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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

QUESTIONS DE CULTURE, no 10, “L'État et la culture. (1986)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue QUESTIONS DE CULTURE, no 10, “L'État et la culture. Un numéro sous la direction de Fernand Dumont. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1986, 173 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.

Questions de culture no 10

[9]

Présentation

par

Gabriel Dussault

Si l'on en croit un récit peut-être légendaire rapporté par Étiemble, Confucius, un jour placé devant l'éventualité de se voir confier le gouvernement, se serait assigné comme première tâche dans l'exercice de cette fonction de «corriger les dénominations», car : « dénominations incorrectes, discours incohérents ; discours incohérents, affaires compromises »... Un tel projet de politique culturelle avant la lettre trouverait aujourd'hui un champ d'application privilégié précisément dans l'appellation des politiques culturelles elles-mêmes dont il contribuerait tout au moins à clarifier l'objet. Depuis une vingtaine d'années en effet, non seulement au Québec mais un peu partout à travers le monde, l'on assiste, semble-t-il, à une extension et à une intensification des préoccupations et de l'interventionnisme étatiques en matière de «culture». Cette dernière est devenue de plus en plus affaire d'État comme en témoigne la multiplication, par exemple, des ministères et autres agences gouvernementales à vocation «culturelle», des énoncés de politiques et des plans d'action dans ce domaine, tout comme des conférences internationales sur les «politiques culturelles». Et au moment même où les préoccupations étatiques de cet ordre sembleraient s'estomper quelque peu au Québec, ne paraissent-elles pas ressurgir sur la scène fédérale dans la perspective des négociations relatives à la conclusion d'un accord de libre-échange avec les États-Unis ? Force est cependant de constater que le vocable de «culture», en contexte politique notamment, est employé le plus souvent, par les plus hautes instances elles-mêmes, avec la plus extrême confusion. Sa signification s'élargit tantôt à l'ensemble du mode de vie, pour se rétrécir ailleurs à cette seule portion de la seule subculture savante que constituent les arts et les lettres, en excluant même la science et la technologie à l'heure précise où l'on proclame de partout pourtant l'avènement d'une société scientifique et technologique. Il n'est pas exceptionnel même de relever pareil flottement sémantique, dont les vertus rhétoriques et politiques n'échapperont à personne, dans le cadre d'un seul document.

Ces usages divers que font les États du terme de culture ne sont sans doute pas négligeables, innocents, inoffensifs: ils contribuent en effet, dans [10] chaque cas, à officialiser, avec plus ou moins de cohérence, une certaine conception ou une certaine image de la culture (et de ce qui en est exclu). Mais leur diversité même, entre autres raisons, engage l'analyste des politiques culturelles à adopter l'acception de ce mot qui est a la fois la plus large et, paradoxalement, la plus rigoureuse et la plus libre de tout jugement de valeur: en ce sens, on le sait, la culture désigne ni plus ni moins que l'ensemble des manières interreliées et interdépendantes de penser, de sentir et d'agir, ni innées ni universelles, mais (au moins) relativement arbitraires et distinctives d'une collectivité donnée (civilisation, société globale, ethnie, nation, région, classe sociale, groupement volontaire, etc.), à un moment donné de son histoire, ainsi que l'ensemble des objectivations auxquelles elles donnent lieu dans des produits humains, dans des œuvres. Or, une observation sommaire suffit pour constater qu'aujourd'hui il n'est guère de champs ou secteurs constitutifs de la culture ainsi entendue (savoirs, savoir-faire, arts et autres activités expressives comme les jeux et les sports, langue, voire morale, mœurs et religion) qui ne fassent l'objet, directement ou indirectement, expressément ou tacitement, de l'une ou de l'autre des multiples modalités (législative, gouvernementale, judiciaire, administrative) d'intervention de l'État. De la plomberie à la théologie en passant par la terminologie, les poids et mesures, les poids et haltères ou les jeux de hasard, quel recoin de la culture échappe entièrement à son action? Et n'en va-t-il pas de même, plus spécifiquement, des divers processus culturels, eux-mêmes interdépendants, qui ont cours ou sont susceptibles d'avoir cours à l'intérieur de chacun de ces champs cognitifs, «esthétiques» ou pratiques: création, expression, production, diffusion (enseignement et médias), réception (ou «consommation»), conservation, animation, formation spécialisée. On le voit: les politiques et, plus largement, les interventions culturelles gouvernementales ainsi comprises débordent de toutes parts, dans les faits, le cercle relativement étroit des arts et des lettres, de l'aide à la création et de la conservation du patrimoine, où l'on persiste de façon récurrente à vouloir les enfermer.

Dans ces conditions, plusieurs questions s'imposent à la réflexion. Nous n'en retiendrons ici que quelques-unes.

Une première surgit de la prise en considération de la diversité culturelle ou subculturelle qui caractérise des sociétés complexes et différenciées comme les nôtres, structurellement diversifiées en fonction des sexes, des âges, des régions, des collectivités ethniques, des occupations, des classes, etc. N'y a-t-il pas lieu, en effet, de se demander, dès lors, de qui et pour qui (à l'usage de qui ?) est cette culture qui fait l'objet de l'intervention de l'État? En d'autres termes, des formes ou modèles culturels (cognitifs, esthétiques, pratiques) de quels groupes sociaux l'intervention de l'État vise-t-elle la valorisation, le développement, l'épanouissement, et de quels autres (qui sait ?) poursuit-elle, au contraire, la stigmatisation, le dépérissement et l'extinction, ne serait-ce que subrepticement et tacitement ?

En outre, s'interroger sur les politiques culturelles, c'est poser le problème des rapports entre la culture et le Pouvoir, dont l'État est l'une des figures, et c'est se demander, en particulier, quel type d'intérêt peut bien éprouver le Pouvoir pour la culture. Quels sont donc les motifs, les raisons, les impératifs [11] qui incitent l'État à investir, coloniser, cultiver le culturel ? Que vient-il faire dans cette galère ? Quels jeux et enjeux proprement politiques gouvernent cette opération, commandent la création de certains programmes, la suppression de certains autres ? On sait très bien maintenant, par exemple, que ce n'est pas l'amour de la vérité scientifique pour elle-même qui a été et qui reste le principal moteur du développement des politiques de la science, mais que jouent bien plutôt ce rôle des préoccupations relatives à la puissance militaire, au prestige national et à la croissance économique. S'il en est ainsi de l'intervention de l'État dans un secteur aussi vital de la culture, est-il dès lors stupide ou scandaleux de se demander si, par hasard, d'autres interventions culturelles ne s'inspireraient pas, mutatis mutandis, de considérations analogues ? La culture comme moyen de promouvoir l'identité nationale, de justifier ainsi la distinctivité et la souveraineté plus ou moins complète de l'État-nation et de préserver, de manière supplémentaire, l'intégrité de ses frontières ? La culture comme arme dans la lutte de prestige que se livrent les États ? La culture comme ressource diplomatique? La culture comme facteur de développement des forces productives, et comme marchandise permettant à la fois le maintien de la croissance économique dans une société dont les productions sont de moins en moins massivement matérielles... et la poursuite de l'accumulation du capital, par de nouveaux produits, pour de nouveaux marchés ? La culture comme outil d'intégration et de régulation sociales, comme instrument chargé d'assurer ordre, cohésion et consensus sociaux, si minimes soient-ils ? La culture comme appât aidant les gouvernants à s'attacher, a des fins de popularité, ces faiseurs d'opinion que sont, à des degrés divers, troubadours et trouvères de tous genres ? La culture comme dernier terrain ouvert à l'expansion de la techno-bureaucratie, justifiant un accroissement de ses pouvoirs ? — Incongrues ou indûment machiavéliques, semblables hypothèses? Elles n'apparaîtront telles qu'à ceux qui s'imaginent que, parce que culturelles, les politiques culturelles cessent d'être des politiques...

Enfin, dans un troisième ordre d'idées, quels sont les enjeux proprement culturels de cette action du pouvoir ? Quel en est l'impact réel ? Quelles en sont les conséquences observées ou pressenties, les effets voulus ou pervers, aussi bien sur telle ou telle dimension de la culture que sur la configuration culturelle d'ensemble de la société ?

On l'aura compris: on voudrait, dans les pages qui suivent, dépasser deux genres qui fleurissent dans la littérature désormais abondante consacrée aux politiques culturelles: le discours idéologique moralisateur et rationalisateur, et la description administrative de mesures et de programmes qui exsude un mortel ennui. Dans cette perspective, il aurait sans doute été à première vue bien tentant de procéder à un examen systématique des politiques culturelles et de chercher à répondre globalement, du moins pour ici, aux questions que nous venons d'évoquer. Compte tenu cependant de la complexité et de l'univers culturel et des modalités d'intervention de l'État, ainsi que du peu d'avancement d'une recherche qui, en ce domaine, en est toujours à ses premiers balbutiements, pareille entreprise aurait été plus que téméraire. Une autre stratégie, plus modeste, paraissait donc s'imposer. Aussi bien, la plupart des textes réunis ici se proposent-ils plutôt d'apporter des éléments de réponses [12] à ces questions, ou d'en soulever de nouvelles, en sondant divers domaines plus circonscrits de la politique culturelle, et en prenant le Québec comme point de référence principal.

C'est ainsi que Laurent Mailhot et Benoît Melançon attirent notre attention sur l'imbrication étroite du culturel et du politique dans la littérature québécoise,, comme sur les contradictions, ambiguïtés, paradoxes qui entourent les politiques culturelles d'ici, aussi bien chez ceux qui les font que chez ceux qu'elles visent. Ils montrent par ailleurs comment les interrelations entre la culture et l'économie, thème particulièrement actuel des politiques culturelles, ont des implications qui débordent de beaucoup le cadre des « industries culturelles ».

Après avoir rappelé, pour sa part, l'importance culturelle présente de l'univers des communications et des politiques qui les touchent, Pierre-A. Deschênes, s'appuyant notamment sur l'examen historique du dossier québécois en cette matière, met en lumière à la fois la constance de certains objectifs dans le discours politique et le changement des problématiques, des priorités et des modes privilégiés d'intervention au cours des ans. Analysant les courants qui ont récemment affecté les médias, il s'attache en outre à dégager certains enjeux sociaux de leur développement.

C'est sur l'évolution de la politique du loisir au Québec que se penche, quant à lui, Roger Levasseur: il souligne le rôle capital joué sur ce terrain par les représentations politiques de ces nouvelles couches sociales qu'ont constituées les professionnels du loisir. Il dégage le contenu de leurs revendications pour décrire ensuite, en contrepartie, les orientations et les grandes modalités successives d'intervention de l'État dans ses rapports avec ses partenaires.

Les systèmes d'enseignement constituent manifestement l'un des lieux à travers lesquels les États modernes interviennent le plus continûment, le plus quotidiennement et le plus massivement sur la culture. On ne saurait dès lors s'étonner qu'ils puissent faire l'objet d'approches et de questionnements multiples, comme l'atteste la diversité même des quatre courts exposés que nous avons réunis sur ce thème. Jean-Claude Guédon nous invite à réfléchir sur les enjeux et les défis de l'entrée de l'Université dans la société de l'information. Deux décennies après la création des cégeps, Paul Inchauspé s'interroge notamment sur leur rôle dans l'élargissement de l'accessibilité à l'enseignement supérieur, sur le modèle culturel qui leur serait propre, sur les liens qui les unissent à leurs milieux. Émile Robichaud, dans un texte à forte saveur écologique, dénonce ces «polluants» de l'école secondaire que sont les « BPC » : Bureaucratie, Politique et Centralisation. Bernard Le Régent, enfin, s'emploie à montrer comment l'exercice collégial du pouvoir à l'école primaire ou secondaire, promu par l'État québécois, constitue un outil essentiel pour atteindre l'excellence en éducation: il en indique à la fois l'importance, les lieux d'exercice, les avantages, les inconvénients et les limites.

Retraçant les grandes étapes ayant marqué l'évolution des politiques scientifiques et technologiques québécoises depuis vingt-cinq ans, Charles H. Davis et Raymond Duchesne cherchent, quant à eux, à préciser quels en furent les principaux acteurs, quelles furent les répercussions institutionnelles [13] de l'action de ces derniers, et de quelles façons successives les politiques en cause se sont définies par rapport au « culturel ». Notant enfin le récent glissement de la politique scientifique vers la technologie, ils indiquent et illustrent les enjeux culturels nouveaux qui, de ce fait même, ont surgi.

Jean-William Lapierre, de son côté, montre, au moyen d'un large tour d'horizon historique et géographique, que si ces « machines à pouvoir » que sont les États ne peuvent guère se dispenser de chercher à régler les «machines à savoir» qu'incarnent les langues, et ne peuvent donc se passer d'une politique linguistique, la question linguistique en revanche ne devient un enjeu de luttes dans la politique des États que sous certaines conditions sociologiques déterminées, qu'il s'emploie à analyser. Il constate en outre que l'usage des langues tend, par-delà les frontières des États, à devenir un enjeu politique international, tandis qu'en compétition avec d'autres langues l'anglais poursuit son ascension vers le statut possible de langue universelle du XXIe siècle. Michel Plourde nous livre une réaction québécoise à ce texte en rappelant brièvement comment la question linguistique est redevenue ici un enjeu politique important au cours du dernier quart de siècle.

Deux articles cependant abordent les politiques culturelles de façon plus globale, et il a paru indiqué, pour cette raison, de les faire figurer en tête de ce numéro.

Le premier, rédigé par le signataire de ces lignes, cherche à identifier, formuler et illustrer certaines des justifications idéologiques les plus courantes et les plus importantes de l'intervention culturelle étatique, et à faire voir les limites de leur portée explicative.

Dans le second, Marie-Charlotte De Koninck, évoquant l'évolution qu'a connue le ministère des Affaires culturelles du Québec, retrace notamment les grands principes qui ont servi à justifier son existence et son action, signale le déplacement des préoccupations vers les stratégies d'intervention, et se demande si les nouvelles stratégies mettant en valeur le partenariat et la rentabilité économique remettent en question les principes du « devoir de l'État et des droits des citoyens en matière de culture ».

Puisse l'ensemble de ces textes contribuer, à tout le moins, à susciter de nouvelles interrogations et de nouvelles recherches.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 17 avril 2018 10:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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