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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“La contre-culture: une idéologie de l'apolitisme” (1979)
Remarques préliminaires


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jules Duchastel, “La contre-culture: une idéologie de l'apolitisme”. Un article publié dans La transformation du pouvoir au Québec. Actes du Colloque de l'ACSALF, 1979, pp. 253-264. Montréal: Les Éditions Albert Saint-Martin, 1980, 378 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 janvier 2005 de diffuser toutes ses publications.]

Remarques préliminaires

La contre-culture a représenté trop de significations à divers niveaux du vécu pour un grand nombre de personnes pour qu'il soit facile d'en parler sans entraîner une certaine confusion des termes. Il me semble donc nécessaire de commencer par certaines remarques visant à clarifier les diverses notions qui sont utilisées couramment pour aborder cette question et à expliquer la perspective dans laquelle je me situe.

a) Les notions de mouvement, de contre-culture et de pouvoir

Le titre de l'atelier : «Le mouvement de la contre-culture face au pouvoir» introduit trois notions qu'il faut interroger pour éviter d'être prisonniers de représentations, sinon spontanées, du moins semi-construites et de reproduire d'une certaine façon - à un second degré - un discours autojustificateur. D'abord, quel est le sens de la notion de «mouvement» lorsqu'on l'associe à la contre-culture. On doit noter que dans les années 60, le terme «mouvement» s'est souvent substitué à celui de contre-culture pour désigner cette expérience qui se voulait une alternative globale à la société. Cette notion inscrite à l'intérieur du discours contre-culture] visait à identifier l'aspect dynamique de la contre-culture, sa dimension de projet, mais aussi le caractère supposé de son irrémédiabilité. Le «mouvement» était donc un opérateur idéologique, principe de ralliement, facteur de mobilisation. Lorsqu'on parle ici de mouvement, ne s'en réfère-t-on pas plutôt à un concept sociologique construit, celui de mouvement social? Dans ce cas, il apparaît nécessaire de changer de terrain. Il faudra plutôt se demander quels sont le moment, les conditions et les formes de son émergence et de son épanouissement.

De la même manière la notion de contre-culture pose un problème. Le texte de présentation de l'atelier parle de pratiques et de valeurs nouvelles. Ceci est vrai à un premier niveau descriptif. Mais, comme je le disais plus haut, c'est en plus un projet élaboré à travers ces pratiques visant une transformation, du moins dans la mesure de la définition que se donne la contre-culture d'elle-même. Elle se définit comme projet. Paradoxalement - vu le titre de mon exposé - je dirais qu'elle se donne comme projet politique. Cependant, si l'on change de terrain, on peut s'interroger sur la signification de ce néologisme, la contre-culture. À un premier niveau, il renvoie à la notion de culture, ce qui n'a pas pour effet de diminuer son ambiguïté. En effet, la notion de culture me semble être démunie de sens à force d'être investie d'une multitude de significations. À l'origine, la culture désignait le travail - à travers des formes spécifiques et un procès déterminé - mis en oeuvre pour extirper la subsistance de la terre. De façon imagée, la culture a aussi désigné le travail Produit au niveau de «l'esprit». Il s'agit alors de la culture «cultivée». Puis, une certaine «démocratisation» de la notion se produit avec l'extension du sens de la culture dans l'acception anthropologique. La culture y désigne un ensemble de manières d'être, de penser et d'agir. Enfin, avec la constitution d'une théorie sociologique - le structuro-fonctionnalisme - la notion de culture ne sert plus seulement à décrire les caractéristiques diverses des sociétés, mais devient principe d'explication en dernière analyse. La culture comme consensus devient l'explication de la pérennité relative des structures sociales. Dans cette acception même, la culture prend des contours imprécis. On ne sait trop ce qu'elle est, mais elle permet d'expliquer sur un mode globaliste et non conflictuel l'ensemble de la réalité sociale.

De quoi s'agit-il alors lorsque l'on parle de contre-culture ? Si la culture est consensus, peut-on parler de la contre-culture comme rupture de consensus ? D'une certaine façon, elle se propose comme alternative au consensus. Mais cette notion ne quitte pas le terrain d'une explication consensuelle-globalisante et non conflictuelle. À la limite, la notion de contre-culture s'appuie sur le relativisme des analyses culturalistes. Elle permet par ailleurs de laisser transparaître la nécessité de l'analyse dynamique. Mais elle retombe dans les mêmes travers que l'analyse culturaliste en ce qu'elle recherche un principe explicatif globaliste à travers une nouvelle forme consensuelle. Qu'il suffise d'indiquer dans ces remarques préliminaires qu'autant la notion de culture que celle de contre-culture présentent d'un côté une grande part d'ambiguïté et d'un autre côté s'appuient sur un postulat de consensualité. En contrepartie, il me semble pertinent de proposer le concept de pratique idéologique - discursive ou non discursive - pour rendre compte du mouvement de la contre-culture des années 60. J'y reviendrai.

Le troisième terme du titre de l'atelier concerne le pouvoir. La définition de l'atelier distingue deux niveaux de pouvoir, soit le niveau interindividuel et le niveau sociétal. Je trouve acceptable cette distinction pour définir le niveau de l'approche. Cependant, encore une fois, il est possible de distinguer la définition spontanée du pouvoir d'une définition construite théoriquement. Que l'on pose le problème du pouvoir comme principe d'opposition politique ou comme «objet idéologique» à travailler - on peut, par exemple, repenser les rapports de pouvoir dans une commune - il me semble nécessaire de définir ce qu'on entend par pouvoir sur le plan théorique. Une opposition - nécessairement réductrice - indiquera l'insuffisance de cette définition. D'un côté, on définit le premier comme un universel. Il s'agit d'une essence plus ou moins philosophique ou psychologique qui traverse l'ensemble du «corps social» -du microcosme au macrocosme. Cette représentation d'un enjeu universel détermine souvent une position anarchiste sur le plan politique et un point de vue microsocial par rapport au champ d'intervention. D'un autre côté, on lie le pouvoir à l'exercice d'une exploitation et d'une domination spécifique dans des rapports sociaux historiquement déterminés. Cette représentation pose le problème du pouvoir à travers une théorie de l'État comme lieu de rapports de force et de luttes. Cette représentation entraîne une position politique axée sur l'analyse des contradictions et des luttes et une perspective plus macroscopique au niveau de l'intervention.

Le sens de ces premières remarques vise à établir que bien que le discours idéologique et le discours théorique ne soient pas totalement indépendants - et, au contraire, ils sont inextricablement articulés - il faut savoir établir une distance minimale entre les pratiques et discours analysés et le discours de l'analyse.

b) Comment aborder le phénomène de la contre-culture

La seconde remarque concerne le niveau de l'approche que je suggérerai plus loin du phénomène de la contre-culture. Ce niveau est dépendant des définitions théoriques que je donne, des pratiques idéologiques, des mouvements sociaux et de l'État. Dans tous les cas, ces définitions se rapportent à l'ensemble des rapports sociaux. Pour moi, les pratiques idéologiques doivent être comprises dans le cadre du fonctionnement idéologique général d'une formation sociale, laquelle contribue à la reproduction/transformation des rapports sociaux (cette dernière devant être comprise dans le cadre d'un rapport de force entre classes sociales). Les mouvements sociaux représentent la forme active que prennent ces luttes aux divers points de friction des formations sociales. Enfin, l'État est la condensation de l'ensemble de ces rapports de force et de ces luttes. De ce point de vue, l'approche du phénomène de la contre-culture est fixée à un niveau général d'explication. Cela ne veut pas dire que ces concepts excluent un niveau d'analyse plus microscopique. Il faudrait cependant qu'ils soient remodelés en fonction d'une approche du micro-social et que les articulations entre ce niveau et le niveau de l'analyse plus général soient élaborées. Il ne sera donc pas question ici d'expériences particulières (écoles libres, communes, nouvelle agriculture, production artisanale, etc.). De plus j'exclus de mon analyse, ici, le cas de mouvements politiques plus spécifiques - et relativement marginaux - qui ont tenté de faire le pont entre l'idéologie contre-culturelle et le politique (mouvements libertaires ou anarchistes). Je préfère aborder la question dans la perspective du développement historique du capitalisme dans sa présente phase monopoliste. Celui-ci se manifeste par une profonde transformation de l'État, une modification de la structure des classes et une réorganisation de la configuration idéologique d'ensemble. Je m'appuierai pour développer mes thèses sur les mouvements sociaux des années 60 et sur le discours idéologique explicite de ceux qui se sont réclamés de la contre-culture.

c) Apolitisme et idéologie de l'apolitisme

Le titre de ma communication, «la contre-culture, une idéologie de l'apolitisme», demande quelques explications. Il me semble nécessaire de souligner qu'il n'y a pas à proprement parler d'idéologie apolitique. Ce n'est pas la même chose que de parler d'une idéologie de l'apolitisme. En effet, de larges secteurs du mouvement contre-culturel des années 60 se sont explicitement réclamés de l'apolitisme. Il n'en demeure pas moins que ce mouvement fut politique dans ses effets. J'ajoute que les mouvements plus contemporains qui puisent largement leur inspiration dans l'idéologie contre-culturelle des années soixante, tout en voulant réintroduire le politique dans leur plate-forme, continuent à produire l'effet politique à travers le mécanisme de l'apolitisme. Cela implique que je définisse l'apolitisme. Celui-ci est une pratique idéologique dont l'effet politique est produit à travers une décentration de l'action politique hors du lieu où les rapports de force se nouent et se dénouent ordinairement. L'apolitisme nie le caractère politique de son intervention en prétendant désinvestir le lieu traditionnel de son exercice et en visant le rapport d'articulation entre les contradictions secondaires où il se concentre et les contradictions principales autour du pouvoir de l'État.

Retour au texte de l'auteure: Jules Duchastel, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 30 décembre 2006 13:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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