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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ Les fondements historiques de la crise des sociétés canadienne et québécoise. (1978)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de par Alfred Dubuc, “ Les fondements historiques de la crise des sociétés canadienne et québécoise ” in ouvrage sous la direction de Pierre Fournier, Le capitalisme au Québec. Chapitre II (pp. 49-78). Montréal : Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1978, 438 pp. Texte repris de la revue Politique aujourd’hui, Paris, no 7-8, 1978, pp. 29-53. [Autorisation accordée par le professeur Dubuc par téléphone, de chez-lui à Montréal, jeudi le 3 juillet 2003.]

Introduction


Les centrales syndicales québécoises s'interrogent aujourd'hui sur la question nationale et envisagent la création éventuelle d'un parti politique représentant les intérêts de la classe ouvrière québécoise ; elles le font avec beaucoup de difficultés et, parfois, d'embarras, car le nationalisme est, pour la classe ouvrière, une réalité ambiguë. Historiquement, il a servi d'arme idéolo-gique de combat à l'une ou l'autre des fractions de la bourgeoisie pour asseoir son pouvoir ; pourtant les travailleurs québécois ont toujours ressenti dans leurs conditions de travail la double domination nationale et capitaliste.

Cet essai propose un retour en arrière sur l'histoire du Canada pour voir l'évolution des jeux des diverses fractions de la bourgeoisie à l'endroit de la constitution du Canada ; il propose l'hypothèse majeure que les forces qui ont appuyé les tendances autonomistes des gouvernements provinciaux, dans l'ensemble du Canada, représentaient les intérêts d'une fraction, appelée bourgeoisie moyenne, à l'encontre de la grande bourgeoisie nationale, suppôt du gouvernement fédéral ; il propose, en outre, de considérer que le développement du capitalisme monopoliste d'État a entraîné la formation, non seulement d'une nouvelle petite bourgeoisie, mais aussi d'une nouvelle bourgeoisie moyenne ; finalement, il suggère que les difficultés des centrales syndicales à se situer par rapport à la question nationale reposent sur les ambiguïtés de la politique du gouvernement du Parti québécois qui ne départage pas les intérêts de cette nouvelle bourgeoisie moyenne de ceux des intérêts de la classe ouvrière (note 1).

S'interroger aujourd'hui sur le Québec, après l'élection du Parti québécois au gouvernement de cette province, à la veille du référendum proposé aux Québécois pour qu'ils se prononcent sur le destin de leur nation, c'est s'exposer au risque de considérer le phénomène national comme un absolu, indépendant de toutes les tendances et intérêts qui, dans une société, définissent la vie politique. Au premier abord, s'interroger sur le Québec c'est aussi s'interroger sur le Canada, serait-ce pour la seule raison que l'opposition à l'indépendance du Québec s'articule autour du respect de la "nation canadienne". Mais qu'est-ce que la nation ? laquelle, la canadienne ? laquelle, la québécoise ?

Lorsque je me tourne vers l'historiographie du Canada et du Québec, je trouve de la nation des définitions fort diverses ; des deux côtés, je puis en découvrir deux catégories : l'une qui englobe toute la communauté nationale, sans considération de groupes d'intérêts ou de classes, l'autre, plus récente, selon laquelle la nation se définit par la nature de ses classes sociales. Dans la première catégorie, prennent place, pour le Canada anglais, deux grandes définitions de la nation canadienne : la définition dite conservatrice, quasi périmée aujourd'hui, suivant laquelle le Canada se définit par son rattachement, au XIXe siècle à l'empire britannique, au XXe au Commonwealth ; l'autre dite libérale, qui situe le Canada sur le continent nord-américain et n'en éclaire le destin que par sa liaison aux États-Unis. Dans l'historiographie québécoise, cette catégorie contient aussi deux définitions de la nation la première, qu'on pourrait appeler "fédéraliste", selon laquelle le Québec n'a de signification politique qu'à l'intérieur de l'État fédéral canadien, avec ou sans statut particulier, selon les auteurs ; la seconde, qu'on pourrait appeler "séparatiste", suivant laquelle le peuple québécois, par son histoire, sa culture, sa langue, son territoire, contient tous les attributs d'une nation, mais à laquelle il manque la prérogative de la souveraineté politique pour répondre à toutes les exigences de son existence collective.

Cette catégorie fournit des définitions englobantes de la nation celles-ci, dans leur absolu, sous-tendent des projets collectifs libres de toute opposition interne, de toute tension, de tout conflit ; non seulement la lutte des classes est niée, mais la notion même de classe est proscrite.

Plus récemment, une historiographie plus ouverte aux divers domaines de la vie sociale en même temps que des sciences humaines plus inquiètes des phénomènes de domination, de colonisation et d'impérialisme ont introduit, dans la définition de la nation, des considérations sur les classes, leurs intérêts, leurs idéologies, leurs conflits, tout en fournissant des paramètres nouveaux aux divers projets politiques axés sur l'indépendance du Canada ou sur l'indépendance du Québec. Y a-t-il une véritable bourgeoisie canadienne autonome ou cette bourgeoisie n'a-t-elle pas été totalement assujettie aux bourgeoisies étrangères, la britannique au XIXe siècle, l'américaine au XXe ? A l'époque du capitalisme monopoliste d'État, un gouvernement, que ce soit celui du Canada ou celui du Québec, peut-il continuer à prétendre se faire l'arbitre impartial de tous les intérêts de la nation ? Si l'État est l'appareil idéologique et coercitif de la bourgeoisie pour assurer sa domination et son exploitation, quels sont les fondements de classe des gouvernements du Canada et du Québec ? Quel est l'objet des alliances de classes dans la politique de ces deux gouvernements ? Quelle est l'efficacité de la fonction de relais qu'assurent, chacune à sa façon, les diverses fractions de la bourgeoisie canadienne et de la bourgeoisie québécoise par rapport aux entreprises multinationales et à la domination étrangère ? Le nationalisme ne serait-il pas autre chose qu'une production idéologique dont un des objectifs serait de masquer les intérêts véritables de certaines fractions aspirant au pouvoir ? La classe ouvrière devra-t-elle toujours demeurer à la remorque de certaines fractions de la bourgeoisie dans la définition de la nation, si tant est qu'il soit de son intérêt de participer à une définition commune ?

Ces interrogations ont engendré une nouvelle catégorie de définitions de la nation, définitions multiples, voire même, parfois, contradictoires. Mais elles ont entre elles ceci de commun qu'elles provoquent une remise totale en question de la constitution canadienne. Celle-ci, en effet, est devenue, depuis un quart de siècle, un parchemin vieilli, bafoué, périmé. Aujourd'hui, il n'appartient que rarement aux tribunaux de résoudre juridiquement les affrontements majeurs que connaît la vie politique canadienne ; les confrontations des conférences fédérales-provinciales ou inter-provinciales ou l'extorsion pure et simple d'un droit ou d'une prérogative, sans référence au texte constitutionnel, sont devenues les moyens auxquels on recourt par préférence, plutôt que de faire appel aux tribunaux ou que d'en arriver à la rédaction d'une nouvelle constitution.

Pourtant, la constitution d'un pays est plus qu'un simple texte juridique auquel on peut se référer à volonté ou au nom duquel on peut, à sa guise, en appeler ou ne pas en appeler aux tribunaux pour faire définir ou reconnaître un droit. Ce n'est pas une loi que l'on peut respecter ou ignorer, ce n'est pas un texte que l'on peut modifier fréquemment. La constitution est, au contraire, une institution politique fondamentale, reflet de l'équilibre des forces d'une société, à un moment privilégié de son évolution historique. Elle est écrite, en général, en un temps qui peut être reconnu comme un point tournant de son histoire. La constitution définit, en un sens, le destin d'une communauté en établissant les règles de jeu que l'on accepte de reconnaître comme devant être respectées. Produite d'une confrontation d'intérêts divergents, expression de compromis, souvent péniblement élaborés, fruit, parfois de luttes, perdues pour les uns, gagnées pour les autres, la constitution d'un pays est un traité de paix.

Les événements récents de la prise du pouvoir au Québec par un parti indépendantiste ne doivent pas nous entraîner à croire que seule la question nationale est en jeu. Ce sont les fondements même de toute la société canadienne qui sont remis en question depuis au-delà d'un quart de siècle. Ce n'est pas qu'au Québec que le traité de paix est remis en question. De nouveaux affrontements s'expriment partout au Canada, qui rejettent les anciens compromis ; des forces nouvelles, qui ne s'étaient pas exprimées jadis, font entendre des revendications pressantes, négligées autrefois. Ce serait notre vulnérabilité à la propagande politique qui inspirerait notre intérêt vers la seule question nationale. Car c'est la stratégie du gouvernement fédéral de Monsieur Trudeau que de tenter de monopoliser l'attention de tout le Canada sur le seul problème de l'unité nationale. Et n'y aurait-il pas une stratégie semblable derrière la loi du référendum du gouvernement québécois de Monsieur Lévesque, qui fait obligation, par le biais du mode de financement de la campagne pré -référendaire, à toutes les forces favorables à l'indépendance de se regrouper d'un côté et à toutes les forces qui lui sont hostiles, du côté opposé, quelles que soient les tendances politiques de ces diverses forces ?

Pour comprendre la crise actuelle de la constitution canadienne, il faut pouvoir répondre à de nombreuses questions : il faut d'abord saisir les fondements historiques qui motivèrent jadis la signature de la constitution aujourd'hui contestée ; on doit, en second lieu, connaître certaines étapes de l'évolution de la société canadienne qui, peu à peu, ont rendu caduque l'institution juridique ; en troisième lieu, il faut identifier les forces nouvelles responsables des affrontements qui, peut-être bientôt, la feront éclater. L'intérêt exclusif porté sur la seule question nationale ne saurait fournir de réponses satisfaisantes à nombreuses de ces questions. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu'il faille négliger cet aspect.


Note 1: Cet essai doit beaucoup à de nombreux historiens ; mais pour éviter de donner à ce texte une allure académique j'ai préféré de ne pas l'alourdir des nombreuses références qui eussent fourni les fondements de certaines de mes affirmations et de mes interprétations.


Retour au texte de l'auteur: Alfred Dubuc, historien québécois (UQAM) Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 03 juillet 2003 16:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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