couches de signification. Si l'œuvre sort de la situation, elle y ajoute quelque chose. Ce jeu de complémentarité est susceptible d'être lu à plusieurs niveaux qui ne sont pas autre chose, eux non plus, que des rapports de l'œuvre et de la situation. Par les déplacements de l'analyse fonctionnelle, familière au sociologue, la notion de situation et celle de signification de l'œuvre se modifient ... On peut l'affirmer comme un principe certain : plus les plans évoqués seront nombreux, plus l'analyse sera vraie.

Il n'est pas possible de faire, a priori et en général, l'inventaire de ces niveaux possibles de réciprocité de l'œuvre et de la situation. Limitons-nous à quelques exemples de ces déplacements. Ils font apparaître, au sein des idéologies et des groupements, des styles : non plus seulement des options devant des situations, mais des façons d'opter devant le monde. Nous ne sommes plus devant de simples conjonctures, mais devant des genres de vie d'où émergent des correspondances d'un style de vie et d'un style littéraire.

[231]

On l'entrevoit, par exemple, dans ce poème d'Apollinaire cernant à la fois une nouvelle sensibilité littéraire et une transmutation de la vie sociale

« À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle
ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque
et romaine
Tu lis les prospectus, les catalogues, les
affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose
il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes
pleines d'aventures policières ... »

Bien sûr, il serait simpliste de voir là un simple indice de l'avènement d'une société nouvelle. Il faut y chercher des signes, une évaluation, des échos d'une conscience qui assume de nouveaux thèmes d'existence.

J’écoute Léon-Paul Fargue :

« Un tramway secouait, en frôlant
les feuillages, Son harnais de sommeil dans les
flaques des rues.
L'hyppocampe roulait sa barque et sa lanterne
Sur les pièges du fer et sur les clefs perdues.
Il y avait un mur assommé de traverses
Avec un bec de gaz tout taché de rousseur
Où fusaient tristement les insectes des arbres
Sous le regard absent des éclairs de chaleur ... »

En un sens, j'en sais ainsi davantage sur la ville que par la sociologie urbaine. Mais l'inverse est également vrai. Le poème et la sociologie se répondent - à moins que je confonde l'objectivité scientifique avec une vision de l'objet qui doit se faire grossière à tout prix. Confusion commune, très souvent, au poète et au sociologue. Par le repérage systématique des quartiers, par la recherche de lois d'évolution (comme celles de Burgess), le sociologue ramène la conscience urbaine à de triviales conditions d'existence. Par l'interrogation des habitants selon les règles les plus rigoureuses de l'échantillonnage statistique, il étend la signification vécue de la ville à la mesure de consciences multiples. Il sacrifie, disons, la profondeur à l'étalement. Mais qui ne voit que, dans le poème que je citais, Fargue situe justement la profondeur dans la trivialité ? La recherche du sociologue et celle du poète se recoupent comme deux univers en dialogue, chacun trouvant dans l'autre son répondant nécessaire. Et qui niera que le lecteur idéal - dont le critique veut être la précaire figure - incarne leur communication ?

[232]

Il faut aller plus loin encore. Le poète ou le romancier ne cherche pas le sens de la ville : au contraire, il lui donnera des significations diverses, fragmentaires, contradictoires mêmes... Si le poème est l'achèvement de la monographie, il contredit la systématisation de cette dernière. Mais il ne contredit pas l'intention du sociologue. C'est à la source qu'il faut chercher, en effet, la parente. Quand le chercheur écoute l'homme qu'il interroge, près de la table de la cuisine ou dans le luxueux salon d'un bourgeois, le secret frémissement qu'il éprouve au sein même de sa volonté d'objectivité est semblable à celui du poète qui veut incarner son sentiment dans la rigueur de la forme. Au bout du processus, le poète pourrait retrouver dans le terne langage de la monographie la multiplicité des autres hommes dont il a su se dégager ; et le sociologue pourrait voir dans le poème toutes les directions possibles des consciences qui l'habitaient au moment où il cherchait à repérer et à situer les consciences réelles. La littérature est une phénoménologie du possible ; la sociologie veut être une phénoménologie du nécessaire. Mais le poète et le sociologue rodent de l'une à l'autre. Comme l'homme tout court qui les intéresse tous les deux. C'est que la situation de l'homme, notre commun tourment, est ambiguë par essence. Le sociologue comme le poète visent à se détacher de la vie immédiate et de ses premières expressions. Dans les deux cas, un sens apparaît peu à peu et prend corps, un sens qui est confère à la vie tout autant qu'il est confie par elle. Et ces étagements représentent, comme en une sorte de spectre, les successives approximations d'une intention dont l'œuvre est le prétexte avant d'en être le lieu.

À chaque niveau de lecture de l'œuvre est impliqué un déchiffrage d'une couche nouvelle du sens de la société. L'œuvre provoque ainsi sans cesse l'ouverture de la sociologie et incite celle-ci à être autre chose qu’un simple reflet de la société. [9]

Mais pour qu'elle puisse jouer ce rôle, ce n'est pas assez que le sens de la vie soit inépuisable ; il faut aussi que l'œuvre ait consistance et cristallisation propres. Le roman et le poème sont, en somme, des significations réunies en systèmes. Ne parlons pas encore de transcendance. À la société des hommes correspond de quelque manière une société des œuvres ; et ceci est à peine une métaphore. Le roman et le poème ne renvoient pas seulement à des situations d'existence, mais aussi à d'autres œuvres. De l'étude de l'œuvre littéraire en tant qu'analogue de l’idéologie, [233] nous sommes ainsi amenés à reconnaître une deuxième dimension d'une lecture sociologique de la littérature.

II

La littérature peut être considérée, sous certains aspects, comme une technique sociale d'un genre particulier. Ici, ce n'est plus le jeu des rapports de l'œuvre et de la situation qui est en cause, mais la possibilité même d'une semblable réciprocité - c'est-à-dire l'existence, au sein des mécanismes sociaux, d'une fonction littéraire.

Il est troublant de constater que certains éléments de l'argumentation des critiques les plus soucieux de la transcendance de l'œuvre rejoignent spontanément ce qu'on a dit par ailleurs du mythe. Il y a là une féconde comparaison à conduire.

Le poème ou le roman ne se situent pas, comme le mythe, dans un temps primordial, avant le temps des hommes. Ils n'en supposent pas moins, à l'exemple du mythe, un jugement propre d'existence. Ils sont au-dessus de la temporalité quotidienne. Comme le mythe encore, ils ne sont pas vraie selon l'uniforme vérité de la vie quotidienne : et c'est pour cela que y puise, parce qu'ils sont, comme les primitives mythologies, des rêves qui ont pris corps. « Le mythe, nous dit Eliade, raconte comment une réalité est venue à l'existence. » [10] C'est aussi ce que je trouve dans l’œuvre littéraire : un avènement concret de la signification incarnée dans la stabilité d'une forme. L'œuvre est une chose qui fonde les autres choses.

Du mythe archaïque à la moderne littérature, on soupçonne ainsi la permanence d'une fonction à travers des variations sociologiques. Seule une analyse de ces dernières permettrait de dégager la nature de cette fonction. Contentons-nous de marquer quelques mutations décisives.

Chez le primitif, on discerne une véritable identification de l'univers mental et de l'univers culturel : il n'y a pas d'au-delà du mythe ; celui-ci est la vérité. Il est plus vrai que la vie quotidienne, non pas seulement parce qu'il en est la forme, mais ontologiquement, pour ainsi dire : la vie authentique est l'ensemble des phénomènes qui en procèdent. Dans l'existence empirique, tout concourt à répéter le mythe, à le faire revivre, à le faire communiquer à nouveau avec la vie. À la limite, l'existence en est une doublure. C'est que, dans les sociétés primitives, le symbole prime sur la technique et l'expérimental. C'est lui qui détermine l'aire de jeu de la technique, et non l'inverse. Le caractère élémentaire de l'outillage empêche la constitution d'un monde technique complexe et consistant ; l'outil est plutôt inséré dans des systèmes agraires, dans des genres de vie où les éléments empiriques et les facteurs symboliques sont liés. Encore [234] chez les Grecs, la subjectivité ne s'est pas dégagée vraiment du cosmos : on le voit bien dans le destin qui commande aux dieux, aux hommes - et à la tragédie.

Le christianisme est venu réveiller la subjectivité. Par l'avènement d'un Dieu personnel et historique, le mythe est refoule. Mais le christianisme privilégiait un Événement : cette invasion de la subjectivité dans l'histoire était trop abrupte pour évincer le mythe. D'ailleurs, les conditions de vie qui seront longtemps encore celles d'une société traditionnelle favorisent la prolifération du sacré : la littérature médiévale, l'historiographie même seront des analogues de la mythologie. Il faudra attendre les chroniqueurs de la fin du Moyen Âge pour que le réalisme du récit rende les héros à la logique de la condition empirique des hommes. Rabelais, Montaigne, Cervantès et bien d'autres marqueront le désaccord entre la subjectivité et la culture. Dans le vide alors créé, se situe, et prend ainsi sa signification sociologique, ce que nous appelons la littérature.

C'est dans cette perspective qu'il faudrait essayer de comprendre l'avènement des doctrines classiques. jusqu'alors l'œuvre d'imagination avait suppose un ordre culturel - dont elle dépendait. Voilà que cet ordre spontané a été suffisamment mis en question pour qu'il faille en fabriquer un autre, artificiel, cette fois. Il y avait là un précaire équilibre, dont la royauté absolue fournissait les conditions idéales. Celles-ci ne furent elles-mêmes possibles, comme l'a montré Tocqueville [11], que par une uniformisation de la société française conséquente à la centralisation monarchique. L'« ordre littéraire » remplace le sacré traditionnel, comme l'absolutisme se substitue aux coutumes politiques. Dans les deux cas, il fallait défendre par une sorte de juridisme l'unanimité des esprits que la culture n'assurait plus. On peut y voir un totalitarisme précaire, fabriqué par nostalgie de l'ancien ordre des choses et des hommes.

Il sera vite dépassé, à cause même des nouveaux appuis qu'il a dû se donner. Si la culture tout entière ne fournit plus les modèles de vie et de fiction, on mettra en évidence un élément de la culture, réduisant ainsi l'aire où l'œuvre pourra trouver sa légitimité : ce sera le langage. Bien avant Boileau, on sait que la recherche s'est orientée de ce côté. Mais le langage est une réalité ambiguë : il est bien, en un certain sens, le reflet le plus évident de la culture, mais aussi, en un autre sens, l'instrument par excellence de sa remise en question, la voie de pénétration de la subjectivité vers l'au-delà de la culture. Quand l'Académie se proposait, « par un ample dictionnaire », de « travailler à la pureté de notre langue et de la rendre capable de la plus haute éloquence », elle marquait une belle transition de la rigueur de la culture à la potentialité du langage. En d'autres fermes : avec le classicisme, et malgré les règles [235] qu'il élabore, le langage va pouvoir se substituer à la culture et devenir le lieu ou la subjectivité prendra forme. Le romantisme pourra constituer la subjectivité en un univers dote de sa propre cohérence. La littérature sera désormais en mesure de jouer un rôle tout à fait analogue à celui du mythe primitif. Mais le processus d'émergence est rigoureusement inverse. Le mythe venait à la subjectivité, alors que l'œuvre littéraire en provient.

Balzac est sans doute la merveilleuse incarnation, l'extraordinaire microcosme de cet univers de la subjectivité devenu monde objectif. Il faudrait s'attarder, ici, longuement. Thibaudet a parlé d'une « nouvelle mythologie » à propos de Balzac [12] ; ce qui nous ramène opportunément à notre parallèle de tantôt. Il faudrait plutôt parler d'un substitut des mythes anciens. « Je remplace ce que l'homme appelle la providence ou le hasard », s'écrie Balzac. « Je suis le juge et l'exécuteur, le destin fait homme »... Ce JE, c'est celui de la subjectivité littéraire qui, dans l'éclatement de l'ancienne culture et l'évanouissement de la garantie des mythes, redonne au monde un sens et une justification. « Celui-là qui lève le voile de plomb dont une puissance jalouse enveloppe le sanctuaire des causes premières, proclame encore Balzac, celui-la dompte la terre... et marche égal au destin. » Et voici enfin qui suggère d'étonnants parallèles et d'éclairantes différences avec l'exaltation du passé par le mythe : « Le passé lui apparut dans une vision distincte où les causes du sentiment qu'il inspirait saillirent en relief comme les veines d'un cadavre chez lequel, par quelque savante injection, les naturalistes colorent les moindres ramifications. » [13]

Prodigieux phénomène sociologique ! Et ce qui est en tous points remarquable, c'est qu'il est lié à d'autres qui paraissent tout à fait complémentaires. Les idéologies politiques, qui se multiplient en notre temps, ne sont-elles pas aussi des sortes de mythologies empiriques ? Faute de pouvoir puiser ses justifications dans un temps privilégié et superposé à l'existence empirique, l'homme doit construire, avec des éléments de cette dernière, les définitions de la situation requises pour ses engagements dans l'histoire. Il fabrique ainsi de bien précaires figures de son destin avec des aspects fragmentaires de la vie des groupes auxquels il appartient. Nous évoquerons un autre exemple encore - qui n'est qu'apparemment éloigné [236] de la littérature. Au moment même où celle-ci se constitue en un nouvel espace mental objectif en remplacement de la culture homogène de jadis, émerge aussi la nation comme substitut de ces anciens groupements qu'on disait fondes sur la nature humaine. « C'est la gloire de la France, déclare Renan, d'avoir par la Révolution française proclame qu'une nation existe par elle-même. » [14] Qu'était-ce dire, sinon que la subjectivité humaine n'y avait d'autre support qu'elle-même et d'autres justifications qu'une certaine volonté inscrite dans l'empirisme de l'histoire. L'historiographie aura justement pour but de mettre à jour les fondements existentiels de ce nouvel univers spirituel. Comme pour la littérature, la subjectivité se donne alors un habitacle objectif qui, bien loin de la garantir de l'extérieur, à l'exemple de la société ancienne, n'en est que la fragile projection. On dira : voilà des cas homologues peut-être, mais combien hétéroclites. Mais c'est la justement que se trouve l'originalité de la culture moderne : dans son défaut même d'intégration. Si la subjectivité n'a plus de répondant objectif, elle est condamnée à s'en donner des substituts disparates.

Cette dispersion s'accentue encore par la dissociation de la vie privée et de la vie collective qui se dessine surtout depuis un demi-siècle. Une partie de plus en plus grande de l'existence est déterminée de l'extérieur : les activités de travail, beaucoup de nos contacts les plus directs avec autrui s'effectuent selon des modelés et des normes dont la formulation ne regarde plus l'individu comme tel. Le rôle de la famille est réduit à l'affectivité. Les ambitions et les rêves de l'homme se ramènent ainsi progressivement au cercle étroit de la famille et de l'amitié. Et voici que de ce monde de l'individu naissent de nouveaux rêves et de nouvelles formes de compensation. Ce sont de véritables inversions à partir des dures nécessités de la vie réelle. À l'occasion d'une enquête en milieu ouvrier, nous avions interrogé une jeune fille sur l'usine où elle travaillait. Murs sales, bruits assommants, impolitesse des contremaîtres, etc. : on s'attendait à cette description. Plus tard, elle nous parlait du grill où elle passait la soirée du samedi avec son ami. Glaces à profusion, musique agréable, courtoisie des serveurs, etc. : l'exacte contrepartie du tableau précédent. On songe alors à la réflexion de Victor Hugo à propos du poète : « Tout grand esprit fait dans sa vie deux œuvres : son œuvre de vivant et son œuvre de fantôme »... On soupçonne que ce n'est pas vrai seulement du poète : ce dédoublement est devenu un phénomène sociologique beaucoup plus général. Alors que le mythe ancien était la face subjective de l'univers collectif, la nouvelle mythologie est projection et nourriture de la conscience privée. Mallarmé érige le Livre au-dessus de la vie qu'il déteste. Avec Baudelaire, Rimbaud, le surréalisme, le merveilleux est piège dans la conscience privée. Et aujourd'hui, le « nouveau roman » manifeste sans doute une conscience qui [237] s'épuise dans la perception, qui réduit la subjectivité à la présence harcelante ou enveloppante de l'objet. Tentative extrême et désespérée pour retrouver le dernier remplacement de l'antique conscience collective. Et le langage en acquiert encore de nouveaux pouvoirs. C'est parce qu'il devient, aux mains de l'écrivain, l'outil de la conscience privée qu'il peut, mieux encore, atteindre l'existence par de la culture. Les pâles jeux de la mort dans la prose d'un Blanchot, c'était le dernier versement à paver pour avoir évacué les mythes anciens.

En définitive, si l'œuvre littéraire nous apparaît transcendante, c'est avant tout, pour deux raisons sociologiques. D'une part, elle n'est plus rattachée organiquement à une culture d'ensemble et son destin en est devenu plus imprévisible : mais, à un certain niveau, elle joue, par rapport à nos vies, un rôle fonctionnel assez semblable à celui d'autres techniques sociales, résultant elles aussi de l'éclatement des anciennes formes d'unanimité et dont nous avons donne quelques exemples. En ce sens, l'œuvre littéraire est un type particulier d'idéologie. D'autre part, la littérature élève au-dessus du discours de la vie un autre discours qui veut enfermer dans la cohérence de la forme la signification du premier : de là, la source seconde du sentiment de la transcendance littéraire. Mais là encore, la signification de l'œuvre est parente d'un phénomène sociologique beaucoup plus considérable de disjonction de l'existence entre les impératifs de la vie quotidienne et les rêves compensateurs. À cette différence près que Camus me semble avoir fort bien indiquée lorsqu'il expliquait la création romanesque par la passion de l'unité : « Il ne suffit pas de vivre, il faut une destinée, et sans attendre la mort. Il est donc juste de dire que l'homme a l'idée d'un monde meilleur que celui-ci. Mais meilleur ne veut pas dire alors différent, meilleur veut dire unifié ... Qu'est-ce que le roman, sinon cet univers où l'action trouve sa forme, où les mots de la vie sont prononcés, les êtres livrés aux êtres, où toute la vie prend le visage du Destin. » [15]

III

Nous voilà loin de la conception de la littérature comme reflet de la société - que nous dénoncions au départ, après bien d'autres. Mais nous n'en sommes pas moins en pleine sociologie, puisque la littérature, dans sa visée même de dépassement, nous est apparue, en corollaire avec d'autres phénomènes sociaux, comme signe et produit d'un univers particulier au sein d'une culture nouvelle. Du mythe archaïque à la moderne littérature, en liaison avec les changements sociaux, il faudrait dégager les processus de transmutation et d'achèvement : nous devons sans doute nous excuser d'avoir esquissé cette tâche si superficiellement. Mais nous voulions [238] simplement indiquer ainsi ce qui nous paraît être le second objectif d'une sociologie de la littérature.

Elle n'épuise pas encore la confrontation de la littérature et de la sociologie. S'il est possible à l'analyse sociologique de montrer comment la littérature peut en arriver à surplomber nos vies et à les dominer de toute la plénitude de sa signification, elle ne saurait décider d'une sorte de résidu qui y persiste encore : c'est-à-dire de ce qui distingue, en dernier ressort, un chef-d'œuvre d'un roman médiocre, et surtout de ce subtil pouvoir des symboles qui, dans le mythe ancien comme dans l'œuvre littéraire moderne, participe de nos vies et de nos rêves.

Le symbolique produit l'empirique tout autant qu'il est produit par lui. Dans un ouvrage récent, Gilbert Durand écrit très justement : « Phénomènes astraux et météorologiques, éléments d'une physique grossière de première instance, fonctions sociales, institutions d'ethnies différentes, phases historiques et pressions de l'histoire, toutes ces explications qui, à la rigueur, peuvent légitimer telle ou telle adaptation du comportement, de la perception et des techniques, ne rendent pas compte de cette puissance fondamentale des symboles qui est de lier, par-delà des contradictions naturelles, les cloisonnements sociaux et les ségrégations des périodes de l'histoire. » [16] La psychologie nous a appris que l'enfant perçoit globalement les situations et le langage comme véhicules de valeurs. Le monde est totalité de signification avant d'être un ensemble d'objets naturels. [17] Il en est de même, au fond, chez l'adulte, même si, chez lui, les nécessités de l'action ont donné à l'aire empirique et technique de l'existence une plus grande extension et même si l'influence d'une culture particulière a restreint les possibilités de jeux du symbolisme. C'est que la culture est surdéterminée par rapport à la structure sociale : elle représente une aire de possibles plus étendue que ce qui est effectivement mis en œuvre par les activités collectives. C'est ce qui nous permet de comprendre des sociétés différentes de la nôtre et de fabriquer, pour notre milieu lui-même, ces définitions concrètes du possible que sont les utopies. Cela indique que l'étude sociologique (ou anthropologique) de l'homme comporte deux voies possibles de cheminement. On pourra aller de la structure sociale à la culture : celle-ci apparaîtra alors toujours comme un complément fonctionnel de la situation. C'est la voie que nous avons suivie jusqu'ici pour dégager la perspective d'une sociologie de la littérature. [18] Mais nous avons aperçu la possibilité d'une autre voie : [239] celle où les situations empiriques peuvent être considérées comme l’émanation de l'univers symbolique, où la structure sociale procède de la culture. Ce qui implique un renversement radical de la direction d'analyse selon laquelle le sociologue ramène l'œuvre à la situation, et tout aussi bien celle du critique qui se borne habituellement à reconnaître une marge entre sa situation de lecteur privilégie et l'œuvre elle-même - marge où il loge parfois arbitrairement le mystère.

On en arriverait ainsi à ce singulier paradoxe : il serait possible d'aller, non seulement de la sociologie à l'œuvre littéraire, mais de l'œuvre à la société. Faut-il reculer devant cette inversion de nos tendances familières ? je ne crois pas. Nous le disions au départ : à quoi servirait à la sociologie de prendre la littérature pour objet si cela ne devait pas la remettre en question ?

Nous ne nous arrêtons pas assez souvent à réfléchir que si la culture - et par conséquent la société - pouvait être ramenée à une structure rigoureusement fonctionnelle, où les valeurs seraient des pièces de rouages parmi d’autres, cette singulière machine serait une absurdité : car elle serait une fantastique tautologie. Un rêve comme les autres ... Et après tout, les schèmes de la sociologie scientifique s'enracinent dans un symbolisme préalable. Pour les premières démarches d'appréhension du sociologue, le monde est significatif de la même manière que pour les autres hommes, même s'il donne lieu ultérieurement à un système de signes (interprétation théorique) qui veulent avoir leur cohérence propre. Le sociologue ne peut comprendre les valeurs d'autrui que si lui-même accueille ou récuse ces valeurs au creux de sa propre existence.

Vue sous cet angle, quel est l'apport de la littérature à la connaissance de l'homme et de la société et en quoi est-il complémentaire de la sociologie ?

Bien sûr, l'œuvre littéraire nous permet d'abord de remonter à l'origine des représentations du monde. Elle révèle ainsi la source du symbolique. Non pas seulement, ni même surtout parce qu'elle propose des symboles, mais parce qu'elle les révèle de la façon la plus parfaite. Elle est, par excellence, manifestation de l'ambivalence des symboles plus communs qui inspirent la vie sociale. Elle seule nous permet de pénétrer dans les structures fines du sacré. Parce qu'elle est créatrice de « mythes » infiniment nombreux et disparates, elle est, du même coup, contestation du mythe traditionnel, cette organisation relativement fermée du sacré autour de thèmes symboliques privilégiés. Ce qui permet à la littérature d'atteindre les thèmes essentiels du sacré et de retourner celui-ci contre lui-même pour en dégager les nervures essentielles. Je pense encore à la réciprocité de l'écriture et de la mort chez Blanchot qui nous fait déboucher sur cet autre versant de chacune de nos existences qu'atteint mal la monographie : parce que les poètes, nous dit Blanchot, « ne s'intéressent pas au monde, mais à ce que seraient les êtres et les choses s'il n'y avait pas de monde : [240] parce qu'ils se livrent à la littérature comme à un pouvoir impersonnel qui ne cherche qu'à s'engloutir et à se submerger. Si telle est la poésie, du moins saurons-nous pourquoi elle doit être retirée de l'Histoire, en marge de laquelle elle fait entendre un étrange bruissement d'insecte, et nous saurons aussi que nulle œuvre qui se laisse glisser sur cette pente vers le gouffre ne peut être appelée œuvre de prose. »

N'est-ce pas là une issue privilégiée vers ce qui, dans la société, est la part du rêve et qui relève de l'objet de la sociologie tout autant que le domaine du travail ou du politique ? On connaît l'anecdote fameuse que l'on raconte à propos de Balzac. Dans les réunions mondaines, celui-ci interrompait parfois des discussions passionnées sur la conjoncture sociale ou politique en s'exclamant : « Et si on parlait maintenant de choses sérieuses ». Du roman, voulait-il dire ... Il me semble que c'est à peine une plaisanterie, même pour un sociologue. La société comme l'homme lui-même sont des êtres du possible ; ou, si l'on veut, le possible fait partie nécessairement de notre curieux objet d'étude. Il y a longtemps d'ailleurs que nous l'avons déjà intégré à nos méthodes de travail sans trop en réaliser toutes les conséquences. Que l'on pense aux types idéaux que nous construisons et qui sont des choix dans les éléments du réel, qui n'ont rien à faire avec la fréquence des phénomènes, et où, bien au contraire, nous accentuons certains aspects de façon à faire ressortir ainsi la cohérence significative du réel. Que les romans de Balzac ne reflètent pas exactement la société française du XIXe siècle, je m'en réjouis en tant que sociologue. Ils sont beaucoup plus près de la sociologie. Ils sont une sorte de correspondance des types idéaux que nous élaborons par ailleurs. Ils représentent disons, un autre niveau du possible.

La sociologie, ne l'oublions pas, est née à l'âge de la dévaluation du mythe et de l'imagination « maîtresse d'erreur et de fausseté » (Descartes). Sa poursuite de l'objet risque d'être un peu simpliste et de confondre l'objectivation avec l'objectivité. Que la critique puisse trouver dans nos méthodes et nos concepts plus de rigueur et une prise de conscience plus explicite de sa démarche : cela me paraît certain. Mais, en retour, la littérature représente pour nous l'indispensable dénonciation du déterminisme. Et, à la fin, sociologie et littérature nous apparaissent comme les deux explorations rigoureusement complémentaires qui nous donneront peut-être un jour ce qui serait, dans toute l'extension du terme, une anthropologie.

Fernand DUMONT

Département de sociologie et d’anthropologie,
Université Laval



[241]

COMMENTAIRE


Jeanne LAPOINTE

Faculté des lettres, Université Laval.


Le beau texte que nous venons d'entendre, tout illuminé du dedans par un secret lyrisme de l'abstraction, propose une sorte de syntaxe des disciplines de l'esprit. La richesse illimitée des analogies, le foisonnement de la pensée et de l'érudition, l'ampleur et la sûreté de la démarche, un certain œcuménisme intellectuel font de ces pages une œuvre qui contient en elle-même sa propre fin, comme Kant le dit de l’œuvre  d'art ; aussi se prêterait-elle mieux à la méditation et à la contemplation qu'au commentaire.

Contentons-nous, durant ces instants, de soulever, le long des avenues tracées ici, quelques problèmes qui se posent à l'amateur de littérature, amateur qui risque aujourd'hui cependant, par manque de familiarité avec les travaux antérieurs et l'ensemble de la pensée de M. Dumont, de s’égarer en des interprétations parfois superficielles ou simplistes.

Trois formes de relation entre sociologie et littérature sont proposées recherche des circonstances historiques et sociales qui ont favorisé l'éclosion de l'œuvre ; étude de l'évolution du mythe, qui a peu à peu cédé sa fonction sociale à la littérature ; examen, par le sociologue, non seulement des symboles qu'une culture dépose dans les œuvres littéraires, mais inversement de l'action des symboles sur la société et le sociologue.

La deuxième partie de cet essai, qui sert d'arrière-plan aux méthodes proposées qans la première et la troisième parties, trace une vaste trajectoire historique ou on voit le mythe, avec sa fonction globale de rêve compensateur, se transmuer, sous l'influence de la subjectivité que le christianisme introduit dans les cultures, en une multiplicité d'idéologies parcellaires que transporte la littérature. On est tente, devant ce survol qui offre, comme les grandes découvertes ou les hypothèses fécondes, une apparence de simplicité, d'en prolonger les résonances et de poursuivre le rapprochement : si le mythe, pourrait-on dire, entraîne une catharsis, elle est d'ordre métaphysique ; la catharsis littéraire, par contre, est d'ordre esthétique et affectif. Le mythe propose des images-réponses ; le roman, des images-interrogations. Le personnage mythique n’a pas à décider de sa relation au monde, mais seulement à l’illustrer, par une série de péripéties et d'aventures, sous le regard éternel et patient de vérités bien établies ; le personnage littéraire n’est que problème, remise en question perpétuelle ; et l'on comprend la méfiance qu'il inspire aux dogmatismes et totalitarismes de toutes couleurs.

La troisième partie de l'étude de M. Dumont invite le sociologue à se mettre lui-même en doute au moyen des symboles, à prendre conscience de son propre poids de rêve, de ses marges d'incertitudes. Il semble bien que ce qui le motiverait le mieux à pratiquer cette ascèse serait une familiarité préalable avec la littérature - familiarité tout aussi gratuite que celle d'un physicien ou d'un statisticien avec le poète ou avec le peintre. Seul un sociologue habité tout autant par les rêves de la littérature que par les préoccupations scientifiques se trouvera suffisamment prémuni, lit-on ici, contre la tendance au déterminisme, et, ajoutons-le, contre une certaine atrophie de l'imaginaire qui est, paraît-il, une forme de schizophrénie. [19] Toute une pédagogie implicite du futur sociologue se dégage de ces réflexions.

[242]

Revenons maintenant à la première forme de collaboration qui était proposée au sociologue et au critique, et que nous aimerions examiner plus longuement ; elle se plaçait au stade de la relation entre l'œuvre et le milieu. Elle correspondait à l'enveloppe la plus extérieure, dans cette et on étonnante image des pelures de l’oignon, belle suggestion méthodologique pour l'analyse littéraire et l'approche critique - cet oignon, sans noyau et toujours pelure, comme l’œuvre où fond et forme ne sont toujours, et jusqu’au cœur de la recherche, qu'une seule substance inséparable, le moindre mot étant déjà tout le sens. Cette histoire préalable de l'œuvre devrait être purement sociale : « La biographie de auteur, dit M. Dumont, n'est pas une unité significative ; dissociée du groupe, elle dissout le sens de l'œuvre dans une aveugle psychologie. » On pourrait contester ce rapide rejet de l'éclairage psychologique, si on ne sentait l'intention didactique de ne pas compliquer la syntaxe entre sociologie et littérature ; mais on se demande par ailleurs si toutes les œuvres sont clairement cette réponse à une incitation sociologique ; songeons à Mallarmé.

Désormais enlevée cette première pelure, que faire du reste - qu'on appelle ici un résidu et qui laisse le sociologue perplexe ? On le sent enclin à reléguer ce résidu dans une transcendance, à le sublimer : il en fait un mythe. On pense aux sociétés qui élevaient l'être dont la sensibilité semblait anormale au rang de chamane, afin de « récupérer, selon Jules Monnerot, pour satisfaire un penchant puissant - au profit du groupe, - l'individu aberrant dont elles tiennent la condition précaire pour révélatrice et privilégiée. » [20] L'insolite se trouverait ainsi écarté du champ des réoccupations du sociologue. dans une sorte de marge réservée pour l'irréductible.

Mais avant d'en disposer ainsi, ne pourrions-nous rechercher ce qu’on trouve, dans l'œuvre, au delà de cette première pelure ? « Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix ? », dirait Max Jacob. Quel est cet objet, qu'est-ce que l'écrivain a voulu y mettre, et quelle part pourrait en être atteinte par la critique sociologique ? Retrouvons un moment ce sociologue et ce poète qui observaient la ville. Le sociologue devra, par la suite, s'en tenir à cette réalité, en rendre compte avec exactitude ; le poète, lui, peut à loisir la déformer, possède le privilège du mensonge, sa seule éthique commençant au moment d'être fidèle à sa vision à lui de la ville, vision toute subjective, vision absolument unique s'il s'agit de vision-manière-de-voir, mais vision tout à fait commune, s'il s’agit de vision-chose-vue. Ce n'est pas la ville qui importe à Fargue, mais sa manière à lui de s'y insérer. Par son insistance sur le trivial, le poète montre bien que son intention est ailleurs ; il ne cherche pas à renseigner sur le réel, mais à travers sa propre vision partielle du monde, il exprime l'état de celui qui cherche, dans ce monde, sa place, y cherche son âme, cherche une adéquation entre le réel et lui-même, tout en sachant parfaitement qu'il n'y atteindra jamais ; cet état, cette aspiration irréalisable, le poète, imbu de cet « amer savoir », tentera, avec tout ce scepticisme mélancolique à l'arrière-plan de son esprit, de les mettre dans une forme et une structure. Lukacs a bien montré l'ironie de cette situation. [21] Et que d'écrivains, en proie à une éternelle insatisfaction devant leur œuvre, se la reprocheraient souvent comme une tare de la forme : « Toute œuvre ne garde-t-elle pas au cœur un manque secret, écrit Anne [243] Hébert, une poignante imperfection qui est le signe même de la condition humaine ... signe de la terre qui blesse la beauté du monde en plein visage. La poésie n'est pas le repos du septième jour. Elle agit ... dans l'effort de la vie qui cherche sa nourriture et son nom. » [22] Cependant l'écrivain, qui a ainsi enserré un incohérent moment de l'existence dans une structure cohérente, ne s'est pas donné pour mission d'enrichir notre univers conceptuel. « Je n'enseigne point, je raconte », dit Montaigne. « Tout est dit, depuis sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent », constate La Bruyère. « On n'est pas écrivain pour avoir choisi de dire certaines choses, explique Sartre, mais pour avoir choisi de les dire d'une certaine façon » [23] Qu’il n'y ait pas de noyau dans un oignon, l'écrivain, par conséquent, le reconnaît.

Est-ce donc l'œuvre entière qui sera résidu, pour le sociologue ? S'il arrive à en décanter une certaine masse de notations concrètes, descriptions de lieux, personnages, situations, fera-t-il le bilan de ce que les écrivains considèrent eux-mêmes comme des banalités et ou ils admettent que la réalité est déformée par la subjectivité ? L'entreprise a été souvent tentée, au plan intuitif, pour la littérature canadienne ; le nombre réduit des œuvres permet une exploration complète ; mais justement dans un nombre d'œuvres aussi restreint, les fréquences de thèmes sont-elles vraiment concluantes ou ne s'agit-il que de hasards ? L'autre risque que l'on court, c'est d'étiqueter comme spécifiquement canadien ce qui est le propre de la littérature même ; il m'est arrivé de relever chez nos héros  de roman des indices de notre difficile adaptation au monde [24] alors qu'il me semble aujourd'hui que toute l'entreprise littéraire n'a d'autre but que d'exprimer cette difficulté d'être dans des structures qui y font contrepoids.

Cette étude de la récurrence des thèmes, des symboles et des situations pourrait se faire au moyen d'autres documents que les œuvres littéraires : entrevues spontanées, correspondance, psychiatrie sociale, etc. ; elle met d'ailleurs sur un même œuvre de qualité et l'œuvre médiocre. La littérature aide cependant parfois à recevoir plus finement les symboles dont se nourrit une société ; cette sensibilité antenne pourrait même permettre, dans l'œuvre de certains écrivains qui précédent leur temps, de prévoir de quels symboles la société se nourrira demain.

Les derniers retranchements de la littérature sont peut-être le langage - instrument de la vie quotidienne, bien sûr, mais que la littérature utilise à sa façon - et les structures mystérieuses de l'œuvre. On confectionne aujourd'hui savamment des structures dont le symbolisme est conscient et volontaire : Joyce, L'année dernière à Marienbad, et autres. Auparavant, la structure de l'œuvre apparaissait à l'écrivain comme une affaire de choix esthétique, d'équilibre logique ou significatif du récit. Chez ceux qui sont conscients de leur inconscient et chez les autres, il y a une part de lucidité et une part de nuit dans l'agencement des structures de l'œuvre. Est-il absurde d'imaginer qu'on pourrait tenter de codifier plus ou moins les types de structures, d'en faire une sorte d'algèbre, de voir comment elles se combinent. En procédant ensuite à une étude quantitative sur un grand nombre d'œuvres, ne pourrait-on arriver à une symbolique des structures [244] conscientes et inconscientes, sorte de musée imaginaire des formes littéraires, ou se trouverait cernée d'un peu plus près l'essence de la littérature ? ...

L'entreprise n’est peut-être pas aussi farfelue qu'il semble, si l'on songe aux recherches - mieux connues des statisticiens et des linguistes que des critiques littéraires - qui permettent par exemple de définir, par le seul relevé de la fréquence relative des substantifs, adjectifs et verbes dans un texte, s'il s'agit d'un poème en prose ou d'un roman ; cette fréquence relative des parties du discours suit, dans les tragédies de Racine, une courbe extrêmement précise et permet de supposer qu'Iphigénie, œuvre qu’on croyait postérieure à Bérénice, a sans doute été écrite avant. [25]

C'est peut-être par ce biais, d'un certain quantitatif de cet élément qualitatif, affectif et semi-conscient qu'est le langage que sociologue, statisticien, psychologue et critique, travaillant de concert, rejoindront au plus proche l'œuvre littéraire, là où elle se cristallise. C'est peut-être dans cette algèbre ou dans une géométrie des structures, dans la mathématique du langage que les Lanson et les Brunetière de demain devront consentir à dialoguer avec une calculatrice électronique. L'admirable essai de M. Dumont, œuvre de poète, d'homme de science et de philosophe, contribue à abolir ces murailles qui se sont élevées si haut depuis trois siècles, entre esprit de géométrie et esprit de finesse  - murailles dont se fût affligé Pascal, homme ondoyant et divers, exemple justement, et lui aussi, de la puissante polyvalence de l'intelligence.

Jeanne LAPOINTE
Faculté des lettres, Université Laval.


[1] Gaétan PICON, L'écrivain et son ombre, Paris, Gallimard, 1953, 147. Le même auteur écrit aussi : « Un penseur, par définition, est un homme que certaines réalités préoccupent (l'absolu, la lutte des classes, l'instinct sexuel) : il n'est pas, par définition, un homme que l'art passionne » (ibid., 149). L'affirmation est étonnante.

[2] À un niveau plus abstrait, on dira que toute méthode est indissociable d'une théorie.

[3] Le critique « abrège la course » de l'œuvre, écrit Maurice Nadeau en préface à un recueil d'articles ; il « la fixe momentanément et tisse rapidement entre l'œuvre et le public les multiples fils qui la tiendront un temps prisonnière... » Il compare son métier à « celui de la femme de charge dans un intérieur bien tenu » (Littérature présente, Paris, Corréa, 1952).

[4] Paul BÉNICHOU, Morales du grand siècle, Paris, Gallimard.

[5] Jean-Éthier BLAIS, « Louis Fréchette », Cahiers de l’Académie canadienne-française,. VII 1963.

[6] Même, comme le fait Georges Poulet, en se référant à une catégorie aussi abstraite que celle d'espace.

[7] En particulier dans : « Idéologie et savoir historique », Cahiers internationaux de sociologie, XXXV, 1963, 43-61 ; « Notes sur l'analyse des idéologies », Recherches sociographiques, IV, 2, mai-août 1963, 155-166.

[8] Lucien GOLDMANN, Le dieu caché. Étude dur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, 1955, 27-28.

[9] Cet étagement coïncide aussi, par ailleurs, avec le processus de l'éducation esthétique, c'est-à-dire avec l'accession progressive à l'art authentique. je commence par mêler les sentiments de la vie à ceux de l'art, celui-ci étant une sorte de réactif ; c'est pourquoi, dans les débuts, on confond si aisément les œuvres bonnes et les mauvaises. Picon écrit justement : « Nul ne peut commencer par les œuvres qui, refusant d'idéaliser, de parer, de complaire, préviennent sans équivoque qu'elles s , adressent au lecteur, non au sujet psychologique... Toute éducation artistique doit commencer sinon par l'art il médiocre, au moins par l'art équivoque : qui a d'autres pouvoirs que ceux de l'art » (op. cit., 96).

[10] Mircéa ÉLIADE, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, 15.

[11] Dans L'Ancien Régime et la Révolution (1856). [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[12] Que Balzac lui-même paraît avoir justifiée par avance dans la préface de La peau de chagrin (1831), où se trouve cette sorte de confession d'un inventeur de mythes conscient de sa pensée : « Il se passe chez les poètes ou les écrivains réellement philosophes, un phénomène moral inexplicable, inouï, dont la science peut difficilement rendre compte. C'est une sorte de seconde vue qui leur permet de deviner la vérité dans toutes les situations possibles ; ou mieux encore, je ne sais quelle puissance qui les transporte là où ils doivent, où ils veulent être. Ils inventent le vrai, par analogie, ou voient l'objet à décrire, soit que l'objet vienne à eux, soit qu'ils aillent eux-mêmes vers l'objet ... »

[13] Combien d'autres textes pourrions-nous citer encore ! Renvoyons aux belles analyses d'Albert BÉGUIN dans son Balzac visionnaire, Paris, Skira, 1946.

[14] « Qu'est-ce qu'une nation ? », p. 176 du recueil composé par Émile BURÉ, Ernest Renan et l’A1lemagne, Brentano's, 1945.

[15] Albert CAMUS, L'homme révolté, Paris, Gallimard, 1951, 314. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[16] Gilbert DURAND, Les structures anthropologiques de 1'imaqinaire, Presses Universitaires de France, 1963, 28-29.

[17] Ce qui a amené Claude Lévi-Strauss à penser que « l'enfant apporte, en naissant, et sous forme de structures mentales ébauchées, l'intégralité des moyens dont l'humanité dispose de toute éternité pour définir ses relations au monde ... » L’enfance est ainsi « le fond universel infiniment plus riche que celui dont dispose chaque société particulière » (Les formes élémentaires de la parenté, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, 122 et 120).

[18] Et c'est malheureusement la seule qui soit habituellement mise en œuvre : il faut voir là sans doute l'origine de la conception traditionnelle de la littérature comme reflet.

[19] Jules MONNEROT, La poésie moderne et le sacré, Paris, Gallimard, 1945,137.

[20] Ibid., 124

[21] LUKACS, La théorie du roman, Paris, Éditions Gonthier, 1963.

[22] Anne HÉBERT, Poèmes, Paris, Éditions du Seuil, 1960, 71.

[23] Jean-Paul SARTRE, Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, 76.

[24] « Quelques apports positifs de notre littérature d'imagination », Cité libre, 10, octobre 1954, 17-36.

[25] Pierre GUIRAUD, Problèmes et méthodes de la statistique linguistique, Paris, Presses Universitaires de France, 1960, 26.


Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 mars 2013 10:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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