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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Types de sociétés et de représentations du normal et du pathologique:
la maladie physique, la maladie mentale
(1985)
Résumé et conclusion


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Henri Dorvil, Types de sociétés et de représentations du normal et du pathologique: la maladie physique, la maladie mentale. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Jacques Dufresne, Fernand Dumont et Yves Martin, Traité d'anthropologie médicale. L'Institution de la santé et de la maladie. Chapitre 15, pp. 305-332. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, l'Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC) et les Presses universitaires de Lyon (PUL), 1985, 1245 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 11 mai 2006.]

Résumé et conclusion

Nous voilà rendu à la fin de l'étude de toute une série de variables (ethnie, classes sociales, sexe, etc.) qui différencient l'expression et le vécu de la maladie aussi bien physique que mentale. Ces différents facteurs ont une influence déterminante sur les représentations de la maladie. Ces représentations sont médiatisées par des groupes d'appartenance que la littérature psycho-sociologique [1] appelle in-groups. Ces groupes poussent l'individu vers telle perception de la maladie, telle sélection de symptômes, tel choix de médicaments et de traitement, telle attitude envers le malade. Certains individus vont reproduire la conduite de malade prônée par leur groupe alors que d'autres vont adopter celle du groupe dominant valorisé, le reference group. Toutefois, le poids des différents facteurs (ethnie, classes sociales, etc.) ne se mesure guère àl'aune de leur exclusivité mais à celle de leur chevauchement, de leur interaction. L'on se souviendra de l'affirmation de Zola et Mechanic suivant laquelle les variations de comportement à l'intérieur d'un même groupe ethnique s'avèrent généralement plus importantes que les variations d'un groupe à l'autre. Ensuite, dans la recherche américaine de New Haven citée plus haut, Hollingshead et Redlich ne trouvent aucune corrélation entre les classes sociales et les troubles mentaux aussi bien pour les femmes que pour les hommes dans la courbe d'âge des 15-24 ans. Alors, quel en est le facteur explicatif ? L'âge, le sexe ? Il en est de même du lien entre la désorganisation familiale et les désordres psychiques individuels établi par cette même étude. Et si l'on tient compte du fait que les enfants sont éduqués selon les classes sociales, les ethnies, les régions urbaines ou rurales, on se trouve en pleine escalade de facteurs explicatifs qui se condensent en un écheveau difficilement déchiffrable. 

Le cas de la variable « ethnie » s'avère plus flagrant encore parce qu'elle est plus globalisante, qu'elle renferme à elle seule toutes les autres variables (classes sociales, âge, sexe, milieu rural/urbain, scolarité, religion, etc.). Jusqu'à présent, les recherches bibliographiques ne permettent pas de soutenir l'hypothèse de l'influence déterminante de la variable « ethnie », par exemple, dans le comportement du public à l'égard des psychiatrisés. D'autres études menées à l'aide de variables plus petites (milieu urbain/rural, profil de quartier, etc.) conduisent à des analyses plus fines. [2] 

Murphy a déjà parlé d'une grande tolérance des Canadiens français à l'égard du malade mental contrairement aux Anglo-Canadiens. Or, deux études plus récentes, signalées plus haut, une de Lyne Langlois [3], en milieu semi-rural, l'autre à caractère national [4] ne retracent guère cette grande tolérance. D'ailleurs, Murphy lui-même dans sa dernière étude sur le sujet [5] semble tamiser ses positions du début : 

Les francophones se montrent plus réticents que les anglophones à considérer certaines conduites comme déviantes ; cependant, une fois ce pas franchi, les étiquettes employées par le premier groupe tendent à être plus péjoratives. 

Il faut chercher d'autres types d'explications. Dans les débuts de la colonisation, la communauté canadienne-française était tolérante vis-à-vis ses déviants pour les raisons d'ordre historique évoquées plus haut. Mais à mesure que cette même société s'est différenciée, à mesure qu'elle a été traversée par des normes élevées de compétition, l'attitude a changé, la norme bourgeoise de la distance sociale, de la distinction, de la susceptibilité à l'égard de l'odeur d'autrui s'est affirmée. 

N'oublions pas qu'en France aussi, la période de la Renaissance, une bonne partie du XVIIe siècle se signalaient par une grande convivialité envers les fous. Et depuis, les choses ont changé, probablement avec l'industrialisation et l'urbanisation. Ici aussi. Donc, en aucun cas, il ne peut être question d'une attitude uniforme de l'ethnie canadienne-française à l'égard du malade mental. 

Alors, l'ethnie serait-elle devenue avec le temps un concept sociologiquement vide ? Déjà en 1966, Luc Boltanski écrivait ceci : [6] 

Le discours sur le caractère national paraît particulièrement futile lorsqu'il s'applique à des sociétés différenciées et stratifiées. L'entrée de l'ensemble des pays de l'Europe occidentale dans la société industrielle n'a-t-elle pas eu pour conséquence d'estomper les différences entre nations et de développer, à l'intérieur de chaque nation, les différences entre groupes sociaux et classes sociales ?  

C'est pourquoi de plus en plus de chercheurs utilisent des variables plus petites (sexe, âge, milieu urbain/rural) et particulièrement les classes sociales pour étudier différents groupes sociaux d'une même culture. 

Un exemple récent vient d'être tracé par l'historien Alain Corbin qui, tout en étudiant principalement la culture française, a su tracer la différenciation sociale dans son histoire de l'odorat et des mentalités. [7] La domestication, la privatisation des odeurs a commencé par le palier supérieur de l'échelle sociale, de ceux qui avaient à cette époque les moyens financiers, le temps de se laver, de se parfumer... et aussi les connaissances, la crasse n'étant plus conçue comme la meilleure protection contre les infections avec la découverte de la respiration cutanée. Durant longtemps, le clivage entre bourgeois et prolétaire s'est trouvé marqué une fois de plus par les « bonnes » odeurs de l'un et les « mauvaises » odeurs de l'autre. Et malgré ce changement de moeurs et les représentations sociales du corps qui l'accompagnent, une trace olfactive demeure au niveau sémantique : on dit d'une personne qu'on déteste : « Je ne peux pas la sentir... ». 

Conjugué à l'oeil qui marque le seuil critique de la visibilité, l'odorat, sens de la répulsion sociale, sens des affinités, revêt une importance capitale pour cet aspect de la sociologie de la santé mentale : l'attitude du public envers le malade mental. 

Not on our street, [8] telle est aujourd'hui l'expression-clé de l'intolérance a l'égard du malade mental, qui divise la population en deux camps, d'une part, ceux qui sont pour l'intégration du malade mental à la société par humanisme et/ou par esprit du gain (i.e. ceux qui vivent de la stigmatisation) et, d'autre part, ceux qui craignent que la présence du malade mental dans leur entourage ne fasse baisser la valeur de leur propriété immobilière ou en ont peur tout simplement (imprévisibilité et dangerosité appréhendées). L'on peut baptiser cette ambivalence de la population du syndrome NOOS, à l'instar du syndrome de NIMBY (not-in-my backyard) en sociologie de l'environnement [9] qui départage ceux qui sont pour l'installation dans leur quartier d'usines de produits toxiques ou de centrales nucléaires en disant : « Amenez-en des projets, on veut des jobs », de ceux qui disent : « Nimby, pas dans ma cour », au nom de la qualité de la vie. 

Une lueur d'espoir existe cependant. Des chercheurs, des professionnels de la santé mettent sur pied des programmes visant à aider parents, amis, professeurs et employeurs à vivre, à travailler avec le schizophrène. [10] Ce qui contribue efficacement au contrôle de la maladie, à l'amélioration de la qualité de vie de tous les individus concernés.


[1]    Jean MAISONNEUVE, Introduction à la psychologie, Paris, P.U.F., Coll. SUP, 1975, pp. 150-163.

[2]    Voir, par exemple, S.P. SEGAL et al., « Neighborhood types and community reaction to the mentally ill : a paradox of intensity », Journal of Health and Social Behavior, 21, 1980, pp. 345-359, où les chercheurs ont découvert que le quartier libéral (sens étasunien), non traditionnel, semble être l'environnement le plus tolérant à l'égard du malade mental ; ou bien : C.J. SMITH, « Hospital proximity and public acceptance of the mentally ill » Hospital and Community Psychiatry, 32, 3, 1981, où l'auteur a étudié l'influence de la proximité d'un hôpital psychiatrique sur l'attitude de la communauté vis-à-vis du malade mental.

[3]    L. LANGLOIS, op. cit.

[4]    A. MELANSON-OUELLET, op. cit.

[5]    H.B.M. MURPHY, « Difference between the mental disorders of French Canadians and British Canadians », Canadian Psychiatric Association Journal, 79, 1974, pp. 247-257.

[6]    L. BOLTANSKI, Le bonheur suisse, Paris, Éditions de Minuit, 1966, p. 16.

[7]    A. CORBIN, Le miasme et la jonquille ; l'odorat et l'imaginaire social (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Aubier, 1982.

[8]    M.J. DEAR, S.M. TAYLOR, Not on our Street : Community Attitudes to Mental Health Care, London, Pion, 1982. Recherche effectuée par deux professeurs de géographie de l'Université McMaster, Hamilton, Ontario.

[9]    The Not-in-my-Backyard Syndrome, A Two-Day Symposium on Public Involvement in Sitting Waste Management Facilities, Faculty of Environmental Studies, York University, May, 13-14, 1983. Voir aussi tout le courant du Social Impact Assessment en sociologie de l'environnement.

[10]   M.V. SEEMAN et al., Living and Working with Schizophrenia (Informations and support for patients and their families, friends, employers and teachers), Toronto, Buffalo, London, University of Toronto Press, 1983. Ce livre a été traduit au Québec par Yves Lamontagne et Alain Lesage, psychiatres du Centre de recherche psychiatrique de l'hôpital Louis-H. Lafontaine et publié aux éditions Edisem, St-Hyacinthe et Maloine S.A., Paris, 1983.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 31 mai 2006 18:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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