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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

QUESTIONS DE CULTURE, no 5, “Les régions culturelles. (1983)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue QUESTIONS DE CULTURE, no 5, “Les régions culturelles. Un numéro sous la direction de Fernand Dumont. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, 189 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.

[9]

Questions de culture no 5

Présentation

par

Yvan Lamonde

Comment peut-on rendre compte de la réorientation de la recherche dans le secteur de l'histoire socio-culturelle du Québec depuis une dizaine d'années?

Cette question directrice a présidé à l'organisation et à la tenue, les 18 et 79 mars 1982, d'un atelier de l'Institut québécois de recherche sur la culture portant sur "les changements culturels en milieux rural et urbain au Québec de 1800 à 1930". Les textes réunis ici, à l'exception de celui de Pierre-Louis Lapointe, firent d'abord l'objet de communications à cet atelier de travail.

L'analyse des idéologies a occupé, jusqu'au début de la décennie de 1970, une place prépondérante dans le secteur de l'histoire socioculturelle [1]. Mais, depuis une dizaine d'années, la recherche historique sur la culture s'est territorialisée en se portant sur l'étude d'espaces géographiques circonscrits. Il est d'ailleurs remarquable que bon nombre d'historiens qui avaient œuvré dans le domaine de l'histoire des idéologies, se soient par la suite attaqués à l'étude d'espaces régionaux, urbains ou villageois, limités. Cette réorientation, attribuable d'une part à une volonté d'approfondir les bases socio-économiques des idéologies étudiées, correspond d'autre part au phénomène politico-culturel contemporain de l'ouverture aux régions, dont l'une des retombées fut l'implantation à la fois de campus régionaux par la nouvelle Université du Québec et de dépôts régionaux par les Archives nationales du Québec. De nouveaux espaces s'ouvraient aux historiens dorénavant appliqués à l'étude de régions (Saguenay-Lac-Saint-Jean, Mauricie, Bas-du-Fleuve, Outaouais) et de métropoles ou capitales régionales (Chicoutimi, Trois-Rivières, Rimouski).

[10]

Du coup, cette conjoncture révélait la nécessité et la pertinence d'une nouvelle approche de l'histoire du milieu rural, de mieux en mieux contrasté avec le milieu urbain.

On devine facilement les implications de ces paramètres pour l'histoire socio-culturelle. L'étude d'espaces circonscrits permettait d'inscrire la culture dans une totalité, de mieux en articuler les rapports à l'économie et à la société, bref, d'en réduire la dimension souvent trop fragmentée, idéaliste.

Un des apports de cette nouvelle histoire des régions est précisément cette focalisation, non plus sur les régions de peuplement ancien du littoral laurentien immédiat, mais plutôt sur les régions périphériques dites de "colonisation". Les cinq régions étudiées ci-après ont en commun cet aspect périphérique, lui-même caractérisé par un type d'économie mixte, le plus souvent agro-forestier. La périphérie dont il s'agit est certes géographique mais surtout économique en ce que l'économie de ces régions dépend le plus souvent d'un "centre" qui est extérieur à la région sinon au Québec même.

C'est précisément cette structure régionale de dépendance économique périphérique que les études de Gérard Bouchard et de Normand Séguin ont littéralement révélée. Cette dimension économique structurelle a permis à ces historiens de dégager aussi une caractéristique structurelle, cette fois culturelle, où apparaît la non-coïncidence, la "désarticulation" dans ces régions entre la dépendance économique et la dépendance socio-culturelle. Au contrôle économique régional extérieur correspond un contrôle socio-culturel local autonome, qui est celui d'une petite bourgeoisie et/ou d'un clergé sans pouvoir sur le développement économique mais avec tous les pouvoirs sur le développement culturel.

La contribution de Gérard Bouchard au présent numéro résume cette problématique, mais en tire surtout les conséquences et la signification utiles pour comprendre la Révolution tranquille et la recherche d'identité culturelle des Québécois avant et après 7976. Bouchard fait remonter au-delà des années 1950 le courant de modernité catalysé par la Révolution tranquille; pour cet historien, c'est durant la décennie de 1925 à 1935, au moment où s'effondre le vieux système de transmission des patrimoines familiaux des régions périphériques dans lesquelles l'oekoumène est désormais plein, que peuvent se lire les premiers signes d'une mutation décisive. Tout en soulignant d'autre part les pratiques populaires de réappropriation symbolique des Québécois en quête d'identité depuis 1960, Bouchard avoue une "vision pessimiste" de l'avenir, qui retrouve dans l'échec du référendum de 1980 et dans la "reculade" constitutionnelle de 1982 les signes de la perpétuation des dépendances. Bouchard nous mène à une question fondamentale: quel [11] est le sens de cette désarticulation perpétuée, de cette réappropriation symbolique qui ne s'accompagne — encore aujourd'hui — ni d'une réappropriation politique ni d'une réappropriation économique?

René Hardy et Jean Roy explorent aussi cet "écosystème” de la société rurale et la culture spécifique de l'économie agro-forestière de la Mauricie en mettant l'accent sur le pouvoir local du clergé. Tout en ajoutant des éléments de poids à la thèse de la désarticulation socio-culturelle des régions périphériques, Hardy et Roy montrent l'aboutissement du processus d'encadrement et d'homogénéisation de la pratique religieuse en Mauricie entre 1870 et 1885, encadrement d'autant plus lent par ailleurs qu'il se confronte au "front pionnier" des chantiers, en marge des agglomérations et des institutions de contrôle. Cette fascinante enquête sur une religion intimement liée à la nature révèle la dimension "magique" d'une pratique religieuse prompte à voir l'action providentielle dans les fléaux comme dans les bonnes récoltes. Le providentialisme d'une certaine historiographie clérico-conservatrice prend, dans ce contexte, sa vraie signification.

C'est aussi le système agro-forestier du Bas-Saint-Laurent qu'analyse Guy Massicotte à travers l'histoire d'une capitale régionale. Dégageant les signes historiques de la vocation forestière puis agricole de Rimouski, Massicotte cherche, tout comme G. Bouchard, le sens de la crise de l'économie agro-forestière dans le Bas-Saint-Laurent vers 1940, au moment où les élites locales se heurtent à la crainte d'un épuisement du système forestier et au défi de la modernisation. C'est alors que naît une conscience du dévelopement régional.

La contribution de Pierre-Louis Lapointe laisse aussi entrevoir la participation de l'Outaouais à cette culture régionale de l'agro-forestier avec, toutefois ici, des particularités linguistique et religieuse attribuables à la proximité de l'Ontario, sur l'autre rive de l'Outaouais.

Les Cantons de l'Est, tels qu'abordés par Guy Laperrière, présentent des caractères différentiels. Tout comme l'Outaouais et Montréal, cette région a connu un processus de peuplement inédit au plan ethnique: d'abord américaine, la majorité y est devenue britannique puis canadienne-française grâce à "l'invasion pacifique" du mouvement de colonisation amorcé en 1848. Cette caractéristique ethnique se double d'une caractéristique religieuse qui confronta les catholiques romains de l'époque à un pluralisme particulier. G. Laperrière souligne aussi un trait important et différentiel de la région: son ouverture hâtive sur l'extérieur. La proximité géographique des Cantons de l'Est des États-Unis s'y doubla d'un autre avantage, celui d'être sur Taxe nord-sud du plus ancien réseau de chemin de fer, tout à fait vital et omniprésent dans la quotidienneté des régions, des villes et des villages. La rapide parution de journaux dans la région indique encore la circulation hâtive des biens, des personnes et des idées.

[12]

L'ensemble de ces études finit par dégager un nouveau schéma d'histoire socio-culturelle des régions et du milieu rural qui pivote sur quelques éléments constants: le système économique et les produits privilégiés ("staple"), la structure sociale, le pouvoir local et les formes culturelles, institutionnelles et symboliques des notables et des populations parmi lesquelles le vécu religieux occupe une place centrale.

Ce sont aussi ces facteurs constants, ces paramètres qu'Yvan Lamonde a voulu dégager, mais cette fois à propos de la culture urbaine. Tout comme les historiens des régions ont essayé de dégager les déterminations géographiques et socio-économiques de la culture, Y. Lamonde explicite les facteurs — le nombre (population, ethnicité, classes sociales), l'espace, le système de production, le temps et les intervenants — qui définissent la spécificité de la culture urbaine et en permettent l'intelligibilité. Ce modèle d'analyse tiré du cas montréalais sur une période de cent ans devrait pouvoir s'appliquer, avec quelque adaptation, à l'étude des capitales régionales et des villes moyennes. [2]

Compte tenu enfin de l'importance de la culture orale et de la culture matérielle de la civilisation rurale et du système agro-forestier, il convenait de faire le point sur l'état des recherches en ethnographie. Faisant écho au phénomène de réappropriation symbolique des années 1960 observé par G. Bouchard, Paul-Louis Martin souligne l'essor considérable des travaux ethnographiques sur la culture matérielle, parlant même d'un chantier comparable pour l'ethnographie à celui de la baie James! La comparaison n'est pas sans fondement quand on apprend l'implication décisive des gouvernements dans la récente recherche ethnographique, symptomatiquement engagée dans des travaux sur le patrimoine bâti et architectural. Déplorant l'absence — culturellement significative — de travaux en ethnographie urbaine, P.-L. Martin note avec raison l'insuffisance de collaboration entre ethnologues et historiens, excluant toutefois le cas des travaux en histoire des métiers traditionnels où la division d'Histoire du Musée national de l'Homme à Ottawa a réussi une intégration exemplaire de la recherche historique et ethnographique.

Cet atelier, qui permettait d'associer des chercheurs aux activités de l'Institut québécois de recherche sur la culture et de rendre compte des nouvelles orientations de la recherche dans le secteur de l'histoire socio-culturelle, se voulait aussi l'occasion d'échanges sur des pistes de recherche considérées comme particulièrement décisives et susceptibles de contribuer aux orientations de l'Institut.

[13]

On a d'abord souligné le besoin d'une étude géographique de l'expansion de la vallée du Saint-Laurent au XIXe siècle et de la mise en place des régions. Il apparaissait aussi que, dans le cadre des recherches en cours sur les régions, l'étude du développement des capitales régionales entre 1930 et 1960, tout comme celle des relations entre les villes et les campagnes, jetterait un éclairage global sur la circulation culturelle dans l'ensemble du territoire québécois. On a aussi évoqué l'intérêt de monographies sur l'évolution socio-culturelle de villes moyennes (Saint-Hyacinthe, Sorel), rappelant la classique analyse de E. Hughes sur Cantonville (Drummondville).

Des enquêtes communes pourraient aussi être menées dans l'ensemble des régions du Québec. On a particulièrement insisté sur le besoin d'une meilleure connaissance du tournant décisif des années trente en précisant les indicateurs de cette modernisation si problématique. Le développement du tourisme est apparu fort méconnu en proportion de son importance culturelle et, dans ce sens, la thématique d'une culture du chemin de fer aux XIXe et XXe siècles a semblé riche en possibilités d'analyses comparatives. Parmi les manifestations collectives susceptibles de réunir historiens et ethnographes, les fêtes calendaires — leur lente disparition et ses causes — mériteraient une étude tout comme les carnavals et festivals contemporains, qui étonnent par leur prolifération et leur diversité. Pour la suite du monde... de la recherche.



[1] Yvan Lamonde, “La recherche sur l'histoire socio-culturelle du Québec depuis 1970", Loisir et société, vol. VI, no 1 (printemps 1983), p. 9-41.

[2] Jean-Paul Bernard, "Les fonctions intellectuelles de Saint-Hyacinthe à la veille de la Confédération", Sessions d'études. Société canadienne d'histoire de l'Église catholique 47 (1980), p. 5-17.



Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 17 avril 2018 10:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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