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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Henri Dorvil, “LA MALADIE MENTALE: Définition des Normaux versus celle des Déviants”. Un article publié dans la revue Santé mentale au Québec, vol. 7, no 2, 1982, pp. 189-193. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 juin 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Henri Dorvil 

Travailleur social, professeur, École de Travail social, UQÀM 

LA MALADIE MENTALE:
Définition des Normaux versus
celle des Déviants

Un article publié dans la revue Santé mentale au Québec, vol. 7, no 2, 1982, pp. 189-193.
 

Introduction
 
Les définitions élitistes de la santé mentale
Les définitions actuelles de la santé mentale
Période de croissance
Période de latence
Période de réactivation
 
RÉFÉRENCES
 

Introduction

 

D'entrée de jeu, nous pourrions nous démarquer du titre choisi car, en fin de compte, la société n'est-elle pas composée d'une mosaïque de déviants ? Alors pourquoi cette dichotomie ? Mais laissons ce débat à d'autres... 

Nos commentaires vont se situer dans le sillon de l'article de Françoise Boudreau, « La psychiatrie québécoise depuis 1960 : de structure en structure, la loi du plus fort est-elle toujours la meilleure ? », paru dans le numéro de novembre 1981 de Santé Mentale au Québec. Tout d'abord, nous confronterons la définition « élitiste » de la maladie mentale à la vision des « minoritaires ». Ensuite, nous établirons l'existence de plusieurs définitions propres à une même décennie, même s'il peut exister et — existe de fait — une définition dominante. Et, en dernier lieu, nous apporterons une réinterprétation à partir de notre vécu quotidien surtout durant les deux dernières périodes mentionnées dans cet article.
 

Les définitions élitistes
de la santé mentale

 

Dans une étude remarquable et remarquée par l'intelligentsia psychiatrique, Françoise Boudreau a retracé la définition et la prise en charge de la santé mentale à travers une succession d'élites. Pour chaque période, elle a mis en évidence le système de soins, ses promoteurs, l'idéologie dominante, le but officiel déclaré, la représentation de la situation de même que le type d'action destiné à opérationaliser ces objectifs. Ainsi, d'une décennie à l'autre, la définition de la maladie change. D'abord « punition de Dieu qui ne se guérit pas », selon le clergé et les anciens neurologues traditionalistes d'avant 1960, la maladie mentale devient ensuite « une maladie comme les autres » à l'instigation des jeunes psychiatres modernistes et de la nouvelle bourgeoisie issue de la révolution tranquille. Et, suite au rapport Castonguay, nous assistons à l'éclosion de l'idée de santé mentale conçue comme « un droit pour tous », sous l'égide principalement des technocrates et des planificateurs du M.A.S. 

Mais qui sont ces élites, ces intellectuels qui, à travers leurs luttes de pouvoir, arrivent à établir leur suprématie dans un secteur donné de la société, tel le champ de la santé mentale, par exemple ? Si l'on s'en tient au critère strictement moral, les intellectuels(les) sont ceux et celles qui travaillent à la défense de valeurs morales : le bien, le beau, le bon. Selon Max Weber, les élites, les intellectuels sont constitués de personnes qui travaillent à la cohésion, à l'unification de la collectivité. Mais la suprématie de ces élites dans la définition de différentes réalités de la vie a souvent été contestée. Toute une ancienne rationalité s'est trouvée atteinte dans la base même de ses pouvoirs de structuration symbolique à partir du moment où d'autres personnes se sont mises à parler, mettant en cause des oppressions séculaires : voix de tous ceux ou de toutes celles qui sont décrétés (es) irrationnels (les), fous/folles, paroles de femmes répudiant le patriarcat et son discours culpabilisant, cris d'adolescents (es) s'élevant contre la fonction paternelle qui les infériorise. D'un côté existe l'identité imposée par l'élite aux marginaux et, de l'autre, l'identité rêvée que les marginaux veulent se donner eux-mêmes. Quand l'élite, au Québec, définit la santé mentale comme un droit pour tous, les ex-psychiatrisés, les déprimés anonymes, crient à l'hypocrisie pour dire que la société n'assure pas les conditions minimales d'exercice de ce droit, surtout aux classes sociales défavorisées, les coussins amortisseurs de stress étant inégalement répartis à travers les classes sociales. 

Comme le dit si bien Colette Guillaumin : 

« L'entrée des minoritaires dans le domaine théorique ne conduit pas à proprement parler à un « affinement » ou à une « diversification » des connaissances. Cela certes peut se produire mais l'essentiel n'est pas là, il est dans le bouleversement des perspectives, dans la subversion qu'ils introduisent. »
(Guillaumin, 1981,23) 

II est vrai que les textes théoriques des groupes minoritaires sont souvent traités de pamphlétaires, voire de terroristes, mais l'on conviendra avec nous qu'assez souvent la neutralité, la « scientificité » des textes élitistes est surfaite. À notre avis, le point de vue des « minoritaires » se rapproche beaucoup plus de la définition des intellectuels (les) donnée par Gramsci, à savoir « des personnes qui font prendre conscience au groupe opprimé du processus de subordination auquel il est soumis, de l'hégémonie et de la mainmise sur la société civile » (Macciocchi, 1974, ch. 7).

 

Les définitions actuelles
de la santé mentale

 

Actuellement au Québec, plusieurs définitions de la santé mentale coexistent : 

a)  La maladie mentale est une maladie du cerveau. Selon cette conception, largement partagée par les psychiatres traditionnels et les neurologues, la maladie mentale est un désordre biologique plus ou moins grave qui peut être corrigé par l'électrochoc, les médicaments neuroleptiques, voire la psycho-chirurgie. Il s'agit ici d'une approche médicale orthodoxe. 

b)  Les psychiatres modernes, les psychologues, les psychanalystes, conçoivent la maladie mentale comme un état de perturbation affectif qui provient de blocages dans le développement de la personne (de 0 à l'âge adulte). On peut arriver à l'origine des troubles par la psychothérapie individuelle. 

c)  Pour certains thérapeutes, particulièrement les behavioristes, le processus thérapeutique de réorganisation symbolique, qui consiste à modifier le système de représentations du sujet, constitue une tâche de longue haleine et aléatoire. C'est pourquoi ils conçoivent la maladie mentale comme une anomalie de comportement qui peut être corrigée. Ces exercices de modification du comportement consistent à faire passer le sujet d'un état I non adéquat à un état II normal. Cette conception prend de l'ampleur surtout dans les milieux psychiatriques où les résultats « à la Skinner » sont plus éloquents qu'avec les autres techniques. 

d)  Les thérapeutes familiaux (travailleurs (euses) sociaux(ales), psychiatres, etc..) et certains psychologues ou sociologues travaillant avec des groupes sociaux (syndicat, groupe de jeunes, etc.) considèrent la maladie mentale comme la conséquence de communications familiales ou de micro-groupes pathogènes. Une thérapie collective sera de nature à amener ce groupe à une meilleure connaissance de lui-même, à modifier son comportement pathologique et à parvenir à la santé mentale. 

e)  Certaines personnes très intéressées à la santé mentale, mais qui ne sont pas en général des thérapeutes, conçoivent la maladie mentale comme la résultante de la fonction des élites bien pensantes, qui consiste à stigmatiser et à punir le comportement d'individus qui dévient de la norme dominante de la société. La maladie serait vécue comme une réaction de renfermement en soi et de dégoût vis-à-vis l'incompréhension de l'entourage, au sens large. Certains antipsychiatres et sociologues partagent ce point de vue, affirmant qu'il faut se garder d'étiqueter le patient et le traiter plutôt comme un citoyen à part entière. 

f)  Quelques psychiatres, la plupart des sociologues, la vague de fond du courant féministe et le mouvement alternatif considèrent la maladie mentale comme une maladie de société liée à l'oppression, à l'exploitation du sujet, au statut d'infériorité qu'occupe tel groupe dans l'échelle sociale : les femmes, les assistés sociaux, les minorités ethniques, etc. Il ne s'agit pas de malades, mais d'opprimés en situation de révolte contre une situation intolérable et d'un combat pour une société plus égalitaire, garante de santé mentale. 

À notre avis, ces six (6) définitions de la santé mentale coexistent avec la définition dominante technocratique (« La santé mentale, un droit pour tous »). 

Nous allons maintenant tenter une ré-explication de l'histoire de la psychiatrie sous un angle différent. 

 

Période de croissance

 

Les sociologues québécois appellent « révolution tranquille » l'amorce, en 1960, d'un grand déblocage qui s'est manifesté par des réformes en profondeur dans tous les secteurs. Certains parlent du passage d'un Québec traditionnel, conservateur, à un Québec moderne, libéral, alors que d'autres mettent l'accent sur le processus d'intégration du Québec au système capitaliste mondial. Quelle que soit la définition retenue, l'essentiel est que la psychiatrie, à l'instar de la vie politique, du champ économique, de l'éducation, etc.. a reçu sa part de retombées bénéfiques de cette nouvelle tournure des choses. 

À la critique courante des sociologues qui traitaient l'institution psychiatrique comme un monde kafkaïen, totalitaire, anonyme, s'est joint le cri d'alarme d'un ex-patient psychiatrique, Jean- Charles Page (1961), via un livre au titre suggestif : Les fous crient au secours. Le gouvernement du Québec, interpellé par l'accueil unanime de la population envers ce livre, crée la commission d'enquête sur les hôpitaux psychiatriques présidée par les psychiatres Bédard, Lazure et Roberts. Cette commission recommande non seulement l'interdiction de toute nouvelle construction d'asiles, mais elle formule aussi toute une kyrielle de mesures draconiennes en vue de moderniser le secteur des soins psychiatriques et d'accueillir le malade mental au sein de la société : ouverture de départements de psychiatrie dans les hôpitaux généraux, services de thérapie familiale de pré et de post-cure dans les cliniques externes, de remotivation de réhabilitation sociale et de réentraînement au travail d'ex-patients psychiatriques, intervention de réseau, happening thérapeutique etc. Comme les psychiatres et les autres professionnels de la santé mentale ne pouvaient être au four et au moulin en même temps, ils mirent sur pied un conseil de consultation auprès des médecins omnipraticiens, du service social général, des commissions scolaires, des unités sanitaires, du tribunal de la jeunesse et de la famille. Pour desservir l’arrière-pays et former sur place des unités, des équipes volantes se formèrent à même les hôpitaux de pointe des grands centres. Le tout était coordonné au sein du ministère de la Santé par la direction des services psychiatriques du docteur Dominique Bédard. Ainsi les psychiatres mirent fin au monopole de gardiennage moraliste sur la folie exercé par les religieuses. La folie est considérée désormais comme n'importe quelle maladie.

 

Période de latence

 

Les espoirs qu'avait fait naître la psychiatrie communautaire ne se sont pas tous insérés dans la glaise du réel. Loin de là. Qu'est-ce que le malade mental a gagné en franchissant la barrière de l'asile qui le coupait de la société ? Pas grand-chose. D'un côté, il y a l'asile qui le gave de gâteries : surprotection des professionnels le confinant à la dépendance, bibliothèque de patients, gymnase, cinéma, bal du samedi soir, spectacle d'artistes, visites de zoo gratuites sans oublier la consommation en catimini de drogue, d'alcool, de sexe et un système de travail protégé. De l'autre, des foyers à la fois au sein et en marge de la société, qui sont parfois des mini-asiles puisque les activités du patient s'y réduisent à une vie quasi végétative : dormir, manger, absorber sa médication et... se bercer. En général, il n'est pas admis dans les loisirs pour normaux puisque son « stigma » commande le rejet. Le marché régulier du travail continue de lui être fermé. Et pour cause. L'industrie et l'asile ont accepté mutuellement de le confiner à un système de travail de sous-traitance pour stigmatisés. L'idéologie du travail remplace donc l'enfermement asilaire et justifie l'émergence d'un « cheap labor », sous-prolétariat docile qui exécute un travail dont ne veulent pas les normaux et ce, même en période de rétrécissement de l'emploi. Le malade mental est ainsi rejeté par sa famille, mais aussi par la société dans sa globalité. [1] Donc le patient a compris et tient tête mordicus à la travailleuse sociale qui veut l'envoyer dans la société sous la pression de l'appareil médico-hospitalier ; rationalité économique oblige, puisque le « per diem » dans une famille d'accueil s'avère être 15 fois moindre que celui de l'institution hospitalière. Pour le patient, c'est le choix schizophrénique, le point de non-retour, puisqu'il n'a aucune relation avec l'extérieur. Mais cette morosité, cette atmosphère de grisaille, atteint également le moral des troupes engagées dans la croisade de la santé mentale. Au service social comme chez la majorité des « paramédicaux » , on constate un certain essoufflement devant la résistance de la maladie mentale, devant l'ampleur du « case-load », en dépit de l'expertise individuelle professionnelle. Cela peut aller jusqu'au « burnout », c'est-à-dire un syndrome d'épuisement physique et émotionnel marqué par une image négative de soi-même, une attitude négative envers le travail, une perte d'intérêt et de préoccupation envers les clients. 

De plus, le corps psychiatrique a subi un violent électrochoc durant le règne (1970-1976) des deux « Claude » (Castonguay et Forget). Ce dernier l'a non seulement évacué du M.A.S. (disparition de la direction des services psychiatriques), question de réduire le nombre de détenteurs de pouvoir décisionnel, mais a aussi critiqué rudement l'inefficacité du travail multidisciplinaire et la sectorisation des soins psychiatriques, voyant celle-ci comme une entrave aux libertés individuelles. Il y a aussi tous ces psychiatres qui se sentent comme les boucs émissaires d'une société qui leur demande de traiter des cas médico-légaux qui ne veulent pas se faire traiter ou pour qui les traitements actuellement connus sont souvent inefficaces (HiIIel, 1976, 285). Pour combien de temps un patient X peut-il être dangereux pour lui-même, pour autrui et pour la société ? L'individu qui a commis un délit est-il vraiment un malade, et pour combien de temps ? Qui peut répondre à un tel problème moral ? Doit-on traiter un patient de force ? 

En 1979 sortit le Rapport Mackay, genre d'autocritique de l'organisation psychiatrique assez douloureuse pour le narcissisme des psychiatres. Après beaucoup de protestations, le Rapport a été mis sous le boisseau en grande partie.

 

Période de réactivation

 

Depuis novembre 1976, les missionnaires de la psychiatrie communautaire, les docteurs Lazure et Laurin, font partie de l'équipe ministérielle du gouvernement souverainiste à Québec. Les pressions politiques n'ont pas manqué pour une renaissance du pouvoir psychiatrique. Depuis 1981, c'est chose faite, avec le « Service des Programmes en santé mentale » du docteur Arthur Amyot au ministère. Dans les cercles psychiatriques, c'est l'euphorie. 

Jean-Yves Roy écrivait en 1977 : 

« Quand je songe au Colloque de 1969 sur la psychose, un colloque international organisé à Montréal par des psychiatres francophones, il m'arrive d'éprouver une sorte de honte, sinon une profonde colère. Il m'arrive de penser que, dans ce bel imbroglio où les Latins et les Anglo-saxons avaient bien du mal à s'entendre, nous étions très possiblement les seuls à pouvoir offrir une synthèse conciliatrice. Et pourtant, nous ne l'avons pas fait, nous avons laissé les Européens se débattre avec l'Amérique et les Américains faire la sourde oreille aux patries ancestrales. Nous nous sommes satisfaits d'adresser des questions à ces officiels du savoir, jouissant, à l'occasion, de la contradiction idéologique et théorique flagrante qui s'ensuivait. Mais nous n'avons pas voulu poser notre discours. 

Il est très clair que ce silence signe la double colonisation de notre pensée. Et, là-dessus, nous avons à poursuivre, chacun pour soi, l'examen de conscience qui s'impose. » (Roy, 1977, 57) 

L'examen de conscience a eu lieu. Mentionnons surtout deux gigantesques « textbooks » qui totalisent 1617 pages et qui se situent au carrefour des cultures française et américaine : Psychiatrie clinique, approche contemporaine, 1980, sous la direction de Pierre Lalonde (le psychiatre, pas le chanteur) et Précis pratique de Psychiatrie, 1981, sous celle de Robert Duguay (et non Raoul). Et la liste continue : du psychiatre Yves Lamontagne, Initiation à la recherche en psychologie clinique et en psychiatrie, Edisem, 1980 et Les problèmes psychologiques de la vie quotidienne, Éditions La Presse, 1981 ; du psychiatre-anthropologue, Jean-François Saucier, P. U. M., 1980, L'Enfant : explorations récentes en psychologie du développement et Attitudes et comportements des adolescents francophones vis-à-vis la maladie, P.U.M., 1981.Et pour que la pédopsychiatrie ne soit pas en reste, nous avons eu du docteur Simon Richer, Interventions stratégiques en santé mentale de l'enfance, 1981. À une année d'intervalle à peine, vient de sortir Le diagnostic en psychiatrie infantile (pièges, paradoxes et réalité) par un autre pédopsychiatre, Michel Lemay. Et j'en passe. 

Dans ce monde de silence qui a toujours été recouvert d'une chape de plomb, l'on peut certes parler d'une véritable libération de la parole des soignants, pas des soignés... 

Au compte de cette atmosphère de liesse qui s'empare du corps psychiatrique, il faut souligner la découverte d'un traitement plus efficace de la dépression, le lithium, par un chercheur québécois, Claude De Montigny, au Centre de Recherche Psychiatrique du Centre hospitalier Louis-H.- Lafontaine. La psychiatrie a même donné un nouveau doyen à la faculté de médecine de l'Université de Montréal en la personne du Dr Yvon Gauthier. Le corps psychiatrique avait des blocages dans son fonctionnement psychique. Au lieu de s'administrer des médicaments anxiolytiques de type Valium® à effet sédatif prolongé et reliquat secondaire, le corps psychiatrique a questionné les « conditions matérielles objectives » de sa morosité, de son anxiété. Certains ont trouvé une solution à leur problème dans la conquête du pouvoir et la rupture de leur dépendance vis-à-vis des technocrates du M.A.S., d'autres en écrivant des anthologies ou en faisant des découvertes scientifiques. Et ils ne s'en portent que mieux. 

À notre avis, les « malades mentaux » méritent un pareil traitement. Si, de plus en plus, on ne nie pas le caractère neuro-chimique de cette maladie, de plus en plus, aussi, l'on croit à une multiplicité des causes qui renvoient à la dimension politique. Aussi, ce qu'il y a de neuf en psychiatrie, ou du moins en santé mentale, c'est le mouvement alternatif, qui questionne les rapports sociaux et les conditions de vie, leur détérioration, celles-ci formant les bases matérielles de la folie et de son développement. Ces situations s'avèrent tellement complexes que les individus, surtout de classe défavorisée, sont démunis pour les comprendre autrement que d'une manière individualiste et culpabilisante. 

« La folie survient, écrit la maison St-Jacques, au moment où un individu ayant intériorisé toutes ces invalidations développe une pensée et un mode d'être, basés principalement sur ces invalidations ; ce qui l'entraîne à fuir la réalité où il ne peut satisfaire ses besoins et il utilise les outils de fuite que son milieu lui propose, médicament, alcool, drogue, spiritualisme... Ce recours à l'imaginaire et à des défenses inefficaces empêche la personne de s'interroger sur les conditions matérielles et les mécanismes de domination qu'elle subit. »
(Maison St-Jacques, 1981,4)

 

Ce qui rejoint la priorité énoncée par le collectif international du Réseau-Alternative à la psychiatrie : 

« Le but du mouvement consiste à insérer les luttes sur la santé mentale dans l'ensemble des luttes des travailleurs pour la défense de la santé, et en coordination avec toutes les luttes des forces sociales et politiques pour la transformation de la société. » (Réseau-Alternative à la psychiatrie, 1977,9). 

La revue Santé mentale au Québec, dans son numéro de novembre 1981, a fait état de la variété idéologique du mouvement alternatif à la psychiatrie. Dans sa livraison du printemps 1982, la Revue Internationale d'Action communautaire (R.I. A.C.) avait demandé à plusieurs unités du mouvement alternatif de se définir pour voir s'il s'agissait vraiment d'idées nouvelles ou s'il s'agissait d'une variation sur un même thème, voire de bagarres entre tendances idéologiques au sein d'un pouvoir qui se transforme. L'on peut se demander, ajuste titre, quelle part le mouvement alternatif fait à l'autonomie de la personne en situation d'aide. Engendre-t-il d'autres formes de dépendance, comme la psychiatrie de secteur (France) ou communautaire (Québec/U.S.A.) ? Telles sont les questions qui peuvent nous aider à jauger à sa juste valeur la démarcation qui semble exister entre la psychiatrie institutionnelle et l'alternative à la psychiatrie. 

Henri Dorvil 

Ouvrier de la première heure (1965) en psychiatrie communautaire dans Laurentides-Labelle, l'auteur est détenteur d'une maîtrise en Service social de l'Université de Montréal. 

 

RÉFÉRENCES

 

BOUDREAU, F., 1979, The Quebec Psychiatrie System in Transition, La Revue canadienne de sociologie et d'anthropologie, 17 :1, février, p. 122-138. 

BOURGEAULT, D., MELOCHE, M., 1981, Le burnout ou mourir d'épuisement comme un caméléon sur une jupe écossaise, Revue Intervention, été, Montréal. 

Collectif International, 1977, Réseau-Alternative à la psychiatrie, Paris, 10-18, 442 p. 

GUILLAUMIN, C, 1981, Femmes et théories de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimées, Sociologie et sociétés, vol. XIII, n° 2, octobre. 

HILLEL, J., 1976, Droit pénal, Revue du Barreau, tome 36, n° 2, mars, p. 285-287. 

MACCIOCCHI, M.A., 1974, Pour Gramsci, Paris, Éditions du Seuil, 428 p. 

MAISON ST-JACQUES, 1981, Texte de présentation, Montréal, 37 p. 

MELANSON-OUELLETTE, A., 1980, Étude sur les connaissances et la perception des services psychiatriques au Québec, M.A.S. Québec, 185 p. 

ROY, J.Y., 1977, Être psychiatre, Éditions L'Étincelle, Montréal. 



[1]    Cette situation de rejet se perpétue puisqu'une étude du M.A.S. vient de nous apprendre que près de 80% de la population du Québec est pour le maintien de l'asile.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 juillet 2008 20:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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