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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


Une édition électronique réalisée à partir de l'article du professeur Gilles Dostaler, professeur d'économie, UQAM, “ Keynes et la politique . Montréal, Département des sciences économiques, Université du Québec à Montréal, juin 2002. [Autorisation accordée par l'auteur le 10 juin 2003]

Texte intégral de l'article
Keynes et la politique

Résumé
Introduction
1. La politique anglaise au temps de Keynes
2. La pensée politique de Keynes
A. Burke
B. Le nouveau libéralisme et après
Conclusion
Bibliographie

A whig is a perfectly sensible Conservative. A radical is a perfectly sensible Labourite. A Liberal is anyone who is perfectly sensible.

JMK, vol. 19, p. 542 (1)

I am sure that I am less conservative in my inclinations than the average Labour voter [...] The republic of my imagination lies on the extreme left of the celestial space.

JMK, vol. 9, p. 309


Résumé

La pensée politique de Keynes ne peut être pleinement comprise que si elle est située dans le contexte de l'évolution politique de la Grande Bretagne dans les premières décennies du vingtième siècle. C'est ce par quoi nous commençons notre texte, en donnant des indications sur l'implication concrète de Keynes dans cette évolution. Nous y évoquons, en particulier, les rapports complexes entre le parti libéral, auquel Keynes adhérait, et la parti travailliste, dont il a toujours été proche, avec ses amis du groupe de Bloomsbury. Nous nous penchons ensuite sur la pensée politique de Keynes, en examinant l'influence importante de Burke et celle des théoriciens du nouveau libéralisme anglais. Ces influences, comme le milieu dont Keynes est issu, rendent compte de cette fusion singulière de progressisme et d'élitisme qui caractérise sa pensée et son action, et qu'on retrouve dans ce qu'on peut appeler le technocratisme keynésien.

Mots-clés : Keynes, politique, keynésianisme, Angleterre, libéral, travailliste, conservateur, Burke, nouveau libéralisme

ABSTRACT

Keynes's political thought cannot be fully understood without looking at England's political evolution in the first decades of the twentieth century. This is where we begin our paper, presenting Keynes's concrete involvement in this evolution. In particular, we examine the complex relations between the Liberal party, of which Keynes was a lifelong member, and the Labour party, to which, with his friends in the Bloomsbury Group, he was always very close. We then look into his political thought, taking into account the influence of both Edmund Burke and the intellectual promoters of New Liberalism. These influences, as well as Keynes's upbringing, account for the singular blend of progressivism and elitism that characterizes his thought and action and underpins what may be called the Keynesian technocracy.

Keywords : Keynes, politics, Keynesianism, England, liberal, labour, conservative, Burke, new liberalism


Introduction

La politique constitue l'axe central de l'action et de la pensée de Keynes et une dimension fondamentale du keynésianisme. Il s'agit en effet de réformer la cité de manière à conjurer le double piège de la réaction et de la révolution qui menacent d'engloutir une civilisation précaire. La lettre ouverte que Keynes adresse au président américain nouvellement élu, Franklin D. Roosevelt, le 31 décembre 1933, est à cet égard particulièrement éloquente. Sa vie fut un effort constant pour convaincre ses semblables de l'urgente nécessité de réaliser des changements essentiels pour assurer le progrès et le bien-être:

Voici donc rassemblés les croassements de douze années, les croassements d'une Cassandre qui ne fut jamais capable d'infléchir à temps le cours des événements. J'aurais bien pu intituler ce volume 'Essais dans l'art de prophétiser et de persuader', car j'ai eu malheureusement davantage de succès dans la prophétie que dans la persuasion. C'est pourtant avec une ardeur militante que la plupart de ces essais furent écrits, en un effort pour influencer l'opinion publique. [Keynes 1931 (1972), p. 11]

Dans cette entreprise de réforme, la dimension économique occupe évidemment une place prépondérante. Mais justement, ce ne devrait plus être le cas dans une société idéale, dans laquelle les considérations économiques seraient reléguées à l'arrière-plan et les questions morales occuperaient la première place.

Paradoxalement, la politique, au sens large du terme, comme art, technique, science et pratique du gouvernement, est peu présente dans l'œuvre de Keynes. Bien sûr, ses écrits fourmillent de notations de nature politique. Mais ce sont la plupart du temps de brèves allusions, des remarques incidentes. Très peu de ses écrits sont explicitement et entièrement consacrés à la chose politique. Le plus important d'entre eux est un texte inédit d'une centaine de pages, rédigé alors qu'il était âgé de vingt-et-un ans, et consacré à la pensée politique d'Edmund Burke [Keynes 1904]. Dans discours prononcé en 1925 et publié dans Nation and Athaeneum, “Am I a Liberal ?” [JMK, vol. 9, pp. 295-306], Keynes s'est expliqué sur son appartenance politique. Nous y reviendrons.

Dans les faits, du début du siècle, alors qu'il était étudiant au Eton College, jusqu'à sa mort, alors qu'il siégeait sur les banquettes libérales à la Chambre des Lords, Keynes n'a cessé de faire de la politique. Et il ne faut pas confondre, comme on le fait souvent, faire de la politique et conseiller les décideurs ou encore intervenir dans la presse, autres activités qui ont accaparé Keynes. Il s'agit ici de politique partisane, d'intervention active dans l'action des partis politiques.

Comme sa pensée politique, l'action politique de Keynes est peu souvent évoquée. (2) Ses positions sont en tout cas sujettes aux interprétations les plus diverses et les plus contradictoires, plus encore que sa pensée économique ou sa vision philosophique. (3) C'est ainsi que, pour certains, Keynes se situe très à gauche sur l'échiquier politique. Plusieurs conservateurs le considéraient comme un crypto-communiste. À l'autre extrême, les communistes et les marxistes le jugeaient comme un conservateur d'autant plus dangereux qu'il se présentait comme un ami de la classe ouvrière et critiquait les politiques du parti conservateur, Entre ces deux appréciations, on trouve toutes les positions intermédiaires imaginables. Nouveau libéral, progressiste et radical, pour les uns, Keynes est un libéral centriste, de tendance droitière, pour les autres. Lui-même semblait prendre plaisir à brouiller les pistes en se décrivant tantôt comme modérément conservateur et ailleurs comme à gauche du Parti travailliste. Il a vexé le premier ministre travailliste MacDonald en déclarant, au terme d'une réunion, qu'il se considérait comme le seul véritable socialiste présent!

La pensée politique de Keynes ne peut être pleinement comprise que si elle est située dans le contexte de l'évolution politique de la Grande Bretagne dans les premières décennies du vingtième siècle. C'est ce par quoi nous commencerons notre exposé, en donnant quelques indications sur l'implication concrète de Keynes dans cette évolution. Nous examinerons ensuite sa pensée politique, en partant des influences qui se sont exercées sur elle, en particulier celle de Burke et celle des théoriciens du nouveau libéralisme.


1. La politique anglaise au temps de Keynes


L'histoire que nous raconterons maintenant montre bien qu'il n'y pas de correspondance biunivoque entre un parti politique et l'idéologie auquel on l'associe (4). Elle montre aussi que les idéologies politiques sont des ensembles complexes, traversés de courants contradictoires. Elle montre enfin que les frontières entre les divers courants de pensée sont loin d'être clairement tranchées et infranchissables.

Au moment où Keynes commence à s'intéresser à la politique, dans les dernières années du dix-neuvième siècle, deux partis se partagent le pouvoir en Angleterre. Héritier des Whigs, le parti libéral avait connu en 1885 une scission provoquée par la question irlandaise et la volonté du premier ministre Gladstone d'octroyer à l'Irlande le Home Rule. Son ministre du commerce Joseph Chamberlain prit la tête d'un mouvement libéral unioniste proche des conservateurs. Finalement, Chamberlain fut nommé ministre des colonies du gouvernement conservateur qui dirigeait le pays au tournant du siècle. Impérialiste, il mena la guerre des Boers (1899-1902) et chercha sans succès à imposer une politique protectionniste, dans un vif débat qui déchira l'Angleterre en 1903 et 1904. Le jeune Keynes intervint activement dans ces deux débats, prenant à chaque fois le parti opposé à celui de Chamberlain.

Keynes est aussi témoin, pendant son enfance et son adolescence, de l'accentuation de luttes sociales dans l'Angleterre édouardienne. Syndicats et mouvements socialistes se développent et se radicalisent. Des grèves importantes éclatent à la fin des années 1880. Fondé en 1884, un an après la naissance de Keynes et la mort de Marx, la Fabian Society va chercher à jeter les bases d'un socialisme non marxiste auquel on pourrait arriver par une transformation graduelle plutôt que par une révolution violente. (5) Elle compte parmi ses membres influents des artistes et intellectuels célèbres, parmi lesquels George Bernard Shaw, qui en rédige le manifeste et qui sera, plus tard, un ami de Keynes. (6) Beatrice et Sidney Webb croiseront aussi le chemin de Keynes à plusieurs reprises (7). En 1900, la Société fabienne et divers autres groupements socialistes, le Trade Unions Congress et l'Independant Labour Party (8) se réunissent pour former le Labour Representative Committee, qui parvient à faire élire 29 de ses 50 candidats aux élections générales de 1906. Il change alors de nom pour devenir le Parti travailliste. (9)

Le parti libéral anglais connaît de son côté, au tournant du siècle, une mutation importante. Elle se manifeste principalement par la naissance et la montée en puissance d'un courant qu'on a baptisé le “nouveau libéralisme”, et qui s'oppose au libéralisme gladstonien dont le credo comprenait le laisser-faire, l'équilibre budgétaire, le libre-échange et l'étalon-or. Ses origines intellectuelles remontent à la tradition radicale dont le plus illustre représentant est John Stuart Mill. Loin de rejeter en bloc le socialisme, Mill, défenseur du droit de femmes, prônait une intervention des pouvoirs publics pour venir en aide aux déshérités, acceptait que les droits de propriété soient encadrés et limités, réclamait une réduction des droits d'héritage et appuyait le mouvement coopératif naissant. Ce sont ces idées que développent les théoriciens du nouveau libéralisme, dont les principaux sont T. H. Green, Leonard Hobhouse et John Hobson, membres du parti libéral anglais jusqu'à la première guerre mondiale. Pour le nouveau libéralisme, la liberté individuelle cesse d'être la valeur ultime. La justice sociale devient un objectif primordial. À partir de là, le droit de propriété, le laisser-faire et même le libre-échange cessent d'être des principes absolus et indiscutables. Le nouveau libéralisme, de ce fait, peut être qualifié de social-démocrate, du moins dans le sens que prendra ce dernier terme après les scissions dans les partis ouvriers au début de la deuxième guerre mondiale. Pour Hobhouse, la tâche du vieux libéralisme était la réalisation de la démocratie politique et celle du nouveau libéralisme la réalisation de la démocratie sociale. Les “nouveaux libéraux” prônent des mesures interventionnistes qui ne sont pas sans ressembler à ce qu'on associera, plus tard, à l'État providence. Il s'agit en définitive de transformer de manière radicale un libéralisme économique qui avait coûté socialement très cher pendant la période victorienne et risquait de provoquer un soulèvement de la classe ouvrière. Le nouveau libéralisme est donc proche du fabianisme, bien qu'il en rejette les tendances collectivistes et planificatrices.

Le nouveau libéralisme n'est évidemment pas la seule tendance active au sein du parti libéral anglais. Il s'y trouve, en particulier, plusieurs “vieux Whigs” qui y forment un courant de droite, fidèle à l'héritage gladstonien. Mais c'est la tendance de gauche qui domine au moment où le parti libéral remporte une éclatante victoire en 1906, renversant le gouvernement Balfour. Keynes avait participé activement à cette campagne. La principale raison de la défaite des conservateurs découlait du ralliement de Balfour au protectionnisme prôné par Chamberlain. On assiste alors à une étroite alliance, tant idéologique que politique, entre les partis libéral et travailliste. Le parti travailliste comptait lui-même, en son sein, diverses tendances, dont les principales regroupaient d'une part les socialistes radicaux et de l'autre les syndicalistes.

Le pouvoir libéral met en oeuvre une partie du programme du nouveau libéralisme. Deux personnages joueront un rôle majeur et seront aussi ceux qui feront entrer Keynes dans le sérail du pouvoir. Le premier, Herbert Asquith, qui avait été ministre de l'intérieur de 1892 à 1895, devient chancelier de l'Échiquier en 1905, puis premier ministre en 1908. Il nomme comme chancelier de l'Échiquier Lloyd George, politicien énergique élu pour la première fois en 1890 comme radical. (10) Cette année-là voit l'introduction des pensions de vieillesse. Lloyd George propose en 1909 un “budget du peuple”, fondé sur des taxes sur les grandes propriétés et les héritages. La résistance de la chambre des Lords à ce budget amène le gouvernement à voter un “Parliament Act” qui permet de mettre en œuvre un programme social comprenant assurance maladie et assurance chômage.

Le libéraux gagnent les élections de 1911, au terme d'une campagne dans laquelle Keynes intervient de nouveau activement, prenant une fois la parole devant 1,200 personnes. C'est avec l'entrée en guerre, en 1914, que Keynes commencera sa carrière de “conseiller du Prince”, en plus de celle de fonctionnaire qu'il avait déjà entamée au Bureau des affaires indiennes entre 1906 et 1908. Il devient rapidement un familier du premier ministre et de son épouse Margot Asquith, et fréquente leur maison de campagne. Il mène, d'une certaine manière, une double vie, puisqu'il fait par ailleurs partie du groupe de Bloomsbury dont les membres sont pour la plupart objecteurs de conscience et s'opposent à la politique gouvernementale.

La guerre provoque une tension grandissante dans le parti entre Lloyd George, Asquith et leurs partisans respectifs, jusqu'à l'éclatement d'une véritable scission en 1916. Ministre des Munitions, puis de la Guerre, Lloyd George force Asquith à démissionner en 1916 et le remplace comme premier ministre. Il forme alors un gouvernement de coalition avec les conservateurs, et triomphe aux élections de 1918. Il participe aux négociations de Paris menant au Traité de Versailles, en 1919, aux côtés du président du conseil français Clémenceau et du président américain Wilson. (11) Le conservateur A. Bonar Law lui succède comme premier ministre en 1922, mais la maladie le force à laisser le poste à son chancelier de l'Échiquier Stanley Baldwinn en 1923. Les divisions au sein du parti libéral commencent alors à s'estomper après sept années de guerre intestine et de nouvelles tendances s'y manifestent. Le nouveau libéralisme de l'avant-guerre se transforme en un libéralisme progressiste ou de centre, dont l'école d'été du parti devient un vecteur important et Keynes un acteur majeur. Keynes avait aussi pris avec des amis partageant la même tendance que lui le contrôle de la revue politico-littéraire Nation and Athenaeum. Il commence en 1924 sa campagne en faveur de travaux publics pour résorber le chômage massif qui sévit pendant toute la décennie en Angleterre.

Parallèlement, le parti travailliste commence une ascension qui accompagnera le déclin du parti libéral. D'anciens “nouveaux libéraux” y adhèrent, parmi lesquels John Hobson. Proches alliés avant la guerre, les deux partis sont devenus des adversaires d'autant plus acharnés qu'ils se partagent le même électorat. Rédigé par les Webb, le manifeste travailliste de 1918, “Labour and the New Social Order”, oppose le socialisme au libéralisme. De son côté, Lloyd George insiste sur le fossé qui sépare les travaillistes et les libéraux, parents des conservateurs. Pour Asquith, au contraire, il n'y pas pas d'antithèse logique entre libéralisme et travaillisme. Les élections de 1923 consacrent la défaite du parti libéral, qui ne gagnera plus jamais d'élections en Grande-Bretagne, et donnent sa première victoire au parti travailliste, qui forme un gouvernement minoritaire et a donc besoin de l'appui du parti libéral. Ramsay MacDonald est premier ministre et Snowdon chancelier de l'Échiquier. Ce dernier se révèle partisan d'un libéralisme très gladstonien, épris de rigueur budgétaire et, de surcroît, favorable au retour à l'étalon or, contre lequel Keynes luttait avec énergie (12). Bref, le parti travailliste, une fois au pouvoir, se retrouvait à droite du parti libéral, ou du moins de sa tendance progressiste.

Le gouvernement travailliste tombe à peine sept mois après sa formation. Les conservateurs prennent le pouvoir, avec 415 sièges contre 152 pour les travaillistes et 43 pour les libéraux. De nouveau premier ministre, Baldwinn nomme comme chancelier de l'Échiquier Winston Churchill qui, après avoir d'abord été élu dans les rangs conservateurs en 1900, avait été député et ministre libéral entre 1904 et 1922. Il avait alors été partisan de réformes sociales importantes et avait appuyé le budget du peuple de Lloyd George. Il avait déclaré, en 1919, qu'il était convaincu que le socialisme est possible! Il opposera maintenant aux propositions de réformes économiques mises en avant par ce même Lloyd George et son conseiller Keynes ce qu'on appelé la “vision du Trésor”, en vertu de laquelle les contraintes de financement des travaux publics ne peuvent que les rendre inefficaces et inflationnistes. C'est Churchill qui réalise le retour à l'étalon or en 1925. Keynes écrit alors The Economic Conséquences of Mr Churchill [JMK, vol. 9, 207-30], dont la version sous forme d'articles est refusée par le Times. L'une de ces conséquences majeures est une grève des mineurs, auxquels on essaie d'imposer des réductions de salaire pour compenser la réévaluation de la livre sterling, grève suivie d'une grève générale, appuyée par Keynes, et qui est cassée au bout de neuf jours par le gouvernement Baldwinn.

En 1927 est publié un “livre jaune” du parti libéral, en grande partie rédigé par Keynes, Britain's lndustrial Future, calendrier de politiques “keynésiennes” avant la lettre qui constituera la base du programme électoral du parti dirigé depuis 1926 par Lloyd George. La grève générale avait provoqué une nouvelle tension très vive entre Asquith et ses partisans, qui appuyaient une ligne dure face à la grève illégale, et Lloyd George qui défendait une position conciliante avec les travailleurs. Cette tension avait mené à la démission d'Asquith comme leader du parti le 15 octobre 1926. Longtemps fidèle à Asquith, Keynes s'était rallié à Lloyd George. Il estimait que si les deux hommes ne pouvaient en arriver à un compromis, il faudrait se résigner à diviser le parti libéral en deux partis, un whig et un radical. Margot Asquith, dont il avait été très proche, ne lui pardonnera jamais ce qu'elle considérait comme une trahison de son mari, qui meurt seize mois après sa démission.

En 1928, un autre document du parti, We Can Conquer Unemployment, donne le détail des mesures à prendre pour sortir du marasme économique, mesures que Keynes appuie dans la brochure qu'il rédige avec Hubert Henderson, Can Lloyd George Do lt ? [JMK, vol. 9, 86-125]. Le parti travailliste est perplexe et divisé, face à ces propositions, et c'est sans programme économique clair et explicite qu'il affronte les élections de 1929. Il les gagne, (13) quoique encore sans majorité absolue. Le tandem MacDonald-Snowdon reprend les rênes du pouvoir, au moment où éclate la crise de 1929. Cela leur sera fatal. Sans programme précis, les travaillistes mettent sur pied des commissions pour les conseiller. Keynes joue un rôle majeur dans la plupart d'entre elles, en particulier la commission Macmillan et le Committee of Economic Advisors (14). Mais Snowdon refuse de suivre les recommandations de Keynes pour sortir de la crise, en particulier de dévaluer la livre sterling.

En août 1931, les pressions sur la livre sterling sont très fortes. Afin d'obtenir les emprunts étrangers essentiels pour la soutenir, McDonald et Snowdon proposent une réduction des dépenses gouvernementales, en particulier des dépenses de l'assurance-chômage. Cela provoque une scission du cabinet travailliste, le 24 août. McDonald dissout le parlement en septembre et, avec Snowden, il est expulsé du parti dont il était le chef. Les élections d'octobre 1931 sont désastreuses pour le parti travailliste, qui obtient 52 sièges. Les libéraux sont divisés en trois groupes qui obtiennent en tout 72 sièges. (15) Avec un petit groupe d'ex-travaillistes, McDonald forme avec les conservateurs un gouvernement d'Union nationale qu'il dirige. Après les élections de 1935, le gouvernement d'Union nationale est dirigé par Stanley Baldwinn et se trouve dans les faits à être un gouvernement conservateur. C'est donc lui qui préside aux destinées de l'Angleterre quand parait la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Baldwinn démissionne en 1937 parce qu'il s'oppose au mariage et à l'abdication d'Édouard VII. Neville Chamberlain, fils de Joseph, lui succède. Il avait été nommé chancelier de l'Échiquier en 1931. Associé aux accords de Munich, il déclara la guerre à l'Allemagne, mais fut contraint de démissionner en 1940. Churchill prit alors le pouvoir et forma en mai un cabinet de coalition dont firent partie libéraux et travaillistes.

Les années trente furent, pour le parti travailliste, celles d'une mutation majeure et, pour le parti libéral, celles d'un déclin continu. Le système électoral britannique est conçu pour asseoir le bipartisme. Le parti libéral, qui avait refusé de changer ces modalités électorales au moment où il dominait la vie politique britannique, s'en trouve désormais la victime. La transformation du travaillisme est marquée, en particulier, par une influence grandissante des idées de Keynes. Dès 1927, Oswald Mosley propose qu'on révise le programme travailliste en tenant compte des thèses de Keynes. (16) Les économistes Evan Durbin et Hugh Gaitskell contribuent à l'introduction du keynésianisme dans le travaillisme, même s'ils sont l'un et l'autre très critiques face aux positions politiques de Keynes. (17) On retrouve d'ailleurs dans le New Fabian Research Bureau, mis sur pied en 1931 par G. D. H. Cole et Hugh Dalton, outre Gaitskell et Durbin, des proches de Keynes, tels que Colin Clark, Roy Harrod, Richard Kahn, James Meade, Joan Robinson et Leonard Woolf. Ce comité entreprend de rénover le programme travailliste.

En 1934, la parti adopte une nouvelle plate-forme, “For Socialism and Peace”. Ses aspects les plus radicaux seront gommés après la défaite électorale de 1935, et le nouveau programme adopté en 1937 prendra le nom de “Labour's Immediate Programme”. Ce dernier reprend plusieurs éléments de l'approche keynésienne. Mais ce n'est qu'en 1944, avec l'adoption d'un document préparé par Dalton, Durbin et Gaitskell, “Full Employment and Fiscal Policy”, que l'objectif du plein emploi et les méthodes keynésiennes pour le réaliser seront définitivement adoptés par le parti travailliste, à la veille de sa première victoire majoritaire.

Pour le parti libéral, les années trente sont marquées par les déchirements et le déclin. Des ministres libéraux font brièvement partie du gouvernement national en 1932, avec droit de dissension sur la question des tarifs, mais ils en démissionnent en 1933. Vingt candidats libéraux sont élus aux élections de 1935. Keynes a des commentaires acerbes sur la scission du parti, qui l'amène à s'en éloigner, dans les années trente, et à se rapprocher des travaillistes, dont il appuie souvent les positions dans le New Stateman and Nation qu'il préside jusqu'à la fin de sa vie. (18) Financièrement, il appuiera plutôt les candidats travaillistes que le parti libéral. Il a aussi des commentaires étonnement positifs sur les jeunes marxistes et communistes de Cambridge, dont plusieurs sont " apôtres " comme lui. (19)

Le parti libéral commence à se réorganiser en 1936 avant d'accepter, en 1940, de faire partie du gouvernement de coalition dirigé par Churchill. À l'occasion des élections de 1940, on propose à Keynes de se présenter comme candidat pour l'université de Cambridge, (20) en lui indiquant qu'il serait appuyé par les trois partis. Il hésite, consulte son médecin, et finalement refuse en donnant une réponse qui illustre bien sa conception des rapports entre l'action directement politique et le genre de travail qu'il accomplira avec intensité pendant la guerre :

The active political life is not my right and true activity. I am indeed an extremely active publicist. And that is just the difficulty. I am on lines along which I can operate usefully and have my full influence if I am aloof from the day to day influence of Westminster. [cité par Moggridge 1992, pp. 628-629]

En 1945, à la surprise générale, Churchill fut battu aux élections et les travaillistes prirent le pouvoir, sous la direction de Clement Attlee, chef du parti depuis 1935. (21) Keynes put donc assister aux premiers moments de la mise en place, en Grande Bretagne, de la révolution keynésienne. Ce n'est donc pas son parti, dont il s'était rapproché pendant la guerre, qui le mettra en oeuvre. Élevé à la pairie en 1942, Keynes choisit en effet de siéger comme libéral, écrivant au leader du parti au sénat qu'en vérité, il était toujours demeuré libéral. Il reste à voir ce que cela signifie.


2. La pensée politique de Keynes


John Maynard Keynes naît en 1883 dans une demeure cossue de Cambridge. Universitaire, son père John Neville était un libéral de tendance conservatrice. Ayant une fois déjeuné avec Gladstone, ce dont il se glorifiait, il a perdu confiance en lui à propos de la question irlandaise, et il a voté conservateur en 1886, avant de se rallier aux libéraux unionistes et impérialistes. Il était radicalement opposé à toute forme de socialisme. Les positions que Maynard prendra se situent donc en opposition avec celles de son père et plus en conformité avec celles de sa mère, dont le libéralisme tendait beaucoup plus vers le radicalisme (22). Au moment où Keynes, autour de 1910, semble se rapprocher des fabiens, en prenant par exemple la parole en faveur d'une motion de Sidney Webb sur le socialisme, son père se montre effrayé et écrit dans son journal, en septembre 1911: “Maynard avows himself a Socialist and is in favour of confiscation of wealth” [Moggridge 1992, p. 190].

Nonobstant l'opposition de Keynes aux positions politiques de John Neville, ce dernier lui a transmis un certain goût du décorum, qui l'amène à apprécier la fréquentation des grands de ce monde, et un ensemble de valeurs que le premier biographe de Keynes, Harrod, a baptisée “présuppositions de Harvey Road”, du nom de la rue de Cambridge où il est né et où ses parents ont vécu jusqu'à leur mort. Ces présuppositions concernent la stabilité de l'empire britannique et la nécessité du progrès matériel pour l'assurer. Mais la principale d'entre elles est sans doute l'idée que le gouvernement de l'Angleterre sera le mieux servi par une aristocratie intellectuelle à laquelle, toute sa vie, Keynes s'identifiera.

Arrivé à Eton en 1897, Keynes s'y intéresse à l'histoire. Avant même cette date, on trouve dans ses listes de lecture des ouvrages d'histoire comme des livres politiques. La plupart des premiers essais de Keynes, ceux du moins qui ont été conservés, concernent des sujets historiques, par exemple les Stuarts, Cromwell, le règne de Victoria (23). Keynes y insiste déjà sur un thème déterminant de sa vision du monde : l'incertitude face au futur, l'absence de déterminisme, l'ignorance. Comme l'homme de la rue, le décideur est confronté à cette incontournable réalité. Il n'y a pas de lois naturelles, de sens de l'histoire, de telle sorte que les acteurs ont un rôle important à jouer. Ces acteurs, ce sont les décideurs, les hommes d'État qui ont l’œil sur le futur lointain et les politiciens qui ont le nez collé sur les problèmes immédiats. Les uns et les autres sont éclairés et guidés par les idées des philosophes et des penseurs sociaux. Les caractéristiques psychologiques des individus qui sont en position d'agir sur les événements ont donc une grande importance dans l'histoire. Comme il le fera toute sa vie, Keynes attribue à la faiblesse des hommes d'État et des politiciens, à leur médiocrité, à leur stupidité et à leurs préjugés, les difficultés sociales, politiques et économiques. Les grands hommes d'État ont pour tâche, entre autres, de prévenir les révolutions. Pour le jeune Keynes, mais le vieux Keynes ne cessera jamais d'y croire, l'homme d'État et le penseur social doivent lutter pour que naisse un monde caractérisé par le calme, la stabilité et le progrès, et par le respect de règles, des conventions et des traditions.

Les thèmes majeurs de la philosophie politique de Keynes sont donc très tôt en place. Il en est de même de leur traduction dans son appartenance partisane et ses premières prises de position politique. Dès la période étonienne, il adhère aux mouvements de jeunesse libéraux et commence à prendre la parole, ce à quoi il prend manifestement beaucoup plaisir. Il suit de près l'Affaire Dreyfus. Il prend, sur la guerre de Boers, une position qui va à l'encontre de celle de son père, des autorités d'Eton et de l'opinion majoritaire au collège. Il refuse de se joindre au bataillon mis sur pied par le collège pour combattre les Boers, comme il refusera plus tard, avec ses amis de Bloomsbury, de combattre pendant la guerre. (24) Selon un témoignage de Sheppard, confrère de Cambridge et apôtre, rapporté par Harrod, Keynes était dès cette époque violemment opposé au laissez faire et aurait proposé la définition suivante des conservateurs et des libéraux à l'occasion d'un discours prononcé à un meeting libéral alors qu'il était étudiant de premier cycle : “soit un village dans lequel les habitants vivent dans état de pénurie et de détresse ; le conservateur typique à qui on montre ce village dira: 'Cela est très déplorable, mais malheureusement on ne peut rien y faire' ; le libéral dira : 'Il faut faire quelque chose à ce sujet'” [Harrod 1951, p. 192]. Maynard multiplie par ailleurs, à la même époque, les déclarations en faveur du libre-échange dans le cadre de la lutte qui oppose conservateurs et libéraux.

A. Burke

C'est de cette époque que date un texte important pour comprendre la position politique de Keynes, manuscrit toujours inédit : “The Political Doctrine of Edmund Burke” [Keynes 1904]. Ce document dactylographié de 86 pages a été rédigé en 1904 et a valu à son auteur le “University Members Prize for English Essays”. Keynes connaissait Burke depuis Eton, où il avait prononcé dans le cadre d'un concours, en février 1902, le discours de Burke sur le “East India Bill”, en costume d'époque. Il avait acheté, durant l'été 1901, une édition en douze volumes des oeuvres de Burke. Il a consacré un énorme travail de recherche à son texte. En décrivant le “consistent and coherent body of political theory” de Burke, c'est aussi celui auquel il est parvenu à cette étape que Keynes décrit. D'ailleurs, en présentant Burke, Keynes semble peindre un auto-portrait, comme il la fait en d'autres occasions avec Marshall, Freud ou Newton. Ainsi note-t-il “a certain egotism in Burke, not unpleasant in the greatest men” [Keynes 1904, p. 4]. Mais c'est surtout lorsqu'il explique en quoi les contradictions de Burke défient toute classification qu'on pense à Keynes. Il le décrit ainsi comme simultanément conservateur et libéral, libre-échangiste et impérialiste, apôtre de la Révolution anglaise et adversaire de la Révolution française. C'est ainsi que Burke, prophète des conservateurs du vingtième siècle, a pu en même temps influencer le chef de file des libéraux interventionnistes.

C'est manifestement avec les lunettes de Principia Ethica de Moore, qui vient de paraître et qu'il a lu avec enthousiasme, que Keynes lit Burke. La révolution - on sait que Burke condamnait la révolution française - n'est pas souhaitable, non seulement parce qu'elle est porteuse de violence et qu'elle risque de porter au pouvoir des incapables, mais surtout parce que le futur est incertain, et qu'il est donc dangereux de sacrifier un bien présent pour un bien futur :

Our power of prediction is so slight, our knowledge of remote consequences so uncertain that it is seldom wise to sacrifice a present benefit for a doubtful advantage in the future. Burke ever held, and held rightly, that it can seldom be right to sacrifice the well-being of a nation for a generation, to plunge whole communities in distress, or to destroy a beneficent institution for the sake of a supposed millennium in the comparatively remote future. We can never know enough to make the chance worth taking, and the fact that cataclysms in the past have sometimes inaugurated lasting benefits is no argument for cataclysms in general. [Keynes 1904, pp. 14-15]

Sur cette base, Keynes affirme que le titre de gloire de Burke dans le domaine de la politique est la doctrine de l'“expediency”: “In the maxim and precepts of the art of government, expediency must reign supreme" [ibid., p. 36]; “In politics, it is true, he holds that there is no specific act which ought always to be performed ; and herein lies no small part of his claim to fame” [ibid., p. 9]. Il n'y a pas, dans le domaine politique, de fins ultimes que pourraient mettre en lumière les philosophes :

He did not look to establish his ultimate goods by political considerations ; those he sought for elsewhere ; the science of politics is with him a doctrine of means, the theoretical part of a device intended to facilitate the attainment of various private goods by the individual members of a community. It is his antagonism to those who maintain that there are certain ends of a political nature, universally and intrinsically desirable, that occasions his constant attacks on “metaphysical spéculations”, “abstract considérations”, “the universals of philosophers”, and the like. But there is another type of general principle to which he does not offer the same hostility ; there is no universal end in politics except that of general happiness, but there are many general principles and maxims of wide validity which it is the business of political science to establish. [Keynes 1904, p. 7]

La politique est donc affaire de moyens pour atteindre diverses fins. Parmi celles-ci, l'atteinte du bonheur par le plus grand nombre figure en première place. C'est ce qui amène Keynes à qualifier Burke d'utilitariste politique. Ce bonheur, on ne peut y accéder si on ne dispose pas de confort matériel, de sécurité et de liberté: “Physical calm, material comfort, intellectual freedom are amongst the great and essential means to these good things ; but they are the means to happiness also, and the government that sets the happiness of the governed before it will serve a good purpose, whatever the ethical theory from which it draws its inspiration” [ibid., p. 81]. À ces fins, on ne parviendra pas par le fer et par le sang, au terme de transformations douloureuses: "He does not think of the race as marching through blood and fire to some great and glorious goal in the distant future ; there is, for him, no great political millennium to be helped and forwarded by present effort and present sacrifice" [ibid., p. 86]. C'est là, on le sait, un thème essentiel de la vision politique de Keynes, qui fonde, entre autres, son hostilité au marxisme et au communisme, et qui explique en définitive son effort incessant pour trouver une solution aux problèmes économiques susceptibles de mener à la ruine les sociétés contemporaines.

S'il n'y a pas, en politique, de fins dernières, il y a tout de mêmes des règles d'action et des maximes de gouvernement que Burke a systématisées dans des termes que Keynes reprendra sous diverses formes. Il y a en particulier trois principes importants qui sont :

- preference for peace over truth.
- extreme timidity in introducing present evil for the sake of future benefits.
- disbelief in men acting rightly, except in the rarest occasions, because they have judged that it is right so to act. [ibid., p. 10]

Il propose par ailleurs les quatre maximes de gouvernement suivantes [ibid., pp. 82-83] :

1- Ne pas prévoir trop longtemps à l'avance : “It is not wise to look too far ahead; our powers of prediction are slight, our command over remote results infinitesimal. The part that reason plays in motive is slight”.

2- Respecter la liberté individuelle dans les affaires économiques: “in this field the individual must be left completely unfettered”.

3- Respecter la propriété : “the complete sanctity of property”.

4- Respecter un ensemble de “rules dealing with the special modes and contrivances of government” : constitution, opinion publique, despotisme, corruption.

Le deuxième point est celui pour lequel Keynes est le plus critique vis-à-vis de Burke, premier grand disciple d'Adam Smith, dont il défend les thèses au parlement anglais. C'est l'une des premières occasions d'aborder ce qui deviendra le thème principal de son oeuvre, l'économie. Keynes est très critique de la justification des inégalités par Burke et de son argumentation en faveur du laisser-faire. L'État ne doit pas laisser les travailleurs périr sous l'aiguillon de la faim. L'un des titres de gloire de la Révolution française est d'avoir détruit la relation de subordination entre serfs et seigneurs et, de ce fait, d'avoir fait disparaître, au moins en partie, la misère dans les campagnes de France. C'est la misère qui est accoucheuse de violence.

Il faut donc réformer sans violence. C'est la tâche d'un pouvoir éclairé, qui doit faire preuve de clémence et savoir s'appuyer sur l'opinion publique. Mais cette opinion n'est pas spontanément éclairée. Cela amène Burke à critiquer la démocratie représentative. Sans le suivre jusqu'au bout dans cette voie, Keynes n'en partage pas moins le scepticisme de Burke quant à la capacité des populations à comprendre les grands enjeux politiques. Pour Burke, “the people must surrender the executive and legislative functions” [ibid., p. 51], parce que “it is most dangerous that the people should, under normal conditions, be in a position to put into effect their transient will and their uncertain judgment on every question of policy that occurs” [ibid., p. 53]. Les gouvernants ne doivent pas tyranniser les peuples, dont il faut respecter l'opinion en essayant de la modeler. Il convient de faire preuve de clémence envers les citoyens, mais, quant à ces derniers, “the selection of particular means and policies must be wholly beyond their competence” (ibid.). Keynes critique le caractère excessif des thèses de Burke, en insistant en particulier sur le pouvoir éducationnel de la démocratie. Mais il n'en partage pas moins la conviction sur laquelle Burke fonde son rejet de la démocratie. Jusqu'à sa mort, Keynes demeurera convaincu qu'une élite intellectuelle, dont il est lui-même l'un des représentants, est seule en mesure de comprendre les mécanismes complexes de la politique et de l'économie, et de mettre en oeuvre les réformes nécessaires pour permettre aux peuples d'atteindre le bonheur, ou du moins pour leur enlever les raisons de se révolter.

B. Le nouveau libéralisme et après

Outre l'influence de Burke, celle des théoriciens du nouveau libéralisme ne fait aucun doute, même si Hobhouse ou Green ne sont nulle part mentionnés dans les oeuvre publiées de Keynes. Il les a certainement lus et ils sont présents dans ses archives. Il rend par ailleurs un hommage appuyé, dans la Théorie générale, à Hobson, mais plus comme précurseur de son analyse économique que de sa vision politique.

Adhérant à ce qu'ils appellent la valeur fondamentale du libéralisme, les théoriciens du nouveau libéralisme n'en rejettent pas moins la croyance dans l'efficacité absolue du marché et remettent en question ce qu'ils qualifient de vieil individualisme. Ils proclament la fin du laisser-faire. Ils rejettent en même temps la lutte des classes comme moyen de transformation sociale et ne croient pas au socialisme collectiviste et marxiste. lis adhèrent plutôt à un socialisme libéral, qui implique évidemment une intervention très active des pouvoirs publics dans l'économie. La justice sociale constitue l'objectif ultime de cette intervention.

Il y a manifestement peu de différence entre ces professions de foi et les idées politiques auxquelles Keynes adhère et qu'il exprimera, dans les années vingt, dans des textes tels que “The End of Laissez Faire”, “Am I a Liberal ?”, “Liberalism and Labour”, “Clissold”, “A Short View of Russia” ou “Economic Possibilities for our Grandchildren”. (25) Lui aussi proclame donc la fin du laisser-faire, comme il le faisait du reste déjà dans des textes d'avant-guerre. Il rejette le socialisme marxiste et la lutte des classes. Il met dos à dos le bolchevisme et le conservatisme, auxquels il prête des origines communes dans l'utilitarisme benthamien et la surestimation du facteur économique dans la société. Au bolchevisme, il reconnaît tout de même le mérite d'avoir fait disparaître l'amour de l'argent comme moteur de l'activité humaine. Mais il lui reproche le totalitarisme et l'inefficacité économique. Il lui reproche aussi, ce qui en dit long sur ses sympathies sociales, de s'appuyer sur “un credo qui, préférant la vase au poisson, exalte le prolétariat grossier au-dessus de la bourgeoisie et de l'intelligentsia qui, quelles que soient leurs fautes, sont la qualité dans la vie et portent sûrement les germes de tout avancement humain” [JMK, vol. 9, p. 252]. (26) Aux conservateurs, il reproche leur adhésion à une orthodoxie dépassée et leur aveuglement face aux problèmes qui risquent de submerger la civilisation.

Le libéralisme classique ayant rempli sa tâche historique (27), c'est le destin du nouveau libéralisme que de combiner l'efficacité économique, la liberté politique et la justice sociale. Cela implique une gestion rationnelle de l'économie par les pouvoirs publics: “La transition de l'anarchie économique à un régime qui vise délibérément à contrôler et à diriger les forces économiques dans les intérêts de la justice et de la stabilité sociale présentera d'énormes difficultés techniques et politiques. Je suggère néanmoins que le vrai destin du Nouveau libéralisme est de chercher leur solution” [JMK, vol. 9, p. 300]. Mais le nouveau libéralisme ne doit pas s'arrêter à l'économie. Keynes ajoute à son agenda des domaines comme celui de la paix, de l'organisation du gouvernement, des questions relatives à la drogue -- par quoi il entend essentiellement l'alcoolisme - finalement d'un ensemble de questions qu'il qualifie de sexuelles et qui comprennent le droit des femmes - pour lequel il avait commencé à lutte dès le début du siècle --, le contrôle des naissances, les lois du mariage, le traitement des “offenses et déviations sexuelles”, toutes choses relevant encore d'une orthodoxie médiévale.

Un programme ne peut être porté que par un parti, et tout individu qui aspire à transformer la société doit se trouver inconfortable en dehors d'un parti. Keynes, nous l'avons déjà dit, est membre, depuis le début du siècle, du parti libéral, et il le restera jusqu'à la fin de sa vie, bien que ses liens avec le parti se distendent dans les années trente. Sur cette appartenance, il s'explique rarement, mais il le fait dans un document révélateur, issu d'un discours prononcé en 1925 devant l'école d'été du parti libéral et intitulé : “Am I a Liberal ?” “Si l'on est né animal politique”, écrit-il, “il est très inconfortable de ne pas appartenir à un parti” (JMK, vol. 9, p. 296). Cela dit, lorsque aucun parti ne soulève l'enthousiasme, il faut procéder par élimination. Est donc éliminé d'entrée de jeu un parti conservateur “qui ne m'offre ni nourriture ni boisson - ni consolation intellectuelle ni consolation spirituelle” (p. 297). Le parti travailliste est nettement plus attirant mais il a le défaut d'être composé de factions, socialiste modérée, syndicaliste et extrémiste. Cette dernière faction, qu'il qualifie aussi de bolchevique ou de Parti de la catastrophe, contrôle malheureusement le parti travailliste, de la même manière que des extrémistes d'un autre genre contrôlent le parti conservateur. De plus, le parti travailliste est un parti de classes, et cette classe n'est pas celle de Keynes :

“To begin with, it is a class party, and the class is not my class. If I am going to pursue sectional interests at all, I shall pursue my own. When it comes to the class struggle as such, my local and personal patriotisms, like those of every one else, except certain unpleasant zealous ones, are attracted to my own surroundings. I can be influenced by what seems to me to be justice and good sense ; but the class war will find me on the side of the educated bourgeoisie”. [JMK, vol. 9, p. 297]

Keynes n'en rêvait pas moins d'un “Parti qui serait désintéressé entre les classes, et qui serait libre de construire le futur en dehors des influences de la réaction et de celles du catastrophisme” [JMK, vol. 28, p. 3001. Il déplorait que les forces progressistes du pays fussent “divisées sans espoir entre le parti libéral et le parti travailliste” [ibid., vol. 9, p. 307]. La réalité étant ce qu'elle est - “trop épineuse pour mon grand caractère”, écrivait Rimbaud - “le parti libéral est encore le meilleur instrument de progrès futur, si et seulement si il a un leadership fort et un programme correct” [ibid., p. 297]. Pour Keynes en effet, à l'image de la société, un parti doit être dirigé par une élite éclairée, plus précisément par l'union d'un leadership fort et de conseillers d'élite. Tel était certainement, dans son esprit, la nature du tandem Lloyd George-Maynard Keynes, qui allait mener la campagne pour les élections de 1929. Quant à l'élitisme déjà manifeste dans l'essai sur Burke, et sans aucun doute ancré dans la vision de Keynes avant sa lecture de Burke, il s'exprime crûment dans un passage de son discours de 1925, passage que Keynes avait supprimé dans la version publiée dans Nation and Athenaeum :

I believe that in the future, more than ever, questions about the economic framework of society will be far and away the most important of political issues. I believe that the right solution will involve intellectual and scientific elements which must be above the heads of the vast mass of more or less illiterate voters. [...] With strong leadership the technique, as distinguished from the main principles, of policy could still be dictated above. [JMK, vol. 9, pp. 295-296]


Conclusion


Depuis l’œuvre de Montchrestien, au début du dix-septième siècle, jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, c'est par le terme d'économie politique qu'on désignait la discipline dont nous faisons l'histoire. Mais en fait, dès le début du siècle dernier, dès que l'économie politique a commencé à prétendre au statut de science exacte, l'économique a commencé à se dégager du politique. Jean-Baptiste Say est l'un de ceux qui ont exprimé le plus clairement cette volonté de séparer la science de la production, de la répartition et de la consommation des richesses de la politique, considérée comme une discipline beaucoup moins rigoureuse et plus “chargée de valeurs”, comme dirait Myrdal.

Cette dichotomie est une illusion, si ce n'est une fumisterie. Politique et économie sont depuis toujours et pour toujours étroitement imbriquées l'une dans l'autre. Parmi ceux qui prétendent au statut de scientifiques, les économistes sont sans doute les plus complètement plongés dans le monde politique. Plus que jamais, aujourd'hui, c'est de leur expertise que l'on se réclame pour justifier des politiques le plus souvent choisies en fonction d'autres critères. Car il n'y a pas de critères scientifiques pour guider la politique, comme Keynes l'a appris chez Burke.

Il est dès lors étonnant que, dans les histoires de la pensée économique, on se soit si peu penché sur l'action et la pensée politiques des grands auteurs. Les histoires des idées politiques et celles de la pensée économique se côtoient sans jamais se croiser, ce qui est une absurdité. L'exercice, évidemment sommaire et à compléter, auquel nous nous sommes livré avec Keynes pourrait l'être avec tous les autres économistes qui ont marqué l'histoire. Il est évidemment plus facile avec Keynes du fait que, comme Marx et quelques autres, il mettait au premier plan le politique, et admettait ouvertement que son oeuvre théorique en économie devait servir à rationaliser des choix politiques. Dans son cas, évidemment, cette œuvre devait servir à justifier l'intervention de l'État et des pouvoirs publics dans l'économie.

Il ne faut pas croire, par ailleurs, que le discours qualifié de néolibéral, dont les Friedman et Hayek se sont faits les initiateurs, vise effectivement la non-intervention et la séparation du politique et de l'économie. Non seulement le keynésianisme, mais aussi le libéralisme et le néolibéralisme sont tous, à leur manière, des interventionnismes.(28) Ce sont les modalités d'intervention, les finalités, les groupes privilégiés, qui changent. Mais toujours le politique côtoie l'économie. Et il y a d'ailleurs un aspect sur lequel la vision de Keynes rejoint celle de Hayek et de certains néolibéraux. Il s'agit de la méfiance envers la démocratie et de l'élitisme. Cet aspect de la pensée de Keynes, accentué par le technocratisme qui caractérise les pratiques keynésiennes de l'après-guerre, a facilité plutôt qu'il n'a entravé le passage du keynésianisme au néolibéralisme. C'est pourquoi il n'est pas étonnant de voir tant de keynésiens se convertir au néolibéralisme.


- Bogdanor, Vernon (éd.) [19831, Liberal Party Politics, Clarendon Press, Oxford.
- Campbell, John [1977], Lloyd George : the Goat in the Wilderness, Cape, Londres.
- Clarke, Peter [1978], Liberals and Social Democrats, Cambridge University Press, Cambridge.

- Dostaler, Gilles [1985], “Le retour à l'étalon-or en Grande-Bretagne : une fâcheuse illusion”, in Poulon, Frédéric (éd.), Les écrits de Keynes, Dunod, Paris, p. 176-94.

[1987], “La vision politique de Keynes”, in Boismenu, Gérard et Dostaler, Gilles (éd.), La "Théorie générale" et le keynésianisme, Montréal, ACFAS, p. 75-90.
[1996], “The Formation of Keynes's Vision”, History of economics review, no. 25, p. 14-31.
[2000], “Néolibéralisme, keynésianisme et traditions libérales”, La Pensée, no. 323, p. 71-87.
[2001], Le Libéralisme de Hayek, Paris, La Découverte.

- Durbin, Elizabeth [1985], New Jerusalems.- The Labour Party and the Economics of Democratic Socialism, Routledge & Kegan Paul, Londres.

- Freeden, Michael [1978], The New Liberalism : An Ideology of Social Reform, Clarendon Press, Oxford.

[1986], Liberalism Divided A Study in British Political Thought, 1914-1939, Clarendon Press, Oxford.

- Harrod, Roy F. [1951], The Life of John Maynard Keynes, Macmillan, Londres.
- Hession, Charles H. [1985], John Maynard Keynes : une biographie de l'homme qui a révolutionné le capitalisme et notre mode de vie, Payot, Paris.

- Howson, Susan et Winch, Donald [1977], The Economic Advisory Council 1930-1939. A Study in Economic Advice during Depression and Recovery, Cambridge University Press, Cambridge.

Keynes, John Maynard [1904], The Political Doctrines of Edmund Burke, Keynes papers, King's College Library, Cambridge, UA/20 (inédit).

- [1931], Essais sur la monnaie et l'économie, Payot, Paris, 1972.
- [1971-1989], The Collected Writings of John Maynard Keynes, Macmillan, Londres, 30 vol.

- Moggridge, Donald E. [1992], Maynard Keynes : An Economists biography, New York, Londres.
- Sinclair, Andrew [1989], Le rouge et le bleu, La manufacture, Lyon.
- Skidelsky, Robert [1967], Politicians and the Slump : the Labour Government of 1929-31, Macmillan, Londres.

[1983-2000], John Maynard Keynes, Macmillan, Londres : vol. 1, Hopes Betrayed : 1883-1920, 1983 vol. 2, The Economist as Saviour : 1921-193 7, 1992 ; vol. 3, Fighting for Britain, 2000.

- Wilson, Trevor [1966], The Downfall of the Liberal Party, 1914-1935, Cornell University Press, lthaca, New York.
- Winch, Donald [1969], Economics and Policy : A Historical Study, Hodder and Stoughton, Londres.
- Woolf, Leonard [1960], Sowing : An Autobiography of the Years 1890 to 1904, Hogarth Press, Londres.

Notes:

1. C'est ainsi que nous ferons référence à l'un ou l'autre des 30 volumes des Collected Writings of John Maynard Keynes [Keynes 1971-1989].

2. Y compris par ses biographes, Harrod 1951, Hession 1985, Moggridge 1992 et Skideslky 1983-2000.

3. On n'a commencé que depuis une quinzaine d'années à explorer les idées philosophiques que Keynes a élaborées avant la première guerre, qui se déploient principalement dans le domaine de l'éthique et de l'épistémologie et qui constituent le fondement de ses conceptions politique et économique. Il adhérait à la hiérarchie artistotélicienne qui place l'éthique en premier, la politique ensuite et l'économie en dernier lieu.

4. Différents volets de cette histoire sont consignés et analysés dans les ouvrages suivants : Bogdanor 1983, Clarke 1978, Durbin 1985, Freeden 1978 et 1986, Wilson 1966 et Winch 1969.

5. La société a pris le nom de l'homme politique romain Fabius dit Cunctator, “le temporisateur” (275-203), qui doit son nom à la guerre d'usure qu'il a menée contre Hannibal.

6. Prix Nobel de littérature en 1925, Shaw a publié, en 1892, une pièce intitulée “L'argent n'a pas d'odeur”, satire de l'usure, qui constitue pour lui l'une des tares de la société victorienne. Cette œuvre a sans doute influencé la critique de la thésaurisation par Keynes, qui empruntera par ailleurs à Freud sa vision de l'argent.

7. Sidney Webb, qui était économiste, a fondé en 1895 la London School of Economics pour faire contrepoids à l'enseignement abstrait et conservateur du Cambridge d'Alfred Marshall. Par un curieux renversement de l'histoire, c'est la London School qui, sous le leardership de Hayek et Robbins, constituera le fer de lance de l'opposition à l'interventionnisme keynésien dans les années 1930. Par ailleurs, les Webb ont manifesté de plus en plus de sympathie pour le régime soviétique.

8. Fondé en 1893, l'ILP, étroitement lié aux TUC, comptait parmi ses membres le futur premier ministre travailliste, Ramsay MacDonald. Son fondateur, Keir Hardie, ancien libéral, conserva une forte influence sur le parti travailliste jusqu'en 1914, alors que ses vues pacifistes furent rejetées.

9. Sidney Webb en prend la direction en 1915.
10. Voir Campbell 1977.

11. Keynes ne publiera qu'en 1933, dans ses Essays in Biography [JMK, vol. 10] le portrait de Lloyd George qu'il avait préparé pour ses Conséquences économiques de la paix [1919 ; JMK, vol. 2], portrait aussi vitriolique que ceux qu'il avait dessinés de Clémenceau et Wilson. Lloyd George lui rendit la pareille dans ses mémoires.

12. Voir à ce sujet Dostaler (l985).

13. Les travaillistes obtiennent 287 sièges, les conservateurs 261 et les libéraux 59. Keynes, qui avait parié, selon son habitude, sur le parti libéral, a perdu beaucoup d'argent, quoiqu'il gagne £10 aux dépens de Winston Churchill. Ce détail montre que les relations personnelles entre les deux hommes n'étaient pas mauvaises en dépit de leurs désaccords politiques, comme on le verra pendant la deuxième guerre.

14. Voir là-dessus Howson et Winch 1977.

15. Ce sont le parti libéral, dirigé par Herbert Samuel (33 sièges) ; le parti libéral national, dirigé par John Simon, proche des conservateurs (35 sièges); les libéraux indépendants de Lloyd George (4 sièges), qui rejoindront le premier groupe en 1935.

16. Mosley deviendra plus tard un des animateurs du parti fasciste anglais. Les difficultés du parti travailliste au début des années trente provoqueront aussi des départs dans d'autres directions, dont celle de John Strachey vers le parti communiste.

17. Membre du corps professoral de la LSE durant les années 30, Durbin avait d'abord été influencé par Hayek.

18. Cette revue " libérale de gauche " est issue de la fusion, en 1931, du New Statesman et de Nation and Athenaeum, dont Keynes a été le principal artisan.

19. Quelques-un passeront à l'histoire comme espions soviétiques ! Voir à ce sujet Sinclair 1989.

20. C'était en effet une singularité, aujourd'hui disparue, du système électoral britannique, que de prévoir des députés pour certaines grandes universités.

21. Élu pour la première fois en 1922, Attlee était chef du parti depuis 1935. Il était parmi les membres fondateurs de la New Fabian Research Society.

22. Elle fut élue maire de Cambridge dans les années trente.
23.Voir Dostaler 1996.
24 Prenant une positon " pro-Boxer " dans la guerre du même nom qui se déroule en Chine au même moment, il fait remarquer à son père qu'un seul x distingue les deux événements [Moggridge 1992, p. 43].

25. On trouve ces textes dans JMK, vol. 9. Voir à ce sujet Dostaler 1987.

26. On retrouve cette attitude chez plusieurs membres du groupe de Bloomsbury, à la fois condescendants et méprisants pour les membres de ce qu'ils appelaient les “lower classes”, dont étaient issus leurs domestiques.

27. Il la définit ainsi en 1927 : “la destruction du monopole privé, la lutte contre la propriété foncière, le développement de la liberté religieuse et personnelle, l'évolution du gouvernement démocratique” [JMK, vol. 19, p. 638].

28. Voir à ce sujet Dostaler 2000. Sur Hayek, voir Dostaler 2001.

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Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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