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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Serge Dufoulon, “Culture marine et temporalité: du quotidien au mythe.” (2000). Un article publié dans la revue Anthropologie française, vol. XXX, no 3, 2000, pp. 473-485. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 24 novembre 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Serge DUFOULON

Culture marine et temporalité :
du quotidien au mythe
”.

Un article publié dans la revue Ethnologie française. Vol. XXX, no 3, 2000, pp. 473-485. Paris : Les Presses universitaires de France.

Résumé
Le temps terrien ou domestique
Socialisation et mémoire collective
Travail quotidien et traditions
Marins-militaires
Les escales
Tradition versus modernité
Références bibliographiques

Résumé

À partir d'une enquête ethnographique sur les navires de la Marine nationale, cet article analyse les représentations du temps chez les marins, dégageant les moments forts - à terre, à la mer, en escale - qui fondent leur identité.

Mots-clés: Marine.  Temps.  Mémoire.  identité.  Anthropologie du travail.

De 1993 à 1998, notre équipe composée d'ethnologues et de un seul sociologue a eu l'opportunité d'observer et d'analyser la vie et le travail à bord de deux frégates anti-sous-marines de la Marine nationale [Dufoulon, 1997][1]  L'enjeu de ces travaux consistait à tester la pertinence des outils d'analyse classique en sociologie et en anthropologie du travail, dans leur capacité à décrire une structure et des situations de travail non classiques.  Un navire de combat est en effet une organisation de travail d'un type particulier: elle a une activité non productrice, elle est dans une relation de soumission à une institution qui a un rôle civique.  De plus, elle peut s'assimiler à une "institution totale" [Goffman, 1968 : 47-48] : deux cent cinquante hommes vivent, travaillent et se distraient à bord sous le contrôle d'une même autorité.

Chaque moment de la vie quotidienne du marin repose sur des espaces et des temps symboliques spécifiques, séparés ou conjugués aux autres pour constituer ce que l'on pourrait appeler une "culture marine" du temps et de l'espace.  Nous pouvons discerner grosso modo trois moments particuliers, propres à cette culture, qui structurent les représentations du temps chez les marins : le temps de la terre ou le foyer, le temps du voyage ou la mer, les escales ou la marge/transgression.

Nous verrons que les temporalités socio-symboliques des marins sont disposées selon deux axes principaux : un axe horizontal, qui correspondra à la traversée des différents espaces/temps évoqués plus haut; un axe vertical qui verra la progression du marin dans le grade et l'accumulation d'expériences professionnelles, creuset de formes spécifiques de l'honneur.  D'une manière générale, le temps de la navigation (la mer) peut signifier la référence à la tradition des gens de la marine, mais également comme nous le verrons l'expression de la tradition technicienne du métier dans la journée de travail.

Précisément, les déplacements que les marins effectuent, de la terre à la mer et en escale, sont les signifiants d'un espace et d'un temps qui les subsument tous et qui les relient les uns aux autres : il s'agit du "temps des rêves d'enfant" - qui se fond avec celui des origines de la Marine - lequel anime le marin, avant même son entrée dans la marine et dès ses premiers échanges avec l'institution.  On pourra percevoir les différentes temporalités qui construisent le travail et la vie du marin comme des mises en forme singulières, extrêmement ritualisées, de pratiques profanes qui autorisent la réactualisation d'éléments d'une organisation mythique [2] ou ceux d'une "mémoire collective" qui sont partagés par les gens de mer.

Ces moments forts de la vie des marins dessinent les contours d'agrégats identitaires.  Etre marin, c'est naviguer entre hommes, c'est également être technicien (essentiellement, mais pas seulement, pour le corps des officiers mariniers), donc référer à une identité de métier et enfin être militaire, appartenir à l'armée et, plus spécifiquement, à la Marine nationale.

Le temps terrien ou domestique

Lorsque le navire est amarré à quai, le travail des marins peut s'apparenter à celui de n'importe quel fonctionnaire en uniforme de la Marine nationale.  Entre 7 h 30 et 16 h 15, les gens travaillent à la remise en état des matériels, se rendent à l'arsenal pour aller chercher une pièce manquante ou reçoivent des équipes d'entretien spécialisé à bord.  Ils ne se sont pas encore véritablement appropriés le navire, et la notion d'équipage ne fait pas encore sens pour eux : c'est l'aspect individuel et familial qui prime.  Excepté le personnel de service de garde à bord, dès le moment du "dégagé", chacun rentre chez soi et redevient le conjoint, le père ou le chef de famille que les épouses et les enfants ne rencontrent que lors des permissions ou durant les périodes de révision.  Le Georges Leygues, lors de notre premier séjour à bord, totalisait deux cent soixante-dix jours "à la mer" dans l'année.  Le temps de la terre voit se poursuivre les exercices à bord - incendie, combat - ou les sorties pour des essais, dans les eaux proches.

"En général, il semble qu'il y ait un partage de territoires : à homme le bateau, à la femme la maison ?

- Ah oui ! Moi je joue à fond la carte.  Moi, il n'est même pas question de délégation à ma femme, c'est elle qui a entièrement le compte bancaire, mais entièrement ! Le compte est commun, évidemment, mais je ne lui donne pas une délégation de fric chaque mois, elle a tout le compte bancaire, et c'est vrai que par les affectations que j'ai eu, mais aussi par le fait qu'elles étaient extrêmement prenantes, en particulier la dernière, où j'étais à Toulon, mais jamais à la maison, c'est elle qui a entièrement élevé les enfants, et c'était à elle la maison, et même le fait d'élever les enfants.  Et à moi le bateau !  Intégralement exact, ce qui n'est pas bien, d'ailleurs, mais c'est comme ça.  Alors en plus, on n'a pas traité cet aspect, c'est quand même extrêmement chiant de retrouver sa femme tous les jours, je le dis souvent brutalement comme ça, elle croit que c'est une plaisanterie, mais pas du tout, c'est extrêmement chiant de se retrouver tous les soirs.  Mais c'est extrêmement agréable, c'est bien plus agréable, de se retrouver quand on ne s'est pas vu tous les jours." (Officier)

Le temps domestique est marqué, en propre, par la prééminence du féminin sur le masculin.  Durant les longues périodes d'absence, ce sont les épouses qui devront prendre en charge l'éducation des enfants, la gestion totale des problèmes du foyer, les maladies, les accidents des membres de la famille, etc.  Inutile de dire que, pour la plupart, les hommes sont conscients des efforts déployés par leurs compagnes et n'en sont que plus admiratifs à leur égard.  Les marins utilisent ce temps à terre pour renouer avec leur famille et (re)trouver une place qui doit toujours s'exprimer en demi-teinte, sous réserve de s'entendre dire : "Vivement que tu repartes !" Les marins disent que, durant ces moments en famille, c'est l’homme qui se met à la disposition des siens, en tentant surtout de ne pas faire preuve de trop d'autorité.  Il s'agit d'un temps féminin, durant lequel on observe un regain de "fiançailles", c'est-à-dire de délicatesse et d'attention, le moment où le marin met entre parenthèses les aspects trop virils ou guerriers de sa fonction et de sa personnalité (l'un et l'autre allant souvent de pair), pour redevenir le mari de sa femme et le père de ses enfants.

"Pour un homme embarqué, la femme endosse ( ) elle dirige à la maison, et c'est ce qu'on voit en tout cas, pour quelqu'un qui part souvent, la femme dirige la maison, elle s'est occupée de l'électricité, de conneries, de gestion, de l'éducation des enfants. Un homme qui rentre et qui va dire : "Maintenant, c'est moi qui décide comme ça, on va prendre telle orientation dans l'éducation de l'enfant", ça peut être une erreur

- Attendez, moi, c'est diffèrent, le problème ne se pose pas à ce niveau-là, c'est que quand je rentre, moi, ma femme me dit : "Bon maintenant, c'est à ton tour, allez, hop !"

- Quand vous rentrez, quel effet Ça vous fait de retrouver votre femme ?

- C'est Broadway.. ! (Rires)

- C'est le 14 juillet à Paris, le bicentenaire." (Officier-marinier et officier-marinier supérieur)

Pour les marins, le temps passé auprès de leurs proches s'apparente davantage à un temps familial festif dans lequel le travail effectué dans la journée n'est pas considéré comme "un vrai travail de marin". Ils signifient par-là que, d'une part, ils sont devenus à terre de simples "fonctionnaires" de la Marine nationale qui ont de la difficulté à exprimer pleinement leurs multiples appartenances professionnelles lorsque le navire est à quai.  Que, d'autre part, ces périodes sont marquées par l'empreinte du temps des fêtes familiales telles que les anniversaires, Noël ou encore les journées de ski et à la campagne, etc., comme s'il s'agissait d'utiliser ce temps rédempteur en payant de sa personne pour compenser le séjour prolongé sur mer.

La relation à ces lieux et à ces temporalités socio-symboliques de la mer et de la terre construit l'identité du marin homme.  La terre est le lieu privilégié du féminin, et la mer l'espace où se met en forme le masculin.  Effectivement, si la terre est synonyme de féminin, cette caractéristique se répartit différemment selon que l'on parle de la terre "patrie" ou des terres étrangères d'escales.  Dans le premier cas, il s'agit de la référence à la famille et aux endroits familiers, tandis que dans le second, comme nous le verrons plus loin, il s'agit bien plus de la séduction qu'exerce l'exotique.  A partir de ce constat, on saisira mieux la dichotomie qui s'exerce entre les différents types de femmes auxquels réfèrent les marins : celles qui sont restées au pays sont les femmes respectables, sœurs, épouses et mères qui, à l'image de la terre patrie, sont celles que l'on quitte momentanément mais que l'on retrouvera sous peu.  Elles sont les phares qui guident les marins au travers des eaux dangereuses au retour de leur quête identitaire sous d'autres cieux.  Sans elles, le marin peut se perdre faute de lien suffisamment ancré avec son univers socio-symbolique et psychologique d'origine.  L'odyssée que représente le voyage, temps de l'épreuve homérique, trouve son pendant dans le salut que procure la femme rédemptrice, celle qui accueille le héros de retour au foyer.

L'identité de marin renvoie donc à une division sociale des rôles sexuels, qui est simultanément une division symbolique des divers temps.  La plupart des marins déclarent que, après un séjour à terre, ils sont repris par le virus du voyage et de la mer, et nombreux sont ceux qui souhaitent repartir sur leur navire après avoir passé quelques mois, voire quelques semaines, en famille.  Conjuguant la fonction guerrière, la représentation de la Nation, la confrontation à un environnement hostile, l'aventure en terres étrangères, etc., la mission incarne un lieu consacré à l'accumulation de capital symbolique pour homme : ici se construit l'honneur qui établit le marin dans un statut social lui permettant d'être reconnu au sein de la société.

"Vous préférez être à la mer ou à la terre ?

- Je dirais que les périodes à terre sont très sympas, enfin, on en profite bien, mais que deux, trois mois à quai et on a vraiment envie de repartir.  Ce n'est pas qu'on s'ennuie, mais on croule sous les paperasses qui nous tombent sur le dos.  Et ce n'est pas forcément ce dont on se régale dans la marine.  On est quand même fait pour naviguer, sinon, on aurait fait la biffe ou autre chose, donc non... Cela dit, il ne faut pas arriver à des périodes de navigation trop intensives.  Et on en a connu quelques-unes avant l'IPER [3] ; là, on a beaucoup navigué, et Ça a été dur pour pas mal de familles, probablement. Il faut arriver à trouver un juste milieu, parce que Ça pourrait très bien à terme retomber sur le moral des gens et, du coup, entraîner un rendement de moins à bord, donc... Il faut faire attention à cela, je crois, à l'emploi des bateaux, parce que d'une part, on n'arrive pas à les entretenir si on les fait trop naviguer, donc il y a l'entretien, et puis la formation, l'entraînement, on ne peut pas refaire toujours à la mer.  Donc il faut des périodes à quai, d'une part, pour la compétence du bord, mais aussi pour le moral des gens, mais il ne faut pas rester trop longtemps [...], parce qu'un bateau trop longtemps à quai, c'est triste. " (Officier)

Socialisation et mémoire collective

Dans le déroulement de la carrière d'un marin, l'embarquement [4] est un événement important.  Il marque tout à la fois une série de ruptures et la continuité dans le temps, ces deux dimensions étant au fondement de la structuration de l'identité des marins.  Une affectation à bord d'un bâtiment représente tout d'abord une rupture par rapport au milieu que le marin vient de quitter : une rupture affective (la terre, la famille), parfois une rupture sociale et professionnelle (les amis de carré, de poste de vie, de grade, de commandement, de fonction).  On peut également être affecté sur un bateau de taille différente et se retrouver confronté à un bouleversement dans les repères spatio-temporels qui structurent l'espace de vie et l'espace de travail.

Pour les jeunes matelots, le temps de l'embarquement est un "temps héroïque-initiatique", car il s'agit davantage d'apprendre de la mer et des marins aguerris les modes spécifiques aux gens de mer que de conforter des compétences professionnelles qui ont été acquises en école.  Il semblerait a priori que ces nouveaux départs occasionnés par le changement d'affectation pourraient être la marque de bouleversements identitaires importants.  Mais isoler ce moment de l'arrivée à bord ne permet pas de comprendre comment les marins vivent ces rites de passage qui scandent leur carrière. Il nous faut, en fait, envisager de quelle façon ces changements successifs établissent de la rupture, en même temps qu'ils créent de la continuité.  Car ces interruptions sont aussi des moments "normaux" de la carrière, tout marin sait qu'il doit changer régulièrement de poste, de fonction, de bateau et de mission, et l'apprentissage de ces transitions fait partie intégrante de la culture professionnelle du marin.

Les apprentissages techniques et sociaux des marins sont réalisés au cours de leur précédant passage dans la Marine - dans les Écoles et les affectations successives qui constituent les principaux lieux de socialisation professionnelle des individus.  Lors d'une nouvelle campagne, ces éléments identitaires disponibles sont remobilisés et remaniés pour produire une nouvelle configuration identitaire : il s'agit donc d'une phase d'acculturation, au moins partielle.  Dans cette période de fragilisation et d'incertitude, les marins s'appuient sur les ressources dont les ont dotés les socialisations antérieures.  Face au changement, ils mobiliseront les références au passé ("le bon vieux temps") et au présent (en se rapportant à l'ensemble des règles professionnelles et institutionnelles) comme justification de la production du sens de leur action [5].

Le voyage est au cœur de la constitution de l'équipage d'un bâtiment de combat comme le moment d'ajustement d'itinéraires individuels et de mémoires collectives (d'Écoles, de missions, etc.), en vue de la construction d'une nouvelle identité épousant les formes du navire, l'équipage.  L'élaboration de la mémoire collective est un processus complexe ou, pour le dire comme M. Pollak, "le sentiment d'étrangers qui s'ensuit, dans le double sens d'une situation étrange et de la rencontre entre des êtres étrangers les uns aux autres, résulte de la divergence trop grande de leurs histoires individuelles et du manque d'une mémoire partagée qui leur permettrait de décoder la situation et de se comprendre réciproquement de façon quasi automatique" [1990 : 10].

Etre un marin, c'est appartenir à un groupe culturellement déterminé par la tradition et les voyages, incluant une forme de mise à distance de la terre et de tous ses signifiants : la famille, les amis, un certain confort affectif et sexuel, etc.  C'est également renoncer à un mode de vie sédentaire qui permet d'être chez soi, tous les soirs, et de se ressourcer dans le domaine du hors-travail, un mode de vie qui autorise un certain contrôle sur sa propre destinée et sur ceux qui en font partie.  On peut alors se demander ce que les marins "emportent dans leur sac" d'un bateau à l'autre ou de la terre à la mer, des ressources leur permettant de s'adapter rapidement. En fait, la ou les mémoires collectives constituent un mode d'articulation entre mobilités et capitalisations des savoirs : c'est dans le temps et les nombreux embarquements que se forme une sorte de capital disponible, l'expérience et la mémoire permettant de se confronter à de nouvelles situations.

Lorsque les marins intègrent le bord, la plupart ont déjà des souvenirs d'autres missions, d'autres campagnes avec des collègues du bord qu'ils ont connus ailleurs ; nous avons là une sorte de fraternité qui s'est établie par une expérience commune de l'isolement, de la vie de travail et celle du loisir à bord avec leur lot d'incidents, d'anecdotes, de sorties en escales, etc.  Cette camaraderie de service et des armes ne demande qu'à se réactiver à la mer lorsque les hommes passent sur d'autres bâtiments.  Les marins retrouvent alors les camarades de stages, ceux de promotion de maistrance ou de l'École navale.  Les rituels de retrouvailles sont souvent démonstratifs, le plaisir de se retrouver pour de nouvelles "aventures" ou "galères" est affiché dans les comportements, les marins plutôt pudiques et réservés en temps normal, à ce moment, laissent fuser les rires, échangent des poignées de mains que nous percevons comme exagérément viriles.  On assiste aux bourrades dans le dos qui sont des modes d'expression typiquement masculins, sans parler des invitations aux tournées d'apéritifs.  Ces attitudes familières sont possibles car elles reposent sur le partage d'histoires communes et la participation à une Histoire qui s'étend au-delà de la Marine nationale.  Elles ont dessiné au cours des siècles des modes de socialisation fondés sur un langage commun, des représentations de temps collectifs et enfin des parcours héroïques-initiatiques d'où la fonction guerrière et l'expression de la force face aux éléments ne sont pas absentes.

Naviguer entre hommes, c'est prendre la mesure de sa différence par rapport à ceux qui vivent à terre et dans la relation aux femmes qui deviennent ainsi synonymes de foyer, de sécurité, de repères stables dans cette mouvance que représente l'embarquement.  On rencontre ici des formes de relations traditionnelles qui sont propres à ces catégories d'individus dans l'ensemble des institutions totalitaires d'où l'une des catégories de sexe serait absente : internat, couvent, caserne, équipe de sport, etc.  Il s'agit de sociétés d'individus dans lesquelles chacun retrouve dans les autres sa propre image à l'identique : certains aspects identitaires sont renforcés, mais cet "entre-soi" défini dans l'opposition ou la disjonction (mer/terre, homme/femme, etc.) a pour conséquence la méconnaissance du reste du monde.

Travail quotidien et traditions

Lorsque le navire a repris la mer, chacun à bord effectue son travail dans sa spécialité au sein d'une équipe dans laquelle le travail est fortement prescrit.  L'arrêté 140, la "bible des marins", est un recueil de règles qui se sont élaborées depuis Colbert jusqu'à nos jours.  Dans le cadre de nos précédentes études, nous avons décrit la diversité des sources de régulation professionnelle mises en oeuvre à bord d'un bâtiment de combat.  On peut ici rappeler l'importance des régulations d'origine extérieure au navire, incorporées dans les traditions propres à chaque corps spécifique, ainsi que celles qui se sont construites de façon coutumière, mais considérées comme faisant partie de la culture commune, de la tradition de la Marine.  Les règles ne se limitent pas à prescrire et à organiser des modes d'action, mais elles définissent également des statuts, des temps et des identités particulières à travers des appartenances à des groupes professionnels ou à des catégories particulières.

Dans ce cadre de règles professionnelles, chacun, en arrivant à bord, sait exactement qui est son supérieur, son subordonné, quelle est la tâche qu'il doit effectuer et comment la mener à terme, quelle est sa place dans la hiérarchie professionnelle et dans les équipes de combat, d'incendie, etc.  Cet aspect identitaire très fortement structurant pour les marins fait référence à l'identité technicienne des ouvriers qualifiés, ici essentiellement représentés par les officiers mariniers (OM) et les officiers-mariniers-supérieurs (OMS), qui correspondent à la caste des sous-officiers de l'armée de terre.  Ces spécialités de travail s'inscrivent pour la plupart dans les traditions des corps de métiers de la marine.  Elles sont célébrées à travers l'hommage qui est rendu aux saints patrons, à sainte Barbe par les canonniers, à saint Michel par les boscos, à saint Eloi par les mécaniciens, etc.

"Vous pensez que vos hommes sont fiers de leur boulot, qu'ils aiment leur métier ?

- Oui, moi j'en suis sûr, j'en suis sûr, mais ils ne le montrent pas toujours.  Par contre, là où on s'en rend compte, c'est quand on fait des actions un peu particulières, quand on participe à certaines opérations, là, on sent bien qu'ils sont fiers d'avoir participé à ce genre de choses.  Et puis, d'ailleurs, on le voit dans leur comportement quand vraiment il y a des opérations intéressantes, ils sont tous très motivés, et on sait qu'ils en tirent beaucoup de fierté." (OMS)

Ici, le temps est mécanique, scandé par les astreintes des hommes dévolus au service du navire et des machines : les cahiers de maintenance et d'entretien des matériels donnent le rythme des contrôles, des opérations à effectuer jour après jour, semaine après semaine, car c'est d'abord le navire qui doit être opérationnel et non les hommes. "On donne un équipage à un navire et non l'inverse", expliquent les marins.  Une partie de la mémoire du navire est contenue dans les référentiels des pannes et des avaries.  Elle se transmet par radio de navire à navire et lors des mutations de personnels, les hommes restant en moyenne deux ans sur un navire avant d'avoir une autre affectation.  Il faut ajouter à ces temps de maintenance et d'entretien qui correspondent à la journée de travail normale celui que représente le quart auquel chacun à bord est astreint en plus de sa charge spécialisée.  Les hommes de quart veillent  la bonne marche du navire et à la sécurité des autres membres de l'équipage en effectuant chaque jour, aux différents postes du bord, quatre heures consacrées à la surveillance des instruments et de la mer.

A travers l'extrait suivant, on peut observer l'intensité des rythmes de travail à bord : il n'y a plus ni jour ni nuit, le temps devient circulaire [6]; et, si le dimanche n'était marqué par une baisse de l'activité pour les individus qui ne sont pas de quart, les marins oublieraient même les jours de la semaine.  Ils vivent alors des enchaînements de temps homogènes qui produisent une dilution des repères spatio-temporels.

"Je ne me lève jamais au branle-bas à 7 h 45.  Soit avant, soit après [C'était l'art de maîtriser son existence dans un monde extrêmement contraint que le jeune homme déployait dès l'aube d'une journée de travail militaire.]

- Tu as trois quarts d'heure pour te laver, t'habiller, déjeuner, faire tout ce que tu as à faire.  Après, 8 h 40, tu as l'appel par compagnie.  Alors là il faut voir si tout le monde est à bord. Ça dure cinq minutes, le temps de faire les communications du jour, dire ce qu'il y a à faire, rappeler que c'est l'anniversaire d'Untel... Alors c'est l'adjudant, le chef d'équipe, qui fait l'appel, et ensuite le chef présent [capitaine] intervient pour dire ce qu'il a à dire, s'il a quelque chose à dire.  Sinon, il arrive qu'il ne vienne pas, ce n'est pas important.  Après, on fait le poste de propreté, bon ça moi... Il y en a un ou deux qui s'occupent des bannettes et les autres font les locaux techniques et nettoient le bord.  Ici, on passe le balai, les papiers, on passe un coup de balayette sur les câbles, on fait la propreté... Ça amène à 9 h 30.

- On "fait la propreté", au cas où il y aurait une visite, une inspection ?

- Non, c'est pour nous occuper ! Eh oui, il faut s'occuper. Là je te parle d'un emploi du temps sans compter le quart.  Tu vas manger à 11 h ou midi, cela dépend du travail que tu as. En général, tu vas manger à 11 h, si tu as de la place. Ça te permet d'avoir une sieste un peu plus grande.  Et là, tu es libre jusqu'à 15 h Tu dors ou tu travailles, tu regardes un film.  Tu fais ce que tu veux, jusqu'à 15 h A cette heure, tu retournes au boulot.  Là tu t'occupes surtout de l'entretien, des taches de maintenance.  Donc tu fais ce travail, tu t'occupes jusqu'à 17 h A 17 h, il y a le "dégagé". Là tu fais ce que tu veux, tu es libre, tout le reste de ta soirée jusqu'au lendemain matin, 7 h 45, Tu fais ce que tu veux, tu vas faire du sport, tu joues aux cartes, tu regardes la télé ou... Mais tu ne peux pas quitter le bord ! [Rires] Sans le quart, c'est excellent ! Mais entre-temps, il y a le quart.  Prenons le cas du 8 h-12 h Tu te lèves le matin à 7 h, tu te douches, tu t'habilles, tu déjeunes.  Tu prends ton quart à 8 h et là, tu en descends à midi.  Moi je fais mon quart au CO [central opérations]. -Peu de gens font du quart dans leur poste de travail, c'est le cas aux machines, au P.C. TELEC [central communications], et puis c'est à peu près tout.  Moi je suis sur un sonar, je suis devant un écran vide, parce qu'on ne le démarre pas.  On essaie de faire du quart, mais enfin, c'est surtout pour que l'on commence à s'entraîner sur les actions ASM [7].

- Mais qu'est-ce que tu fais devant ton écran vide ?

- Eh bien, on le démarre quand même, mais normalement, il devrait être éteint.  On fait des émissions sonar, on fait de l'entraînement.  Quand il n'y a rien à faire, oui, là, ce matin, j'ai monté un bouquin de voiture et puis on a discuté deux heures au moins sur les voitures. Il n'y avait rien à faire.  Soit tu dors, soit tu discutes. A midi, tu vas manger, tu es libre jusqu'à 15 h A 15 h, travail. A 17 h, tu manges. A 18 h, tu prends le quart, jusqu'à 20 h A 20 h, tu fais ce que tu veux, jusqu'à 4 h A 4 h du matin, le quart jusqu'à 8 h A 8 h, tu as jusqu'à 8 h 40 pour te doucher, etc., 8 h 40, appel. Tu travailles, tu vas manger A 11 h, tu as la sieste jusqu'à 15 h A 15 h, le quart, jusqu'à 18 h A 18 h, tu descends, tu manges A 19 h, tu te couches parce que tu fais 0 h à 4 h Donc minuit à 4 h A 4 h, tu vas te coucher, tu te lèves à 7 h 45.  Travail jusqu'à 11 h. A 11 h, tu manges et là tu fais le 12 h à 15 h, etc.  Au fur et à mesure, tu prends le rythme." (0M)

L'activité technique est un épiphénomène du métier et de l'appartenance de corps.  L'identité technicienne est alors caractérisée par le temps de la transmission-formation des cadets par les aînés : le temps héroïque-initiatique qui, nous le verrons plus avant, est un élément qui s'inscrirait davantage dans un temps structuré sur le modèle d'un mythe profane [Eliade, 1963 : 223].  Qu'il nous suffise de dire pour l'heure que, dans ce modèle de l'ouvrier qualifié, les OMS ont le rôle d'aînés pour les jeunes matelots engagés et pour les OM.  Les OMS représentent un modèle de maîtrise du métier mais également de l'appartenance "à vie" à la Marine, les autres n'ayant pour le moment qu'un statut précaire [8].  Ainsi, plus on progresse dans les compétences du métier en acquérant de la maturité et du grade, plus on se rapproche de la figure idéale de l'OMS.  Cela signifie également la fin des corvées qui sont l'ordinaire des plus jeunes recrues et des plus bas gradés, pour enfin exercer des tâches plus nobles.

Ainsi, les marins vivent le travail quotidien comme un temps profane extrêmement contraignant, fonctionnant suivant une hiérarchie professionnelle et militaire, avec un cloisonnement des lieux et des équipes de travail.  Mais certains événements qui seraient plus de l'ordre du sacré et du transgressif rétablissent l'unité en faisant appel à une mémoire collective qui déborde le bâtiment lui-même.  L'expérience profane du métier et la transmission des traditions s'effectuent en partie dans la relation qui s'établit entre les anciens, les OMS, et les plus jeunes, les nouveaux OM et l'équipage.

"Est-ce qu'il y a des histoires du passé, des traditions qui fonctionnent sur le bateau ?

- Oui, la marine est très traditionaliste et tous les marins, des officiers aux officiers-mariniers, sont très demandeurs de choses comme ça, moi le premier, - je n'ai que douze ans, c'est trois fois rien par rapport à un maître principal qui en a trois fois plus, mais moi le premier, je me surprends des fois à dire : "Oui, de mon temps, quand j'étais sur tel bateau..." Et pourtant, je ne suis pas très vieux.  C'est vrai qu'il y a des mythes, il y a des traditions.

- Mais quand vous dites "de mon temps", vous voulez dire que vous appropriez un peu le temps ?

- Oui ... J'estime que depuis 81, je fais partie de la Marine, c'est vrai, la Marine est à moi et j'en fais partie, si c'est ce que voulez dire." (OMS) [9]

Marins-militaires

Ces techniciens sont cependant des militaires, et l'aspect de cette partie de leur identité est fortement présent à bord.  L'aspect identitaire militaire n'est pas négociable et, de plus, il est largement souhaité y compris par les appelés présents.  Il est accepté positivement quand il s'agit de définir les missions et les modes de fonctionnement et d'information de l'institution aussi bien au niveau Marine nationale qu'au niveau du bateau lui-même.  La Marine nationale, en tant qu'institution, semble au principe de la façon de vivre les rapports à la citoyenneté et à la société civile dans son ensemble et notamment de la définition du "sens civique". Quelles formes de temporalités particulières dessinent les contours de cet aspect militaire de l'identité à la mer ?

S'ils se défendent souvent d'être des "marins avant d'être [des] militaires", les hommes du bord assument pleinement la fonction militaire, dont la principale contrainte est avant tout une totale disponibilité : à terre comme en mer, les marins sont toujours prêts à rallier leur bâtiment au moindre appel afin de servir.  Conscients d'être engagés dans une unité de combat, ils n'ont pas d'état d'âme particulier en ce qui concerne l'éventualité d'intervenir sur ordre : "C'est notre travail", affirment-ils.  Le risque militaire fait partie du contrat.  Pour autant, participer à un conflit n'est accepté que dans la mesure où ça se passe loin de là.  La distance, physique et visuelle, et la technicisation du métier font que les guerres modernes se jouent de moins en moins dans des relations de proximité avec les "cibles", excepté pour les fantassins.  Le "risque militaire" est davantage celui d'être blessé ou tué que celui de donner la mort [10]. Corrélativement, la compétence militaire reposerait aujourd'hui sur des qualités plus techniques, référant aux savoirs et à l'adaptation aux nouvelles technologies, qu'à des qualités physiques qui s'appuient sur la force, le courage, la volonté renvoyant plus immédiatement au caractère viril du métier.  L'aptitude à combattre et la disposition à faire la guerre sont ainsi réancrées et légitimées dans l'ordre de la compétence et de la technicité.

Lorsque le bateau navigue, les marins effectuent leur journée de travail spécialisé et à leur poste de quart.  Mais à ce quotidien ritualisé il convient d'ajouter les nombreux exercices de "combat", de "sécurité", "d'incendie", "un homme à la mer", "crash hélicoptère", etc., qui viennent extraire les marins de leur activité routinière à grands coups de klaxon en les précipitant dans les temps de l'urgence et de la survie.  Certains exercices ne mobilisent qu'une partie de l'équipage, d'autres exigent la participation de l'ensemble des marins du navire, l'essentiel étant de "décoincer" séance tenante afin d'assurer les missions de sécurité et de combat qu'exige le bon déroulement de la mission.  Ces moments guerriers, temps forts de la vie d'un navire de combat qui peuvent être déclenchés n'importe quand et n'importe où, justifient pleinement le sens de l'engagement des marins, car ils sont toujours le prélude d'opérations qui pourraient mettre la vie de l'équipage du navire en péril [11]. L'identité collective et la cohésion de l'équipage se réalisent par rapport à la "mission" et à la "menace" : la première est productrice de rôle social et facteur d'intégration, tandis que la seconde, mal définie, est facteur de cohésion.

"C'est important de savoir que tu fais quelque chose qui a un sens, une finalité ?

- Sur n'importe quel bateau, je fais ce boulot si tu veux, pour moi, pour mon pays.

- Pour toi c'est important pour ton pays, c'est la notion de service ?

- Oui, plus que le type de bateau en lui-même.

- Moi aussi, oui, la notion de service.

- Mais s'il y a un article dans les journaux où on dit.  "Le Georges Leygues et son équipage ont fait une super mission", ça vous fait plaisir ?

- Ah oui, oui !

- De dire, tiens j'étais dessus, merde ! Moi ça, à la limite, voilà, ça je le prendrai vraiment comme un honneur.  Que le Georges Leygues soit allé sauver... Par exemple, tu sais Ça arrive des fois..

- Une mission humanitaire ou...

- Tac, et qu'on en parle à la télé et tout, qu'il y ait le nom du Georges Leygues, là d'accord, là oui, tu te diras..

- J'y étais, c'était moi, c'est mon bateau.

- C'est Ça ! Et par exemple, c'est vrai que nous dans notre boulot, on écoute beaucoup les fréquences... VHF, radio, etc. Donc, on communique.  Il y a des gens, peut-être, ce n'est pas grand-chose pour eux, mais quand je prends le micro et que je communique avec un autre bâtiment, que ce soit un bâtiment français ou étranger, j'ai conscience que le fait de parler, l'autre bâtiment, il reçoit le Georges Leygues, il ne reçoit pas le maître Machin ou commandant Machin... Quand on dit, par exemple, quand on rencontre le Montcalm et qu'il nous appelle, on dit : "Tiens, il y a le Montcalm qui appelle", donc c'est bien le bateau qui appelle, on donne l'image du bateau et sur la fréquence, on n'aime pas quand on a pu passer pour des imbéciles !" (OM, OMS)

La menace vient également de toute situation humaine ou technique non ordinaire à bord: feu, mauvaise ambiance, etc.  La menace peut être, au surplus, toute situation qui fait intervenir des facteurs étrangers à l'institution militaire et qui en heurte les fondements implicites, ou représenter potentiellement, un regard critique, par exemple, une autre institution non militaire ou des individus.  En un mot, l'altérité se conjugue difficilement sur le mode militaire, elle est plutôt constitutive de réactions collectivement orchestrées.  Toutes ces situations sont perçues comme étant productrices de désordre.  Le militaire a du mal à penser d'autres façons d'ordonner le monde et de réglementer la vie que celui que prescrit une autorité monolithique rarement contestée, même s'il est reconnu que le règlement autorise la discussion en cas d'ordres aberrants.  C'est dans les exercices fictifs ou réels, combat, sécurité, incendie, que se réalise le mieux l'impératif de l'identité militaire.

"La Marine française, il y a des gens qui pourraient dire que ça ne sert à rien, on a toujours perdu les batailles ?

- Ah non ! Mais enfin, quand on est en train de faire les cons à Ormuz pour faire passer les pétroliers, ça évite que le petit français moyen se retrouve à marcher le dimanche, comme en Hollande, s'indigne l'OMS

- Qui est-ce qu'on envoie entre les pêcheurs français et les pêcheurs espagnols ?

- C'est un remorqueur de la Marine nationale.  On a quand même des missions de protection du territoire, on fait partie de l'armée, on a un rôle, enchaîne un second maître.

- Quand on est en train de faire les couillons, à faire des convois comme on faisait en 87 parce que les autres étaient en train de prendre les pétroliers comme des cibles, et bien, c'était quand même notre pomme. Ça n'empêche qu'en France on n'a jamais eu de pénurie de pétrole, ajoute vigoureusement un marin.

- Vous pensez qu'elle a un rôle, la Marine nationale ?

- Et heureusement qu'elle a un rôle ! Le jour où notre putain de plaisancier a oublié, quand il y avait mer force 5, qu'il ne fallait pas sortir et qu'on le voit sortir le cul dans l'eau, et bien c'est quand même la Marine nationale, ce n'est pas un autre qui l'a repêché.  Elle a un rôle de défense, un rôle de sûreté de notre État.  Quotidiennement. 25 % de nos missions sont des missions à vocation publique.  Donc je veux bien, mais..., dit l'OMS.

- Et dans ce genre de mission, humanitaire ou d'assistance, vous vous sentez heureux ?

- C'est notre travail.  Heureux, je ne sais pas mais on doit être un petit peu fier.  Et bien oui, on est quand même fier que l'on ait pu par exemple participer à ce que des mecs arrêtent de se mettre sur la gueule, comme devant Mogadiscio - [opération en Somalie], dit en souriant le maistrancier.

- Vous avez besoin de vous sentir utiles en fait ?

- C'est mieux, pour moi, c'est mieux, répondit enthousiaste un marin.

- Toi aussi ?

- Oui ! dit le voisin Fortement.

- On a souvent affaire à des antimilitaristes ou à des civils qui ne savent pas... Souvent, on nous pose la question : "Oui, mais toi, qu'est-ce que tu fais sur un bateau ?", je suis bien content de dire : "Tiens, tu vois, tu as écouté les infos, la dernière fois, le bateau... j'étais là, tu vois" , explique l'OMS.

L'identité militaire s'exprime en fait selon deux axes [12]: le service public, la Nation, autrement dit, "A quoi sert-on ?".  D'une part, l'acceptation de la mission, d'une certaine hiérarchie qui imprègne l'organisation de la vie et du travail à bord, les comportements, d'autre part.  Pour d'autres marins, l'aspect militaire de leur condition est celui par lequel ils peuvent le mieux exprimer leur spécialité : les détecteurs, les commandos, les aéros, les artilleurs, etc.  Pour tous les marins du Georges Leygues, exercer leur spécialité pour servir la France et dans le cadre d'une mission procure une certaine fierté.  Il s'agit de leur propre honneur qu'ils identifient à l'honneur du bâtiment et, au-delà, à celui du pays.  Dans leur système de représentations et dans la pratique de leur métier, c'est cet honneur qu'ils revendiquent et défendent.  Leur culture se construit dans le mouvement organisant ces identités de marin, homme et de militaire, dans la tension relationnelle qu'elles entretiennent, dans leurs oppositions et leurs conjonctions.  C'est là, à partir de ces fondements identitaires, que peut se dessiner un projet collectif justifiant les différentes temporalités évoquées.

Les escales

Les deux temps symboliques forts, de la mer et de la terre, construisent des attitudes distinctes chez le marin, ils créent même un homme diffèrent, qui donne l'impression de mener une "double vie". Observons maintenant ce moment particulier de la vie des marins, l'intermezzo que représente l'arrivée dans un port étranger.  En escale, les marins sont a priori des touristes ordinaires qui, à l'ancrage, font des achats et se plongent dans le confort ambiant de Dubaï par exemple, s'amusent de manière plus coloniale à Djibouti s'inclinent devant les chefs-d’œuvre de Venise ou du Caire.  Parfois, les femmes de marins rejoignent leurs conjoints quel que soit le grade, en escale lorsque leurs obligations le leur permettent.  En somme, des marins en escale seraient de banals touristes ? Ce n'est pas si sûr.

L'escale construit le rythme et la qualité de la mission : "C'est une belle mission parce qu'il y aura de belles escales", disent la plupart des marins.  Face au travail monotone et répétitif du bord, l'escale est perçue comme une éclaircie, un entre-temps, un moment de repos et d'évasion revendiqué comme faisant partie du "pactole du marin". Il n'y a pas de marins et de voyages en mer sans escales.  Qui plus est, certaines escales, en Asie ou en Afrique, peuvent permettre de renouer avec un passé commun, le temps des anciens navigateurs ou celui de l'époque coloniale où tous débarquaient dans des contrées aux couleurs étranges et aux coutumes inquiétantes dans lesquelles ils étaient considérés comme des "rois" pourvoyeurs de mannes.  Dans ces pays, les règles de vie et d'échange avec les autochtones pouvaient se réinventer ou s'adapter au hasard des fantasmes et en proportion du prix à payer pour l'objet convoité : ivoire, or, objet d'art, femme, drogue, etc., devenaient alors accessibles pour les héritiers d'Henri de Monfreid et des troupes coloniales.  On peut alors comprendre qu'une escale comme Djibouti puisse faire rêver les plus jeunes ; elle est symboliquement porteuse des signes qui entretiennent l'identité du marin, dans la transgression autorisée des règles qui caractérisent la vie du bord.

"Et si c'était à refaire, vous referiez tout ça ou vous feriez autre chose ?

- Ah non, je crois que j'ai eu de la chance d'avoir fait des trucs que les gens ne font plus, j'ai fait le tour du monde.  On n'a été que trois bateaux dans la marine à faire le tour du monde, le Clemenceau avec ses deux escorteurs, on est parti au moment où on faisait la première bombe H française, les Américains nous interdisaient de passer par le canal de Panama donc on a fait tout le tour du monde, on a mis un an en restant six mois à Tahiti... Donc des trucs comme ça, ça ne se voit pas tous les jours !

- Il doit y avoir des bonnes bordées, je suppose, à terre ?

- Ça ne se fait plus ça, maintenant, dans le temps oui, ça se fait de moins en moins, vous savez, maintenant, lorsqu'on arrive à quai, les gens vont visiter énormément de pays, les musées, les sites.

- Ça devient culturel l'armée ?

- Oui, c'est vrai.  Il y a toujours, sur trois ou quatre jours d'escale, il y aura toujours la bonne bouffe, on téléphone aux familles avant et puis voilà.  Mais après, le lendemain, c'est aller visiter le pays, ce n'est plus avant... Et en plus de ça, il faut bien reconnaître qu'il y a quand même aussi là toutes les  maladies, les gens ne s'amusent plus.

Ils sont sérieux les jeunes ?

Ils sont très sérieux, vous pouvez voir à la cafétéria, il n'y en a aucun qui prend du vin alors qu'ils peuvent prendre du vin ou de la bière.  C'est pour ça que dès qu'ils font un petit écart, de suite, ils sont bourrés, même le toubib n'est pas d'accord, il préférerait qu'ils boivent un peu de vin que de boire toutes ces cochonneries remplies de sirop, de sucre, de Coca." (OM)

L'escale est un temps fort de la structuration de l'esprit du marin.  C'est face à l'altérité (les autres), à l'adversité (nous/autres) et à l'étrangeté des lieux que se mettent en place les réflexes propres à une identité collective qui cherche ses racines loin dans le temps, sur les traces des anciens.  Les marins fantasment sur les "bonnes bouffes" qu'ils feront et "les cuites qu'ils vont prendre", ils rêvent à des rencontres avec des femmes exotiques, à des amitiés d'un soir avec de fiers légionnaires et enfin, ils reconnaissent l'adversité dans l'insécurité des lieux, dans les maladies "d'un autre monde", dans le danger que peuvent présenter les aliments et l'eau.  Pour les moins aguerris, le chant des sirènes peut parfois finir par un dépucelage rituel qui fera d'eux des vrais marins, voire des hommes.

"C'est quoi, alors, c'est quitter le bateau ?
- Se dépayser. (OMS)
- Se vider un peu. (OM)
- Casser le rythme, changer de pensées, changer le rythme des choses. (OMS)
- Sortir un peu la pression. (0M)

- Lui, il dit que pour casser le rythme, il a besoin de décompresser, il va se saouler..

- Ah non, pas le truc à ne pas pouvoir rentrer à bord, à ramper.. Mais demain, c'est jour de l'an quoi, voilà, c'est ça... ou mon anniversaire, c'est la même chose. (OM)

- Et toi, les escales, ça représente quoi pour toi ?
- Le dépaysement." (OM et OMS)

Pour avoir observé ces marins en escale, nous pouvons dire que les fantasmes et les discours sur les escales prennent plus d'importance que ce qui s'y passe vraiment. "L'important, c'est d'y avoir été", de devenir le héros d'un jour ou le temps d'une escale.  Comme leurs aînés avant eux, les marins apprennent et se repassent le langage et les tuyaux propres aux terres des marins : "la bougnoulette", "les naïas", Chez Youssouf [13], etc.  Une escale comme Djibouti peut signifier l'absence de civilisation, un Orient aux règles variables, tandis que Dubaï, Venise et Corfou seront plutôt de l'ordre du lien social, les retrouvailles avec les épouses, l'achat de cadeaux pour la maison.  Plus tard, lorsque les hommes auront quitté la marine, les objets qu'ils auront achetés indiqueront aux proches et aux amis qu'ils ont voyagé dans de bien étranges contrées, qu'ils étaient des aventuriers appartenant à la lignée de Corto Maltese.

L'escale est toujours signifiante d'un autre temps celui des retrouvailles et du renouveau amoureux; de la mémoire des anciens temps coloniaux; d'un présent que l'on meuble d'objets et de souvenirs et d'un futur dans lequel sera valorisé ce temps des voyages et des explorations, un passé glorieux.

"Ce n'est pas un mythe les escales aussi ?

- Tout dépend de l'escale, une escale comme Djibouti, c'est assez folklorique, parce que, déjà, on se retrouve. Déjà, des bars, il y en a plein, il y a des gonzesses dans les bars, on a à peine commandé une boisson qu'il y en a déjà une autre qui nous demande : "Tu paies Coca, chéri ?" Bon, elles sont à moitié sidaïques et compagnie, donc on n'y touche pas, on ne prend pas de risque, moi, en plus de ça, je suis marié, j'ai un gosse, j'en ai vraiment rien à faire, mais enfin, c'est marrant, parce qu'on leur paie un Coca, alors elles sont amoureuses, c'est déconnant.  Maintenant, c'est sûr que quand tu arrives à Dubaï, ou à Abu Dhabi, là tu vas au magasin acheter un laser, un machin, tu vas au restaurant le soir parce que tu peux bien manger dans ces pays-là, tu vas à Douha [Arabie Saoudite], alors là, il n'y a plus rien à faire, c'est très propre, très clean.

- Oui, mais je veux dire, il n'y a pas de sorties culturelles ?

- Ah si... moi, par exemple, à Venise, j'ai fait escale à Venise, plusieurs fois, je suis allé visiter des musées, bien sur, quand il y a la possibilité de voir quelque chose, l'Égypte, j'ai fait plusieurs fois l'Égypte, je suis allé visiter les pyramides, le Sphinx, à l'époque, j'étais matelot, je ne pouvais pas me payer le voyage dans la vallée des Rois, mais ce serait maintenant, je pourrais le faire, j'irais voir.

- Il y a un état d'esprit, après une bonne période de mer entre hommes, il est certain qu'un contact féminin... Arriver en escale, c'est retrouver la terre, les bars, les restaurants, donc il y a un besoin de se défouler de toute façon, sortir ensemble, rigoler, faire une bonne fête." (Collectif OM)

L'escale en terre étrangère et les femmes exotiques représentent la séduction sous laquelle couvent des éléments de rétribution symboliques forts.  Cette mise en relation avec des femmes exotiques exprime davantage un pouvoir de consommateur, de touriste, car celles-ci n'appartiennent pas à la catégorie "respectable" des épouses et des sœurs, elles sont sexuées et même corruptibles.  Elles permettent rarement des relations pérennes, mais autorisent l'évanescence et la puissance du désir qui n'a pour objet que lui-même.  Ces femmes continuent à faire rêver tous les marins et souvent, certains, plus audacieux, dans une volonté inflexible de vouloir fixer ce temps et ces amours de Circé convolent avec celle qui restera à jamais un mystère à explorer.

L'escale apparaît un temps à part qui isole les marins, les obligeant par un jeu de miroir à rechercher dans cet exotisme le reflet de ce qui leur est familier : confrontés à la différence des cultures et de l'ailleurs, les marins sont renvoyés avec plus de force vers le collectif du bord.  L'équipage ressort ainsi renforcé, et le navire plus que jamais incarne cette "presqu'île" mal reliée au continent avec lequel les marins maintiennent fermement leurs attaches.  Quelques-uns parviennent à échapper à la règle ; ils ont en commun le sens de la différence et des passions marquées (sport, art, culture) plus forts que I'«a priori» qui voudrait les mettre en demeure de répondre au seul sens collectif en les renvoyant à la vie totalitaire du bord.  L'escale est également une sorte de retour progressif à la norme parce qu'elle permet de communiquer plus facilement avec la famille, parce que, lors des escales, elle donne un grand pouvoir d'achat et de consommation.

Ce temps de l'escale a donc également une fonction normalisatrice et régulatrice puisqu'elle donne à voir les attributs du statut du marin. On peut penser que l'escale fait partie du temps de la mer et qu'elle n'appartient en aucune façon au temps féminin de la terre.  Mais l'escale représente une sorte d'entre-deux, davantage tourné vers la mer en ce sens qu'elle conforte l'identité des marins dans cette "double vie" qui caractérise leur mode d'existence sociale.

Tradition versus modernité

Nous avons mis en exergue les temporalités qui structurent la vie et le travail des marins sur une frégate de la Marine nationale ainsi que les temps spécifiques qui leur sont associés. A cette étape de notre analyse, il nous faut restituer de l'unité là où semblent régner la fragmentation et l'opposition.  Ces marins disent, pour la plupart, s'engager "afin de réaliser un rêve d'enfant", "pour l'aventure et les voyages", "pour la mer", autant d'évocations d'un rêve dans lequel on peut trouver des éléments mythiques : le voyage initiatique, la figure du héros, etc.  Comme les personnages homériques de l'Iliade et de l'Odyssée, ils vont naviguer sur un élément [14] dont ils nous disent "qu'il n'est pas naturel" pour une quête qui prendra fin quand ils quitteront la marine pour des raisons toutes plus raisonnables les unes que les autres : fonder une famille, se reconvertir en fin de contrat vers des métiers plus sédentaires, etc.  Comme s'ils avaient enfin atteint l'âge homme mûr: ils ont trouvé une autonomie qui leur permet de sortir de l'institution pour assumer individuellement une vie qu'ils n'ont vécue jusque-là qu'en tant que membre d'un collectif, dans l'appartenance totale à l'institution.  Une approche des temporalités spécifiques de la vie et du travail des marins, sous l'angle de la sociologie du symbolique et de l'imaginaire [Sperber, 1974] peut nous faire comprendre comment ces travailleurs inscrits dans la modernité la plus prégnante, celle de la haute technologie et des logiques d'entreprise, ne peuvent se résigner à perdre le ciment qui donne du sens à leurs actions.

Nous pouvons observer les représentations du temps chez les marins et les signifiants qui leur sont associés.  Tant qu'il est au service actif de l'institution, le marin se déplace à l'intérieur de ces temporalités qui s'expriment à travers ce que M. Sahlins appelle une "mythopraxis" [1989 : 127].  Il n'y a pas de réelles contradictions entre les trois temps : la mer, la terre et l'escale.  Chacun de ces moments conjugué aux autres participe pleinement de la construction de l'identité de marin.  En ce sens, on peut entendre les différentes formes de temporalité que nous avons décrites comme venant réactiver rituellement les signifiants propres à ce temps passé au service de la marine.  Ainsi, le temps de la terre prélude en contrepoint le temps à la mer.  L'escale serait le moment festif de la transgression où terre et mer peuvent se rencontrer sans s'annuler, une zone liminaire de neutralité qui articule les deux espaces principaux.  Comme nous l'avons vu, les rythmes de travail sont différents à terre et en mer : dans le premier cas, ils offrent au marin une possibilité de réintégrer la société civile, veuve du rêve marin (en apparence).  Dans le second cas, les rythmes ramènent le marin au cœur du mythe et, lorsque les individus glissent enfin au cœur de ce temps, on assiste à la naissance d'un équipage.

Nous avons mis au jour les mécanismes qui opèrent dans la construction d'une "économie psychique" particulière qui caractérise un équipage en tant que "formation sociale" [Elias, 1985].  Les diverses temporalités sont le plus souvent intimement liées et, dans le contexte d'une institution totale de ce type, il est impensable de les dissocier dans la pratique quotidienne.  Pourtant, si elle a traversé les âges presque imperturbablement, cette structure mythique du temps des marins, quelque peu homérique, se voit peu à peu opposée, voire déstabilisée, par les éléments d'un mythe prométhéen redoutable: celui d'une certaine modernité qui prétend remplacer les logiques traditionnelles du « don de soi », « de 1'engagement », de « la Vocation » par des logiques entrepreneuriales de « professionnalisation », « d'expertise », « de rentabilité ». Dans l'évolution historique de cette institution en pleine mutation, ce choc impose des réaménagements pratiques et symboliques profonds dans les structures identitaires traditionnelles des marins.  En ce sens, l'ordre militaire vit désormais à l'ombre d'un certain ordre industriel dans lequel les logiques entrepreneuriales se substituent peu à peu à la « raison civique ».

Un tel mouvement aurait-il fait disparaître l'unité culturelle qui existait auparavant ? On peut voir ici la signifiance d'une identité traditionnelle bousculée par la modernité et qui cherche ses racines dans un âge d'or communautaire.  La marine ne sera plus ni le berceau ni la gloire du héros, mais la traversée du passant voyageur qui entretient un lien plus instrumental et distancié avec elle, un temps précaire.  Pour faire face à cet ordre nouveau porté par une jeunesse trop flexible, déjà trop acculturée à la précarité, les marins restaurent le lien social par la mémoire.  La « mémoire de la mer » est cet univers de sens qui, bien au-delà des bateaux, inscrit chaque marin dans une communauté professionnelle en même temps que dans une Histoire.  Elle est le creuset dans lequel se concocte l'identité du marin : reliant les hommes aux machines, les générations aux générations, les hommes entre eux et avec le bateau.  Et "s'il y a place pour la guerre, il n'y en a pas pour la déchirure du sens", pour reprendre les mots de M. Gauchet [1985].  Alors la mémoire réorganise les représentations et les événements à travers les paroles des acteurs là où le désordre social a suscité l'inquiétude et le doute individuel.  La culture du bord est vivante, elle transcende les seuls individus embarqués et se propage à travers des hommes-machines, aussi loin que les rivages de la mémoire peuvent s'étendre.

Références bibliographiques

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[1]Je remercie mes collègues Marie-Pascale Trompette et Jean Saglio pour leurs suggestions et la relecture de cet article.

[2] Au sens de M. Eliade [1963].  On peut se référer aussi aux ouvrages de M.O. Géraud, 0.Leservoisier, R. Pottier [1998 : 294-295] et de D. Sperber [1982].

[3] Longue période d'immobilisation du bâtiment à terre pour une révision générale des matériels.

[4] L'équipage d'un bâtiment de combat est renouvelé chaque année pour moitié.  D'une manière générale, les marins y sont affectés pour trois ans, mais avec les stages, les permissions à récupérer, etc. ils y restent en moyenne deux ans.  Voir à ce sujet S. Dufoulon, M.-P. Trompette, J. Saglio [1997].

[5] Sur le thème de la socialisation et du rôle de la mémoire voir S. Dufoulon, M.-P. Trompette, J. Saglio [ibid.]

[6] Cette circularité du temps est spécifique de la, relation entre le sacré et le profane des sociétés traditionnelles.  Sur le sujet, on peut lire E. Durkheim [1990] et S. Dufoulon [1997: 244-247].

[7] ASM : anti-sous-marines

[8] Les OMS sont, "au cadre de maistrance" c'est-à-dire qu'ils ont acquis un statut de titulaire de la fonction publique.  Les officiers sont "de carrière". Mais au-delà de la sécurité de l'emploi, c'est sur la notion d'appartenance que nous souhaitons mettre l'accent.

[9] Sur la question de la construction d'un langage commun aux chercheurs et aux marins, on peut se référer à l'article de M-P Trompette, J. Saglio, S. Dufoulon [1999].

[10] Précisons que, au cours de nos entretiens et dans les réponses qui furent données aux questionnaires, peu de marins disent être conscients du risque militaire.  Pour eux, être dans la Marine nationale, c'est exercer un métier, et ce risque lorsqu'il est évoqué sert souvent d'argument de négociation ou de réévaluation identitaire.

[11] Un bon commandant doit tenir compte des charges de travail incombant à l'équipage et du repos dont celui-ci a besoin ; ainsi, un exercice de combat déclenché n'importe quand, peut être interprété comme une sanction.  Négociation et régulation sont très prisées à bord [Dufoulon, 1998]

[12] Il faut ajouter la masculinité comme élément identitaire déterminant dans la construction de l'identité du marin-militaire.

[13] "Bougnoulette" : taxi local ; les "naïas" filles de bar, prostituées ; Chez Youssouf: restaurant bien connu des militaires qui font escale à Djibouti.

[14] La mer fonctionnerait comme mémoire collective.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 décembre 2008 12:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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