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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques DUFRESNE, Panorama de la vie intellectuelle dans les collèges du Québec”. [Autorisation accordée par l'auteur le 12 octobre 2011 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]


Panorama de la vie intellectuelle
dans les collèges du Québec
”.

L’Encyclopédie de l’Agora, date de création: 24 août 2005, date de modification: 2 novembre 2006.



Panorama de la vie intellectuelle dans les collèges du Québec.” L’Encyclopédie de l’Agora, date de création : 24 août 2005, date de modification : 2 novembre 2006.

Les cégeps, côté jardin
Jardin dont je ne ferai pas le tour
Le cégep Édouard-Montpetit: l’unique mais non le seul
La vie intellectuelle suppose un écho
Pierre Bertrand
Lisez-vous les uns les autres
Marc Chabot
Cluny
Québec, aux médiévales
Chicoutimi ou le sens de la grandeur
Vers le particulier par l'universel
Festival de Drummondville
Les Centres de transfert technologique
Le débat politique
ARGUMENT
Michel Morin

Cégep : l’inspiration retrouvée.” Texte d'une conférence présentée dans le cadre du Colloque de l'Association des cadres des collèges du Québec, le 12 novembre 2004.


Les cégeps, côté jardin

Un an après un certain rapport de la Fédération des Commissions scolaires du Québec qui devait inciter le gouvernement Charest à jongler publiquement avec l'hypothèse d'une élimination pure et simple des cégeps, j'étais encore sous le choc de cette nouvelle, quand, à l'automne 2004 j'ai participé en tant que conférencier au colloque de l'Association des cadres des collèges du Québec.

Jusqu'à ce moment dans la partie publique du débat, l'idéal des fondateurs semblait dénué de tout intérêt. La Fédération des commissions scolaires avait donné le ton du débat en le situant exclusivement sur le plan économique. Réduits à adopter une position défensive, les autorités des cégeps ont commandé une étude à l'économiste Pierre Fortin. Match nul ! Le second argument des cégeps fut l'importance de leur présence dans les régions. Il ne fut guère question sur la place publique du nouvel humanisme proposé dans le Rapport Parent et encore moins du fait que le programme des cégeps et la nature même des institutions correspond à ce que l'on propose aujourd'hui comme éducation en vue du développement durable.

Il y a certes un côté sombre dans le bilan des cégeps, comme dans celui de toutes les maisons d'enseignements de nos jours. Dans le cas des écoles secondaires publiques, le côté sombre est si manifeste qu'il incite les responsables de ce réseau à chercher des boucs émissaires, un jour du côté des cégeps et le lendemain du côté des écoles privées.

Mais a-t-on fait sérieusement l'analyse du côté sombre des cégeps? Pour la faire, il aurait fallu établir une comparaison avec le côté lumineux. Mais qui le connaît vraiment ce côté lumineux? Parmi ses nombreuses dimensions, il y a la vie intellectuelle à l'intérieur des cégeps et par suite dans chacune des régions et dans l'ensemble de la société québécoise.

Depuis 1970, mon rôle dans le débat public québécois, d'abord en tant que directeur de la revue Critère, de 1970 à 1980, en tant que chroniqueur au Devoir et à la Presse, de 1978 à 1992 et depuis, en tant qu'éditeur du magazine L'Agora et de l'encyclopédie du même nom sur Internet, m'a permis d'être un témoin privilégié de la vie intellectuelle québécoise, dans les cégeps en particulier.

D'où mon idée, dont je mesure désormais la démesure, d'un panorama de la vie intellectuelle dans les cégeps. J'avais l'intuition que la tâche à accomplir était immense, disproportionnée par rapport au temps dont je disposais, mais qu'une fois accomplie elle constituerait une preuve éclatante de la nécessité des cégeps au Québec. Le texte que je livre aujourd'hui n'est qu'une ébauche, il comporte beaucoup plus de vides que de pleins et je m'excuse à l'avance auprès de tous les professeurs et chercheurs auxquels je n'aurai pas rendu justice. Je ne pouvais prétendre à une étude exhaustive, on le comprendra. J'ai dû me limiter à une vue à vol d'oiseau. Et ne soyez pas étonnés si l'oiseau vole dans des directions imprévues. S'il va de Matane à Chicoutimi, de Chicoutimi à Joliette et de Joliette à Lévis. J'ai fait mes découvertes en naviguant sur Internet et dans ma bibliothèque. C'est dans le même ordre fantaisiste que je les présente. Et puisqu'il s'agit peut-être de l'oiseau de Minerve, vous ne lui en voudrez pas s'il attache beaucoup d'importance à la philosophie.

À Jean-Paul Desbiens, courageux responsable, contre vents et marées, de ce programme de l'enseignement collégial, qui accorda une si large place à la formation générale, écrivain prolifique et éditeur, quand il fut directeur général du collège Notre-Dame de Foy, d'une revue intitulée Les cahiers de Cap-Rouge.



Jardin dont je ne ferai pas le tour



Un hommage d'abord à celui qui est probablement l'aîné parmi tous les professeurs et ex-professeurs de cégep dont il sera question dans ce panorama: Fernando Dufour, ex-professeur de chimie au cégep Ahuntsic.

Il a eu l'idée d'un tableau périodique en trois dimensions... Le temps a passé et la reconnaissance est enfin venue : deux articles qui lui sont en partie consacrés dans Scientific American, des invitations aux colloques internationaux sur la question et enfin un livre sur son chef d'oeuvre par deux éminents collègues.

J'ai d'autres excellentes raisons de vouloir rendre un hommage spécial à un collègue de Fernando Dufour, Michel Vacher, lequel enseignait déjà la philosophie à l'Institut de technologie Laval avant sa fusion avec le collège St-Ignace pour former le Cégep Ahuntsic. Il fait partie de ce groupe de professeurs de philosophie dont Paul Inchauspé a dit qu'ils ont sauvé leur discipline par leurs inlassables efforts pour l'adapter à leurs étudiants sans la dénaturer. Dans Pratiques de la pensée, ouvrage collectif préfacé par Paul Inchauspé, Michel Vacher a signé un article sur l'enseignement de la philosophie, où il soutient que pour un jeune d'aujourd'hui il est plus important de savoir raisonner que d'avoir lu Platon ou Descartes. Michel Vacher aime la science et il la défend bien. On peut le considérer comme le chef de file de ceux que le sociologue Louis Levasseur, après Claude Panaccio, appelle les épistémologues, pour les distinguer des humanistes et des freudo-marxistes, plus rares aujourd'hui. Il a publié plusieurs ouvrages chez Liber, dont en 1993, Entretiens avec Mario Bunge, et en 2002, en collaboration avec Marie-Josée Daoust et Jean-Claude Martin, Débats philosophiques, une invitation. Le débat sur ce livre se poursuit dans la revue Combats. Enfin, en 2004, Liber publiait le dernier livre de Michel Vacher, une critique de Nietzsche : Le crépuscule d'une idole.

Si incomplet que soit ce panorama, il suffira, complété par la section documentation de ce site, à démontrer que, n'eût été de la contribution des cégeps, la vie intellectuelle au Québec aurait été bien pauvre, tragiquement pauvre au cours des trente-cinq dernières années.

J'espère qu'on m'aidera à le compléter puis à le tenir à jour de façon à ce qu'on ne puisse plus désormais remettre en question l'existence des cégeps en ayant comme excuse l'ignorance de son apport à notre société... de même qu'au reste du monde, car comme on le verra, la pensée québécoise, via Internet, a désormais une présence réelle hors de nos murs. À titre d'exemple, dans L'Encyclopédie de L'Agora, les articles (treize au total) de Jean Proulx, ex-professeur de philosophie au cégep Ahuntsic et ex-collaborateur à la revue Critère, ex-secrétaire du Conseil supérieur de l'éducation, ont dans l'ensemble été consultés 56 380 fois au cours des trois dernières années. Plus de 4 000 lecteurs en moyenne par article, dont 70% de l'étranger. La moyenne est la même pour les quatre articles de Heinz Weinman, ex-professeur de littérature française au cégep de Rosemont. De nombreux sites hébergés par des cégeps, publiés par des organismes partenaires et par des professeurs sur un serveur commercial ont un rayonnement international (voir la section Documentation de ce site).

Certes, on peut penser que les auteurs les plus prolifiques parmi les professeurs de cégep, les Jean Proulx, Heinz Weinman, Louise Forget, Michel Vacher, Daniel Jacques, Gaétan Soucy, Monique Larue, Negovan Rajic, l'auraient été autant s'ils avaient enseigné au secondaire ou à l'Université. Ce n'est pas le cas. Au secondaire, la tâche d'enseignement est trop lourde et à l'Université les professeurs ayant le souci de leur avancement dans la carrière doivent réserver leurs écrits à des revues savantes qui ont peu d'impact sur la vie intellectuelle de la société. Si le niveau collégial n'existait pas, l'enrichissement de la vie intellectuelle au Québec serait une raison suffisante pour l'inventer. Ce qu'a fort bien compris le président de la maison Liber, Giovani Calabrese, qui compte une forte proportion de professeurs de cégep parmi ses auteurs : «La réflexion est souvent substantielle plutôt que formelle, factuelle et concrète plutôt qu'exégétique, contemporaine plus qu'historique. Elle s'approprie les avancées de la tradition plus qu'elle ne les commente, les met au service d'une entreprise de compréhension de la vie plus que de critique des systèmes de représentation ou d'interprétation. Je vois globalement dans cette attitude, par sa tension dialogique avec le réel, par sa confrontation avec les données concrètes de la vie, une sorte de transposition de la relation pédagogique incertaine, toujours à reconfirmer, jamais acquise, qui s'établit dans la classe. Dans un texte de 1977, Robert Hébert écrivait dans ce sens que l'enseignement de la philosophie au collège «est une expérience philosophique en soi dont l'intérêt vital et fondamental (à proximité d'une sorte d'adolescence retrouvée) est d'obliger à repenser sa propre pratique.» (Pratiques de la pensée, Montréal, Liber 2002, p.8) en collaboration avec Robert Hébert, Jacques Marchand, Michel Métayer, Laurent-Michel Vacher.

Il n'était pas question, compte tenu des moyens et du temps dont je disposais, que je m'arrête à tous les aspects de la vie intellectuelle des cégeps. Je n'ai retenu pour mon étude que des livres, des événements, des revues, des sites Internet, d'autres ayant déjà entrepris de faire l'étude de l'enseignement proprement dit et de la recherche pédagogique. Pour ce qui est de la recherche scientifique, je me limiterai à quelques exemples, en mettant l'accent sur les centres de transfert technologiques rattachés à de nombreux cégeps.


Le cégep Édouard-Montpetit:
l’unique mais non le seul


Mon échantillon, plus d'une centaine de sites et de livres et d'articles est significatif, mais il demeure un échantillon. Chemin faisant, j'ai découvert sur un site, celui du collège Édouard-Montpetit, une section intitulée Nos gens de plumes, consacrée aux publications des professeurs de l'institution. La liste comporte soixante-cinq noms d'auteurs et trois titres de revues, dont Horizons philosophiques. Et les auteurs s'appellent Gaétan Soucy, Monique Larue, Michel Morin, Pierre Bertrand, Claude Beausoleil. Je ne donne ici que quelques noms choisis en toute subjectivité parmi les auteurs les plus connus de la liste. Par souci d'objectivité, je clique au hasard sur des noms qui n'éveillent aucun souvenir dans mon esprit. Et qu'est-ce que je trouve? Robert Brien auteur de La comptabilité des entreprises oeuvrant en commerce international, Stéphane Durand auteur de La relativité animée, comprendre Einstein en animant soi-même l'espace-temps, un livre sur Einstein publié chez Bélin. Ne faut-il pas être professeur à Princeton ou au MIT pour être en mesure d'écrire un livre sur ce savant parmi les savants? Poursuivons notre tâtonnement. De Ghyslaine Guertin, un livre sur Glenn Gould : Glenn Gould : la série Shönberg, de Anne Finkel et Jules Pascal Venne, Pouvoir et décision, Introduction à la science politique, de Jacques G. Ruelland, Éthique et aéronautique.

Monsieur Ruelland aurait-il écrit ce livre s'il n'avait pas enseigné à des étudiants en technique aéronautique? N'est-ce pas le même rapprochement entre les voies du savoir qui a donné Dialogues dans l'espace temps, «un magnifique livre qui unit, pour la première fois, des images stupéfiantes, la science, la poésie ainsi qu'un essaim de voix à la rencontre des plus belles lumières du monde. Les astrophysiciens Marc Séguin et Benoît Villeneuve (également professeurs au Collège), en toute complicité avec le poète et professeur de littérature Jean-François Poupart, invitent les lecteurs - néophytes autant que les lecteurs avertis - à un fabuleux voyage.» Ce commentaire est tirée d'une revue publiée par le même cégep.

Le professeur qui devient auteur devient-il par-là meilleur pédagogue? Comment le prouver? Mais comment prouver la thèse inverse? Il nous reste à prendre le parti du bon sens : quand on pousse la passion pour l'objet de ses études jusqu'à écrire des livres et des articles, dont, sauf exception, on tirera peu de gloire et encore moins d'argent, il est probable qu'on l'enseignera mieux et qu'on aura plus d'autorité pour le faire. On contribuera surtout à créer un climat favorable à la vie intellectuelle dont tous les étudiants profiteront. Qu'il soit ou non meilleur pédagogue, le professeur auteur contribue aussi davantage à l'enrichissement de la culture de son pays. Ce rayonnement fait partie de la mission des cégeps.

«L'acte d'écrire et d'enseigner ont beaucoup en commun, ils ne sont pas des activités séparées mais mettent à contribution tous les moments de la vie. Je m'y prépare sans le savoir. Les deux sont des défis continuellement renouvelés. Je tâtonne, je ne sais pas, l'entreprise me paraît a priori impossible. Comment vais-je y parvenir? Je suis toujours étonné de pouvoir avancer sans tomber.» (Pierre Bertrand, in Pratiques de la pensée, Montréal, Liber 2002, p.35-36) en collaboration avec Robert Hébert, Jacques Marchand, Michel Métayer, Laurent-Michel Vacher.

La revue Horizons philosophiques mérite plus qu'une simple évocation. D'abord parce qu'elle dure. À l'origine, à la fin de la décennie 1970, elle s'appelait la Petite revue de philosophie. On est modeste au Québec et les professeurs de cégep le sont plus que la moyenne de leurs concitoyens. Quand elle se disait petite, elle était grise. Elle a pris ensuite des couleurs avant de devenir Horizons philosophiques. Voici quelques thèmes traités : Le savoir en fête, Rencontres avec Heidegger, Paysages esthétiques, Philosophie et sciences : du concept au réel, La philosophie sur Internet. Seul ce dernier numéro a été numérisé, en partie. Il suffirait d'une corvée de quelques jours pour numériser les autres numéros. S'ajoutant aux articles déjà numérisés de la revue Combats, les textes de Horizons philosophiques constitueraient un trésor précieux pour les étudiants et les professeurs d'aujourd'hui et de demain, d'ici et d'ailleurs. Il y a fort à parier que le sort des publications de ce type sera plus heureux sur Internet que dans les rayons de plus en plus clairsemés des bibliothèques. Je me souviens d'avoir lu dans Horizons Philosophiques ou plutôt dans la Petite revue de philosophie (Vol. 10 No.1) un remarquable article sur la connaissance de soi selon saint Augustin. J'avais eu le sentiment que personne n'était jamais parvenu à présenter l'oeuvre de ce génie aussi simplement et aussi clairement. L'auteur : Claude Giasson, professeur au cégep Édouard-Montpetit. J'espère retrouver un jour cet article sur le site d'Horizons philosophiques.

La revue Horizons philosophiques existe toujours. La revue Dire, du cégep de St-Laurent, fondée à la même époque a hélas! disparu sans laisser de traces, même sur Internet. C'est un malheur. J'ai sous les yeux un numéro de Dire sur la Chine, paru en 1989, au moment de la chute du mur de Berlin. Il conserve tout son intérêt. Dans un article sur les "Jardins de Chine", Andrée le Guillou évoque l'amour des arbres chez le peuple chinois. Belle leçons pour nous qui semblons encore ignorer que les arbres sont des êtres vivants.

Paul-Émile Roy, alors professeur de littérature au cégep de St-Laurent, a fait partie de l'équipe de direction de Dire. Il n'a pas disparu. Il s'est plutôt porté volontaire pour aider les fondateurs de la revue Combats à réussir dans leur entreprise. Et il continue de publier des livres, toujours avec le souci de réconcilier les deux Québec, celui de la tradition et celui de la révolution tranquille. Voici quatre de ses livres : La révolution avortée, l'enseignement au Québec, depuis 1960, avec une préface de Pierre Vadeboncoeur, (Éditions du Méridien 1991) La magie de la lecture, Humanitas, 1996, Ruptures et permanences, Humanitas, 2002, Revisiter le christianisme, Novalis, 2004.


La vie intellectuelle suppose un écho

Un grand vide se creuserait dans l'histoire intellectuelle si on en supprimait la contribution des professeurs du cégep Edouard-Montpetit. Or, il y a cinquante autres cégeps et nous ne pouvons pas tenir pour acquis que c'est au cégep Edouard-Montpetit que la vie intellectuelle a été la plus riche. Pour avoir une idée un peu plus précise de l'apport de l'ensemble des cégeps à la vie intellectuelle, nous avons choisi au hasard un cégep de taille moyenne, le cégep de St-Hyacinthe et nous avons demandé à une conseillère pédagogique de l'institution de bien vouloir dresser, pour les fins de notre étude, une bibliographie portant sur les travaux des professeurs. Cette bibliographie est si riche que nous avons été obligés de créer un document spécial pour la publier sur ce site. L'oeuvre de Vital Gadbois a retenu notre attention:


GADBOIS, Vital. Le jeu verbal dans l'Écume des jours et Bois Vior
GADBOIS, Vital. Le retour et Ithaque
GADBOIS, Vital. Découvrir le Québec
GADBOIS, Vital. Dictionnaire de la linguistique
GADBOIS, Vital. 20 grands auteurs pour découvrir la nouvelle
GADBOIS, Vital. Archipel T.1
GADBOIS, Vital. Héritage francophone en Amérique du Nord
GADBOIS, Vital. La dissertation, outil de pensée, outil de communication
GADBOIS, Vital. Hybride abattu


Ce professeur de littérature française ne s'est pas limité à écrire des livres et des articles, il a participé aux grands débats sur la langue française au Québec et il a présidé à plus d'un jury dont, à plusieurs reprises, celui du Grand Prix de la Science fiction et du Fantastique québécois.

Mon but n'est pas de comparer entre elles des institutions qui ont chacune leur personnalité propre, ni de dresser un bilan quantitatif de leur contribution au bien commun culturel. Je veux dire mon émerveillement avec l'espoir de susciter dans la population du Québec un plus grand attachement pour ces institutions dont les faiblesses masquent trop souvent la richesse.

La vie intellectuelle suppose un écho. Au Québec, la vie artistique est plus manifeste et probablement plus intense, plus enthousiasmante que la vie intellectuelle, pour la bonne raison que les créations des artistes, je pense ici aux comédiens et aux chanteurs, ont un écho dans la population. La place importante qu'ils occupent dans les médias permet en outre à ces artistes d'amplifier l'écho qu'ils provoquent. Si bien que les concours de chant de la téléréalité ont beaucoup plus de succès dans les cégeps eux-mêmes que les concours relevant de la mission propre de l'institution. Quant aux professeurs-auteurs, ils peuvent s'estimer heureux lorsqu'une revue ayant plus de collaborateurs que de lecteurs leur fait l'honneur d'inscrire leur titre dans la liste des ouvrages reçus. Mais si tous nos ancêtres ont su chanter, le plaisir d'écrire des livres commence à peine à se répandre. Nos professeurs-auteurs sont des pionniers qui forment le public appelé à leur faire écho dans l'avenir. Il n'est toutefois pas interdit de hâter l'avènement de l'écho, en en préparant les conditions. On a le coeur brisé par la façon dont certains de ces professeurs-auteurs se résignent à l'absence d'écho. «Les professeurs de niveau collégial sont modestes, et peut-être même un peu honteux de leur statut. (Je remarque en effet qu'un professeur d'université ne manque jamais de nommer l'institution à laquelle il appartient, alors que trop souvent un professeur de niveau collégial tait ou cache le nom de la sienne). Pour en revenir à l'écriture, longtemps je me suis demandé si j'avais des lecteurs. Pas de compte-rendus, pas de critiques, pas de réactions. En même temps qu'elle pouvait m'attrister, une telle perspective me réjouissait. L'absence de lecteurs me conférait une liberté illimitée.» Pierre Bertrand, op. cit p. 35.


Pierre Bertrand

La reconnaissance institutionnelle ne semble pas plus satisfaisante que l'écho dans la société. Dans le même ouvrage, Jacques Marchand, également auteur chez Liber d'un grand ouvrage sur les origines des sagesses, soutient «qu'il est illusoire pour le philosophe de continuer à quêter une reconnaissance que le milieu institutionnel ne peut lui accorder sans équivoque et dont il n'a que faire de toute façon.» p.115. N'en concluons pas que Jacques Marchand n'attache pas d'importance à la reconnaissance institutionnelle, il pense au contraire qu'elle «conditionne tout le reste», mais craignant qu'elle ne tarde à se manifester ou qu'elle se manifeste d'une façon équivoque, il mise plutôt sur le rapport interpersonnel pour donner un sens à son travail.

Les grands débats publics sont une belle occasion de reconnaître la qualité du travail d'un professeur. Les 9 et 10 avril derniers, le cégep de St-Hyacinthe présentait un grand débat philosophique sur trois thèmes: le relativisme moral, l'appauvrissement de la culture, les valeurs néo-libérales. Parmi les participants on remarquait, à côté de Julius Grey, François Avard, Charles Le Blanc, Normand Lester, Pierre Curzi, Marie Grégoire, Antoine Robitaille, plusieurs professeurs de cégep, dont nous parlons dans ce Panorama : Marc Chabot, Pierre Bertrand, Michel Morin.

Frédéric Nicoloff assurait l'animation de ces débats, qui ont attiré neuf cents personnes. Six professeurs du département de philosophie ont organisé l'ensemble des activités : Valérie Bernier, Louis Samson, René Caya, Gino Lufty, Naby-Vincent Copulibaly, Richard Lemire.


Lisez-vous les uns les autres

Souci de l'écho! Les auteurs doivent d'abord se lire les uns les autres, créer un petit milieu où l'écho soit possible. Chose difficile, car on hésite à prendre son semblable pour maître. En l'admirant, on a le sentiment de s'abaisser. À mérite égal, l'étranger a une longueur d'avance, surtout quand il appartient à un grand pays, comme la France et les États-Unis.

D'où ma joie de découvrir des hommages à Jacques Lavigne dans Combats, une revue publiée par des professeurs du cégep de Joliette. Ce philosophe a fait carrière à l'Université de Montréal, au collège Jean-de-Brébeuf, puis au collège de Valleyfield. Certains, Jean Larose et Marc Chabot notamment, voient en Jacques Lavigne, auteur de L'inquiétude humaine, le premier des philosophes québécois. «Il fut certainement l'un des premiers penseurs québécois à poursuivre sa réflexion hors de la voie thomiste balisée par une Église qui, jusqu'aux années 1960, avait le monopole de la vie intellectuelle au Québec.»


Marc Chabot

Le souci de faire connaître les philosophes québécois est l'une des caractéristiques de cette revue. Saviez-vous que Marc Chabot, professeur de philosophie au cégep François-Xavier Garneau, est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages dont celui intitulé Chroniques masculines, lui a valu ce commentaire d'Élisabeth Badinter. «Je vous félicite, vous avez écrit en 120 pages ce qui aurait pris 320 pages à un Français.»

S'il fallait nommer le philosophe québécois qui, au cours des trente dernières années, a participé le plus activement aux grands débats publics, depuis celui sur l'eau jusqu'à la guerre des sexes, du suicide à l'amour paternel, Marc Chabot serait un bon choix. Il l'a toujours fait dans un langage simple et vivant, qui a plu à des chansonniers comme Richard Séguin et Claire Pelletier au point qu'ils ont demandé à Marc Chabot d'écrire des textes pour eux. Marc a aussi été l'un de nos rares essayistes à cultiver avec bonheur le genre épistolaire.

Sa thèse de maîtrise, présentée en 1977, portait sur l'histoire de la philosophie québécoise qui ne fut thomiste, nous apprend-il, que pendant une trentaine d'années. «Les thomistes ont réussi à nous faire accroire, c'est la force d'une bonne idéologie, que tout le Québec n'a été que thomiste. Mais avant 1879, comme Louise Marcil-Lacoste l'avait aussi signalé dans ses textes, nous n'étions pas seulement thomistes… Bien sûr, en 1879, il y a une obligation d'enseigner Saint Thomas d'Aquin dans l'ensemble des institutions catholiques. Toutes les universités catholiques devaient suivre la pensée thomiste. Ici, on a pris la proposition au sérieux seulement à partir de 1915.» Revue Combats, Vol 7- No 1 et 2.

La revue Combats traite aussi de questions politiques, dans une perspective qui fait une juste place au nationalisme et au cosmopolitisme, comme en fait foi un article d'André Baril intitulé Hongrie, Québec, les petites nations. Alain Houle y présente aussi une chronique artistique qui l'amène, par exemple, à réfléchir sur l'engouement des Québécois pour le Moyen Âge. Il le fait dans le cadre d'un article sur l'exposition que le Musée de la civilisation de Québec a consacré à ce thème en 2003-2004.

Monsieur Houle connaissait-il le site sur le Moyen Âge de sa collègue Louise Forget du cégep Ahuntsic? Voici comment nous l'avons découvert à L'Encyclopédie de L'Agora. Au cours de l'été 2004, nous avons confié à une collaboratrice le soin d'enrichir notre dossier Art roman. Après quelques jours de recherche, elle devait nous apprendre avec enthousiasme qu'à son avis c'est une Québécoise, Louise Forget, professeur au cégep Ahuntsic, qui est l'auteur du meilleur site de langue française sur la question. Son site sur l'art roman s'inscrit dans un vaste ensemble intitulé Parcours d'histoire du monde antique, des temps médiévaux, des temps modernes et de l'âge baroque.


Cluny

Le Moyen Âge, si longtemps décrié et aujourd'hui célébré, n'a jamais complètement disparu de la vie intellectuelle québécoise, comme un certain rejet du thomisme pourrait le laisser croire. On pourrait même soutenir que c'est après 1960, une fois dégagée de sa gangue doctrinaire, que la pensée de Saint Thomas et d'Aristote s'est le plus épanouie au Québec. Entendons par là que c'est peut-être à cette époque que la pensée de Saint Thomas et d'Aristote en tant que nourriture spirituelle a atteint son plus large public. C'est en tout cas au cours des dernières décennies qu'à travers les Médiévales l'esprit du Moyen Âge a gagné le public.


Québec, aux médiévales

Certes, on a eu tendance à remonter jusqu'à Aristote, le maître grec de Saint Thomas. Essayiste, professeur, conférencier, Claude Gagnon a enseigné le Traité de l'âme d'Aristote pendant des décennies au cégep Édouard-Montpetit, rappelant ainsi à des générations de jeunes que leur corps ne les gouverne que dans le mesure où ils veulent bien se laisser entraîner par lui.

Photo: Jean Lauzon, cégep du Vieux Montréal.

Quel est le pourcentage des professeurs de philosophie qui, après la réforme, restèrent fidèles à ce qui était la tradition au Québec? Ils feront partie de la famille des humanistes, les deux autres familles étant les freudo-marxistes et les épistémologues.

Professeur pendant toute sa carrière au cégep de Drummondville, Benoît Lemaire est toujours resté proche de la tradition thomiste. Non seulement a-t-il proposé l'idéal chrétien de sainteté à ses étudiants, mais encore il a été l'un des principaux auteurs de la collection "L'expérience de Dieu" chez Fides, avec des ouvrages sur Grégoire de Nysse, François de Sales, Gustave Thibon. Sa thèse de doctorat sur Gustave Thibon a également été publiée sous le titre de L'espérance sans illusions.

La famille des humanistes s'étend d'un catholique engagé comme Benoît Lemaire à Pierre Cohen Bacrie, un admirateur de Montaigne et un ami des lumières et des droits de l'homme, professeur au cégep Montmorency, auteur de Philosophie, éducation culture, un site Internet à la fois riche, cohérent et élégant, qui couvre à vol d'oiseau le vaste domaine de la littérature et de la philosophie.

Entre ces deux pôles, Saint Thomas et Montaigne, la contribution de la famille humaniste à la vie intellectuelle québécoise prend les formes et les couleurs les plus variées. Alors qu'il était coordonnateur provincial de l'enseignement de la philosophie, au cours de la décennie 1970, Jean Proulx, aura été l'un des défenseurs de la famille humaniste. Depuis qu'il est à la retraite, il s'élève au-dessus des querelles d'écoles, et même au-dessus des grandes civilisations et de la philosophie, pour indiquer, sur un mode poétique, la voie d'une spiritualité universelle. Les titres de ses derniers ouvrages sont évocateurs : Dans l'éclaircie de l'être, Septentrion, 2002, La chorégraphie divine, Fides, 1999. Au matin des trois soleils, Septentrion 1992.

Jean Proulx n'est pas le seul à se soucier d'établir des ponts entre la philosophie et la spiritualité. C'est également la préoccupation principale de Jacques Perron et de Josée Fabien, les fondateurs de la Compagnie des philosophes, groupe solide, bien structuré qui depuis six ans organise un colloque annuel, des cafés philosophiques et tout au long de l'année, des dimanches-philo qui attirent toujours un minimum de cent personnes de divers milieux. Josée Fabien a enseigné la sociologie au collège André-Grasset, Jacques Perron, dont la thèse de doctorat fut consacrée à Karl Popper, enseigne toujours la philosophie au même collège. À la compagnie des philosophes, on s'intéresse non seulement à la spiritualité, telle que la conçoit notamment l'écrivain Jean Bédard, mais encore à la philosophie destinée aux enfants et à l'environnement. D'où le fait que madame Andrée Mathieu, ex-professeur de physique au collège Mérici et collaboratrice régulière au magazine L'Agora et à l'Encyclopédie du même nom est fréquemment invitée par la Compagnie des philosophes... Le travail qu'accomplit Andrée Mathieu depuis plus de dix ans, dans la plus parfaite gratuité, est un bel exemple de la contribution du milieu collégial à la vie intellectuelle québécoise et internationale, car Andrée Mathieu est également réputée entre autres pour ses travaux sur les Maoris, sur le développement durable et sur le virage écologique de certaines entreprises à travers le monde.

Le collège Mérici est aussi la maison où Yvon Bernier enseigna la littérature française tout en travaillant à la diffusion de l'oeuvre et des idées de Marguerite Yourcenar, dont il fut l'un des proches amis. Il fait aujourd'hui partie du groupe d'intimes qui assument la responsabilité de la Maison-musée Petite Plaisance dans le Maine et du Trust que Marguerite Yourcenar a créé par testament et qui est voué à la protection de l'environnement.

Autre professeur de littérature, Jules Bélanger, qui fut longtemps professeur de littérature au cégep de Gaspé, a signé de nombreux ouvrages et articles sur sa région en plus de l'avoir représentée à l'Assemblée nationale du Québec; il a participé aux grands débats publics du Québec, notamment par un ouvrage, L'école détournée, (Boréal 1989) qu'il a écrit en collaboration avec le politologue Louis Balthasar de l'Université Laval.

Descendons vers Matane. Nous aurons sûrement l'occasion d'y entendre en conférence un ancien professeur du cégep local, monsieur Nestor Turcotte. On le lit aussi parfois dans Le Devoir, mais pour bien connaître sa pensée, il faut fréquenter son site Internet. Depuis 1997, il y publie à intervalle régulier une chronique inspirée par l'actualité mais comportant toujours un message de sagesse et des allusions à ses auteurs préférés. La section chroniques de son site s'ouvre sur cette citation de Cicéron qui convient parfaitement à de nombreux professeurs de cégep : «Socrate, selon l'orateur latin et homme politique Cicéron, fut le premier à inviter la philosophie à descendre du ciel (aujourd'hui on dirait des nuages) et à l'installer dans les villes et villages, à l'introduire dans les foyers. Il lui imposa l'étude de la vie, des mœurs, des choses qui conviennent aux humains ou qui tournent à leur détriment (Tusculanes, tome II, L.V.IV. p.111).»


Chicoutimi
ou le sens de la grandeur


À vol d'oiseau, Chicoutimi n'est pas très éloignée de Matane. Nous y voici. Il s'agit d'un haut lieu de l'éthique, de la bioéthique en particulier, d'un lieu certes minuscule par rapport à Montréal, Paris et Lyon, mais qui s'est imposé au fil des ans comme l'un des grands centres mondiaux en documentation en sciences humaines de langue française. C'est en effet sur le serveur de l'Université du Québec à Chicoutimi que l'on trouve le site appelé Les classiques des sciences sociales.

Cette oeuvre compte 1372 ouvrages en version intégrale, regroupés en deux grandes sections: Les auteurs classiques en sciences sociales: Freud, Durkheim, Bergson... et les sciences sociales contemporaines: F. Dumont, Gabriel Gagnon, Robert Fossaert, Jules Duchastel, Maurice Lagueux. Ce trésor est le fruit du travail de Jean-Marie Tremblay et de ses amis bénévoles. Monsieur Tremblay est professeur de sociologie au cégep de Chicoutimi. C'est l'université du lieu et non le cégep qui reçoit la plus grande part de la reconnaissance mondiale que suscite le site, mais Jean-Marie Tremblay n'en fait pas une histoire, c'est la réputation de sa région, le royaume du Saguenay, qui lui importe. D'où la présence du drapeau du Saguenay-Lac St-Jean sur la page d'accueil, accompagné d'un hyperlien vers le site de la Société d'histoire régionale.

C'est la parfaite illustration du rôle des cégeps dans les régions et des régions dans le monde. C'est aussi à l'Université de Chicoutimi que Gérard Bouchard a lancé une grande recherche aux confins de la génétique, de la sociologie et de la démographie. C'est l'une des raisons pour lesquelles la bioéthique s'est développée dans la région. Les problèmes posés touchent toute la population.

L'un des chefs de file dans ce travail sur l'éthique est monsieur Jean-Noël Ringuet, professeur de philosophie au cégep de Chicoutimi. On peut faire le tour des grandes questions de bioéthique en lisant sur son site personnel les articles signés JNR parus dans les journaux locaux de même que dans Le Devoir. Monsieur Ringuet est aussi l'animateur d'un café Internet.

Je tiens à souligner que j'ai découvert l'oeuvre de Jean-Noël Ringuet sur le site du département de philosophie du cégep de Lanaudière où ce professeur-auteur est cité plusieurs fois en exemple sur la page des liens, signée Florian Péloquin.

Comment évoquer le Saguenay Lac-St-Jean et son sens de la grandeur sans parler de Claude Villeneuve, l'un des scientifiques les plus connus au Québec et sans doute l'un des plus influents en raison de ses talents de conférencier et d'écrivain? Il obtenait en 2001 le prix du Scientifique de l'année de Radio-Canada. En 1993-1994, il a dirigé l'Institut ECCO-Conseil de Strasbourg. Il enseigne toujours au cégep de Saint-Félicien tout en étant professeur invité à l'Université du Québec à Chicoutimi. Il a collaboré avec Frédéric Back, en tant que biologiste, à la production du film Le fleuve aux grandes eaux. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Eau secours! paru en 1996, aux éditions Multimondes; en 1998, Qui a peur de l'an 2000? Guide d'éducation relative à l'éducation pour l'environnement durable et, en 2001, Vivre les changements climatiques : l'effet de serre expliqué, toujours aux Éditions Multimondes.


Vers le particulier par l'universel

L'heure est venue de parler de l'apport des professeurs de cégep à l'étude des régions du Québec. Il est considérable. Il y a une vingtaine d'années, L'Institut québécois de recherche sur la culture lançait un grand projet d'histoires régionales. Dans les ouvrages parus à ce jour, le rôle des professeurs de cégep est important.

Serge Laurin était professeur au cégep de Saint-Jérôme, quand il s'est attaqué, en solitaire, à l'Histoire des Laurentides, une somme de 800 pages faisant une large place au début à l'occupation amérindienne.

Jules Bélanger du cégep de Gaspé a été l'un des auteurs de l'Histoire de la Gaspésie, Yvan Morin du cégep de Rivière-du-Loup a participé à l'Histoire du Bas St-Laurent, Jean-Marc Soucy du cégep de Hull à celle de l'Outaouais, Pierre Lambert du cégep Édouard-Montpetit à celle du Haut St-Laurent.

En plus de collaborer à cette collection prestigieuse, les professeurs de cégep, professeurs d'histoire et de géographie surtout, ont publié de nombreux ouvrages sur les villes et les régions du Québec. Il serait bien difficile de préciser le nombre de ces ouvrages, mais on peut présumer que chaque région a eu sa part. Nous évoquerons à titre d'exemple un magnifique ouvrage intitulé Drummondville, fort bien illustré, les deux auteurs, Guy Gauthier géographe et Jocelyn Fournier historien étant aussi photographes. Nous savons qu'en 1986, au moment où ce livre a été publié par la Société d'histoire du centre du Québec, Guy Gauthier était professeur au cégep de Drummondville. L'appartenance de Jocelyn Fournier n'est pas précisée dans le livre. La notice biographique du livre nous apprend cependant que chacun des auteurs a écrit quelques ouvrages sur sa ville et sa région.


Festival de Drummondville
Photo : Guy Gauthier.


Les centres de transfert technologique

Si vous faites une recherche sur écologie industrielle dans Google vous découvrirez en quatrième position sur 10 000 sites, L'Encyclopédie de L'Agora et en sixième position le Cttei, Le Centre de transfert technologique en écologie industrielle de Sorel. Cette classification est un peu injuste. C'est en effet par l'intermédiaire du Cttei de Sorel, lié au cégep du lieu, que les chercheurs de L'Encyclopédie de L'Agora ont découvert l'écologie industrielle, plus précisément à l'occasion d'un colloque organisé en 2002 par le Cttei de concert avec l'Université de Sherbrooke. Le Cttei et L'Encyclopédie de L'Agora entretiennent des liens étroits de partenariat désormais. L'Encyclopédie de L'Agora diffuse les actes des colloques du Cttei et en enrichit ses propres dossiers à partir des choses apprises à l'occasion des colloques en question.

De nombreux centres de transferts technologiques poursuivent des recherches dans la perspective du développement durable. C'est le cas de l'ITAQ, l'Institut du transport avancé lié au cégep de St-Jérôme. On y fait des recherches notamment sur le biodiésel en tant que carburant alternatif.

"Saviez-vous qu'en Amérique du Nord, on remplace tous les ans un million de roues de trains mais que seulement 16% d'entre elles sont réellement usées? Cette pratique de «maintenance préventive extrême» est vouée à disparaître grâce à notre nouveau concept de mesure sans contact. Le système qui sortira bientôt de nos laboratoires, au bénéfice de Technologies Lanka, mesurera avec précision le profil et le rayon de la roue sur une voiture en déplacement. On n'arrête pas le progrès."

Voilà un exemple des recherches qui se poursuivent au Centre spécialisé de technologie physique du Québec, rattaché au cégep de La Pocatière... et voisin des usines de la compagnie Bombardier. Il existe quarante et un centres de transfert technologique au Québec, tous associés à un cégep.

Si l'environnement et le développement durable sont des sujets de recherche si importants dans les centres de transfert technologique, c'est en grande partie parce que les cégeps sont à la fine pointe de la recherche et de la réflexion sur l'environnement. Tout a commencé en 1972 par un colloque international organisé par la revue Critère de concert avec les départements de chimie et de biologie du cégep Ahuntsic. Ce colloque et le numéro de Critère qui en est résulté ont démontré la puissance qu'enfermait la synergie entre la tradition des collèges classiques et celle des instituts de technologie. Dans le numéro de Critère on trouve en effet, à côté d'articles très techniques sur la dépollution à la source dans les usines, des articles philosophiques sur le progrès, la technique, le rapport entre l'homme et la nature.

C'est le cégep de Rosemont qui, avec le temps, s'est imposé comme le haut lieu dans le domaine de l'environnement. Il est le siège de l'Association québécoise pour la promotion de l'éducation relative à l'environnement. Un ex-professeur du cégep de Rosemont, monsieur Robert Litzler, a joué un rôle de premier plan dans le développement de l'éducation relative à l'environnement, elle-même devenue un mouvement appelé ERE et bientôt Platet'ERE, car le mouvement s'étend à toute la francophonie.


Le débat politique

Les collèges ont joué un rôle important dans la vie politique québécoise des trente-cinq dernières années, parfois d'une façon tapageuse, mais sans doute bien davantage en raison de la formation donnée aux étudiants. J'entendais, il y a quelques jours, à l'émission "Maisonneuve à l'écoute" de la SRC, un auditeur qui, dans son commentaire sur le discours à la nation de Paul Martin, employait le mot amalgame, en prenant soin de donner une définition précise de ce terme. Ce jour-là je lisais Débats philosophiques, un ouvrage de trois professeurs de philosophie, que l'on peut qualifier d'épistémologues, Laurent-Michel Vacher, Jean-Claude Martin et Marie-Josée Daoust, tous trois du cégep Ahuntsic. Leur enseignement porte d'abord sur le raisonnement et l'argumentation vue sous un angle formel, avec la plus grande distance possible par rapport à l'engagement personnel. J'ai songé à téléphoner à l'auditeur de la SRC pour lui demander si par hasard il n'aurait pas suivi les cours d'un épistémologue. Je suis de plus en plus frappé par la qualité des interventions à la radio et je suis convaincu qu'il s'agit là d'une retombée de la formation générale donnée dans les collèges du Québec, même si je sais que je ne pourrai jamais le démontrer.

Le rôle des cégeps est encore plus important sur le plan de la pensée politique. Me sera-t-il permis de rappeler ici l'importance des travaux de la revue Critère sur la santé, la ville, les régions, le vieillissement de la population au cours de la décennie mil neuf cent soixante-dix?

Heinz Weinmann, ex-professeur de littérature française au cégep de Rosemont, fut l'un des excellents collaborateurs de Critère. Il est notamment l'auteur d'un article intitulé Pour une psychanalyse de la démocratie, prélude à une étude magistrale sur le sens de l'histoire politique du Québec : Du Canada au Québec, généalogie d'une histoire, L'Hexagone, 1987. Heinz Weinmann s'est aussi intéressé au cinéma. Il a notamment publié, également à L'Hexagone, Cinéma de l'imaginaire québécois : de la Petite Aurore à Jésus de Montréal. De concert avec Edgar Morin, il a publié un ouvrage sur la Complexité, paru chez Flammarion en 1994. En 1996, chez Hurtubise, en collaboration avec Robert Lévesque, Roger Charmberland et Claude Cassista, il publiait : Littérature québécoise, des origines à nos jours : texte et méthode.

Nous évoquions le cinéma. C'est l'occasion de rappeler que l'un des critiques influents du cinéma québécois, Yves Lever, a commencé sa carrière au cégep Ahuntsic, lequel lança un festival du cinéma super 8 au cours de la décennie mil neuf cent soixante-dix. Il y aurait tant de choses à dire sur l'importance du cinéma dans les cégeps, au cégep de Jonquière en particulier, dont le programme Communications attire des étudiants de tout le Québec.

En 1979, moment passionné de notre histoire s'il en fut, un professeur du cégep Maisonneuve, Guy Brouillet, publie chez Leméac La passion de l'égalité, autre exemple de cette distanciation qui fait partie des objectifs de l'enseignement de la philosophie. Parmi les opinions de Guy Brouillet qui ont retenu l'attention, on note cette critique du concept de Première Nation. «Le discours amérindien suscita aussi des objections et des critiques. Le concept de «premières nations» fut remis en question dans L'analyste par Guy Brouillet qui, tout en reconnaissant le droit des Amérindiens de posséder des territoires et une autonomie gouvernementale, estimait qu'on ne pouvait refaire l'histoire, que les Amérindiens ne pouvaient se soustraire à la loi commune au nom de leur antériorité sur le territoire et que ceux qui vivaient sur ce territoire avaient aussi des droits [Lien]. Source : L'année politique 1990-91.

Avec son ami Benoît Lauzière, qui deviendra directeur du Devoir, Guy Brouillet est au centre d'un groupes de penseurs libéraux, aux sens philosophique du terme, qui s'associeront dans le cadre de la revue L'Analyste, d'abord dirigée par Michel Bédard, professeur au cégep Ahunstic, puis par sa collègue du même cégep, Nicole Jetté Soucy, également auteur de L'homme délogé, court essai paru aux éditions du Beffroi en 1991.

C'est la revue L'Analyste qui fut à l'origine du débat sur l'art abstrait officialisé par les subventions du gouvernement fédéral, par un article intitulé L'Art avarié et signé Jean-Noël Tremblay. Cet homme raffiné, plein de mesure, n'hésite pas à présenter la Banque des arts comme un admirable dépotoir. Cette institution, qui dépend du Conseil des arts du Canada, a pour mission d'acheter des oeuvres d'artistes canadiens et de les louer ensuite aux mécènes anonymes aussi appelés contribuables.

Aujourd'hui la revue Combats, déjà évoquée et la revue Argument poursuivent un travail analogue. Le directeur de cette revue, Daniel Jacques, est professeur de philosophie au cégep F.-X. Garneau. Voici une note à son sujet que l'on trouve en ce moment sur le site de la SRC. Elle donne la mesure de son rayonnement.


ARGUMENT

«Écrivain et philosophe, Daniel Jacques participe à un échange entre la ville de Québec et Paris. Il réside présentement à la Cité internationale des arts à Paris.»

«Les résidences à l'étranger nous permettent de prendre une distance par rapport au travail que l'on effectue chez nous», explique l'écrivain.»

«Daniel Jacques est l'auteur de quatre ouvrages: Les humanités passagères (1991), Tocqueville et la modernité (1995), Nationalité et modernité (1998) et La révolution technique (2002).»

«Daniel Jacques dirige également la revue Argument. La revue a organisé une grande rencontre le 21 avril dernier au Musée des beaux-arts de Montréal.  »

Antoine Robitaille, collaborateur du journal Le Devoir, fait aussi partie de l'équipe d'Argument. Louis Cornellier, du cégep de Joliette et de la revue Combats a aussi une tribune importante au journal Le Devoir. Au début de sa carrière, l'édiorialiste Jean-Robert Sansfaçon du même journal était professeur au cégep de St-Jérôme.

Au terme de ce parcours j'éprouve deux regrets : celui de constater que bien des auteurs de sites et de livres ne se soucient guère de souligner leur appartenance à un cégep, privant ainsi leur institution et le réseau entier d'une reconnaissance dont ils auraient grand besoin; celui également de noter que la plupart des sites perdent une grande partie de leur rayonnement du seul fait qu'ils sont isolés, créés à l'aide d'un logiciel différent de celui qu'utilise le collègue du bureau voisin.

Quelques cégeps, dont celui de Bois-de-Boulogne et celui de Montmorency, semblent avoir aperçu ce danger. Dans le second cas, on a confié à Pierre Cohen-Bacrie, auteur d'un site dont la réputation est solidement établie, le soin d'aider ses collègues à construire leur site selon un modèle uniforme. À Bois-de-Boulogne, on a créé un collège virtuel. Pour le moment ce grand site est virtuel dans les deux sens du terme, mais il ne faudra pas s'étonner s'il devient dans quelques années le site le plus important de tout le réseau, du moins si l'on en juge par ce que l'on trouve déjà dans la section Saviez-vous que? du site du département de psychologie.


Michel Morin

Je reviens à Michel Morin, professeur au cégep Édouard-Montpetit et auteur de plusieurs ouvrages dont Mort et résurrection de la morale, HMH 1997. Nous avons développé le dossier Idéal de notre encyclopédie sur Internet autour d'un passage tiré de ce livre.

Yvon Paillé a publié chez VLB en 1996, Les voix de l'honneur, essai sur la théatralité. De tous les livres que j'ai évoqués c'est celui qui m'a le plus touché. J'y trouve, au terme d'une réflexion dont on sent le prix payé sous la forme d'une solitude douloureuse, la seule présence authentique de la lumière à mes yeux, celle qui transparaît à travers cette chair «capable de tout, même de capter des reflets divins.» «Je ne pense pas surtout, poursuit Yvon Paillé, aux fulgurances de l'art, qui nous font manifestement faire cette expérience parfois; je pense aussi au regard et au sourire qui, à l'occasion, sont porteurs d'une énigme indéchiffrable en cette vie-ci. Au beau geste également, à la bonté, à la tendresse, à la pitié, qui font pénétrer dans le monde comme un parfum d'éternité.» Yvon Paillé a enseigné la philosophie au cégep de Trois-Rivières. Enfin, car je pourrais continuer indéfiniment, consultez la page personnelle d'Yvan Cloutier, du cégep de Sherbrooke, vous y découvrirez une oeuvre et une vie particulièrement fécondes.

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Au début de ce parcours, j'ai rendu hommage à Fernando Dufour. Je rends à la fin hommage à un autre aîné dont la créativité semble s'accroître avec l'âge, Négovan Rajic. Cet écrivain, cet essayiste, ce romancier, qui a choisi la langue française comme langue d'écriture, est né en Yougoslavie qu'il a quitté, à ses risques, juste après la guerre de 1939-45, pour poursuivre ses études en France et venir ensuite enseigner les mathématiques au cégep de Trois-Rivières. Cet heureux recrutement à l'étranger fait aussi partie de l'histoire des cégeps. On doit à Négovan Rajic Les hommes taupe, Le cercle du livre de France, 1978, Sept roses pour une boulangère, même éditeur, 1987, Le service pénitentiaire national, Éditions du Beffroi, 1996, et enfin le premier volume du récit de sa traversée de la rivière Mura vers l'Autriche, acte qui résume et symbolise sa rupture avec le régime communiste de son pays, Vers l'autre rive, adieu Belgrade, publié par L'Âge d'homme, à Lausanne. Le second volume portant sur ses mésaventures autrichiennes et françaises est en cours d'édition. Négovan Rajic a obtenu plusieurs prix littéraires au Canada, en Angleterre et en Yougoslavie et a reçu la médaille Franz Kafka du Cercle européen de Prague. «Tu ne quittes point ton pays pour le trahir mais pour lui rester fidèle.»




Jacques Dufresne

Cégep: l'inspiration retrouvée”.



Texte d'une conférence présentée dans le cadre du Colloque de l'Association des cadres des collèges du Québec, le 12 novembre 2004. Date de création : 9 novembre 2004, date de modification : 2 novembre 2006.


En 1963, un visionnaire anglais, à la fois homme de science et homme de lettres, physicien et romancier, C.P. Snow lançait, sans faire de vagues, l’idée de troisième culture, une synthèse des cultures littéraires et scientifiques traditionnelles.

Au même moment, dans l’une des régions d’Occident dont on pouvait attendre tout sauf une vision originale de l’avenir, on entreprenait une grande réforme de l’éducation basée sur une intuition semblable à celle de C.P. Snow, celle d’un humanisme qui non seulement unirait les sciences et les lettres mais encore le monde du travail et celui de la culture. Par la même réforme, le Québec conservait l’essentiel de la tradition classique, dont il avait raison d’être fier, tout en se préparant, mieux qu’il ne l’avait fait dans le passé, à relever le défi de l’industrialisation. Il osait en outre continuer de se présenter comme distinct du reste de l’Amérique du Nord alors même qu’il adoptait des mesures audacieuses pour rattraper ses voisins sur le plan économique.

Les campus américains étaient alors le lieu de violentes contestations. Le mouvement gagna l’Europe. En France, il y eut mai 1968. Ce raz de marée n’épargna pas le Québec. Encore mal établies, les nouvelles institutions furent prises d’assaut. Pouvait-on reprocher à la jeunesse québécoise de se tromper de cible, d’ébranler ce qu’on venait de créer pour elle alors qu’ailleurs les cibles étaient des institutions bien établies ?

Dans les anciens instituts de technologie, les contestations de ce genre étaient impensables. Les employeurs allaient-ils désormais recevoir des techniciens corrompus par la fréquentation des littéraires dans les classes de philosophie? Ces craintes, en partie justifiées par les abus de la liberté totale dont les professeurs de lettres, de sciences humaines et de philosophie jouissaient tout à coup, aboutirent à ce que dès le début de la décennie 1970, il fut question de supprimer l’enseignement de la philosophie, en partie ou en totalité. L’enseignement de la littérature fut aussi pris à parti. Plus ou moins consciemment inspiré par l’idée que la langue n’est qu’un outil de communication, on devait un jour obtenir que l’un des quatre cours de littérature soit remplacé par un cours de langue.

Des réajustements s’imposaient. On ne pouvait pas, on ne devait pas tolérer indéfiniment que des professeurs de philosophie utilisent pour répandre leurs idées personnelles, des heures où il leur était possible d’initier leurs étudiants à Platon et Descartes. Mais c’est par respect pour l’idéal des fondateurs de l’institution collégiale que les autorités devaient se montrer plus exigeantes et non par complaisance pour le marché du travail.

Hélas! le second mobile a été beaucoup plus fort que le premier de telle sorte que les réajustements furent perçus par les professeurs et les administrateurs comme une suite de concessions à un marché du travail soucieux de rendement immédiat et à des universités ne croyant qu’à une formation générale : celle qu’elles pouvaient donner elles-mêmes.

L’histoire de l’enseignement collégial est à bien des égards celle d’un acte manqué, dont on a commencé à avoir honte quelques années à peine après l’avoir posé. La légitimité de la réforme n’était pourtant pas en cause. Elle avait été pensée par l’un de nos principaux partis politiques de l’époque et appliquée par l’autre. Quant au nouveau parti politique qui devait occuper le premier rang en 1976, il était formé de membres des deux autres partis.

Il est vrai que les syndicats ont au début abusé de leur pouvoir face aux jeunes institutions et que cela pouvait donner l’impression que chez les Québécois la tendance à l’autodestruction était si forte qu’elle les empêcherait de conduire à maturité des maisons d’enseignement adaptées à leur situation unique en Amérique du Nord. Le choc fut violent certes, il ne fut pas mortel et si les divers ministres de l’éducation l’avaient vraiment voulu, s’ils avaient eu assez de vision et d’inspiration pour le faire, ils auraient pu, en dépit des restrictions budgétaires qui furent la règle après 1980, rendre de plus en plus enthousiasmant l’idéal des fondateurs.

On s’est plutôt éloigné encore davantage de cet idéal si bien que lorsque l’actuel gouvernement a froidement formulé l’hypothèse d’une abolition pure et simple de ce niveau d’enseignement, la nouvelle a été perçue comme la dernière d’une série de concessions dictées par le défaitisme d’un peuple qui a beaucoup de peine à demeurer à la hauteur de ses plus hauts engagements.

Le ministre de l’éducation s’est fait rassurant depuis le jour où il a formulé sa funeste hypothèse. Mais un milieu qui n’est que rassuré demeure un milieu en sursis. Ce n’est pas d’un nouveau sursis que le milieu collégial a besoin, mais de la réaffirmation solennelle de l’attachement du Québec entier à l’idéal formulé par la Commission Parent. Il est regrettable aussi que le salut des régions soit l’argument le plus souvent utilisé en faveur du maintien des cégeps. Nous ne croyons plus en l’importance des cégeps, mais nous voulons bien les conserver comme prix de consolation pour les régions. C’est une autre version du même défaitisme.

Regardons un peu au-dessus de nos complexes. On a lancé l’hypothèse de l’abolition des cégeps au moment précis où il aurait fallu dire notre admiration plus solennellement que jamais à tous les visionnaires qui ont pensé ces institutions et qui les ont implantées. Tout a commencé, on oublie trop souvent de le rappeler, avec la Commission Tremblay au cours du dernier mandat de Maurice Duplessis, s’est poursuivi avec le rapport Parent et enfin, sur la ligne de feu, il y eut des personnes énergiques, courageuses, Jean-Paul Desbiens en tête, qui mirent fin aux tergiversations entre les lobbies universitaires et dotèrent les cégeps d’un programme compatible avec l’idéal proposé dans le rapport Parent.

Mais à l’époque, il n’était pas encore question du développement durable et de l’interdisciplinarité qui en est la condition, encore moins de la transdisciplinarité dont le physicien Barasab Nicolescu peaufine les fondements en compagnie d’amis sociologues et philosophes. La pensée complexe n’était pas encore un paradigme. Un ingénieur ou un technicien pouvaient rêver de faire toute leur carrière sans avoir besoin de connaissances en écologie, en anthropologie et en éthique et par suite en philosophie. Un philosophe pouvait conserver l’estime de lui-même tout en ignorant tout de la biologie moléculaire, du fonctionnement d’un ordinateur, du système binaire et du calcul intégral.

J’entends encore – c’était il y a vingt ans déjà – le physicien Fritjof Capra réclamant pour toutes les universités américaines une réforme à ce point radicale que dans toutes les facultés la première année auraient consisté à traiter du vivant sous toutes ses formes et au moyen de toutes les disciplines qui s’intéressent à lui, depuis la poésie jusqu’à la physique. Ce qui importait à ses yeux, c’était l’acquisition d’un fonds commun de connaissances et de sens critique qui rendrait possibles les nécessaires dialogues de l’avenir.

Cette réforme dont tous les grands esprits que je connais regrettent qu’elle tarde encore à se concrétiser, notre modeste Commission Parent l’a proposée en 1962 et elle était appliquée quelques années plus tard. Ce n’est pas un an qui allait être consacré à la réalisation du rêve de Capra, mais deux ans et même trois pour une grande partie des étudiants.

Cet idéal était-il trop beau? Certes, on ne pouvait pas faire jaillir en quelques années des professeurs suffisamment imprégnés de la nouvelle culture générale pour la faire paraître désirable à tous leurs étudiants, mais on avait toutes les raisons d’espérer qu’avec le temps, à condition que les universités fassent bien leur travail de leur côté, de tels professeurs seraient nombreux. L’invitation à acquérir la dite culture était au moins lancée. Ce fut pour moi et pour bien d’autres l’occasion d’un changement de cap dont je ne cesse de me féliciter depuis ce jour. J’avais été formé dans la plus pure tradition des lettres et de la philosophie pouvant se permettre d’ignorer superbement les sciences et les techniques. En grande partie pour sortir de cet isolement, j’ai fondé en 1970 une revue interdisciplinaire et internationale qui dès les premiers numéros fit appel aux plus grands chercheurs et penseurs d’ici et du monde occidental. C’est avec l’appui du mes collègues enseignant les techniques chimiques et biologiques que j’ai organisé en 1972, le premier d’une série de grands colloques. Devinez le thème de ce colloque : l’environnement. Nos travaux ont donné lieu à la publication d’un ouvrage de plus de trois cent pages où les études les plus spécialisées sur la dépollution de l’air et de l’eau étaient accompagnées de réflexions philosophiques sur la démesure.

Mon but ici n’est pas de raconter ma vie, mais de mettre en relief le fait que l’institution à laquelle j’appartenais m’a ouvert l’esprit à un point tel que ma carrière, pour ma plus grande joie, a pris une orientation imprévue. Il ne s’est pas passé une année où je n’ai trouvé le temps de m’initier à une nouvelle discipline scientifique ou technique, ce qui m’a préparé à m’engager il y a une quinzaine d’années, dans une grande aventure encyclopédique, dont j’ai de bonnes raisons de penser que les étudiants et les professeurs des cégeps ont déjà commencé à tirer profit. Soit dit en passant, les deux plus grands sites Internet québécois dans le domaine de la culture générale, L’Encyclopédie de L’Agora et les Classiques des sciences sociales, émanent tous deux du milieu collégial. Le premier grand site philosophique fut celui du Cégep du Vieux-Montréal, connu sous le nom d'Encephi. Certains professeurs préfèrent travailler seuls. C'est le cas de Pierre Cohen-Bacrie du Cégep Montmorency. Son site Philosophie, éducation, culture est un microcosme d'une cohérence et d'une richesse exemplaires.

Chemin faisant, j’ai eu l’occasion de mener, à la demande du gouvernement québécois, une recherche modestement intitulée : Les inforoutes et l’avenir du Québec. Cette recherche combinée avec mon expérience en tant que diffuseur du savoir sur Internet m’a amené à faire diverses recommandations au gouvernement du Québec, au Ministère de l’éducation en particulier, de même qu’à publier un rapport sous la forme d’un ouvrage de réflexion intitulé : Après l’homme le cyborg ?

Vous m’offrez l’occasion de vous dire en quoi consiste à mes yeux le bon usage d’Internet dans les cégeps. L’été dernier, une jeune collaboratrice, étudiante en architecture travaillait au dossier Art roman de notre encyclopédie. Après une analyse minutieuse de nombreux sites traitant de ce sujet, elle m’a appris que le premier site qu’elle recommanderait serait celui de madame Louise Forget, professeur d’histoire de l’art au Cégep d’Ahuntsic.

Je ne puis imaginer qu’un autre professeur d’histoire de l’art, puisse traiter de l’art roman au Québec ou ailleurs dans la francophonie sans inviter ses étudiants à consulter le site de madame Forget. Si le choses suivent leur cours normal, cette historienne sera invitée à présenter l’art roman à divers groupes d’étudiants ailleurs au Québec et dans le reste du monde. Toujours au Cégep d’Ahuntsic, un professeur de chimie à la retraite, monsieur Fernando Dufour, a droit aux plus grands honneurs pour ses travaux sur le tableau périodique en trois dimensions. Le Scientific American lui a consacré deux articles où son nom figure à la suite de celui de Mendeleev. Il y a maintenant un dossier à son nom dans notre encyclopédie. Je donne à l’avance une mauvaise note à tout professeur de chimie qui présentera le tableau périodique à ses étudiants sans évoquer la version en trois dimensions de Fernando Dufour et sans inviter Fernando à venir communiquer son enthousiasme à ses étudiants. Les étudiants seront encore plus sévères que moi, car une recherche sur Internet les mettra sur la piste de notre ami.

Par ces anecdotes, vous l’aurez deviné, je veux attirer votre attention sur un fait : l’éducation dans l’avenir ne se distinguera plus des autres activités culturelles. Les gens vont au concert pour entendre les meilleurs interprètes et les meilleurs orchestres, en voyage pour visiter les plus beaux monuments. En toutes choses ils recherchent la plus haute qualité et la plupart du temps ils ne se trompent guère. Tous les cours du MIT sont disponibles en anglais et en espagnol sur Internet. La très haute vitesse permettra bientôt de les suivre en direct. Bon nombre de professeurs auront intérêt à suivre ces cours humblement avec leurs étudiants, en leur servant de guide. S’ils ne le font pas et s’ils ne parviennent pas à s’élever au niveau des meilleurs professeurs du monde en s’en inspirant, leurs étudiants tôt ou tard leur en feront reproche.

Reviendrons-nous ainsi au Moyen Âge où quelques grands maîtres, comme saint Thomas, étaient entourés d’une multitude de commentateurs ? Il est plus probable que stimulés par la reconnaissance qui leur sera accordée via Internet, de plus en plus en plus de professeurs auront leur domaine d’excellence, si étroit soit-il. Le savoir est infini et les moyens de le communiquer pratiquement illimités. Un de mes confrères de collège profite de sa retraite pour étudier la simultanéité de l’arrivée de certains oiseaux et de la floraison de certaines plantes au printemps. Des niches de ce genre, qui n’exigent que la passion de la connaissance et un bon sens de l’observation, il en existe à profusion.

Le climat ainsi créé devrait modifier bien des choses dans les maisons d’enseignement supérieur, cégeps et université. Le monopole des institutions et des professeurs sur les diplômes sera vraisemblablement mis à rude épreuve.

Pour tous ceux qui ne croient pas à la grande mission des cégeps, et ils sont hélas nombreux, la tentation sera forte de profiter du nouveau contexte pour faire des économies aux dépens du moral des professeurs. Ces professeurs, il faut au contraire leur donner l’occasion de se faire reconnaître en les incitant à apporter leur contribution à L’Encyclopédie mondiale qui s’ébauche sur Internet. Pour diverses raisons, dont le fait que son travail pédagogique ne peut être évalué que d’une manière très indirecte, le professeur a besoin de démontrer publiquement sa compétence en tant que chercheur, penseur, écrivain ou artiste. La réussite sur ce plan l’aidera à mieux jouer son nouveau rôle, celui de compagnon de recherche de ses étudiants.

Je vais faire un usage du mot capital que je n’approuve qu’à moitié, mais il le faut. En agriculture et dans l’économie en général, on redécouvre en ce moment l’importance du capital naturel. On a enfin compris qu’en détruisant l’humus du sol pour accroître le rendement immédiat, on perd une source de revenus pour l’avenir. Comprendrons-nous enfin que le capital humain en éducation est encore plus précieux que le capital naturel ?

Je suis persuadé qu’une fois rassurés sur la confiance qu’ils méritent et sur leur avenir dans une carrière qui conservera toujours son importance, les professeurs opéreront d’eux-mêmes avec enthousiasme les changements qui permettront aux étudiants et à l’ensemble de la communauté de tirer le plus grand profit du nouveau contexte.

Dès le début, Internet m’est apparu sur ce plan comme un outil d’une puissance telle que le rapport au savoir, à l’autorité et aux monopoles en serait radicalement bouleversé. Sur le MIT Opencourseware, on peut lire une multitude de lettres prouvant que lorsqu’on peut suivre le meilleur cours du monde, fût-ce sur un écran, on n’hésite pas à le faire. Mais l’étudiant de Rimouski ou de Concepcion au Chili devra-t-il suivre les cours du spécialiste local du même sujet pour avoir droit à son diplôme? Lui faudra-t-il s’inscrire à grands frais au MIT.

Il y a et il y aura de plus en plus d’étudiant internautes. Il y aura aussi, pour les mêmes raisons et dans le même mouvement, de plus en plus d’étudiants itinérants. Les voyages ont toujours formé la jeunesse et les jeunes ont toujours aimé les voyages. Or, ils ont aujourd'hui plus que jamais par rapport au passé les moyens de satisfaire ce désir. Plusieurs font coïncider voyage et étude. F.D. a quitté l'université à vingt ans, après deux tentatives infructueuses pour s'adapter à un climat qui ne correspondait ni à ses attentes, ni à ses besoins. Il devient alors serveur de restaurant, ce qui lui permet d'économiser en un peu plus d'un an l'argent (15 000$) dont il aura besoin pour réaliser un rêve, qui fut celui de Goethe et d'un grand nombre d'artistes et d'écrivains de premier plan : un voyage en Italie. Pendant les loisirs que lui laissait son emploi de serveur, il lisait les écrits sur l'Italie de Goethe, Stendhal, Lord Byron et André Suarès. Il rêvait de devenir un grand peintre. Pour quelle raison a-t-il élu domicile à Naples plutôt qu'à Florence, Venise ou Rome? Peut-être parce qu'au Musée de Naples il s'est lié d'amitié avec un gardien qui lui en a facilité l'accès tous les jours gratuitement.

À son retour, F.D. parlait correctement l'italien, il avait fait des centaines d'esquisses, lu, de Vasari à Panofsky, des dizaines de bons ouvrages sur l'histoire de l'art. Quand il correspond avec des amis italiens sur Internet, il leur demande toujours de lui écrire en italien de façon à ce qu'il puisse conserver sa maîtrise de cette langue.

Chacun connaît un exemple de ce genre où l'on voit comment les voyages complétés par Internet peuvent former la jeunesse. Bon nombre de ces jeunes apprennent en un an l'équivalent de ce que les meilleurs étudiants sédentaires apprennent en deux ou trois ans à l'université.

Ne devrait-on pas encourager ce type d'apprentissage?. Il faudrait d'abord mettre en place, aux niveaux collégial et universitaire, un système d'examens ne comportant aucune discrimination à l'endroit des étudiants internautes et itinérants. Celui qui obtiendrait la note de passage recevrait en récompense la moitié de ce qu'une année à l'université coûte à l'état. Libre à lui ensuite d'utiliser cette somme pour entreprendre un nouveau voyage d'étude.

En collaborant à L’Encyclopédie mondiale, à la manière de Louise Forget, de Jean-Marie Tremblay et de tous les professeurs du MIT, en offrant leurs cours gratuitement au monde entier, les professeurs ont déjà créé une situation nouvelle qui rappelle le temps des sophistes. L’Agora virtuelle mondiale ressemblera bientôt à l’Agora d’Athènes. Chacun pourra y choisir son maître et ce système aura un avantage sur celui des sophistes : l’enseignement des nouveaux sophistes sera gratuit. (Je précise qu’aux yeux d’Aristophane, Socrate était un sophiste. Le sens que je donne à ce mot n’a rien de déshonorant).

Puis-je me permettre de faire une suggestion aux responsables des sites Internet des cégeps ? Il y en a sans doute dans cette salle. Mettez donc les travaux originaux de vos professeurs en évidence sur votre page d’accueil, comme le fait le MIT. N’est-ce pas tout compte fait la meilleure façon de faire la publicité de votre institution ? On s’attend à apprendre quelque chose ou à avoir l’occasion de le faire au moment même où l’on entre dans un lieu de haut savoir. Sur la page d’accueil de l’Université Harvard, on n’aperçoit au premier coup d’œil que des choses à apprendre. On accède directement à un témoignage d’Elena Bonner, la veuve de Sahkarov, sur la situation actuelle des droits de l’homme en Russie. Il faut dérouler la page pour trouver ce que l’on est sûr de trouver sur toutes les pages d’accueil des Universités : des liens vers les départements. J’ai ensuite consulté la page d’accueil du Cégep Bois de Boulogne. Tout y est et rien n’y est. Après cinq bonnes minutes d’analyse de ce fourre-tout, j’ai découvert un lien vers les sites des professeurs, mais pour n’y trouver que des plans de cours, qui ne m’ont rien appris.

La page du Cégep d’Ahuntsic, plus belle, m’a aussi paru plus prometteuse. On y annonçait un événement culturel sur l’histoire du Québec. Je m’empresse de cliquer sur ce lien. Déception : on ne m’apprend rien d’autre que la date et le lieu de l’événement. En désespoir de cause, je finis par trouver un fenestron de recherche où j’écris : Louise Forget. Et ô merveille, qu’est-ce que je trouve; un magnifique document sur l’art du scribe. Et je m’empresse de créer un dossier scribe dans notre encyclopédie afin de pouvoir y insérer ce précieux lien. Encore fallait-il que je connaisse la réputation de Mme Forget.

Imaginez que l’on décide enfin de transformer en réussite complète cet acte manqué que sont encore à bien des égards les cégeps, que l’on cesse enfin d’avoir honte d’une identité nationale qui se traduit par un modèle éducatif original, que l’on adopte résolument la grande vision humaniste qui fut proposée à l’origine, et que dans ce mouvement, on soutienne résolument les professeurs dans leurs efforts créateurs. Allez dans cet esprit consulter le site de Jean-Marie Tremblay, les classiques des sciences sociales et notre dossier sur Fernando Dufour et vous n’aurez aucune peine à penser avec moi que les cégeps sortent à peine de leur adolescence et qu’une merveilleuse maturité les attend, si le défaitisme atavique est enfin éradiqué au lieu d’être dopé.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 octobre 2011 15:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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