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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

QUESTIONS DE CULTURE, no 7, “La culture: une industrie ?. (1984)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue QUESTIONS DE CULTURE, no 7, “La culture: une industrie ?. Un numéro sous la direction de Fernand Dumont. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1984, 216 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.

[11]

Questions de culture no 7

Présentation

L'imaginaire en mal de liberté

par

Gabrielle Lachance

Depuis une quinzaine d'années, les écrits et colloques sur les industries culturelles et d'autres phénomènes connexes se sont multipliés. L'ampleur soudaine de la production et du marché des biens symboliques dans les pays industrialisés a largement contribué à multiplier les interrogations sur les enjeux économiques, mais surtout socio-culturels qui en découlaient. Au Québec, toutefois, les études ont généralement porté sur des questions très ponctuelles et ont été effectuées pour la plupart par des fonctionnaires en vue d'aider à la création de programmes gouvernementaux ou à l'élaboration de politiques sectorielles. On n'a pas encore vraiment fait le procès de l'industrialisation des produits de culture et de sa signification concrète dans la vie des gens. Aussi, ce numéro de Questions de culture veut-il alimenter le débat dans ce sens, l'ouvrir à de telles perspectives.

Il est évident que l'industrialisation a fortement influencé le mode de fonctionnement du commerce, mais ses effets ne s'y limitent pas pour autant; ils se font sentir dans les diverses sphères de l'activité humaine. C'est d'ailleurs pourquoi on s'interroge avec plus d'acuité sur le devenir culturel des sociétés qui s'industrialisent toujours davantage.

La logique industrielle est implacable. Elle exige, entre autres, un effort constant de planification afin d'assurer la rentabilité des opérations et de faciliter la mise en marché des produits. Cette planification engage tellement d'entités industrielles, commerciales, administratives ou autres qu'elle finit à la longue par entraîner dans son sillage le fonctionnement général de toute une société. C'est ainsi que nous en sommes venus à vivre dans un monde où l'avenir est organisé à l'avance, selon des plans déterminés. Désormais, on ne compte plus sur les individus ou sur les collectivités pour inventer leur devenir en fonction de besoins ou d'aspirations propres. Plutôt que d'être mise au service de la vie, l'imagination se trouve à la disposition de l'industrie et de son besoin de planification. C'est dans cette perspective que Gilles Gagné [12] examine de plus près l'évolution de la culture québécoise pour se demander vers où elle s'en va. Peut-elle s'épanouir dans un univers où la rationalité semble vouloir l'emporter sur l'imagination?

Sur un plan plus restreint, celui des « industries de l'âme » (M. Rioux), cette inquiétude est également lancinante. Bien sûr, l'industrie a favorisé la démocratisation des pratiques culturelles autrefois réservées à une élite. Ce fait pourrait s'avérer positif si maints détenteurs du pouvoir industriel et commercial n'étaient situés outre frontière. Or, dans le domaine culturel tout comme dans celui de l'économie, les États-Unis représentent au Québec une puissance déterminante. Aussi, le déferlement de leurs produits sur le territoire québécois n'est pas sans menacer l'identité collective, car les «industries de l'âme», nous le savons, véhiculent des contenus hautement idéologiques et symboliques. Ici, l'imaginaire n'est pas qu'assujetti à l'industrie, il est aussi dominé par un autre.

Mais les produits de l'imaginaire importés massivement agissent-ils si puissamment sur l'identité d'un peuple? La question jaillit spontanément. Alors qu'une génération a grandi avec la télévision, deux chercheurs (de la Garde et Ross) ont voulu savoir comment les jeunes se situaient culturellement par rapport au produit américain surtout et quels effets découlaient d'une écoute assidue de productions étrangères. Curieusement, alors que l'influence de la télévision américaine est évidente, les jeunes continuent de se distinguer nettement de leurs voisins. La spécificité québécoise est plus ténue, certes, mais l'identité demeure. Il y a là un phénomène intéressant, mais difficile à expliquer en raison de la complexité des réalités en cause. Il mérite qu'on s'y arrête.

Une première réflexion en ce sens est ébauchée (Lachance). Elle porte plus spécifiquement sur la relation entre trois notions : la culture, l'industrie et l'identité. Depuis quelques années, plusieurs observateurs et analystes de la scène québécoise pressentent un affaiblissement de l'identité et, par conséquent de la culture québécoise, principalement en raison de la situation minoritaire du Québec en tant que nation francophone en Amérique du Nord. Mais étrangement, au Québec, le développement d'une conscience de soi s'est fait, pendant des décennies, en marge de l'industrialisation. Aujourd'hui, bien que métamorphosé par la production culturelle qui lui arrive massivement de l'étranger, le Québec semble vouloir récupérer par les marges — ou par le coeur — son souffle d'identité. L'effet de «minorisation» démographique et culturelle des Québécois paraît renforcer leur pouvoir créateur si bien que l'imagination créatrice devient de plus en plus un gage d'affirmation culturelle.

À côté de ces enjeux socio-culturels, il existe des problèmes plus pratiques et non moins importants qui concernent cette fois l'administration, [13] la gestion et le commerce des produits de culture. Les arts d'interprétation offrent de ce point de vue un terrain d'étude privilégié, car ils se situent à la périphérie de l'influence industrielle. Il est évident que la danse, le théâtre, la musique symphonique ou l'opéra, par exemple, sont des productions qui se distancient beaucoup plus du processus industriel que le disque, le cinéma ou le livre. De par leur nature, ils accordent à l'imaginaire et au symbolique une place prépondérante. C'est ainsi qu'ils obligent les administrateurs et les gestionnaires de ce secteur à remettre en cause non seulement le genre de production et de commercialisation hérité du modèle industriel, mais également la façon d'envisager la gestion des entreprises culturelles (Lapierre).

Est-il possible de concevoir la commercialisation des produits de l'imaginaire de la même façon que celle des autres produits manufacturés ? F. Colbert tente de le faire. Il analyse la situation qui existe présentement au Québec et constate, devant la fragmentation de plus en plus grande des marchés, l'importance de solutions adaptées. Même s'il existe des similitudes entre les diverses industries, la nature même du produit artistique oblige à rechercher des solutions différentes, originales. C'est un défi posé aux gestionnaires de la culture, car il est impossible d'imiter parfaitement le secteur à proprement parler industriel. À côté de la raison administrative et commerciale, il faut compter d'abord et avant tout sur l'imagination pour « réconcilier l'art et le besoin du marché de façon dynamique ».

Une troisième catégorie d'articles concernent l'État et son engagement dans le champ culturel. Après s'être immiscés dans le domaine de l'industrie et du commerce jusque-là réservé au secteur privé, après avoir pris en charge l'éducation, la santé et le bien-être, la plupart des États occidentaux ont décidé de s'occuper plus directement des «affaires culturelles». Ces dernières ne se limitent pas, comme autrefois, au patrimoine et aux musées, mais elles comprennent tout ce qui a trait aux arts, aux lettres et aux communications. Cela se fait depuis plus d'un quart de siècle déjà.

Diverses expériences ont été réalisées, qu'on peut maintenant se permettre d'analyser. Les structures ont varié d'un pays à l'autre. A. Girard analyse ce qui s'est passé en France à cet égard. Il s'interroge sur les bienfaits d'une structure de ministère par rapport à un conseil des arts. Avantages et inconvénients s'entrecroisent si bien qu'on souhaiterait, à l'avenir, non pas favoriser une formule particulière, mais améliorer plutôt ce qui existe de façon à stimuler la volonté politique des gouvernants en matière culturelle tout en laissant plus d'initiatives aux gens de métier. Ici encore, place à l'imagination!

L'étude du cas québécois est plus globale, mais elle s'arrête également à l'institution culturelle plutôt qu'à la culture vécue. C. Simard soulève la question — difficile mais non moins importante — de la fonction [14] politique et sociale de la culture depuis 1960. Elle décèle trois moments de la culture québécoise avec des contenus culturels différents et qui se traduisent par une structure politico-administrative particulière. C'est ainsi que l'on voit une notion plus restreinte de la politique culturelle évoluer jusqu'à une autre visant le développement culturel de l'ensemble du Québec. Cela ne peut que laisser supposer une évolution significative. La culture conçue comme outil de légitimation politique n'est-elle pas en train de devenir un agent de contrôle social ?

En devenant l'une et l'autre (outil de légitimation politique et agent de contrôle social) — ou pour le devenir ? — l'État s'est doté d'outils qui l'aident dans le développement de programmes et de politiques. Le plus utilisé est sans aucun doute l'appareil statistique, dont le dernier-né a pris la forme de statistiques culturelles. Comme ces dernières se contentent d'imiter les grands systèmes de statistiques économiques, démographiques et sociales, on peut se demander si, présentement, elles peuvent être autre chose que des outils de gestion. Pourtant, ne devraient-elles pas décrire plus qu'un «processus de production, de diffusion et d'utilisation d'un certain nombre de produits appelés culturels?» (Baillargeon). Les travaux de développement de ces statistiques n'étant encore qu'à leurs débuts, il faut espérer qu'elles arriveront bientôt à sortir des sentiers battus.

Voilà les grands axes de la réflexion proposée dans ce numéro sur la culture et l'industrie. Jean-Jacques Simard nous ramène aux idées maîtresses de la problématique: la rationalisation contre la signification. La civilisation industrielle nous a habitués à la rationalité, à la technicité, à l'efficacité. Par ailleurs, l'espace toujours plus grand de loisir mis à note disposition nous fait rechercher les produits de l'imaginaire. Dans un tel milieu de vie, peut-on vraiment rationaliser la culture ? Certes, nous nous laissons influencer par le fonctionnement de la société industrielle, mais il semble que nous savons de plus en plus nous réserver des espaces où l'imaginaire reprend ses droits.

La culture: une industrie ? Les réflexions qui suivent nous permettent d'espérer — malgré tout — le contraire.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 17 avril 2018 10:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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