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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Henri Dorvil et Robert Mayer, “Problèmes sociaux et recherches sociales”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer, Problèmes sociaux. Tome I. Théories et méthodologies. Présentation de la Deuxième partie, pp. 265-275. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 2001, 592 pp. Collection: Problèmes sociaux et interventions sociales. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 juin 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Henri Dorvil et Robert Mayer [† - 2003] 

Travailleurs sociaux, professeurs, École de Travail social, UQÀM
et École de service social, Université de Montréal.
 

Problèmes sociaux et recherches sociales. 

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer, Problèmes sociaux. Tome I. Théories et méthodologies. Présentation de la Deuxième partie, pp. 265-275. Québec: Les Presses de l'Université du Québec, 2001, 592 pp. Collection : Problèmes sociaux et interventions sociales.
 

Évolution de la recherche sociale
 
Trois grandes traditions méthodologiques et théoriques dans l'analyse des problèmes sociaux
 
Introduction à la deuxième partie
 
Bibliographie

Évolution de la recherche sociale

 

Au cours des dernières années, le rôle de la recherche sociale dans l'analyse des problèmes sociaux a fait l'objet de plusieurs réflexions. Par exemple, les analyses de Lefrançois (1990), de Groulx (1997, 1998) ainsi que de Mayer et Ouellet (1998) ont porté principalement sur l'évolution de la recherche qualitative dans le champ du travail social et plus particulièrement dans l'analyse des problèmes sociaux. jusque dans les années 1960, la recherche en travail social se pratiquait surtout dans les agences sociales et les conseils d'œuvres. Par la suite, la formation universitaire acquiert une plus grande autonomie par rapport aux milieux de pratique. Puis, vers la fin des années 1970, apparaît un conflit autour des méthodes d'intervention. Le défi consiste alors à inventer des modes d'intervention propres à redéfinir les rapports entre la pratique et la recherche. C'est dans ce contexte que vont se déployer la recherche-action et de nouveaux modèles d'intervention dans lesquels la recherche qualitative occupe une place centrale. Ainsi, l'essor que connaissent les méthodes qualitatives au cours de cette période se rattache à l'étatisation des services sociaux et à la bureaucratisation des pratiques sociales. Il s'ensuit un rapprochement entre le chercheur et les acteurs sociaux, ce mouvement entraînant le déploiement de méthodes d'enquête plus diversifiées. Les auteurs soulignent que les recherches de cette période sont en outre marquées par une forme de rejet du positivisme, par une crise intellectuelle et par un accroissement de la demande en matières de recherches sociales. Cette période se caractérise par une diversification des approches méthodologiques (récit de vie, observation participante, etc.) et par une sensibilité accrue à l'intervention sociale. D'où l'intérêt pour de nouvelles pratiques comme la recherche-action, la recherche militante, la recherche conscientisante, la recherche féministe et autres. 

À ce propos, Groulx (1984) relève trois orientations principales dans la recherche sociale sur les problèmes sociaux à cette époque, qu'il qualifie de technocratique, professionnelle et militante. L'orientation technocratique (ou positiviste) privilégie l'analyse objective des problèmes sociaux en insistant sur l'observation des faits, sur la nécessité de concrétiser les concepts et de se doter d'instruments de mesure précis afin de pouvoir dégager des lois scientifiques concernant les individus et les groupes étudiés. Toutefois, l'orientation professionnelle conteste la scientificité du modèle positiviste ; ici, on prend le vécu comme base de recherche et d'action. Dans cette dernière orientation, on essaie de comprendre les phénomènes sociaux plutôt que de les expliquer et on tente de révéler le savoir produit par la pratique sociale. Quant à l'orientation militante (ou partisane), elle cherche moins à comprendre ou à expliquer la réalité sociale qu'à la critiquer et à la transformer. La recherche se confond alors avec une démarche de conscientisation des classes populaires, démarche caractérisée par une implication dans les groupes communautaires ou féministes. Ces orientations reflètent, bien sûr, des conceptions divergentes quant au rôle de la recherche sociale dans l'analyse des problèmes sociaux (voir plus loin). 

Dans les années 1980, les pratiques de recherche subissent le contrecoup des transformations socioéconomiques. Avec la crise économique, celle des pratiques sociales et la remise en question de l'État-providence, de nouvelles approches et de nouvelles techniques voient le jour. La recherche sociale doit désormais tendre vers l'adaptation de la pratique sociale à des clientèles et à des problématiques sociales nouvelles. Au cours de cette période, le mode dominant d'analyse dans le champ des services sociaux a consisté à définir les problèmes sociaux en termes de clientèles à risque ou de facteurs de risque. De nombreux chercheurs utilisant les méthodes qualitatives vont critiquer la place trop grande occupée par l'approche épidémiologique et favorisent une plus grande distance par rapport aux points de vue professionnel et administratif. La compréhension des problèmes sociaux, plaide-t-on, ne peut s'établir que si elle passe par l'interprétation du sens vécu par les divers sujets, qu'ils soient intervenants ou clients. Par ailleurs, Groulx (1997) s'interroge sur la contribution de la recherche qualitative dans l'analyse des problèmes sociaux. Cette question met en présence deux thèses opposées. Dans un camp, on estime que la recherche qualitative, en proposant une redéfinition des catégories traditionnelles de perception et d'analyse des problèmes sociaux, a ainsi favorisé la mise en place de nouvelles modalités d'aide et d'intervention. Toutefois cette perception n'est pas partagée par tous puisque, dans l'autre camp, divers auteurs estiment que la recherche qualitative a produit un savoir dont la validité est à remettre en question. Comme quoi le rôle de la recherche dans l'analyse des problèmes sociaux est aussi sujet à débat. 

Plus récemment, Gendron (2000) a confirmé ces grandes tendances en retraçant les principales étapes de la recherche en travail social. Depuis longtemps, le travail social se définit comme une profession centrée sur l'intention sociale et, dans ce contexte, « la recherche scientifique est perçue comme instrumentale et comme support pour l'intervention » (Gendron, 2000, p. 289). Avant les années 1960, la recherche sociale était « une avenue peu fréquentée par les travailleurs sociaux et les étudiants en service social » (Gendron, 2000, p. 290). Pour preuve, l'auteur a jeté un coup d'oeil sur les thèses des étudiants des années antérieures. Au tournant des années 1960, l'influence de la méthodologie des sciences sociales impose une démarche empirique à l'analyse des problèmes sociaux. Avec la réforme des services sociaux, au début des années 1970, la recherche sociale devient désormais « un outil nécessaire pour fixer les objectifs de l'intervention, la soutenir, l'analyser et la contrôler » (Gendron, 2000, p. 292). Dans cette perspective, le phénomène de la rétroaction est central et c'est là qu'intervient la recherche sociale pour faciliter l'étude objective des problèmes sociaux et assurer, par l'évaluation, le réajustement continuel des programmes sociaux ; c'est le début de la croyance dans « la solution des problèmes sociaux par la méthodologie scientifique » (Ibid.). 

Progressivement, on passe d'une conception humaniste de la recherche sociale à une conception plus techniciste et « l'arrivée dans les écoles et départements universitaires des premiers "docteurs" en service social viendra renforcer cette tendance. Formés pour la plupart dans la perspective de la recherche positiviste, quantitative, d'inspiration principalement américaine, ce sont eux qui jetteront les bases d'un véritable courant de recherche en service social » (INd.). C'est aussi ce type de recherche qui sera enseigné dans l'ensemble des programmes de formation, tant au baccalauréat qu'à la maîtrise, en service social. Désormais financé partiellement par l'État, « ce type de recherche empirique, quantitative, et axée indirectement sur l'évaluation des systèmes occupera donc presque toute la place, en service social, pendant une quinzaine d'années » (Gendron, 2000, p. 294). Toutefois, le résultat concret de tout cet effort va laisser à désirer. En effet, en 1987, la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux (Commission Rochon) portera un jugement plutôt sévère sur la qualité et l'efficacité de la recherche sociale, tout en proposant d'accentuer la recherche empirique dans ce secteur. Toutefois, cette réorientation suscita relativement peu d'intérêt des praticiens en service social et c'est sans doute pour tenter de rapprocher ces deux mondes, celui de la recherche et celui de l'intervention, que la nouvelle politique gouvernementale, à travers le CQRS, va s'efforcer de susciter des projets de recherche en partenariat. Entre-temps, vers le milieu des années 1980, « quelques chercheurs s'éloignent du courant quantitatif positiviste et optent pour une recherche à caractère davantage qualitatif et constructiviste » (Gendron, 2000, p. 295). 

Au cours des années 1990, l'arrivée des premiers programmes de doctorat en service social de même que la progression fulgurante des activités de recherche, tant chez les professeurs que chez les étudiants vont accentuer l'ouverture du milieu vers la diversité des formes de recherche : « Ainsi, si la recherche empirique plus conventionnelle continue de garder ses privilèges, d'autres approches allant de l'utilisation des banques de données jusqu'au constructivisme théorique ont aussi conquis un espace suffisant pour leur survie et très probablement, pour leur développement » (Ibid.). 

En somme, de ce tour d'horizon, il ressort que : 

[...] jusqu'à la fin des années 1960, il se faisait peu de recherche en service social et les étudiants n'y étaient pas préparés par leurs cours. Avec les réformes des années 1970 dans le domaine des politiques sociales la recherche empirique, quantitative à caractère positiviste, prend une place importante à l'université et influence fortement les programmes de formation en service social. Finalement, en parallèle à cette tendance dominante, se développent peu à peu d'autres façons de faire, plus proches du constructivisme, de l'analyse qualitative et des inquiétudes épistémologiques de la science en général (Gendron, 2000, p. 296). 

Nous sommes déjà rendus dans ce nouveau millénaire. 

 

Trois grandes traditions méthodologiques
et théoriques dans l'analyse
des problèmes sociaux

 

Selon le Petit Larousse illustré (2000), un instrument est un moyen, ce qui est employé pour atteindre un résultat. Selon le dictionnaire de sociologie (Akoun et Ansart, 1999), méthode, du grec méthodos signifie route, voie, direction qui mène au but. Toute connaissance scientifique utilise des instruments méthodologiques constituant le meilleur chemin pour parvenir à la cité de la certitude. Ce qui nous situe d'emblée, comme nous l'avons vu précédemment, sur un terrain mouvant de l'épistémologie puisque les phénomènes sociaux sont manifestement complexes et susceptibles d'être appréhendés par des approches théoriques, des méthodes aussi nombreuses que diverses. Déjà au début du siècle dernier, dans un cours sur le pragmatisme, Durkheim le soulignait clairement : « Le réel est inépuisable, non pas seulement dans sa totalité, mais dans chacune de ses parties constituantes. Tout objet de connaissance offre donc place à une infinité de points de vue possible » (Durkheim, 1913). D'où, par exemple, les débats entre objectivisme et subjectivisme ou encore, entre le rationalisme et l'empirisme dans l'analyse des phénomènes sociaux. Mais plutôt que de favoriser des positions extrêmes, la majorité des auteurs conçoivent la démarche scientifique comme une sorte de va-et-vient entre la raison et l'empirie (Dortier, 1998). Dans cette réflexion se profile en filigrane le débat entre les méthodes quantitatives et les méthodes qualitatives. 

Toutefois, derrière ce débat sur la valeur respective des méthodes quantitatives et des méthodes qualitatives en tant que méthodes d'enquête se cache un autre débat plus fondamental, de nature épistémologique, et qui se cristallise, au départ, autour de deux traditions épistémologiques différentes de la science et du comportement humain, soit le positivisme d'une part et le subjectivisme d'autre part. À ces deux grandes traditions analytiques va venir s'ajouter, par la suite, une troisième tradition, celle de l'approche constructiviste. 

La tradition objectiviste, qui s'inscrit dans le modèle empirico-naturaliste de la recherche, a pour but de dresser la cartographie la plus exhaustive et complexe d'une situation sociale donnée. Ce modèle est calqué sur celui des sciences de la nature et s'inspire de la sociologie de Comte et de Durkheim. Pour ces derniers, il faut analyser les fait sociaux avec objectivité et distance, c'est-à-dire qu'il faut les étudier comme des choses, comme des objets extérieurs, un peu comme des phénomènes naturels. Il est alors possible d'observer leur régularité ; d'en déterminer les causes, d'en mesurer les effets et d'en prédire le déroulement. Dans ce cadre, l'objectif de la science est d'en arriver à la généralisation par des procédures appropriées de vérification et ainsi découvrir les « lois » sous-jacentes aux comportements humains. Pour réaliser un tel objectif, les méthodes quantitatives se révèlent les plus appropriées puisqu'elles visent la mesure et la quantification des phénomènes : les questionnaires, les groupes témoins, les échelles d'attitudes et les diverses techniques statistiques sont alors des outils privilégiés. Le positivisme est aussi guidé par une conception déterministe du comportement humain. Dans cette perspective, les comportements des individus sont contraints par des forces qui leur sont extérieures et les poussent en quelque sorte à se comporter comme ils le font. C'est précisément à cette conception déterministe du comportement humain que vont s'objecter les adeptes de l'approche subjectiviste et de la méthodologie qualitative. 

Le modèle subjectiviste est aussi un modèle empirique d'approche de la connaissance, mais il s'éloigne de la description des faits matériels pour repérer et décrire le sens qu'attribuent les acteurs sociaux à leurs gestes. L'objet de la recherche devient alors la compréhension de la perspective que les acteurs ont de leurs situations (Deslauriers et Kérésit, 1997). Pour les tenants de l'approche subjectiviste, les individus ne sont pas des choses ni des objets ; il faut élaborer une approche qui tienne davantage compte de la signification qu'ils donnent à leur action et leur marge de manoeuvre en tant qu'individu libre et créateur. Cette vision humaniste suppose donc une approche qui explore de l'intérieur ce qui pousse les individus à agir, une approche plus empathique de la part du chercheur qui va trouver son fondement dans la phénoménologie et l’interactionnisme symbolique. Dans cette perspective, il est impératif de comprendre le comportement des individus à partir de leur vécu quotidien et à travers les perceptions que ces derniers peuvent en avoir (Poupart, 1980). 

Quant à l'approche constructiviste, tout en se situant en continuité avec l'approche précédente, elle tente d'éviter de considérer les faits sociaux comme des choses à décrire ou comme résultant de la seule interprétation de l'acteur, elle s'efforce plutôt de prendre le réel comme point de départ de constructions théoriques multiples (Deslauriers et Kérésit, 1997). La recherche sociale n'a pas pour seul but de décrire, de vérifier ou de certifier l'existence de certaines conditions sociales, mais de les insérer dans un processus analytique qui rende compte des ruptures et de la dynamique propre d'un groupe social. L'objet de la recherche devient alors « la manière dont s'élaborent collectivement les critères de perceptions de la réalité » (Duclos, 1987, p. 25). 

Plus concrètement, sur le plan proprement méthodologique, soulignons qu'il existe deux grandes traditions de recherche sur les problèmes sociaux : une tradition plus objectiviste et quantitative, d'une part, et une tradition plus subjectiviste et qualitative, d'autre part. Il serait facile de citer de multiples exemples pour chaque type de recherches sociales, mais nous l'avons déjà fait ailleurs (Mayer et Laforest, 1990 ; Mayer et Ouellet, 1998). Toutefois, en matière de rapports entre l'approche qualitative et l'approche quantitative, il est de plus en plus question de débats, de dialogues et non de conflits puisqu'en ce début de XXIe siècle, les esprits semblent s'être calmés et les tenants des sciences sociales ne rejettent plus telles méthodes au profit exclusif de telles autres. Car sur le terrain existent des relations de bon voisinage entre ces deux types de méthodes appelées à se compléter l'une l'autre (Houle, 1982). 

De son côté, Pires (1987) souligne l'importance de reconnaître que les deux grandes formes de mesure - qualitative et quantitative - sont théoriquement limitées, indépassables et non interchangeables. Le recours à l'une où à l'autre ne renvoie pas exclusivement à des questions pratiques ou d'ordre théorique, mais aux objets à construire et aux propriétés mêmes de ces mesures qui nous donnent, selon leurs caractéristiques, un accès différentiel et diversifié à certaines dimensions de la réalité sociale. Par ailleurs, la majorité des auteurs s'entendent pour dire que, s'il est souhaitable de voir la recherche qualitative continuer à se développer, il n'est pas question de plaider pour l'élimination de la recherche quantitative ; il y a des sujets qu'on ne peut guère traiter autrement. Il y a donc place pour une diversification de la recherche, des sujets, des méthodes et des façons de faire (Deslauriers, 1994). Et ce, d'autant plus, que les défis sont de taille. En effet, divers travaux (Tremblay, Boisvert et Picard, 1989 ; Tremblay et Poirier, 1994), portant notamment sur l'organisation de la recherche sur les problèmes sociaux au Québec et ailleurs, ont relevé son caractère désordonné, sa pauvreté dans les milieux de pratique et son sous-financement. 

 

Introduction à la deuxième partie

 

Les chapitres qui composent cette deuxième partie participent, chacun à leur façon, à ces débats puisqu'ils concernent tous un mode de collectes ou d'analyses et de traitement des données construites selon des voies diverses. Commençons par souligner l'importance de la réflexion théorique dans tout processus de recherche. Pour Max Weber, le concept n'est aucunement une image ou un reflet du réel, mais une synthèse mentale, un « type idéal », un instrument en perpétuelle mouvance qui permet d'organiser des réalités diverses. On va le conserver s'il est opératoire, on le modifiera ou on le laissera à l'abandon si un autre concept semble plus prometteur, plus riche de possibilités heuristiques. Dans cette perspective, le texte de Normand Carpentier et Deena White intitulé « Le soutien social : mise à jour et raffermissement d'un concept »illustre bien l'importance de la notion de concept. Dans ce chapitre, deux concepts clés sont traités : le soutien social et le réseau social. Soulignons que ces concepts sont au centre de l'analyse et de l'intervention sur les problèmes sociaux. La grande partie des travaux traite du concept de soutien social comme une « variable » qui a une fonction « prédictive » sur un phénomène. Par exemple, un plus grand soutien social est associé à une plus faible morbidité. En revanche, inséré dans un cadre théorique des réseaux sociaux et considéré comme une fonction, le concept de soutien social devient un « mécanisme »qui peut expliquer, du moins partiellement, le changement social. On passe donc d'une approche « prédictive » à une approche « explicative », ce qui représente une orientation stimulante pour l'analyse. 

Sans vouloir entrer dans le débat sur les limites et les mérites respectifs des approches qualitatives et quantitatives en recherche, nous avons voulu au contraire démontrer l'utilité et la complémentarité des unes et des autres dans l'analyse des problèmes sociaux. C'est ainsi que des chapitres qui présentent une méthodologie qualitative en côtoient d'autres qui ont eu recours à une méthodologie quantitative. Dans un premier temps, Francine Gratton traite des suicides des jeunes à l'aide d'une analyse qualitative et plus particulièrement au moyen de la théorie ancrée (grounded theory). Toujours au moyen de l'approches qualitative, Yvan Comeau analyse la diversité du milieu associatif québécois. Dans un second temps suivent trois recherches d'orientation quantitative. Dans une recherche de type longitudinal, jean Renaud s'intéresse à la problématique de l'intégration des immigrants au Québec. De même, René Potvin, André Bernier, Paul Bernard et Johanne Boisjoly analysent et mesurent la précarité du travail dans les années 1990. Finalement, Alain Marchand a recours à l'analyse multiniveaux pour étudier certains problèmes vécus dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail. 

Par ailleurs, bien des programmes, des actions sociales, des interventions ont été conçus dans le but de combler les besoins, les desideratas des clients d'une population donnée. Mais, dans les faits, atteignent-ils réellement les buts visés ? A l'heure où les manières de faire sont de plus en plus remises en question, où la précarité de l'emploi et l'exclusion sociale font de plus en plus de victimes, à l'heure des coupures radicales dans les services sociaux et de santé, l'évaluation est utilisée pour porter un jugement rationnel à l'aide d'informations pertinentes sur la conduite d'un programme, d'une intervention, d'une prise de décision, question d'accroître son efficacité et son efficience. De là un chapitre sur l'évaluation écrit par Céline Mercier et Michel Perrault. Il en est de même de l'épidémiologie qui vise à établir l'incidence, la prévalence des problèmes de santé, des problèmes sociaux aussi dans une certaine mesure, et à étudier leurs causes. L'épidémiologie concourt également à améliorer les services fournis à une communauté en mesurant l'effet de leur efficacité. Les chapitres signés respectivement par Richard Boyer et Main Lesage sont de cette mouture. 

En plus de ces chapitres sur l'épidémiologie, cette partie compte un chapitre sur l'espace que Descartes assimile au milieu où ont lieu les phénomènes observés (Akoun et Ansart, 1999). À notre avis, l'espace est une construction sociale où s'exprime la dynamique sociale d'appropriation d'un territoire en termes d'affrontements, de conflits, de négociations pour marquer des positions sociales au niveau des biens matériels et symboliques. Une zone constitue donc un site d'observation des inégalités, un observatoire des marginalités et une aire de gestion des problèmes sociaux. Tel est le sens que donne Paul Morin à son chapitre intitulé L'espace de « la zone ». On peut également faire de l'observation en situation d'un phénomène comme la stratification sociale ou, dans ce cas-ci, l'exclusion qui fait aussi l'objet d'un chapitre écrit par Michèle Clément. Sans oublier un type d'analyse historique illustrée dans un chapitre dont l'auteure est une historienne, Laurence Monnais-Rousselot. A travers les âges, les historiens ont toujours été partie prenante de la question sociale, et ce, malgré l'obsession de la méthode scientifique en histoire qui veut les tenir à l'écart des débats sociaux. Leurs études de cas, leurs historical surveys, montrent que les problèmes sociaux comme la pauvreté, l'itinérance, les inégalités sociales et le sous-développement ont été traités comme des questions historiques depuis plusieurs siècles. Les sociologues tiennent compte de ces « effets d'héritage » pour comprendre le présent (Lepetit, 1996) et bénéficient ainsi d'une fructueuse multidisciplinarité (Porter, 1972). C'est en situant l'action sociale et les structures de société dans leur contexte historique, en examinant leurs déterminants socio-historiques que les sociologues arrivent à cerner l'essence de la vie sociale d'une manière dialectique et à bâtir une théorie du social (Griffin, 1995). Et pour clôturer cette section sur les dimensions méthodologiques, nous faisons appel à jean Dragon, philosophe de formation, pour analyser le débat entre le rationalisme et l'empirisme puisqu'il est important aussi bien pour la philosophie que pour les sciences humaines et sociales. 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 31 juillet 2008 19:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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